1926 |
Discours prononcé en Novembre 1926. Première publication : InPreCor, 1927 (?). Source : Archives of the Revolution, The New International , Vol. VIII n° 7, août 1942, pp. 217-221, Vol. VIII n° 10, novembre 1942, pp. 313-318 & Vol. VIII n° 11, décembre 1942, pp. 343-345. Traduit de l'anglais par MIA. |
Présentation par The New International : Le discours suivant a été prononcé par Trotsky lors du septième plénum du Comité exécutif de l'Internationale communiste en novembre 1926. Pour dissimuler leur dégénérescence théorique et politique, les staliniens ont lancé un violent barrage d'attaques contre Trotsky, le leader de l'opposition de gauche. En réponse à sa critique internationaliste de la théorie stalinienne du "socialisme dans un seul pays", la bureaucratie le dénonce pour une prétendue "déviation social-démocrate". La réponse polémique magistrale de Trotsky au Septième Plénum n'a, bien sûr, jamais été largement diffusée dans le mouvement communiste officiel, n'apparaissant que dans l'ésotérique International Press Correspondence. Elle est réimprimée ici pour la première fois dans une publication américaine. – La rédaction.
Camarades ! La résolution accuse l'Opposition, dont je fais partie, de déviation social-démocrate. J'ai réfléchi à tous les points de discorde qui nous ont divisés, nous, la minorité du CC, de la majorité, pendant la période qui vient de s'écouler, c'est-à-dire pendant la période où l'on a utilisé l'appellation de "bloc de l'opposition". Je dois préciser que les points de désaccord, et notre point de vue sur ces points de désaccord, n'offrent aucune base pour l'accusation de "déviation social-démocrate".
La question sur laquelle nous avons été le plus en désaccord, camarades, est celle qui interroge sur quel danger nous menace à l'époque actuelle : le danger que notre industrie d'État reste en arrière, ou le danger qu'elle se précipite trop vite vers l'avant. L'opposition – dont je fais partie – a prouvé que le véritable danger qui nous menace est que notre industrie d'État reste en retard sur le développement de l'économie nationale dans son ensemble. Nous avons fait remarquer que la politique poursuivie dans la répartition du revenu national implique une nouvelle augmentation de la disproportion. Pour une raison ou une autre, cela a été appelé "pessimisme". Camarades, l'arithmétique ne connaît ni pessimisme ni optimisme, ni découragement ni capitulation. Les chiffres sont les chiffres. Si vous examinez les chiffres de contrôle de notre économie planifiée, vous constaterez que ces chiffres montrent que la disproportion, ou pour s'exprimer plus exactement, la pénurie de produits industriels, a atteint l'année dernière le montant de 380 millions de roubles, alors que cette année ce chiffre sera de 500 millions, c'est-à-dire que les chiffres originaux de la commission de planification montrent que la disproportion a augmenté de 25 %. Le camarade Rykov déclare dans sa thèse que nous pouvons espérer (simplement espérer) que la disproportion n'augmentera pas cette année. Quelle est la justification de cet "espoir" ? Le fait est que la récolte n'est pas aussi favorable que nous l'attendions tous. Si je devais suivre les fausses pistes de nos critiques, je dirais que les thèses du camarade Rykov saluent le fait que les conditions défavorables qui ont prévalu au moment de la récolte ont nui à des récoltes qui, autrement, n'auraient pas été mauvaises, puisque, si la récolte avait été plus importante, le résultat aurait été une plus grande disproportion. (Camarade Rykov : "Je suis d'un autre avis.") Les chiffres parlent d'eux-mêmes. (Une voix : "Pourquoi n'avez-vous pas pris part à la discussion sur le rapport du camarade Rykov ?") Le camarade Kamenev vous a dit ici pourquoi il ne l'a pas fait. Parce que je n'aurais rien pu ajouter à ce rapport économique spécial, sous forme d'amendements ou d'arguments que nous n'ayons pas déjà présentés au plénum d'avril. Les amendements et autres propositions que j'ai présentés avec d'autres camarades au plénum d'avril restent pleinement valables aujourd'hui. Mais l'expérience économique acquise depuis avril est évidemment trop faible pour nous permettre d'espérer qu'au stade actuel, les camarades présents à cette conférence en seront convaincus. Revenir sur ces points de discorde, avant que le cours réel de la vie économique ne les ait mis à l'épreuve, susciterait des discussions inutiles. Ces questions seront plus acceptables pour le parti lorsqu'il pourra y être répondu par les statistiques basées sur la dernière expérience ; car l'expérience économique objective ne décide pas si les chiffres sont optimistes ou pessimistes, mais seulement s'ils sont justes ou faux. Je crois que notre point de vue sur la disproportion a été juste.
Nous avons été en désaccord sur le rythme de notre industrialisation, et j'ai été parmi les camarades qui ont fait remarquer que le rythme actuel est insuffisant, et que c'est précisément cette vitesse insuffisante de l'industrialisation qui confère la plus grande importance au processus de différenciation en cours dans les villages. Certes, ce n'est pas une catastrophe que le koulak relève la tête ou – c'est l'autre aspect du même sujet – que la paysannerie pauvre ne soit plus prépondérante. Ce sont là quelques-uns des graves à-côtés de la période de transition. Ce sont des signes malsains. Il n'est pas nécessaire de dire qu'il n'y a pas lieu de "s'alarmer". Mais ce sont des phénomènes qui doivent être correctement estimés. Et j'ai été parmi les camarades qui ont soutenu que le processus de différenciation du village peut prendre une forme dangereuse si l'industrie est en retard, c'est-à-dire si la disproportion augmente. L'Opposition maintient qu'il est de notre devoir de réduire la disproportion d'année en année. Je ne vois là rien de social-démocrate.
Nous avons insisté sur le fait que la différenciation du village exige une politique fiscale plus élastique à l'égard des différentes couches de la paysannerie, une réduction des impôts pour les couches moyennes pauvres de la paysannerie, et une augmentation des impôts pour les couches moyennes aisées, ainsi qu'une pression énergique sur le koulak, en particulier dans ses relations avec le capital commercial. Nous avons proposé que 40 pour cent de la paysannerie pauvre soit complètement libérée de l'impôt. Avons-nous raison ou non ? Je crois que nous avons raison ; vous croyez que nous avons tort. Mais ce qu'il y a de "social-démocrate" dans tout cela est un mystère pour moi (rires).
Nous avons affirmé que la différenciation croissante de la paysannerie, qui se produit dans les conditions imposées par le retard de notre industrie, entraîne la nécessité d'une double protection dans le domaine de la politique, c'est-à-dire que nous ne pouvions absolument pas accepter l'extension du droit de vote au koulak, l'employeur et l'exploiteur, ne serait-ce que sur une petite échelle. Nous avons tiré la sonnette d'alarme lorsque les inspecteurs électoraux ont étendu le suffrage à la petite bourgeoisie. Avons-nous eu raison ou non ? Vous considérez que notre alarme était "exagérée". Eh bien, même en admettant qu'elle l'ait été, elle n'a rien de social-démocrate.
Nous avons proposé et exigé que le cours pris par les coopératives agricoles à l'égard du "fermier moyen hautement productif", sous le nom duquel on trouve généralement le koulak, soit sévèrement condamné. Nous avons proposé de condamner la tendance des coopératives de crédit à se ranger du côté de la paysannerie nantie. Je ne comprends pas, camarades, ce que vous trouvez de "social-démocrate" dans tout cela.
Il y a eu des différences d'opinion sur la question des salaires. En substance, ces divergences consistent en ce que nous sommes d'avis qu'au présent stade de notre développement économique et industriel, et au niveau actuel de l'économie, la question des salaires ne doit pas être réglée en supposant que le travailleur doit d'abord augmenter la productivité du travail, ce qui ferait ensuite augmenter les salaires, mais que le contraire doit être la règle, c'est-à-dire qu'une augmentation des salaires, aussi modeste soit-elle, doit être la condition préalable d'une augmentation de la productivité du travail. (Une voix : "Et d'où vient l'argent ?") Cela peut être juste ou non, mais ce n'est pas "social-démocrate".
Nous avons souligné le lien entre divers aspects bien connus de la vie interne de notre parti et la croissance du bureaucratisme. Je crois qu'il n'y a rien de "social-démocrate" là-dedans non plus.
Nous nous sommes également opposés à une surestimation des éléments économiques de la stabilisation capitaliste et à une sous-estimation de ses éléments politiques. Si nous demandons, par exemple : "En quoi consiste la stabilisation économique de l'Angleterre à l'heure actuelle ?" il apparaît alors que l'Angleterre va à la ruine, que sa balance commerciale est défavorable, que les recettes de son commerce extérieur diminuent, que sa production est en baisse. Voilà la "stabilisation économique" de l'Angleterre. Mais à qui l'Angleterre bourgeoise s'accroche-t-elle ? Pas à Baldwin, pas à Thomas, mais à Purcell. Le purcellisme est le pseudonyme de l'actuelle "stabilisation" de l'Angleterre. Nous sommes donc d'avis qu'il est fondamentalement erroné, en considération des masses ouvrières qui ont mené la grève générale, de s'associer directement ou indirectement à Purcell. C'est la raison pour laquelle nous avons exigé la dissolution du Comité anglo-russe. Je ne vois rien de "social-démocrate" là-dedans.
Nous avons insisté sur une nouvelle révision de nos statuts syndicaux, sujet sur lequel j'ai fait un rapport au CC : une nouvelle révision de ces statuts dont le mot "Profintern" a été rayé l'année dernière et remplacé par "Association syndicale internationale", termes sous lesquels il était impossible de comprendre autre chose que "Amsterdam". Je suis heureux de dire que cette révision de la modification de l'année dernière a été faite, et que le mot "Profintern" a été rétabli dans nos statuts syndicaux. Mais pourquoi notre malaise sur le sujet de la "social-démocratie" ? Cela, camarades, est une chose que je ne comprends absolument pas.
