1925 |
UNe lettre rédigée en vue du plénum du Comité Central du P.C. russe qui allait procéder à l'expulsion de Trotsky de tous les organismes de direction soviétiques. |
Œuvres - Janvier 1925
Lettre au Plenum du C.C. du P.C.R.
Chers Camarades,
Le premier point de l'ordre du jour du présent du C.C. sera la question des résolutions des organisations locales sur « l'intervention » de Trotsky. Ne pouvant pas, par suite de ma maladie, participer aux travaux du Plénum, je pense lui faciliter l'examen de cette question en lui donnant les brèves explications suivantes :
J'estimais, et j'estime encore, que j'aurais pu apporter dans la discussion des objections de principe assez sérieuses contre l'accusation lancée contre moi, que je poursuivrais soi‑disant la « révision, du léninisme » et la « diminution » du rôle de Lénine. Je me suis refusé à m'expliquer sur ce terrain, non seulement pour raison de maladie, mais aussi parce que dans les conditions actuelles de la discussion, toute intervention de ma part sur ce sujet, que qu'en soit le contenu, le caractère et le ton, n'aurait servi qu'à exacerber la polémique, à en faire une lutte entre deux parties à lui donner un caractère, encore plus aigu.
A l'heure actuelle, en examinant la marche de la discussion, j'estime, bien que de nombreuses accusations erronées, et même monstrueuses aient été lancées contre moi, que j'ai bien fait de me taire pour les intérêts généraux du parti.
Je ne puis d'aucune façon accepter l'accusation d'appliquer une ligne qui me soit particulière (« trotskisme ») et de tendre à réviser le léninisme. La conviction qu'on m'attribue, - que ce ne serait pas moi qui serais venu au bolchevisme, mais le bolchevisme à moi, ‑ me semble tout simplement monstrueuse. Dans ma, préface des « Leçons d'Octobre », je dis nettement (page 62) que le bolchevisme s'est préparé à son rôle dans la révolution par une lutte intransigeante, non seulement contre le populisme (narodniki) et le menchevisme, mais aussi contre les « conciliateurs », c'est‑à‑dire contre la tendance à laquelle j'appartenais. Durant ces dernières huit années, il ne m'est jamais venu à l'idée de considérer une question quelconque sous l'angle du « trotskisme », que je considère depuis longtemps comme liquidé au point de vue politique. Que j'aie eu raison ou que je me sois trompé dans telle ou telle question se posant devant le parti, je partais toujours pour la résoudre de l'expérience théorique et pratique générale de notre parti, Durant ces années, nul ne m'a dit que telles de mes pensées ou de mes propositions soient marquées d'une nuance particulière de « trotskisme ». C'est une façon tout à fait inattendue pour moi que re mot a surgi au cours de la discussion sur mon livre sur « 1917 ».
Sous ce rapport, c'est la question de la paysannerie qui a la plus grande importance politique. Je nie catégoriquement que la formule de la « révolution permanente », qui se rapportait entièrement au passé, ait déterminé chez moi, dans une mesure quelconque, de la négligence envers les paysans dans les conditions de la révolution soviétiste. S'il m'est arrivé, après octobre, de revenir à la formule de la « révolution permanente », c'était uniquement au point de vue de l’histoire du parti, c'est‑à‑dire de l'examen du passé, mais nullement pour expliquer les tâches politiques actuelles. La tentative de créer des contradictions inconciliables sur cette question n'a pas, à mon avis, de justification dans les huit années d'expérience de la révolution, accomplie par nous en commun, ni dans les tâches de l'avenir.
De même, je repousse l'affirmation de mon soi‑disant « pessimisme » à l'égard du sort de notre édification socialiste dans des conditions de marche lente de la révolution en Occident. Malgré toutes les difficultés résultant de l'entourage capitaliste, les ressources politiques et économiques de la dictature soviétique sont très grandes. J'ai exposé plus d'une fois cette pensée au nom du parti, en particulier dans les congrès internationaux, et j'estime qu'elle conserve sa valeur dans la période actuelle du développement historique.
