1917 |
Discours prononcé par Trotsky lors d'une session d'urgence du Soviet de Pétrograd, qui traitait d'attaques du gouvernement provisoire contre les marins de plus en plus inquiets de la base navale de Kronstadt. | téléchargement fichier .epub : |
Discours prononcé lors d'une session d'urgence
du Soviet de Petrograd
sur la question de Kronstadt
9 juin 1917
Trotsky a prononcé un discours majeur. [2] Son discours a été interrompu par le bruit et les protestations de certains et les applaudissements orageux d’autres. Il a montré que les quatre résolutions du Soviet de Kronstadt, adoptées les 16, 21, 24 et 25 mai [3], ne se contredisaient pas et ne visaient pas [4] le gouvernement provisoire, mais étaient une conséquence naturelle de la situation qui s'était développée alors que ni le gouvernement provisoire ni le Soviet de Pétrograd n’exerçaient le pouvoir - une situation que Trotsky qualifia de "double manque de pouvoir" [dvoebezvlastie].
Plus tard, faisant référence à un article de Rozhkov, Trotsky a évoqué l'activité contre-révolutionnaire des commissaires du gouvernement en Russie et a exprimé sa perplexité : pourquoi les ministres socialistes perdaient-ils du temps à soumettre Kronstadt au lieu de se concentrer sur l'organisation du pouvoir local, en chassant les commissaires Cent-Noirs qui, dans la prochaine contre-révolution, joueraient le rôle de bourreaux de la révolution ?
La mauvaise organisation du pouvoir local a suscité la méfiance tout à fait légitime des Kronstadtiens envers le gouvernement provisoire et, aussi longtemps que le gouvernement ne s’est pas armé d’un balai de fer et n’a pas commencé à balayer toute cette crasse Cent-Noirs, des conflits comme celui de Kronstadt sont inévitables.
Trotsky a proposé que les assistants s'abstiennent d'enflammer les passions ou d'aiguiser les conflits, mais adoptent une résolution [5] déclarant l'incident résolu et soulignant la nécessité d'une organisation immédiate du pouvoir révolutionnaire dans les localités.
Le camarade Trotsky a indiqué que si l'on adoptait le point de vue de Tsereteli, il y aurait alors une contradiction colossale entre les déclarations du Soviet de Kronstadt et les positions qui lui étaient attribuées. Le gouvernement provisoire, la majorité du comité exécutif, et la presse bourgeoise, qui soutient le comité exécutif, ont tous affirmé que Kronstadt avait fait sécession de la Russie, mais les Kronstadtiens ont affirmé que tel n'était pas le cas. Après la visite de Tsereteli et de Skobelev, la presse a interprété les résultats de leur visite comme une victoire du gouvernement provisoire et une reddition de Kronstadt. Les Kronstadtiens ont toutefois déclaré qu'ils ne s’étaient pas rendus, qu'il n'y avait pas eu de victoire du gouvernement provisoire et que ce qui avait été obtenu était un accord que le journal «Voix de la Vérité» interprétait comme une victoire du soviet de Kronstadt contre les principes non démocratiques du gouvernement provisoire. Sans aucun doute, l'accord n'avait pas été violé.
La résolution du bureau du comité exécutif ne peut être acceptée car elle est remplie de menaces pour les Kronstadtiens. L'ancien régime interprétait tout mouvement comme un produit de l'activité d’agitateurs. Mais nous savons que le mouvement est provoqué par la vie même et que le mouvement de Kronstadt est provoqué par le fait que de nombreux représentants des Cent-Noirs sont restés à leurs postes, ce qui explique la méfiance envers les ministères. Nos ministres socialistes ne combattent pas le danger des Cent-Noirs, mais déclarent la guerre aux marins et aux soldats de Kronstadt. Si la réaction triomphe, les commissaires Cent-Noirs nous passeront un nœud coulant au coup, et les soldats de Kronstadt mourront avec nous. Les gens parlent de double pouvoir, mais ce que nous avons, c’est un double manque de pouvoir, car le gouvernement provisoire n’a pas vraiment de pouvoir et vous n’avez pas décidé de le prendre.
Trotsky a proposé l'adoption de deux résolutions :
(1) reconnaître l'incident de Kronstadt résolu en raison de l'accord obtenu et
(2) obliger le Comité exécutif à adopter toutes les mesures urgentes pour la démocratisation globale du pouvoir local.
Notes
[1] Cette question a été soulevée lors d'une session du Soviet de Petrograd en rapport avec le conflit qui avait éclaté entre le Soviet de Kronstadt et des représentants du gouvernement provisoire à Kronstadt. La cause initiale de ce conflit était le fait que notre parti dirigeait le Soviet de Kronstadt ; il était tout à fait naturel que la coexistence des plénipotentiaires bourgeois et du régime révolutionnaire local ne puisse que conduire à des conflits. Le refus de Kronstadt de se soumettre à plusieurs directives données par le commissaire du gouvernement a fourni un prétexte à la presse bourgeoise de “compromis social” pour commencer à hurler au sujet de la prétendue «sécession» de Kronstadt de la Russie. La session du Soviet de Kronstadt avait pour but d'influencer les Kronstadtiens. Cette visite avait été précédée par la visite de Tsereteli et de Skobelev à Kronstadt, effectuée au nom du gouvernement provisoire. Le résultat de cette visite a été la résolution présentée ci-dessous (voir la note 3).