Je voudrais, aussi brièvement que possible, énumérer les points principaux des divergences d'opinion qui se sont manifestées ces derniers temps. Notre point de vue dans les questions concernées a été que nous avons observé les dangers susceptibles de menacer la ligne de classe du parti et de l'Etat ouvrier dans les conditions imposées par une longue continuation de la NEP, et par notre encerclement par le capitalisme international. Mais ces différences d'opinion, et la position adoptée par nous pour défendre nos opinions, ne peuvent être interprétées comme une "déviation social-démocrate", même au travers de méthodes logiques ou scolastiques des plus compliquées.
Il a donc été jugé nécessaire de quitter ces divergences d'opinion réelles et sérieuses, engendrées par l'époque présente de notre développement économique et politique, et de remonter dans le passé pour interpréter les différences dans la conception du "caractère de notre révolution" en général – non pas dans la période actuelle de notre révolution, non pas en ce qui concerne les tâches concrètes du présent, mais en ce qui concerne le caractère de la révolution en général, ou comme exprimé dans les thèses, de la révolution "en soi", de la révolution "dans sa substance". Quand un Allemand parle d'une chose " en soi ", il utilise un terme métaphysique qui place la révolution en dehors de tout rapport avec le monde réel qui l'entoure ; elle est abstraite d'hier et de demain, et considérée comme une " substance " dont tout doit découler. Or, dans la question de la "substance" réelle de la révolution, j'ai été reconnu coupable, dans la neuvième année de notre révolution, d'avoir nié le caractère socialiste de notre révolution ! Ni plus ni moins ! Je l'ai découvert pour la première fois dans cette résolution elle-même. Si les camarades trouvent nécessaire, pour une raison quelconque, de construire une résolution sur des citations de mes écrits – et la partie principale de la résolution, mettant au premier plan la théorie du péché originel (" trotskisme "), est construite sur des citations de mes écrits entre 1917 et 1922 – alors il serait au moins souhaitable de sélectionner l'essentiel de tout ce que j'ai écrit sur le caractère de notre révolution.
Vous m'excuserez, camarades, mais ce n'est pas un plaisir de devoir laisser de côté le problème réel et de détailler où et quand j'ai écrit ceci ou cela. Mais cette résolution, pour étayer l’argument de la déviation "social-démocrate", se réfère à des passages de mes écrits, et je suis obligé de donner ces informations. En 1922, le parti m'a chargé d'écrire le livre Terrorisme et communisme, contre Kautsky, contre la caractérisation, par Kautsky, de notre révolution comme une révolution non prolétarienne et non socialiste. Le Comintern a distribué un grand nombre d'éditions de ce livre, tant dans le pays qu'à l'étranger. Le livre n'a pas rencontré d'accueil hostile parmi nos camarades les plus proches, ni non plus de la part de Lénine. Ce livre n'est pas cité dans la résolution.
En 1922, le Bureau politique m'a chargé d'écrire le livre intitulé Entre impérialisme et révolution. Dans ce livre, j'ai utilisé l'expérience particulière acquise en Géorgie, sous la forme d'une réfutation du point de vue des sociaux-démocrates internationaux qui utilisaient le soulèvement géorgien comme matériel contre nous. J'avais pour but de soumettre à un nouvel examen les principales questions de cette révolution prolétarienne qui a justement le droit de démolir non seulement les préjugés petits bourgeois, mais aussi les institutions petites bourgeoises.
Au troisième congrès du Comintern, j'ai présenté un rapport, au nom du CC, déclarant en substance que nous étions entrés dans une époque d'équilibre instable. Je m'opposais au camarade Boukharine qui, à l'époque, était d'avis que nous devions passer par une série ininterrompue de révolutions et de crises jusqu'à la victoire du socialisme dans le monde entier, et qu'il n'y aurait et ne pourrait y avoir aucune "stabilisation". A l'époque, le camarade Boukharine m'a accusé de déviation de droite (peut-être aussi social-démocrate ?). En plein accord avec Lénine, j'ai défendu au troisième congrès les thèses que j'avais formulées. L'essentiel de ces thèses était que, malgré la lenteur de la révolution, nous traverserions cette époque avec succès en développant les éléments socialistes de notre économie.
Lors du quatrième congrès mondial en 1923 [on doit lire 1922], j'ai été chargé par le CC d'intervenir dans le sens de Lénine avec un rapport sur la NEP. Qu'ai-je prouvé ? J'ai prouvé que la NEP signifiait simplement un changement dans les formes et les méthodes du développement socialiste. Et maintenant, au lieu de prendre mes travaux, qui ont pu être bons ou mauvais, mais qui étaient au moins fondamentaux, et dans lesquels, au nom du parti, j'ai défini le caractère de notre révolution dans les années 1920-1923, vous vous emparez de quelques petits passages, chacun de deux ou trois lignes seulement, d'une préface et d'un post-scriptum écrits à la même période.
Je répète qu'aucun des passages cités n'est tiré d'une œuvre fondamentale. Ces quatre petites citations (1917 à 1922) constituent l'unique fondement de l'accusation selon laquelle je nie le caractère socialiste de notre révolution. La structure de l'accusation étant ainsi achevée, on y ajoute tous les péchés originels imaginables, même le péché de l'Opposition de 1925. La demande d'une industrialisation plus rapide et la proposition d'augmenter la taxation des koulaks, tout cela découlerait de ces quatre passages. (Une voix : "Ne formez pas de fractions !")
Camarades, je regrette de devoir prendre sur votre temps, mais je dois citer quelques passages supplémentaires – je pourrais en citer des centaines – pour réfuter tout ce que la résolution m'attribue. Tout d'abord, je dois attirer votre attention sur le fait que les quatre citations sur lesquelles se fonde la théorie de mon péché originel, sont toutes tirées de mes écrits entre 1917 et 1922. Tout ce que j'ai dit depuis semble avoir été emporté par le vent. Personne ne sait si, par la suite, j'ai considéré notre révolution comme socialiste ou non. Aujourd'hui, à la fin de l'année 1926, le prétendu point de vue actuel de l'Opposition sur les questions essentielles de l'économie et de la politique est recherché dans des passages de mes écrits personnels entre 1917 et 1922, et même pas dans des passages de mes principaux ouvrages, mais dans des ouvrages écrits pour des occasions tout à fait fortuites. Je reviendrai sur ces citations et répondrai de chacune d'elles. Mais permettez-moi d'abord de citer quelques citations d'un caractère plus essentiel, écrites à la même époque :
Par exemple, voici un extrait de mon discours à la conférence du Conseil des syndicats de Moscou, le 28 octobre 1921, après l'introduction de la NEP :
Nous avons réorganisé notre politique économique en prévision d'un développement lent de l'économie extérieure. Nous tenons compte de la possibilité que la révolution en Europe, bien que se développant et grandissant, se développe plus lentement que prévu. La bourgeoisie s'est montrée plus tenace. Même dans notre propre pays, nous sommes obligés de compter avec une transition plus lente vers le socialisme, car nous sommes entourés de pays capitalistes. Nous devons concentrer nos forces sur les entreprises les plus grandes et les mieux équipées. En même temps, nous ne devons pas oublier que l'imposition en nature de la paysannerie et l'augmentation des entreprises en location constituent une base pour le développement de l'économie marchande, pour l'accumulation du capital et pour la montée d'une nouvelle bourgeoisie. En même temps, l'économie socialiste s'édifiera sur la base plus étroite mais plus solide de la grande industrie.
Lors d'une réunion des membres du PC du SU, le 10 novembre de la même année, dans le quartier moscovite de Sokolniki, j'ai déclaré :
Qu'avons-nous maintenant ? Nous avons maintenant le processus de la révolution socialiste, en premier lieu dans un État et en second lieu dans un État qui est le plus arriéré de tous, à la fois économiquement et culturellement, et entouré de tous côtés par des pays capitalistes.
Quelle conclusion en ai-je tirée ? Ai-je proposé la capitulation ? J'ai proposé ce qui suit :
C'est notre tâche de faire en sorte que le socialisme prouve ses avancées. Les paysans seront le juge qui se prononcera sur les avantages ou les inconvénients de l'Etat socialiste. Nous sommes en concurrence avec le capitalisme sur le marché paysan...
Sur quoi repose actuellement notre conviction que nous serons victorieux ? Il y a de nombreuses raisons qui justifient notre conviction. Elles résident à la fois dans la situation internationale et dans le développement du Parti communiste ; dans le fait que nous gardons le pouvoir entre nos mains, et dans le fait que nous autorisons le libre-échange uniquement dans les limites que nous jugeons nécessaires.
Ceci, camarades, a été dit en 1921, et non en 1926 !
Dans mon rapport au IVe Congrès mondial (dirigé contre Otto Bauer, avec qui ma relation a maintenant été découverte), j'ai parlé comme suit :
Les autres instruments aux mains du prolétariat sont : la possession des forces productives les plus importantes du pays, de tout le trafic économique, de toutes les mines, des entreprises d'exploitation des matières premières. Celles-ci sont soumises au contrôle économique immédiat de la classe ouvrière. En même temps, la classe ouvrière est propriétaire de la terre et le paysan donne des centaines de millions de poods [unité russe de poids, environ 18 kg] de céréales pour celle-ci chaque année, sous forme d'impôts en nature.