Dans les questions litigieuses résolues par le XIII° Congrès, je n'ai présenté, ni au Comité Central, ni au Conseil du Travail et de la Défense, encore moins en dehors des institutions dirigeantes du parti et des Soviets, des propositions soulevant de nouveau, directement ou indirectement, les questions déjà résolues par le Congrès. Après le XIII° Congrès, se sont posées avec plus de force de nouvelles tâches d'ordre économique, soviétique et international. Leur solution présente de grandes difficultés. Je n'ai jamais eu la pensée d'opposer une « plate‑forme » quelconque aux efforts du C.C. pour résoudre ces questions. Mon affirmation n'a besoin d'aucune preuve pour les camarades qui ont assisté aux séances du bureau politique, du Plénum du C.C., du Conseil du Travail et de la Défense ou du Conseil Militaire révolutionnaire. Les questions litigieuses résolues par le XIII° Congrès, ont été de nouveau soulevées au cours de la dernière discussion, non seulement sans le moindre rapport avec mon travail, mais aussi, autant que j’en peux juger, sans rapport avec les questions pratiques de la politique du parti.
Dans la mesure où la préface à mon livre « 1917 », a été le prétexte formel de la dernière discussion, j'estime nécessaire avant tout de repousser l'accusation d'après laquelle j'aurais publié mon livre à l'insu du C.C. En fait, mon livre a été publié (durant ma cure au Caucase) dans les mêmes conditions que mes autres ouvrages ou les ouvrages des autres membres du C.C. ou de n'importe quel membre du parti. Bien entendu, c'est l'affaire du parti d'établir les formes de contrôle nécessaires sur les publications communistes. Pour ma part, je n'ai nullement porté atteinte aux formes de contrôle qui étaient établies et je n'avais d'ailleurs, aucune raison pour le faire.
La préface des « Leçons d'Octobre » constitue la suite des pensées que j'avais exposées plus d'une fois et en particulier durant la dernière année. Je citerai les derniers rapports et articles : « Sur la route de la Révolution européenne », (Tiflis, 11 avril 1924) ; « Les perspectives et les tâches en Orient », (21 avril) ; « Le premier mai en Occident et en Orient », (29 avril ; « A un tournant », (préface à « 5 années de l'l.C. ») ; « Par quelle étape passons‑nous », (21 juin) ; « Les questions fondamentales de la guerre civile ».
Tous les rapports mentionnés, écrits à l'occasion de la défaite de la Révolution allemande en automne 1923, ont paru dans la « Pravda », les « Izvestia » et autres organes. Pas un seul membre du C.C. ou du B.P. ne m'a indiqué que les idées exposées dans ces travaux étaient inexactes. De même, la rédaction de la « Pravda » n'a jamais accompagné mes articles de la moindre note, ni tenté de me faire comprendre qu'elle n'était pas d'accord sur tel ou tel point.
Bien entendu, je n'ai pas considéré mon analyse d'Octobre en rapport avec les évènements d'Allemagne, comme une « plate‑forme ». Je ne supposais même pas que mon ouvrage puisse être considéré par quelqu'un comme une « plate‑forme », ce qu'il n'était pas et ne pouvait être.
Vu que plusieurs autres de mes ouvrages sont mis en cause, y compris quelques‑uns qui ont eu plusieurs éditions déjà, j'estime nécessaire, de constater que non seulement le Bureau politique en son ensemble, mais pas un seul membre du C.C. ne m'a indiqué que tel article ou livre puissent être interprétés comme une « révision » du léninisme. Cela concerne en particulier mon livre « 1905 », qui est paru du vivant de Vladimir Illitch, et a eu plusieurs éditions, il a été chaudement recommandé par la presse communiste et traduit en plusieurs langues par I’I.C. Cet ouvrage est maintenant la principale pièce à conviction dans l'accusation de vouloir réviser le léninisme.
Comme je l'ai déjà dit au début, mon exposé n'a qu'un seul but : faciliter au Plénum la solution de la question qui est au premier point de son ordre du jour.
En ce qui concerne les affirmations faites à plusieurs reprises au cours de la discussion, que je prétendrais soi‑disant à une « position particulière » dans le parti, que je ne me soumettrais pas à la discipline et refuserais d'exécuter les travaux que le C.C. me confierait, etc… ‑ sans vouloir juger ces accusations, je déclare catégoriquement : je suis prêt à accomplir n'importe quel travail que le C.C. me confiera à n'importe quel poste, et même sans aucun poste, et, bien entendu, sous n'importe quel contrôle du Parti.
Il est inutile de prouver qu'après la dernière discussion, les intérêts de la cause exigent que je sois libéré le plus rapidement possible de mes fonctions de président du Conseil militaire révolutionnaire.
Pour terminer, j'ajouterai que je resterai à Moscou jusqu'au Plénum afin de pouvoir, en cas de besoin, répondre aux questions et donner les explications nécessaires.