1923 |
Au lendemain de la révolution, Trotsky aborde les problèmes de la vie quotidienne : rapports travail/loisirs, condition des femmes, famille, gestion des équipements collectifs, logement, culture et cadre de vie... |
Les questions du mode de vie
QUESTION N° 11
RÉPONSES
KOULKOV. - Les jours de fête, l'ouvrier en famille s'organise de la façon suivante – s'il en a les moyens, sa femme fait des gâteaux, il s'occupe des enfants ou bien va au marché, sans oublier d'acheter le journal. Après quoi, il va se promener au parc, rendre visite à des amis, et emmène les enfants avec lui. L'ouvrier célibataire, lui, va au marché, discute les prix, essaye d'acheter moins cher, flane, et quand il en a assez, entre dans un café. Les vieux, pour un très petit nombre, vont parfois à l'église. Si on organise une sortie ou bien une kermesse, et si tout est bien préparé, l'ouvrier y participe avec plaisir. Les jeunes, dans leur majorité, se rendent au club, quelques-uns vont à la campagne, d'autres à la foire.
FINOVSKI. - Pour bien organiser les activités des jours de fête, il faut travailler en collaboration avec les organismes culturels (qui proposent des promenades en été, des soirées en hiver, des conférences); il y a ensuite le cinéma, le théâtre, etc. Voilà un problème très important, et nous pourrions faire tellement de choses dans ce domaine pour que les jours de fête soient mille fois plus gais qu'autrefois ! Mais jusqu'à présent rien n’a été fait. Il faut que l'Etat nous vienne en aide. Il est temps de penser à créer des maisons de repos, des centres d'enfants, des crèches pour les familles des membres du parti, pour lesquels la famille est littéralement une charge, non seulement pendant la. semaine, mais aussi, et plus encore, les jours de fête.
ZAKHAROV. - On remarque actuellement, chez les ouvriers une tendance à aller passer "tous ensemble" le dimanche à la campagne. C'est ce qui explique la réussite de certaines sorties à la campagne, où ce sont retrouvées mille à quinze cents personnes. Si l'on compare la façon dont on passe les fêtes maintenant et avant la révolution, il faut noter un progrès notable. On boit et on joue beaucoup moins qu'autrefois. Les bagarres, les rixes sont maintenant exceptionnelles, alors qu'autrefois, c'était monnaie courante.
GORDFEV. - Une fois que les ouvriers se marient, ils se cloîtrent dans leur famille, et il est impossible de les réunir pour discuter autrement que dans des assemblées officielles, car en général, ils ne sont jamais libres. Mais à présent, sur l'initiative de M. K., nous avons organisé des excursions. Les ouvriers y sont extrêmement favorables; par exemple, dimanche dernier, nous avons emmené en balade près de sept mille ouvriers des usines Nikolski, nous avons dressé un buffet, convié deux orchestres, monté des balançoires et d'autres jeux, et tout s'est bien passé. Malheureusement, nous n'avons pas pu donner à cette sortie un caractère éducatif, qui aurait permis aux ouvriers, tout en se délassant, d'acquérir quelques connaissances supplémentaires. Ce genre d'excursions rapproche énormément les ouvriers, et brise les barrières de la famille, qui sont encore extrêmement résistantes. Les ouvrières font des rondes en chantant des chansons révolutionnaires, tandis que les ouvriers organisent des assemblées, des jeux, etc. C'est là quelque chose de très important, et si nous pouvions compléter ces jeux par quelques connaissances de sciences naturelles, faciles à assimiler en pleine nature, nous pourrions donner à ces sorties un caractère éducatif.