Les frontières du pays sont entre les mains de l'État ouvrier ; les marchandises et les capitaux étrangers ne peuvent être importés dans le pays que dans la mesure approuvée par l'État ouvrier.
Tels sont les instruments et les moyens de l'édification du socialisme.
Dans une brochure que j'ai publiée en 1923 sous le titre Questions de la vie quotidienne, vous pouvez lire sur ce sujet :
Qu'est-ce que la classe ouvrière a réellement atteint et obtenu par sa lutte jusqu'à présent ?Ces quatre éléments, irrévocablement acquis, forment le cadre d'acier de notre travail. Grâce à cette armature, tout nouveau succès économique ou culturel que nous obtiendrons – à condition qu'il s'agisse d'un succès réel et non d'un prétendu succès – deviendra nécessairement un élément constitutif de notre structure socialiste.
- La dictature du prolétariat (avec l'aide de l'Etat ouvrier et paysan dirigé par le Parti communiste).
- L'Armée rouge comme soutien matériel de la dictature du prolétariat.
- La socialisation des moyens de production les plus importants, sans laquelle la dictature du prolétariat serait une forme vide, sans signification.
- Le monopole du commerce extérieur, prémisse nécessaire à l'édification du socialisme dans un pays entouré de capitalisme.
Cette même brochure contient une autre formulation encore plus précise :
Plus le bouleversement révolutionnaire a été facile – relativement parlant – pour le prolétariat russe, plus difficile est sa tâche d'établir l'état socialiste de la société. Mais le cadre de notre nouvelle vie sociale, soudé par la révolution, soutenu par quatre piliers fondamentaux (voir le début du chapitre) confère à tout effort sincère et judicieusement dirigé dans le domaine de l'économie et de la culture un caractère objectivement socialiste. Dans l'état bourgeois de la société, le travailleur, inconsciemment et involontairement, enrichit la bourgeoisie de plus en plus au fur et à mesure qu'il travaille mieux. Dans l'état soviétique, le bon travailleur consciencieux, sans y penser ou sans s'en préoccuper (s'il est un travailleur apolitique), accomplit un travail socialiste et augmente les moyens de la classe ouvrière. Telle est l'apport réel de la révolution d'Octobre et, dans ce sens, la Nouvelle Politique Économique n'apporte aucun changement.
Je pourrais prolonger indéfiniment cette chaîne de citations, car je n'ai jamais et ne pourrai jamais caractériser autrement notre révolution. Je me limiterai cependant à un dernier passage, tiré d'un livre cité par le camarade Staline (Vers le capitalisme ou le socialisme ?). Ce livre a été publié pour la première fois en 1925 et a été imprimé à l'origine comme feuilleton dans la Pravda. Les rédacteurs de notre organe central n'ont jamais attiré mon attention sur des hérésies contenues dans ce livre en ce qui concerne le caractère de notre révolution. Cette année, la deuxième édition de ce livre a été publiée. Il a été traduit en différentes langues par le Comintern et c'est la première fois que j'entends dire qu'il donne une fausse idée de notre développement économique. Le camarade Staline vous en a lu quelques lignes choisies arbitrairement afin de montrer qu'il s'agit d'une "formulation peu claire", je suis donc obligé de lire un passage un peu plus long, afin de prouver que l'idée en question est tout à fait clairement formulée. Ce qui suit est énoncé dans la préface, consacrée à une critique de nos critiques bourgeois et sociaux-démocrates, surtout Kautsky et Otto Bauer. Vous pouvez lire ici :
Ces jugements (formulés par les ennemis de notre économie) revêtent deux formes : d'une part, ils affirment qu'en construisant l'économie socialiste, nous ruinons le pays ; mais d'autre part, ils affirment qu'en développant les forces de production, nous retournons réellement au capitalisme.
La première de ces deux critiques est caractéristique de la mentalité de la bourgeoisie. La seconde est propre à la social-démocratie, c'est-à-dire à la mentalité bourgeoise voilée par le socialisme. Il n'y a pas de frontière stricte entre ces deux types de critiques, et très souvent des échanges d'arguments entre eux, sans que l'un ou l'autre s'aperçoive qu'il utilise l'arme de son voisin, dans l'enthousiasme de l'ancienne manière contre la "barbarie communiste."
La présente brochure espère servir à montrer au lecteur sans préjugés que les uns et les autres sont des trompeurs – aussi bien ouvertement les grands bourgeois que les petits bourgeois qui se font passer pour socialistes. Ils mentent quand ils disent que les bolcheviks ont ruiné la Russie... Ils mentent lorsqu'ils disent que le développement des forces productives est la voie vers le capitalisme ; le rôle joué par l'économie d'État dans l'industrie, les transports et les services de circulation, le commerce, la finance et le crédit ne diminue pas avec la croissance des forces productives, mais au contraire augmente au sein de l'économie collective du pays. Les faits et les chiffres le prouvent sans aucun doute.
Dans l'agriculture, la question est beaucoup plus compliquée. Pour un marxiste, il n'y a rien d'inattendu à cela. Le passage du système agricole individuel "atomisé" à l'agriculture socialiste n'est concevable qu'après avoir franchi un certain nombre d'étapes dans la technique, l'économie et la culture. La condition fondamentale de cette transition est que le pouvoir reste entre les mains de la classe soucieuse de conduire la société au socialisme, et de plus en plus capable d'influencer la population paysanne par la planification de l'industrie, par les améliorations techniques de l'agriculture, fournissant ainsi les conditions préalables à la collectivisation du travail agricole.
Le projet de résolution sur l'Opposition indique que le point de vue de Trotsky se rapproche de celui d'Otto Bauer, qui avait déclaré que : "En Russie, où le prolétariat ne représente qu'une petite minorité de la nation, il ne peut maintenir son pouvoir que temporairement, et il est voué à le perdre à nouveau dès que la majorité paysanne de la nation sera devenue culturellement assez mûre pour assumer elle-même le pouvoir."
En premier lieu, camarades, qui peut imaginer qu'une formulation aussi absurde puisse venir à l'esprit de l'un d'entre nous ? Que faut-il entendre par : "dès que la majorité paysanne de la nation sera devenue culturellement assez mûre" ? Qu'est-ce que cela signifie ? Que devons-nous comprendre par "culture" ? Dans les conditions capitalistes, la paysannerie n'a pas de culture indépendante. En ce qui concerne la culture, la paysannerie peut mûrir sous l'influence du prolétariat ou de la bourgeoisie. Ce sont les deux seules possibilités existantes pour le progrès culturel de la paysannerie. Pour un marxiste, l'idée que la paysannerie "culturellement mûre", ayant renversé le prolétariat, pourrait prendre le pouvoir pour son propre compte, est une absurdité débordante de préjugés. L'expérience de deux révolutions nous a appris que la paysannerie, si elle entre en conflit avec le prolétariat et renverse le pouvoir prolétarien, forme simplement un pont – par le biais du bonapartisme – pour la bourgeoisie. Un État paysan indépendant fondé ni sur la culture prolétarienne ni sur la culture bourgeoise est impossible. Toute cette construction d'Otto Bauer s'effondre en une lamentable absurdité petite-bourgeoise.
On nous dit que nous n'avons pas cru à l'établissement du socialisme. Et en même temps on nous accuse de vouloir piller la paysannerie (pas les koulaks, mais la paysannerie !).
Je pense, camarades, que ce ne sont pas du tout des mots sortis de notre dictionnaire. Les communistes ne peuvent pas proposer à l'État ouvrier de " piller " la paysannerie, et c'est précisément la paysannerie qui nous occupe. Une proposition visant à libérer 40 % de la paysannerie pauvre de tout impôt, et à faire payer ces impôts par les koulaks, peut être juste ou fausse, mais elle ne peut jamais être interprétée comme une proposition de "pillage" de la paysannerie,
Je vous le demande : Si nous n'avions aucune foi en l'établissement du socialisme dans notre pays, ou (comme on le dit de moi) si nous proposions d'attendre passivement la révolution européenne, alors pourquoi proposerions-nous de "piller" la paysannerie ? Dans quel but ? C'est incompréhensible. Nous sommes d'avis que l'industrialisation – la base de la socialisation – progresse trop lentement, et que cela désavantage la paysannerie. Si, disons, la quantité de produits agricoles mis sur le marché cette année est supérieure de 20 % à celle de l'année dernière – je prends ces chiffres avec réserve – et qu'en même temps le prix des céréales a baissé de 18 % et que les prix des divers produits industriels ont augmenté de 16 %, comme cela a été le cas, alors le paysan gagne moins que lorsque ses récoltes étaient moins bonnes et que les prix de détail des produits industriels étaient plus bas. L'accélération de l'industrialisation, rendue possible dans une large mesure par l'augmentation de la taxation du koulak, entraînera la production d'une plus grande quantité de marchandises, réduisant les prix de détail, à l'avantage des ouvriers et de la plus grande partie de la paysannerie.
Il est possible que vous ne soyez pas d'accord avec cela. Mais personne ne peut nier que c'est une prévision impliquant le développement de notre économie. Comment pouvez-vous affirmer que nous ne croyons pas à la possibilité d'un développement socialiste, et en même temps que nous exigeons le pillage du moujik ? Dans quel but ? Dans quel but ? Personne ne peut expliquer cela. Encore une fois, je me suis souvent demandé pourquoi l'appel à la dissolution du Comité anglo-russe pourrait être supposé impliquer un appel à quitter les syndicats ? Et pourquoi la non-entrée dans l'Internationale d'Amsterdam constituerait un appel aux travailleurs à ne pas adhérer aux syndicats d'Amsterdam ? (Une voix : "On vous l'expliquera !") Je n'ai jamais reçu de réponse à cette question, et n'en recevrai jamais. (Une voix : "Vous aurez votre réponse.") Je ne recevrai pas non plus de réponse à la question de savoir comment nous nous arrangeons pour ne pas croire à la réalisation du socialisme et pourtant nous nous efforçons de "piller" la paysannerie.