[2] Compte tenu du fait que la transcription n’a pas été conservée et que le discours, tel que rapporté dans “Novaia Zhizn’ [Nouvelle vie] ” diffère de la publication dans les “ Izvestiia ”, nous fournissons les deux versions. Il faut garder à l’esprit que la présentation des discours dans ces journaux était souvent journalistique, c’est-à-dire que les discours étaient rapportés à la fois à la première et à la troisième personne. - Les éditeurs [des Oeuvres de Trotsky]
[3] Malheureusement, nous n'avons pas réussi à localiser toutes les résolutions. Nous ne fournissons que les suivantes (à partir du 21 mai) :
En réponse à la question des représentants du gouvernement provisoire, les ministres IG Tsereteli et MI Skobelev, sur l'attitude à l'égard des autorités centrales, le Soviet des députés des travailleurs et des soldats de Kronstadt se déclare : d'accord avec la résolution de la majorité des démocrates révolutionnaire du Soviet des députés des travailleurs et des soldats de Petrograd, qui a reconnu que le gouvernement provisoire actuel est investi du plein pouvoir, commun à toute la Russie révolutionnaire, ce que nous reconnaissons pleinement. La reconnaissance n’exclut évidemment pas les critiques et le souhait que la démocratie révolutionnaire crée une nouvelle organisation du pouvoir central, après avoir transféré tout le pouvoir entre les mains du Soviet des députés soldats et ouvriers. Nous espérons que, en exerçant une pression idéologique sur l'opinion de la majorité de la démocratie, nous parviendrons à diriger cette majorité sur la voie que nous reconnaissons être la seule correcte. Mais comme cela n’a pas été réalisé et que la majorité n’est pas d’accord avec nous et appuie le gouvernement provisoire actuel, nous le reconnaissons et considérons que ses directives et ses lois s’appliquent autant à Kronstadt que dans toutes les autres régions de la Russie. Nous protestons résolument contre les tentatives de nous imputer l’intention de séparer Kronstadt du reste de la Russie en ce sens que Kronstadt organiserait une sorte de pouvoir étatique souverain ou autonome au sein d’une Russie révolutionnaire unie, en opposition avec le gouvernement provisoire actuel.
195 voix pour la résolution, 26 contre, 22 abstentions.
Sur la question de la représentation du gouvernement provisoire à Kronstadt, le Soviet des députés ouvriers et soldats déclare qu'il choisit pour ce poste le responsable des affaires civiles, qui sera soumis à la confirmation du gouvernement provisoire et sera responsable devant lui.
202 voix pour cette résolution, 9 contre, 26 abstentions.
Tous les chefs militaires et de marine sont guidés par les directives du haut commandement. Les relations entre le commandement local et les organismes de contrôle internes restent inchangées.
213 pour, 9 contre, 14 abstentions.
Sur la question de la nécessité de mettre en place rapidement des organes démocratiques d'autonomie locale et des organes judiciaires reposant sur des fondements communs à toute la Russie, le Soviet des Ouvriers et les députés soldats de Kronstadt déclarent que ces lois, en tant que lois générales de l'État, ne peuvent en aucun cas rencontrer d’obstacle de leur part.
203 pour, 7 contre, 18 abstentions.
En ce qui concerne les officiers arrêtés, le Soviet des députés ouvriers et soldats déclare qu'il coopérera avec la commission d'enquête nommée par la Haute Cour, étant donné que les représentants de la commission d'enquête locale du Soviet des travailleurs ont travaillé ensemble avec des députés des soldats de la ville de Kronstadt, lors de l'enquête préliminaire à Kronstadt.
En conséquence, les personnes que cette commission traduira en justice envoyées à Pétrograd et accompagnées par les représentants du commandement intéressé de Kronstadt chargés de l'instruction de l'affaire. Les personnes qui prouveront leur innocence au cours de l’enquête doivent être libérées à Kronstadt par la commission d’enquête, ce qui doit être communiqué au Comité exécutif du Soviet des travailleurs et des soldats, aux députés et à toutes les unités de la garnison.
160 pour, 57 contre, 16 abstentions.
En raison de fausses informations diffusées par plusieurs organes de la presse selon lesquelles les officiers arrêtés sont détenus dans des conditions exceptionnellement dures et sont torturés à mort, le Soviet invite les représentants des partis, organisations sociales et organes de presse à rendre visite aux prisonniers et à les voir personnellement, pour se convaincre de l'absurdité de telles rumeurs. L'autorisation de visite est donnée par le Comité exécutif, sans délai, à tout moment sauf les jours fériés. Le visiteur doit être en possession d’une lettre de créance d’un parti politique, d'une organisation sociale ou de la presse.
[4] Ici, le compte rendu du discours est clairement faux. La position de L. D. Trotsky sur cette question, ainsi que l’état actuel des choses, montrent clairement qu’il n’aurait pas pu dire que les résolutions du Soviet de Kronstadt n’étaient pas dirigées contre le gouvernement provisoire. L’idée principale de Trotsky était que Kronstadt n’avait pas l’intention de se séparer de la Russie, comme le rapportaient la majorité des conciliateurs et la presse aux ordres. Cela ressort d'ailleurs clairement du compte-rendu du même discours donné par «Izvestiia».
[5] Malheureusement, ces résolutions n'ont pas été retrouvées. "Izvestiia" signale seulement que le camarade Trotsky a retiré l'une des deux résolutions présentées, et que le président n'a pas voulu présenter la seconde au vote, déclarant que la question de la démocratisation du pouvoir local n'était pas à l'ordre du jour. Les bolcheviks et les sociaux-démocrates unitaires quittèrent ensemble la salle où se tenait la session.