Chaque mouvement de Léon Trotsky est observé dans le monde. Chaque mot qu'il prononce est soigneusement pesé par les hommes d'État et autres dirigeants. Qui est ce Léon Trotsky ? La réponse est donnée par Léon Trotsky lui-même, qui a écrit au printemps dernier le résumé suivant de sa vie, une semaine avant de quitter New York pour retourner en Russie.
Je suis né il y a 38 ans dans une petite colonie juive du sud de la Russie, dans le gouvernorat [goubernia] de Kherson. Vers l'âge de 14 ans, j'entrai au gymnase de Tchernigov et, comme la plupart des jeunes sensibles de Russie, je m'intéressai bientôt aux mouvements révolutionnaires. Ici, en Amérique, les écoliers semblent passer le plus clair de leur temps au sport, baseball et football. En Russie, les garçons - et les filles aussi, d'ailleurs - utilisent leurs loisirs pour lire des livres comme l'Histoire de la civilisation de Buckle, Le Capital de Marx, La Révolution sociale de Kautsky, et nos propres grands classiques qui palpitent de la passion de la révolte. Notre passe-temps consiste principalement à assister à des réunions socialistes clandestines et à répandre la propagande parmi les ouvriers de la ville et les paysans de la campagne.
Je n'ai pas fait exception à la règle. La cause révolutionnaire m'a saisi très tôt dans la vie et n'a jamais relâché son emprise. Il y avait, en effet, beaucoup de travail à faire. Quand j'avais un peu plus de 20 ans, la grande flamme de la révolution russe a éclaté. La plupart des jeunes gens de Russie, quelle que soit leur éducation, ont été engagés dans la lutte contre l'indicible système tsariste, déterminés à mettre fin aux torts qu'il infligeait au peuple russe.
Ma formation universitaire fut interrompue car je me plongeai bientôt dans le travail de propagande qui ne laissait plus de temps pour autre chose. Je continuai cependant à m'appliquer à l'étude de la sociologie, de l'économie politique et de l'histoire et je devins bientôt un socialiste marxiste convaincu. Lorsque la social-démocratie russe s'est scindée en deux parties sur une question de tactiques, je ne m'identifiais ni aux mencheviks ni aux bolcheviks, mais continuais à travailler pour la cause générale, pour le renversement du tsarisme et la perspective du Socialisme. Puisque la division dans le parti n'était pas basée sur des principes fondamentaux, mais seulement sur une divergence d'opinion quant à la méthode à appliquer pour atteindre aux mêmes fins, j'ai utilisé tous mes efforts pour opérer une réconciliation entre les deux ailes. Cependant, je penchais fortement du côté des radicaux. En d'autres termes, j'étais un menchevik d'extrême gauche, ou un quasi-bolchevik.
Mes capacités d'écrivain et d'orateur m'attirèrent bientôt au centre même de l'activité des socialistes. J'écrivais pour la presse du parti, composais des pamphlets et faisais personnellement de la propagande, principalement parmi les populations des villes.
Naturellement, je n'ai pas échappé au sort général des révolutionnaires russes. J'ai été arrêté et emprisonné, et comme, après ma libération, je n'ai pas abandonné mon travail pour la cause, je suis devenu ce que les autorités russes appelaient un « illégal », et j'ai dû vivre sous un nom d'emprunt. Mon premier geôlier s'appelait Trotsky, et l'idée m'est venue de prendre son nom.
Lorsque la Révolution a éclaté dans toute sa force en 1905, j'ai été nommé président du premier Conseil des soldats et des ouvriers de Petrograd pour succéder au premier titulaire de ce poste. Je suis resté président jusqu'à la défaite de la Révolution, quand j'ai été arrêté et envoyé en prison et en exil en Sibérie. De là, j'ai réussi à m'enfuir et je suis allé vivre en Suisse.
En Suisse, j'ai fondé un journal socialiste, appelé Pravda (La Vérité), qui a été publié à la fois en russe et en allemand. J'ai également créé un service d'information international pour la diffusion d'informations véridiques sur les événements politiques et révolutionnaires courants en Russie.
En 1910, je me rendis en Allemagne, où mon activité révolutionnaire provoqua le mécontentement des autorités prussiennes. Trois jours avant le déclenchement de la guerre actuelle, je me trouvais à Vienne. Sur les conseils du Dr Adler, le dirigeant socialiste autrichien, j'ai quitté l'Autriche-Hongrie, et j'étais en Serbie lorsque ce pays a été envahi par les troupes austro-hongroises, J'étais présent au parlement serbe, la Kupchina, lors du vote des premiers crédits de guerre.
Je retournai en Suisse et fus plus tard appelé à Paris pour éditer un journal socialiste russe. Lorsqu'une division de troupes russes s'est mutinée et a tué son général, j'ai adressé une sévère lettre de critique du gouvernement français de Jules Guesde, membre socialiste du cabinet, pour le châtiment sauvage infligé aux troupes russes. Cela a tellement déplu au gouvernement français qu'on m'a ordonné de quitter la France. Je suis ensuite retourné en Suisse, mais la Suisse craignait des complications avec le gouvernement tsariste et ne voulut pas me laisser entrer. Je me suis alors tourné vers l'Espagne. L'Espagne ne m'accueillera pas non plus. J'ai été détenu à Barcelone, d’où je devais être déporté vers Cuba, où je ne connaissais personne, et où je me serais retrouvé complètement bloqué. Plus tard, le gouvernement espagnol a décidé de me laisser aller où je voulais, à la seule condition que je quitte l'Espagne. Tous les pays d'Europe m'étaient pratiquement fermés, et j'ai donc tourné mon regard au-delà de l'Atlantique et suis arrivé à Ellis Island fin décembre 1916.
Ici, à New York, j'ai vécu avec ma femme et mes deux enfants dans un trois pièces d'un immeuble du Bronx, j'ai écrit pour le Novyi Mir, le quotidien socialiste russe, et j'ai pris la parole lors de réunions socialistes. Cependant, je ne m'attends pas à ce que mon séjour ici soit très long, car une révolution doit éclater en Russie dans peu de temps, et dès que cela se produira, je me hâterai de retourner dans mon pays d'origine et d'aider à l'œuvre de libération de la Russie.
Mon livre Les bolcheviks et la paix mondiale [La guerre et l'Internationale] exprime pleinement mes convictions sur la guerre mondiale. C'est le résultat d'une étude large et approfondie et le programme qui y est tracé est la seule solution que je puisse voir aux problèmes auxquels l'humanité est confrontée.