Mon livre, que j'ai cité en dernier lieu parle en détail de l'importance de la répartition correcte de notre revenu national, puisque notre développement économique se déroule au milieu de la lutte de deux tendances : la tendance socialiste et la tendance capitaliste.
L'issue de cette lutte dépend du rythme de développement de ces tendances. En d'autres termes, si l'industrie d'État se développe plus lentement que l'agriculture, si les pôles opposés de l'agriculteur capitaliste "en haut" et du prolétaire "en bas" se séparent plus largement et plus rapidement au cours du développement, alors le processus conduira naturellement à la restauration du capitalisme.
Mais nos ennemis peuvent bien faire de leur mieux pour prouver le caractère inévitable de cette possibilité ; même s'ils s'y prennent beaucoup plus habilement que le malheureux Kautsky (ou que MacDonald), ils se brûleront les doigts. La possibilité qui vient d'être indiquée est-elle entièrement exclue ? Théoriquement, elle ne l'est pas. Si le parti au pouvoir devait commettre une erreur après l'autre, tant en politique qu'en économie, s'il devait ainsi entraver le développement de l'industrie aujourd'hui si prometteur, et s'il devait abandonner le contrôle du développement politique et économique de la paysannerie, alors, bien sûr, la cause du socialisme dans notre pays serait perdue. Mais nous n'avons pas la moindre raison d'adopter de telles prémisses pour notre pronostic. Comment perdre le pouvoir, comment jeter les acquis du prolétariat et comment travailler pour le capitalisme, voilà des points qui ont été brillamment exposés par Kautsky et ses amis au prolétariat international après le 9 novembre 1918 [Abdication de Guillaume II]. Personne n'a besoin d'ajouter quoi que ce soit à ce sujet.
Nos tâches, nos objectifs et nos méthodes sont très différents. Ce que nous voulons montrer, c'est la manière de maintenir et d'établir fermement le pouvoir une fois qu'il a été pris et la manière dont la forme prolétarienne de l'Etat doit aboutir au contenu économique socialiste.
Tout le contenu de ce livre (une voix : "Il n'y a rien sur les coopératives !") – j'en viens aux coopératives – tout le contenu de ce livre est consacré au sujet de la façon dont on doit donner à la forme prolétarienne de l'Etat le contenu économique du socialisme. On peut dire (des insinuations ont déjà été faites dans ce sens) : Oui, vous avez cru que nous allions vers le socialisme tant que le processus de reconstruction était en cours, et tant que l'industrie se développait à une vitesse de 45 ou 35 pour cent par an, mais maintenant que nous sommes arrivés à une crise du capital de base et que vous voyez les difficultés d'extension du capital de base, vous avez été saisis d'une prétendue "panique".
Je ne peux pas citer l'intégralité du chapitre sur : Le rythme de développement, ses possibilités matérielles et ses limites. Il indique les quatre éléments caractérisant les avantages de notre système sur le capitalisme et tire la conclusion suivante :
Pris dans leur ensemble, ces quatre avantages – convenablement appliqués – nous permettront d'augmenter le coefficient de notre croissance industrielle, non seulement pour doubler le pourcentage de la période d'avant-guerre, mais pour le tripler, ou même plus.
Si je ne me trompe pas, le coefficient de notre croissance industrielle s'élèvera, selon les plans, à 18 pour cent. Bien entendu, il y a encore des éléments de prévision dans ce chiffre. Mais en tout cas, le pronostic statistique extrêmement grossier que j'ai fait à titre d'exemple il y a dix-huit mois coïncide assez bien avec notre vitesse réelle de cette année.
Vous demandez : quelle est l'explication de ces passages effrayants cités dans la résolution. Il me faudra répondre à cette question. Mais je dois d'abord répéter qu'aucun des mots cités n'ont été tirés des ouvrages fondamentaux que j'ai écrits sur le caractère de la révolution entre 1917 et 1922, et un silence complet est gardé sur tout ce que j'ai écrit depuis 1922, et même sur ce qui a été écrit l'année dernière et cette année. Quatre passages sont cités. Le camarade Staline les a traités en détail, et ils sont mentionnés dans la résolution, aussi me permettrez-vous de leur consacrer quelques mots également.
Le mouvement ouvrier est victorieux dans la révolution démocratique. La bourgeoisie devient contre-révolutionnaire. Dans la paysannerie, les éléments aisés, ainsi qu'une partie considérable des paysans moyens, deviendront plus "raisonnables", s'apaiseront et passeront à la contre-révolution, afin de pouvoir arracher le pouvoir des mains du prolétariat et de la paysannerie pauvre... La lutte serait presque sans issue pour le seul prolétariat russe, et sa défaite serait inévitable... si le prolétariat socialiste européen ne se hâtait pas de venir en aide au prolétariat russe.
Je crains, camarades, que si quelqu'un vous disait que ces lignes représentent un produit malicieux du trotskysme, beaucoup de camarades le croiraient. Mais ce passage est de Lénine. Les archives de Lénine contiennent le brouillon d'une brochure que Lénine avait l'intention d'écrire à la fin de 1905. Cette situation possible y est décrite : Les ouvriers sont victorieux dans la révolution démocratique et la section aisée de la paysannerie passe à la contre-révolution. Je peux dire que ce passage est cité dans le dernier numéro du Bolchevik, à la page 68, mais malheureusement avec une grave déformation, bien que la citation soit donnée entre guillemets : les mots se référant à la section, d’importance considérable, des paysans moyens sont simplement omis. Je vous invite à comparer le cinquième dossier de Lénine, page 451, avec le dernier numéro du Bolchevik, page 68.
Je pourrais citer des dizaines de passages de ce genre dans les œuvres de Lénine : vol. VI, page 398 ; vol. IX, page 410 ; vol. VIII, page 192. (Je n'ai pas le temps de les lire, mais chacun peut chercher les références par lui-même). Je ne citerai qu'un passage du tome IX, page 415 :
La révolution russe (il se réfère à la révolution démocratique) ne peut maintenir et établir fermement ses réalisations par ses propres forces... s'il n'y a pas de révolution en Occident. Sans cette condition préalable, une restauration de l'ordre ancien est inévitable, tant dans la communalisation que dans la distribution des terres, car le petit paysan constituera toujours un soutien à la restauration de toute forme de propriété ou d'appropriation . Après la victoire complète du prolétariat, le petit agriculteur se retournera inévitablement contre le prolétariat.
(Une voix : "Nous avons introduit la NEP.")
C'est vrai, j'y reviendrai plus tard.
Passons maintenant à ce passage que j'ai écrit en 1922, afin de voir comment mon point de vue sur la révolution à l'époque de 1904-05 s'est développé.
Je n'ai pas l'intention, camarades, de soulever la question de la théorie de la révolution permanente. Cette théorie – tant en ce qui concerne ce qui a été juste, que ce qui a été incomplet et faux – n'a rien à voir avec nos discussions actuelles. En tout cas, cette théorie de la révolution permanente, à laquelle on a consacré tant d'attention ces derniers temps, ne figure pas le moins du monde parmi les responsabilités de l'opposition de 1925 ou de celle de 1923, et moi-même, je la considère comme une question classée ad acta depuis longtemps.
Mais revenons au passage cité dans la résolution. (Je l'ai écrit en 1922, mais du point de vue de 1905-06).
Après avoir pris le pouvoir, le prolétariat entrera en conflit hostile non seulement avec tous les groupes de la bourgeoisie qui l'ont soutenu au début de sa lutte révolutionnaire, mais aussi avec les larges masses de la paysannerie, avec l'aide desquelles il est arrivé au pouvoir.
Bien que ces propos aient été écrits en 1922, ils sont présentés au futur : Le prolétariat entrera en conflit avec la bourgeoisie, etc., puisque ce sont des vues prérévolutionnaires qui sont décrites. Je vous pose la question : Le pronostic de Lénine de 1905-06, selon lequel la paysannerie moyenne passera dans une large mesure à la contre-révolution, s'est-il avéré vrai ? Je maintiens qu'il s'est avéré vrai en partie. (Voix : En partie ? Quand ? Agitation.) Oui, sous la direction du parti et surtout sous celle de Lénine, la division entre nous et la paysannerie a été comblée par la nouvelle politique économique. C'est indiscutable. (Agitation) Si l'un d'entre vous s'imagine, camarades, qu'en 1926 je ne saisis pas la signification de la nouvelle politique économique, il se trompe. Je saisis le sens de la nouvelle politique économique en 1926, peut-être pas aussi bien que d'autres camarades, mais je le saisis quand même. Mais vous devez vous rappeler qu'à cette époque, avant qu'il n'y ait une nouvelle politique économique, avant qu'il y ait une révolution de 1917, et alors que nous ébauchions les premiers contours des développements possibles, en utilisant l'expérience acquise lors des révolutions précédentes – la grande révolution française et la révolution de 1848 – à cette époque tous les marxistes, sans omettre Lénine (j'ai donné des citations), étaient d'avis qu'après l'achèvement de la révolution démocratique et la remise des terres à la paysannerie, le prolétariat rencontrerait l'opposition non seulement des grands paysans, mais aussi d'une partie considérable de la paysannerie moyenne, qui représenterait une force hostile et même contre-révolutionnaire.