GORDON. - Il m'est arrivé, au cours de l'hiver, de participer souvent à des soirées chez des ouvriers. Au moment où les gens doivent se séparer, ils ont soudain envie de danser, et ils ont tout à fait raison. Mais il se produit souvent une chose intéressante . les gens se sentent gênés. Lors d'une de nos excursions, il y avait un orchestre. On venait me voir et on me demandait : "Est-ce que je peux danser ?" Je répondais que "oui", bien sûr. Lorsqu'ils dansent des danses russes ou cosaques, les gens se sentent bien, mais lorsqu'ils commencent à danser des danses de salon, la mazurka ou le one-step, ils sont gênés. Et il faut dire qu'ils sont particulièrement mal disposés pour les danses de salon.
DOROFEEV. - Entrez dans un bistrot ou dans une brasserie (c'est d'ailleurs votre devoir). Si vous regardez bien, vous verrez qu'ils sont remplis d'ouvriers. C'est là que l'ouvrier se libère, c'est là qu'on peut faire de l'agitation. Ses loisirs, il les passe pratiquement comme autrefois.
KOULKOV.
- Que font généralement les ouvriers le dimanche et les jours de fête ? Actuellement, étant donné que nos clubs ne sont pas encore bien organisés, les ouvriers passent les jours de fête de la façon suivante : si par exemple les syndicats ou le comité de quartier organisent une sortie, on leur demande trente roubles par personne, on leur donne un billet, un verre de thé, un petit pain, il y a de la musique, etc., et les ouvriers y participent volontiers. Mais s'il n'y a rien de semblable, ordinairement, quand les ouvriers en ont la possibilité, quand leur famille est peu nombreuse, leur femme prépare des gâteaux, tandis qu'ils vont au marché, achètent le "Moscou ouvrier" (quand ils travaillent, ils le reçoivent à l'usine, mais les jours de fête, on ne leur apporte pas le journal à domicile). Donc, ils achètent le journal, et le rapportent à la maison. Ils prennent le thé avec leur femme et leurs enfants, puis vont se promener sur les boulevards ou au parc; parfois, ils se rendent chez des amis.
Mais il existe, particulièrement de nos jours, un autre type d'ouvrier, des ouvriers qui gagnent très peu, qui travaillent au noir le, soir, soit comme cordonniers, soit comme tailleurs, etc. Et le dimanche, ils vont vendre tout cela au marché, afin d'acheter quelque chose en échange. Beaucoup d'ouvriers font ça. C'est une façon de passer son dimanche. Mais en voici encore une autre, plus ancienne . on va à l'église (il s'agit là d'un très petit nombre de gens), puis ensuite, on se rend chez des amis, ou bien on retourne chez soi pour dormir. Les jeunes, dans leur ensemble, vont jouer au football, se réunissent partout où ils le peuvent, sur des terrains de jeu, dans des clubs, ils partent en balade, etc.
ANTONOV. - Que font les ouvriers les jours de fête ? On peut dire qu'ils les passent comme autrefois. Mais il y a une énorme différence en ce sens qu'autrefois l'ouvrier passait son temps à se bagarrer, parce qu'il se soûlait, tandis que maintenant l'ivresse est extrêmement rare. Aujourd'hui, l'ouvrier se soûle peut-être une fois par mois. Autrefois, le même ouvrier qui gagnait un peu plus, était ivre tous les soirs. Il faut reconnaître que l'ivrognerie devient peu à peu une légende.
GORDON. - Les ouvriers sont emballés par le cinéma. Moi aussi, j'aime ça. Quand on habite un quartier, on peut observer le public. Ces derniers temps on joue un grand nombre de films en faveur de la politique coloniale comme "L'Atlantide", "La cavalière mexicaine". Ils sont si passionnants que si j'en vois un, je vais voir toute la série. Cela cause un énorme tort au public. Et vous, camarades, vous y allez certainement aussi ? Généralement, on considère que cela n'est pas bien. Mais une telle opinion ne tient pas debout; le cinéma, c'est une grande conquête, c'est une école. Mais il faut que le contenu des films soit différent, qu'on n'y chante pas les louanges de la politique coloniale, etc. Il faut prendre garde à cela. Nous avons ouvert une salle de cinéma au club du quartier, nous y organisons des débats, nous avons présenté "Cinq années de révolution".