Réponse à Axelrod
Axelrod apporte deux corrections secondaires, mais tout de même dignes d’intérêt, à mon commentaire fait de mémoire. Il semblerait qu’Axelrod n’ait pas opposé les "défaitistes" au reste des internationalistes et il n’a pas affirmé, mais exprimé sous forme d’espoir la reconnaissance par la majorité de la social-démocratie russe du slogan de l’Assemblée constituante en vue de liquider la guerre. Les circonstances, dans lesquelles Axelrod a fait son exposé, expliquent pleinement la possibilité de malentendus involontaires, et je suis tout prêt à admettre les corrections. Plus volontiers encore j’aurais admis celle concernant le groupe Nacha Zaria. Mais hélas ! sur ce point, Axelrod ne corrige pas mon exposé, au contraire, il confirme les craintes que j’ai exprimées. "Si nous avons bien compris, écrivais-je, le camp internationaliste, tel que le conçoit Axelrod, comprend aussi le groupe Nacha Zaria." Et Axelrod répond ainsi : "S’il est intéressant pour Trotsky de savoir où doit se placer le groupe Nacha Zaria, je dois dire que je n’inclus pas ce groupe dans le camp internationaliste, dans le sens qu’il indique."
Il ne m’est pas seulement intéressant de savoir, cela m’est indispensable. Et je ne suis pas le seul. Tous doivent savoir. Non seulement parce que la question des rapports envers le groupe politique est importante, mais aussi, avant tout, parce que l’appartenance du groupe Nacha Zaria à tel ou tel camp définit le contenu de ce que nous mettons dans notre conception de l’Internationalisme. Dans l’époque critique que nous vivons actuellement, quand on nie, attaque et élève des doutes sur la valeur du Socialisme, le manque de fermeté et le vague en politique sont inadmissibles, car ils sont la marque, bien que masquée, de la pire forme de capitulation devant l’ennemi.
De concert avec nos amis français, nous pensons que la politique actuelle du Socialisme français est mortellement hostile aux intérêts du prolétariat. Le groupe Nacha Zaria, au contraire, juge cette politique parfaitement conforme aux intérêts de la démocratie et du Socialisme. Comment pouvons-nous appartenir en même temps que ce groupe au même camp idéologique ?
Le groupe Nacha Zaria, en définissant la guerre comme "défensive" ou "libératrice" du côté de l’Entente, en arrive en Russie à la politique de "non-résistance". Il insiste, il est vrai, sur la nécessité de continuer la lutte contre le Tzarisme. Mais une lutte basée sur la "non-résistance" ne peut être que fictive ou alors une lutte supposée basée sur une capitulation de fait. Comment pourrions-nous inclure dans notre camp un groupe dont la position de principe le conduit à refuser la lutte révolutionnaire contre le Tzarisme ?
La politique de soutien à la guerre suppose l’approbation des crédits militaires. La politique de "non-résistance" conduit à l’abstention. C’est ainsi que se conduisit Mankov, et notre rédaction, unanimement, interpréta son comportement comme la seule conclusion possible, étant donné la position de Nacha Zaria. Mais la fraction "Kadet" exclut Mankov et, de nouveau, notre rédaction interpréta cette mesure comme la seule conclusion logique, étant donné la position internationaliste. Comment pourrions-nous incorporer Nacha Zaria dans notre camp, du moment que les conséquences politiques de sa position amènent à l’exclusion de députés hors de la fraction "Kadet" ?
Après tout ce qui vient d’être dit, il reste absolument incompréhensible de quelle façon Axelrod puisse estimer que "la nécessité d’analyse" de mon commentaire sur son exposé est superflue. C’est justement le contraire. Mon unique commentaire, résumé en une phrase, s’appuyait non pas sur des faits "mythiques", mais malheureusement sur celui trop réel de l’incorporation faite par Axelrod du groupe Nacha Zaria au camp internationaliste. "Il est clair, écrivais-je, que le slogan de l’Assemblée constituante ne peut jouer qu’un rôle : celui de couvrir la contradiction irréconciliable par rapport à la guerre des tactiques qui en découlent." Il me reste la consolation que mes erreurs sur des points secondaires ne rendent que plus claire la justesse de mes vues sur la question principale.
Les Autrichiens à Zimmerwald
Un camarade, spécialiste des questions autrichiennes, écrit au sujet de mon commentaire sur la Conférence :
"Votre jugement sur les Autrichiens est profondément injuste en ce qui concerne l’opposition autrichienne qui travaille dans des conditions qui ne peuvent se comparer aux nôtres. Plus encore. Personne n’a essayé de l’amener à la Conférence... Dans un futur proche, vous vous convaincrez qu’il y a là-bas des camarades qui possèdent le droit non seulement moral, mais formel, de participer aux futures Conférences au nom du Socialisme révolutionnaire." Il n’était pas dans mes intentions de jeter la pierre aux camarades autrichiens qui luttent avec l’esprit du Socialisme révolutionnaire. Je voulais simplement constater la faiblesse particulière de l’aile gauche de ce parti et le rôle regrettable que les représentants les plus en vue ont joué en pratiquant l’opportunisme et le nationalisme. Les questions tactiques et les contradictions idéologiques ne peuvent se résoudre que par le combat courageux des opinions. Mon correspondant le sait aussi bien que moi. Si, réellement, personne n’a pris la peine de convoquer les internationalistes autrichiens, c’est extrêmement regrettable. Mais ceci ne se serait pas produit, si l’opposition autrichienne avait été plus énergique ; elle aurait dû entrer en contact avec l’opposition allemande et ne pas ignorer que la Conférence se préparait. Que le prolétariat autrichien relève la tête, je n’en doute pas, et je souhaite avec l’auteur de la lettre que je viens de citer, qu’à la prochaine Conférence, le prolétariat révolutionnaire autrichien déléguera ses plus dignes représentants.
Les extrémistes hollandais
L’organisation des extrémistes hollandais, radicaux déclarés — ils s’appellent "Tribunistes" —, a décidé brusquement de ne pas s’associer au manifeste de la Conférence de Zimmerwald. Pourquoi ? Le manifeste est le fruit d’un compromis, n’engage pas à l’action et inclut le droit à l’autodétermination, ce qui pourrait donner aux masses l’illusion que l’auto-détermination nationale se baserait sur la société capitaliste.
Dans cette argumentation, des critiques parfaitement justes sont mêlées à une assurance bornée de "politique de clocher" et le tout se caractérise par une carence de proportions et de perspectives politiques.
Un des leaders des "tribunistes" est Monsieur Pannekoek. Nous lisons dans Kommunist un de ses articles qui respire le scepticisme révolutionnaire. Mais le scepticisme, comme nous l’avons déjà rappelé, fait bon ménage avec "l’intransigeance", plus encore : ils se complètent à merveille. Le sceptique juge que le monde, à part son petit cercle, ne peut être que mauvais ; ceci ne peut que renforcer son scepticisme et le pousser inévitablement à se retrancher de ce monde contaminé. Nous rencontrons la plus pure culture de l’extrémisme formel en Hollande, un pays qui n’est pas en guerre et qui ne peut être considéré comme un foyer de révolution sociale : il suffit d’ajouter que les "tribunistes" n’ont jamais pu réunir plus de cinq cents membres.