Y a-t-il eu des signes chez nous de la vérité de ce pronostic ? Oui, il y a eu des signes, et des signes assez nets. Par exemple, lorsque le mouvement de Makno en Ukraine a aidé les gardes blancs à balayer le pouvoir soviétique, cela a été une preuve de la justesse du pronostic de Lénine. Le soulèvement d'Antonov, le soulèvement en Sibérie, le soulèvement sur la Volga, le soulèvement dans l'Oural, la révolte de Cronstadt, lorsque la "paysannerie moyenne" a exprimé ses opinions envers le pouvoir soviétique au moyen des canons de la marine – tout cela n'a-t-il pas prouvé que les prévisions de Lénine étaient correctes pour un certain stade de développement de la révolution ? (Camarade Moyssenyenko : "Et qu'avez-vous proposé ?") N'est-il pas parfaitement clair que le passage que j'ai écrit en 1922 sur la division entre nous et la paysannerie était simplement une constatation de ces faits ?
Nous avons comblé le schisme entre nous et la paysannerie au moyen de la NEP. Et y avait-il des divergences entre nous pendant la transition vers la NEP ? Il n'y avait pas de divergences pendant le passage à la NEP. (Agitation) Il y avait des divergences sur la question syndicale avant le passage à la NEP, alors que le parti cherchait encore un moyen de sortir de l'impasse. Ces divergences étaient d'une grande importance. Mais dans la question de la NEP, lorsque Lénine a soumis le point de vue de la NEP au Xe Congrès du parti, nous avons tous voté à l'unanimité pour ce point de vue. Et lorsque la nouvelle résolution syndicale est apparue à la suite de la Nouvelle politique économique – quelques mois après le Xe Congrès du Parti – nous avons à nouveau voté à l'unanimité pour cette résolution au sein du CC. Mais pendant la période de transition – et le changement qu'elle a provoqué n'était pas mince – les paysans ont déclaré : "Nous sommes pour les bolcheviks, mais contre les communistes." Qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie à un stade donné une forme typiquement russe de désertion de la révolution prolétarienne de la part de la paysannerie moyenne.
On me reproche d'avoir dit qu'il est "désespérant de supposer que la Russie révolutionnaire puisse se maintenir en opposition à une Europe conservatrice". C'est ce que j'ai écrit en août 1917, et je crois que c'était parfaitement juste. Nous sommes-nous maintenus face à une Europe conservatrice ? Examinons les faits. Au moment où l'Allemagne a conclu le traité de paix avec l'Entente, le danger était particulièrement grand. Si la révolution allemande n'avait pas éclaté à ce moment-là – cette révolution allemande restée inachevée, étouffée par les sociaux-démocrates, mais suffisante pour renverser l'ancien régime et démoraliser l'armée des Hohenzollern – si, je le répète, la révolution allemande, telle qu'elle était, n'avait pas éclaté, nous aurions été renversés. Ce n'est pas par hasard que ce passage contient l'expression "en opposition à une Europe conservatrice", et non "en opposition à une 'Europe' capitaliste". Contre une Europe conservatrice, maintenant tout son appareil, et en particulier ses armées ; Je vous le demande : Pourrions-nous nous maintenir dans ces conditions, ou pas ? (Une voix : "Vous parlez à des enfants ?") Si nous continuons à exister, c'est parce que l'Europe n'est pas restée ce qu'elle était. Lénine a écrit ce qui suit à ce sujet :
Nous ne vivons pas seulement dans un État, mais dans un système d'États, et l'existence continue de la République soviétique à côté des États impérialistes est impensable à long terme. À la fin, l'un ou l'autre système l'emportera.
Quand Lénine a-t-il dit cela ? Le 18 mars 1919, c'est-à-dire deux ans après la révolution d'octobre. Mes paroles de 1917 signifiaient que si notre révolution ne secouait pas l'Europe, ne la faisait pas bouger, alors nous étions perdus. N'est-ce pas en substance la même chose ? Je demande à tous les camarades plus âgés, qui ont pensé politiquement avant et pendant 1917 : Quelle était votre conception de la révolution et de ses conséquences ?
Quand j'essaie de m'en souvenir, je ne trouve pas d'autre formulation qu'à peu près la suivante :
Nous pensions : ou bien la révolution internationale se hâtera de nous venir en aide et alors notre victoire sera parfaitement assurée, ou bien nous accomplirons notre modeste travail révolutionnaire avec la conscience que, même si nous sommes vaincus, nous aurons servi la cause de la révolution, et que notre expérience sera utile aux révolutions ultérieures. Il était clair pour nous que la victoire de la révolution prolétarienne serait impossible sans le soutien de la révolution internationale, mondiale. Avant et après la révolution, nous avons cru : "Maintenant, ou du moins très bientôt, la révolution va éclater dans les autres pays capitalistes hautement développés, ou, si ce n'est pas le cas, nous sommes perdus".
Telle était notre conception du destin de la révolution. Qui a dit cela ? (Camarade Moyssenyenko : "Lénine !" Une voix : "Et qu'a-t-il dit plus tard ?")
Lénine a dit cela en 1921, tandis que le passage que je cite date de 1917. J'ai donc le droit de me référer à ce que Lénine a dit en 1921. (Une voix : "Et qu'a dit Lénine plus tard ?") Plus tard, j'ai aussi dit quelque chose de différent. (Rires) Aussi bien avant la révolution qu'après, nous avons cru cela :
"Maintenant, ou du moins très bientôt, la révolution va éclater dans les autres pays capitalistes hautement développés, ou, si ce n'est pas le cas, nous sommes perdus".
Mais malgré cela :
Nous avons fait tous les efforts possibles pour maintenir le système soviétique à tout prix, car nous étions conscients que nous ne travaillions pas seulement pour nous-mêmes, mais pour la révolution internationale. Nous le savions, et nous avons exprimé cette conviction aussi bien avant la révolution d'Octobre qu'après celle-ci, et au moment où la paix de Brest-Litovsk a été conclue. Et d'une manière générale, nous avions raison.
Ce passage se continue ensuite en disant que notre chemin est devenu plus complexe et plus sinueux, mais que, pour l'essentiel, notre pronostic était correct. Comme je l'ai déjà dit, nous sommes passés à la NEP à l'unanimité, sans la moindre divergence. (Camarade Moyssenyenko : "Pour nous sauver de la ruine !")
C'est vrai, juste pour cette raison, pour nous sauver de la ruine.
Camarades, je vous prie de prolonger le temps qui m'est imparti pour mon discours. Je voudrais parler de la théorie du socialisme dans un pays. Je demande une demi-heure de plus. (Agitation)
Camarades, sur la question des relations entre le prolétariat et la paysannerie...
Président : Veuillez attendre que nous ayons décidé. Je soumets trois propositions : premièrement, s'en tenir au temps initialement imparti au camarade Trotsky ; deuxièmement : une prolongation d'une demi-heure ; troisièmement, une prolongation d'un quart d'heure. (Lors du vote, la majorité se prononce pour la prolongation d'une demi-heure).
Le passage suivant cité dans mes écrits m'a valu le reproche suivant : Alors que Lénine disait : dix à vingt ans de relations correctes avec la paysannerie, et notre victoire est assurée à l'échelle internationale ; le trotskisme, au contraire, suppose que le prolétariat ne peut entrer dans aucune relation correcte avec la paysannerie tant que la révolution mondiale n'est pas accomplie. Je dois tout d'abord demander le sens réel du passage cité. Lénine parle de dix à vingt ans de relations correctes avec la paysannerie. Cela signifie que Lénine ne s'attendait pas à ce que le socialisme soit établi en dix à vingt ans. Pourquoi ? Parce qu'il faut entendre par socialisme un état de la société dans lequel il n'y a ni prolétariat, ni paysannerie, ni aucune classe quelconque. Le socialisme abolit l'opposition entre ville et campagne. Ainsi, un délai de vingt ans nous est fixé, au cours duquel nous devons poursuivre une ligne politique conduisant à des relations correctes entre le prolétariat et la paysannerie.
On a affirmé, cependant, que le trotskisme est d'avis qu'il ne peut y avoir de relations correctes entre le prolétariat et la paysannerie tant que la révolution mondiale n'est pas accomplie. On prétend donc que je pose une loi selon laquelle des relations incorrectes doivent être maintenues avec la paysannerie dans la mesure du possible, jusqu'à ce que la révolution internationale soit victorieuse. (Rires) Apparemment, il n'était pas prévu d'exprimer cette idée ici, car elle n'a aucun sens.
Qu'est-ce que la NEP ? La NEP a été une opération d'aiguillage vers une nouvelle voie, précisément pour l'établissement de relations correctes entre le prolétariat et la paysannerie. Y avait-il des divergences entre nous sur ce sujet ? Non, il n'y en avait pas. Ce sur quoi nous nous disputons maintenant, c'est sur l'imposition du koulak, et sur les formes et méthodes à adopter pour allier le prolétariat aux pauvres des villages. De quoi s'agit-il en réalité ? De la meilleure méthode pour établir des relations correctes entre la paysannerie et le prolétariat. Vous avez le droit de ne pas être d'accord avec certaines de nos propositions, mais vous devez reconnaître que toute la lutte idéologique tourne autour de la question de savoir quelles relations sont correctes au stade actuel du développement.
Y avait-il des différences entre nous en 1917 sur la question paysanne ? Non. Nous avons adopté le décret paysan, le décret paysan " social-révolutionnaire ", à l'unanimité, comme notre base. Le décret sur la terre, élaboré par Lénine, a été accepté par nous à l'unanimité et n'a donné lieu à aucune divergence dans nos milieux. La politique de "dékoulakisation" a-t-elle donné lieu à des divergences ? Non, il n'y a pas eu de divergences à ce sujet. (Une voix : "Et Brest ?") La lutte commencée par Lénine, pour gagner la moyenne paysannerie, a-t-elle donné lieu à des divergences ? Non, elle n'en a suscité aucune. Je n'affirme pas qu'il n'y a pas eu de divergences, mais je maintiens avec certitude que, si grandes qu'aient pu être les divergences d'opinion sur des questions diverses et même importantes, il n'y a pas eu de divergences d'opinion en ce qui concerne la ligne principale de la politique à suivre à l'égard de la paysannerie.
En 1919, des rumeurs de divergences sur cette question circulaient à l'étranger. Et qu'a écrit Lénine à ce sujet ? Revenons en arrière. A cette époque, le paysan Gulov m'a demandé : "Quelles sont les différences d'opinion entre vous et Ilyitsch ?" et j'ai répondu à cette question à la fois dans la Pravda et dans les Izvestia. Lénine a écrit ce qui suit à ce sujet, tant dans la Pravda que dans les Izvestia, en février 1919 :
Les Izvestia du 2 février 1919 ont publié une lettre d'un paysan nommé Gulov, qui soulève la question des relations entre notre gouvernement ouvrier et paysan et la paysannerie moyenne, et déclare que des rumeurs circulent selon lesquelles il n'y a pas d'harmonie entre Lénine et Trotsky, qu'il y a de grandes divergences d'opinion entre eux, et précisément sur la question de la paysannerie moyenne. Le camarade Trotsky a déjà répondu dans sa Lettre aux paysans moyens, publiée dans les Izvestia le 7 février. Le camarade Trotsky déclare dans sa lettre que les rumeurs de divergences entre lui et moi sont des mensonges des plus monstrueux et des plus méchants, répandus à l'étranger par les propriétaires fonciers et les capitalistes ou leurs complices volontaires et involontaires. Pour ma part, je souscris pleinement à la déclaration ainsi faite par le camarade Trotsky. Il n'y a pas de divergences entre nous, et en ce qui concerne les paysans moyens, non seulement il n'y a pas de divergences entre moi et Trotsky, mais il n'y a pas de divergences dans tout le Parti communiste, dont nous sommes tous deux membres. Le camarade Trotsky explique dans sa lettre, clairement et en détail, pourquoi le Parti communiste et le gouvernement ouvrier et paysan actuel, élu par les Soviets et composé de membres du parti, ne considèrent pas les paysans moyens comme leurs ennemis. Je signe doublement tout ce que dit le camarade Trotsky.
C'était avant la NEP. Ensuite, il y a eu le passage à la NEP. Je répète une fois de plus que le passage à la NEP n'a donné lieu à aucune divergence. Sur la question de la NEP, j'ai présenté un rapport devant le IVe Congrès mondial, au cours duquel j'ai polémiqué contre Otto Bauer. Plus tard, j'ai écrit ce qui suit :
La NEP est considérée par la bourgeoisie et les mencheviks comme un pas nécessaire (mais bien sûr "insuffisant") vers la libération des forces productives. Les théoriciens menchevistes de la variété Kautsky et Otto Bauer ont accueilli la NEP comme l'aube de la restauration capitaliste en Russie. Ils ajoutent : Ou bien la NEP détruira la dictature bolcheviste (résultat favorable) ou bien la dictature bolcheviste détruira la NEP (résultat regrettable).
L'ensemble de mon rapport au IVe Congrès du Parti a prouvé que la NEP ne détruira pas la dictature bolcheviste, mais que la dictature bolcheviste, dans les conditions données par la NEP, assurera la suprématie des éléments socialistes de l'économie sur les éléments capitalistes.
On m'a opposé un autre passage de mes oeuvres – et j'en viens à la question de la possibilité de la victoire du socialisme dans un seul pays – qui se lit comme suit :
Les contradictions dans la position du gouvernement ouvrier dans un pays arriéré avec une population agraire écrasante ne peuvent être résolues qu'à l'échelle internationale et dans l'arène de la révolution prolétarienne mondiale.
Ces propos ont été tenus en 1922. La résolution accusatrice fait la déclaration suivante :
La conférence déclare officiellement que de telles opinions de la part du camarade Trotsky et de ses partisans, sur la question fondamentale du caractère et des perspectives de notre révolution, n'ont rien en commun avec les opinions de notre parti, avec le léninisme.
Si encore il avait été dit qu'une petite nuance de divergence existait – mais je ne la discerne pas même aujourd'hui – ou que ces vues n'avaient pas encore été formulées précisément (mais je ne vois pas de formulation plus précise). Mais il est dit tout net : ces vues "n'ont rien en commun avec les vues du parti, avec le léninisme".
Je dois ici citer quelques lignes étroitement liées au léninisme :
La victoire complète de la révolution socialiste dans un seul pays est impensable, et exige la coopération active d'au moins quelques pays avancés, parmi lesquels nous ne pouvons pas compter la Russie.
Ce n'est pas moi qui l'ai dit, mais un plus grand que moi. Lénine a dit cela le 8 novembre 1918. Pas avant la révolution d'octobre, mais le 8 novembre 1918, un an après que nous ayons pris le pouvoir. S'il n'avait dit que cela, nous pourrions facilement en déduire ce que nous voulons en arrachant une phrase ou une autre de son contexte. (Une voix : "Il parlait de la victoire finale !") Non, pardon, il a dit : "exige la coopération active". Ici, il est impossible de s'écarter de la question principale pour passer à la question de l'"intervention", car il est clairement dit que la victoire du socialisme exige – non seulement une protection contre l'intervention – mais la coopération de "certains pays avancés au moins, parmi lesquels nous ne pouvons pas compter la Russie." (Voix : "Et qu'est-ce qui en découle ?") Ce n'est pas le seul passage dans lequel nous voyons qu'il ne s'agit pas d'une simple intervention. Et donc la conclusion à en tirer est que le point de vue que j'ai défendu, à savoir que les contradictions internes résultant de l'arriération de notre pays doivent être résolues par la révolution internationale, n'est pas mien exclusivement, que Lénine a défendu ces mêmes vues, mais de façon incomparablement plus définitive et catégorique.
On nous dit que cela s'appliquait à l'époque où la loi du développement inégal des pays capitalistes était censée être encore inconnue, c'est-à-dire à l'époque précédant l'impérialisme. Je ne peux pas m'étendre sur ce sujet. Mais je dois malheureusement constater que le camarade Staline commet ici une grande erreur théorique et historique. La loi du développement inégal du capitalisme est plus ancienne que l'impérialisme. Le capitalisme se développe aujourd'hui de façon très inégale dans les différents pays. Mais au dix-neuvième siècle, cette inégalité était plus grande qu'au vingtième. À cette époque, l'Angleterre était le seigneur du monde, tandis que le Japon, au contraire, était un État féodal étroitement confiné dans ses propres limites. Au moment où le servage fut aboli chez nous, le Japon commença à s'adapter à la civilisation capitaliste. La Chine, elle, était encore plongée dans le plus profond sommeil. Et ainsi de suite. A cette époque, l'inégalité du développement capitaliste était plus grande que maintenant. Ces inégalités étaient aussi bien connues de Marx et d'Engels qu'elles le sont de nous. L'impérialisme a développé une plus grande "tendance au nivellement" que le capitalisme pré-impérialiste, pour la raison que le capital financier est la forme la plus élastique du capital. Il est cependant indiscutable qu'aujourd'hui aussi, il y a de grandes inégalités de développement. Mais si l'on soutient qu'au XIXe siècle, avant l'impérialisme, le capitalisme s'est développé de façon moins inégale, et que la théorie de la possibilité du socialisme dans un seul pays était donc erronée à cette époque, alors qu'aujourd'hui, maintenant que l'impérialisme a augmenté l'hétérogénéité du développement, la théorie du socialisme dans un seul pays est devenue correcte, alors cette affirmation contredit toute l'expérience historique, et inverse complètement les faits. Non, cela ne suffira pas ; il faut chercher d'autres arguments plus sérieux : Le camarade Staline a écrit :
Ceux qui nient la possibilité de l'établissement du socialisme dans un pays doivent nier en même temps toute justification à la Révolution d'Octobre. (Staline, Problèmes du Léninisme, p. 215)
Mais en 1918, nous avons entendu Lénine dire que l'établissement du socialisme nécessite la coopération directe de certains pays avancés, "parmi lesquels nous ne pouvons pas compter la Russie." Pourtant, Lénine n'a pas nié la justification de la Révolution d'Octobre. Et il a écrit ce qui suit à ce sujet en 1918 :
Je sais qu'il y a des gens ingénieux (ceci a été écrit contre les partisans de Kautsky et de Soukhanov), qui se croient très intelligents, et se disent même socialistes... ils soutiennent que nous n'aurions pas dû prendre le pouvoir avant que la révolution n'ait éclaté dans tous les pays. Ils ne se rendent pas compte qu'en parlant ainsi ils s'écartent de la révolution et passent à la bourgeoisie. Attendre que les masses ouvrières accomplissent la révolution internationale, c'est attendre que nous soyons raides et rigides, c'est attendre que nous soyons congelés à mort. C'est une absurdité...
Je suis désolé, mais cela continue comme suit :
C'est absurde. La difficulté de la révolution est connue de nous tous. Car la victoire finale ne peut avoir lieu qu'à l'échelle internationale, et ne peut être obtenue que par les efforts conjoints des travailleurs de tous les pays. (Lénine, vol. 15, page 287, écrit le 14 mai 1918).
Malgré cela, Lénine n'a pas nié la "justification" de la Révolution d'Octobre.
Et encore. En 1921 – pas en 1914, mais en 1921 – Lénine a écrit :
Dans les pays capitalistes avancés, il existe une classe de travailleurs agricoles, créée par des décennies de travail salarié. C'est seulement dans les pays où cette classe est suffisamment développée que la transition du capitalisme au socialisme est possible.
Ici, ce n'est pas une question d'intervention mais de niveau de développement économique et de développement des rapports de classe du pays.
Dans nombre de nos ouvrages et dans toutes nos déclarations à la presse, nous avons souligné que ce n'est pas le cas en Russie, que les ouvriers industriels y sont en minorité et que l'écrasante majorité est constituée de petits paysans. La révolution sociale dans un pays comme celui-ci ne peut réussir définitivement qu'à deux conditions : d'abord, à la condition qu'elle soit soutenue au bon moment par la révolution sociale dans un ou plusieurs pays plus avancés...
L'autre condition est l'entente entre le prolétariat et la majorité de la population paysanne...
Nous savons que seule une entente avec la paysannerie peut sauver la révolution socialiste en Russie, tant que la révolution sociale n'a pas éclaté dans d'autres pays. Cela doit être dit ouvertement dans toutes les réunions, et dans toute la presse. (Lénine, discours au Xe Congrès du PCR, 1921)
Lénine n'a pas déclaré que l'entente avec la paysannerie suffisait, nous permettant de construire le socialisme indépendamment du sort du prolétariat international. Non, cette entente n'est qu'une des conditions. L'autre condition est le soutien que doivent apporter à la révolution les autres pays. Il combine ces deux conditions entre elles, en soulignant leur nécessité particulière pour nous qui vivons dans un pays arriéré.
Et enfin, on me reproche d'avoir déclaré qu'"un réel progrès de l'économie socialiste en Russie n'est possible qu'après la victoire du prolétariat dans les pays les plus importants d'Europe." Il est probable, camarades, que nous sommes devenus imprécis dans l'emploi de divers termes. Qu'entendons-nous par "économie socialiste" au sens strict du terme ? Nous avons de grands succès à enregistrer, et nous en sommes naturellement fiers. Je me suis efforcé de les décrire dans ma brochure, Vers le socialisme ou le capitalisme, pour que l'on puisse prendre la mesure de ces succès. Les thèses du camarade Rykov affirment que nous nous approchons du niveau d'avant-guerre. Mais ce n'est pas tout à fait exact. Notre population est-elle la même qu'avant la guerre ? Non, elle est plus importante. Et la consommation moyenne de biens industriels par tête est considérablement inférieure à celle de 1913. Le Conseil économique suprême du peuple calcule qu'à cet égard, nous ne retrouverons pas le niveau d'avant-guerre avant 1930. Et alors, quel était le niveau de 1913 ? C'était le niveau de la misère, de l'arriération, de la barbarie. Si nous parlons d'économie socialiste, et d'un progrès réel de l'économie socialiste, nous voulons dire : pas d'antagonisme entre la ville et la campagne, satisfaction générale, prospérité, culture. C'est ce que nous entendons par progrès réel de l'économie socialiste. Et nous sommes encore loin, en effet, de ce but. Nous avons des enfants indigents, nous avons des chômeurs, des villages viennent chaque année trois millions de travailleurs superflus, là où les industries ne peuvent en absorber plus de 1.100.000 par an ; sur le nombre, un demi-million cherchent du travail dans les villes. Nous avons le droit d'être fiers de ce que nous avons accompli, mais nous ne devons pas déformer la perspective historique. Ce que nous avons accompli n'est pas encore un véritable progrès de l'économie socialiste, mais seulement les premiers pas sérieux sur ce long pont qui mène du capitalisme au socialisme. Est-ce la même chose ? En aucun cas. Le passage cité contre moi énonce la vérité.
En 1922, Lénine a écrit :
Mais nous n'avons même pas encore achevé les fondements de notre économie socialiste, et les forces hostiles du capitalisme expirant peuvent même encore nous en priver. Cela doit être clairement reconnu et ouvertement admis, car il n'y a rien d'aussi dangereux que les illusions et le vertige, surtout à grande hauteur. Et il n'y a rien d'"effrayant", rien qui puisse donner la moindre cause de désespoir, dans la reconnaissance de cette amère vérité, car nous avons toujours proclamé et répété cette vérité élémentaire du marxisme, que les efforts conjoints des travailleurs de certains pays avancés sont nécessaires à la victoire du socialisme." (Lénine, Œuvres complètes, édition russe, vol. XX/2, page 487.)
La question ici n'est donc pas celle de l'intervention, mais celle des efforts conjoints de plusieurs pays avancés pour l'établissement du socialisme. Ou bien Lénine a-t-il écrit cela avant l'époque de l'impérialisme, avant que la loi du développement inégal soit connue ? Non, il l'a écrit en 1922.
Il y a cependant un autre passage, dans l'article sur les coopératives, un seul passage, qui est opposé à tout ce que Lénine a écrit, ou plutôt on essaie de l'opposer. (Une voix : "Accidentellement !") Pas du tout accidentellement. Je suis tout à fait d'accord avec cette phrase. Il faut la comprendre correctement. Le passage est le suivant :
En fait, tous les grands moyens de production sont en possession de l'État, le pouvoir d'État est entre les mains du prolétariat : l'alliance de ce prolétariat avec les millions de paysans pauvres et les plus pauvres, la sécurité de la direction de ce prolétariat sur la paysannerie, etc. N'est-ce pas là tout ce dont nous avons besoin pour construire, à partir des coopératives, des seules coopératives, que nous avons traitées jadis, d'une manière maternante, comme des affaires de petits commerçants et qu'il est maintenant juste, dans une certaine mesure, de traiter ainsi sous la NEP. Édifier, à partir des seules coopératives, l'état socialiste complet de la société ? Ce n'est pas encore l'établissement de l'état socialiste de la société, mais c'est tout ce qui est nécessaire et suffisant pour cette réalisation...
(Une voix : "Vous lisez beaucoup trop vite." Rires) Alors il faut m'accorder encore quelques minutes, camarades. (Rires. Une voix : "Bien !") Bien ? Je suis d'accord. (Une voix : "C'est exactement ce que nous voulons.")
Quelle est la question ici ? Quels éléments sont ici énumérés ? En premier lieu, la possession des moyens de production ; en second lieu, le pouvoir du prolétariat ; en troisième lieu, l'alliance entre le prolétariat et la paysannerie ; en quatrième lieu, la direction prolétarienne de la paysannerie, et en cinquième lieu, les coopératives. Je vous le demande : l'un d'entre vous croit-il que le socialisme peut être établi dans un seul pays isolé ? Le prolétariat bulgare pourrait-il, s'il était soutenu par la paysannerie, prendre le pouvoir, créer des coopératives et établir le socialisme ? Non, ce serait impossible. Il faut donc, en plus de ce qui précède, d'autres éléments : la situation géographique, les richesses naturelles, la culture technique. Lénine énumère ici les conditions du pouvoir étatique, les relations de propriété et les formes d'organisation des coopératives. Rien de plus. Et il dit que, pour établir le socialisme, nous n'avons pas besoin de prolétariser la paysannerie, ni de faire de nouvelles révolutions, mais que nous sommes capables, avec le pouvoir en mains, en alliance avec la paysannerie et avec l'aide des coopératives, de mener notre tâche à bien par l'intermédiaire de ces formes et méthodes étatiques et sociales.
Mais, camarades, nous connaissons une autre définition que Lénine a donnée du socialisme. Selon cette définition, le socialisme est égal au pouvoir soviétique plus l'électrification. L'électrification est-elle annulée dans le passage que nous venons de citer ? Non, elle n'est pas annulée. Tout ce que Lénine a dit par ailleurs sur l'établissement du socialisme – et j'en ai donné des formulations claires plus haut – est complété par cette citation, mais pas annulé. Car l'électrification n'est pas une chose à réaliser dans le vide, mais dans certaines conditions, dans les conditions imposées par le marché mondial et l'économie mondiale, qui sont des faits très tangibles. L'économie mondiale n'est pas une simple généralisation théorique, mais une réalité définie et puissante, dont les lois nous englobent ; un fait dont chaque année de notre développement nous convainc.
Avant de traiter ce sujet en détail, je voudrais vous rappeler ce qui suit : Certains de nos camarades, avant de créer une théorie entièrement nouvelle, et à mon avis entièrement fausse, basée sur une interprétation unilatérale de l'article de Lénine sur les coopératives, avaient un point de vue tout à fait différent. En 1924, le camarade Staline ne disait pas la même chose qu'aujourd'hui. Cela a été signalé au XIVe Congrès du Parti, mais le passage cité n'a pas disparu pour autant, il reste entièrement maintenu même en 1926.
Lisons :
Est-il possible d'atteindre la victoire finale du socialisme dans un seul pays sans les efforts conjoints des prolétariats de plusieurs pays avancés ? Non, c'est impossible. Les efforts d'un seul pays suffisent pour renverser la bourgeoisie - c'est ce que montre l'histoire de notre révolution. Mais pour la victoire finale du socialisme, pour l'organisation de la production socialiste, les efforts d'un seul pays, surtout d'un pays aussi agraire que la Russie, ne sont pas suffisants – pour cela, les efforts des prolétariats de plusieurs pays avancés sont nécessaires. (Les Principes du Léninisme, avril 1924.)
Ceci a été écrit par Staline en 1924, mais la résolution ne me cite que jusqu'en 1922. (Rires) Oui, c'est ce qui a été dit en 1924 : Pour l'organisation de l'économie socialiste – non pas comme protection contre l'intervention, non pas comme garantie contre la restauration de l'ordre capitaliste, non, non, mais pour "l'organisation de la production socialiste", les efforts d'un seul pays, en particulier d'un pays aussi agraire que la Russie, ne suffisent pas. Le camarade Staline a abandonné ce point de vue. Il a bien sûr le droit de le faire.
Dans son livre, Problèmes du léninisme, il dit :
Quels sont les défauts de cette formulation ? Ils consistent dans le fait qu'elle expose ensemble deux questions différentes : la question de la possibilité de l'établissement du socialisme dans un pays, par ses propres efforts, sans aide – question à laquelle une réponse affirmative doit être donnée ; et la question de savoir si un pays dans lequel la dictature du prolétariat a été établie peut être considéré comme complètement garanti contre l'intervention, et par conséquent comme complètement garanti contre la restauration de l'ordre capitaliste, si une révolution victorieuse n'a pas eu lieu dans au moins un certain nombre d'autres pays – question à laquelle une réponse négative doit être donnée. (Staline, Problèmes du léninisme, page 44, 1926.)
Mais si vous me permettez de le dire, nous ne trouvons pas ces deux questions confondues l'une avec l'autre dans le premier passage cité, datant de 1924. Là, il n'est pas question d'intervention, mais uniquement de l'impossibilité de l'organisation complète d'une production entièrement socialisée par les seuls efforts d'un pays aussi paysan que la Russie.
Et vraiment, camarades, toute la question peut-elle être réduite à la question de l'intervention ? Pouvons-nous simplement imaginer que nous établissons le socialisme ici, dans cette maison, tandis que les ennemis, dans la rue, jettent des pierres à travers les vitres ? La question n'est pas si simple. L'intervention est une guerre, et la guerre est une continuation de la politique, mais avec d'autres moyens. Mais la politique, c'est de l'économie appliquée. Toute la question est donc celle des relations économiques entre l'Union soviétique et les pays capitalistes. Ces relations ne se bornent pas uniquement à cette forme connue sous le nom d'intervention. Elles ont un caractère beaucoup plus continu et profond. Le camarade Boukharine a déclaré à plusieurs reprises que le seul danger de l'intervention consiste dans le fait que, dans le cas où aucune intervention ne se produit :
...nous pouvons travailler au socialisme même sur cette base technique misérable (nous pouvons y travailler, c'est vrai. - L.T.), que cette croissance du socialisme sera beaucoup plus lente, que nous avancerons à pas de tortue ; mais tout de même nous travaillerons au socialisme, et nous le réaliserons. (Au XIVe Congrès du Parti)
Il est vrai que nous travaillons au socialisme. Que nous le réaliserons main dans la main avec le prolétariat mondial est incontestable. (Rires) À mon avis, il est déplacé de rire dans une conférence communiste quand on parle de la réalisation du socialisme main dans la main avec le prolétariat international. (Rires. Voix : "Pas de démagogie !" "Vous ne pouvez pas nous attraper avec ça !") Mais je vous dis que nous ne réaliserons jamais le socialisme à pas de tortue, car les marchés mondiaux nous contrôlent trop bien. (Une voix : "Vous êtes bien alarmé !") Comment le camarade Boukharine imagine-t-il cette réalisation ? Dans son dernier article du Bolchevik, qui est, je dois le dire, le texte le plus scolastique qui soit sorti de la plume de Boukharine (rires), il dit :
La question est de savoir si nous pouvons travailler au socialisme, et l'établir, si nous abstrayons cela des questions internationales.
Écoutez bien ceci : "Si nous pouvons travailler au socialisme, et l'établir, si nous abstrayons cela des questions internationales." Si nous accomplissons cette "abstraction", alors bien sûr le reste est facile. Mais nous ne pouvons pas. C'est là tout le problème. (Rires)
Il est possible de se promener nu dans les rues de Moscou en janvier, si nous pouvons nous abstraire du temps et de la police. (Rires) Mais je crains que cette abstraction n'échoue, tant en ce qui concerne le temps que la police, si nous nous y essayons. (Rires)
Nous le répétons une fois de plus : il s'agit de forces intérieures et non des dangers liés à l'étranger. Il s'agit donc de la question du caractère de la révolution. (Boukharine, n° 19/20 du Bolchevik)
Le caractère de notre révolution, indépendant des relations internationales ! Depuis quand ce caractère autosuffisant de notre révolution existe-t-il ? Je soutiens que notre révolution, telle que nous la connaissons, n'existerait pas du tout sans deux conditions préalables internationales : d'une part, le facteur du capital financier, qui, dans son avidité, a fécondé notre développement économique, et d'autre part, le marxisme, quintessence théorique du mouvement ouvrier international, qui a fécondé notre lutte prolétarienne. Cela signifie que la révolution se préparait, avant 1917, à ces carrefours où les grandes forces du monde se rencontrent. De ce choc des forces est née la grande guerre, et de celle-ci la révolution d'Octobre. Et maintenant, on nous dit de nous abstraire de la situation internationale et de construire notre socialisme chez nous, pour nous-mêmes. C'est une méthode de pensée métaphysique. Il n'y a aucune possibilité de s'abstraire de l'économie mondiale.
Qu'est-ce que l'exportation ? Une affaire interne ou internationale ? Les biens à exporter doivent être produits chez nous, c'est donc une affaire intérieure. Mais ils doivent être exportés à l'étranger, il s'agit donc d'une opération internationale. Et qu'est-ce que l'importation ? L'importation est internationale ! Les biens doivent être achetés à l'étranger. Mais ils doivent être introduits dans le pays, donc c'est une affaire intérieure après tout. (Rires) Cet exemple d'importation et d'exportation suffit à lui seul à provoquer l'effondrement de toute la théorie du camarade Boukharine, qui propose une "abstraction" de la situation internationale. Le succès de la construction socialiste dépend de la rapidité du développement économique, et cette rapidité est aujourd'hui déterminée directement et plus nettement que jamais par les importations de matières premières et de machines. Certes, nous pouvons nous abstraire de la pénurie de titres étrangers et commander plus de coton et de machines, mais nous ne pouvons le faire qu'une fois. Une deuxième fois, nous ne serons pas en mesure d'accomplir cette abstraction. (Rires) L'ensemble de notre travail de construction est déterminé par les conditions internationales.
Si on me demande si notre État est prolétarien, je ne peux que répondre que la question est déplacée. Si vous ne voulez pas former votre jugement sur deux ou trois mots pris au hasard dans un rapport sténographique non corrigé, mais sur ce que j'ai dit et écrit dans des dizaines de discours et d'articles – et c'est la seule façon de former un jugement sur les opinions de l'autre – si vous ne voulez pas nous faire trébucher sur une phrase non corrigée, mais si vous voulez chercher à comprendre les véritables opinions de l'autre, alors vous devez admettre sans hésitation que je me joins à vous pour considérer notre État comme un État prolétarien. J'ai déjà répondu par plusieurs citations à la question de savoir si cet État construit le socialisme. Si vous demandez s'il y a dans ce pays des forces et des moyens suffisants pour réaliser complètement l'établissement du socialisme dans un délai de trente ou cinquante ans, tout à fait indépendamment de ce qui se passe dans le monde extérieur, je dois répondre que la question est posée sous une forme entièrement fausse. Nous disposons de forces suffisantes pour poursuivre l'œuvre de socialisation et, par là même, pour aider le prolétariat révolutionnaire international, qui n'a pas moins de chances de prendre le pouvoir dans dix, vingt ou trente ans que nous d'établir le socialisme ; pas moins de chances, mais beaucoup plus.
Je vous demande, camarades – et c'est l'axe sur lequel tourne toute la question – ce qui se passera en Europe pendant que nous travaillerons à notre socialisation ? Vous répondez : Nous établirons le socialisme dans notre pays, indépendamment de ce qui se passe dans le monde entier. Bien.
De combien de temps aurons-nous besoin pour l'établissement du socialisme ? Lénine était d'avis que nous n'aurons pas établi le socialisme en vingt ans, tellement notre pays agraire est arriéré. Et en trente ans, nous ne l'aurons pas non plus établi. Prenons trente à cinquante ans comme un minimum. Que se passera-t-il en Europe pendant tout ce temps ? Je ne peux pas faire un pronostic pour notre pays sans inclure un pronostic pour l'Europe. Il peut y avoir quelques variations. Si vous dites que le prolétariat européen aura certainement pris le pouvoir dans les trente à cinquante prochaines années, alors il n'y a plus de question à se poser. Car si le prolétariat européen prend le pouvoir dans les dix, vingt ou trente prochaines années, alors la position du socialisme est assurée, tant dans notre pays qu'au niveau international. Mais vous êtes probablement d'avis que nous devons supposer un avenir dans lequel le prolétariat européen n'arrivera pas au pouvoir ? Sinon, pourquoi tout ce pronostic ? Je vous demande donc ce que vous pensez qu'il se passera alors en Europe ? Du point de vue purement théorique, trois variantes sont possibles. Soit l'Europe vacille autour du niveau d'avant-guerre, comme actuellement, le prolétariat et la bourgeoisie se balançant de part et d'autre et maintenant juste un équilibre. Nous devrons cependant qualifier cet "équilibre" d'instable, car il l'est extrêmement ! Cette situation ne peut pas durer vingt, trente ou quarante ans. Elle doit être tranchée dans un sens ou dans l'autre.
Croyez-vous que le capitalisme trouvera un nouvel équilibre dynamique ? Croyez-vous que le capitalisme peut s'assurer une nouvelle période d'ascension, une reproduction nouvelle et étendue du processus qui a eu lieu avant la guerre impérialiste ? Si vous croyez que cela est possible (je ne crois pas, pour ma part, que le capitalisme ait une telle perspective devant lui), si vous l'envisagiez, ne serait-ce qu'en théorie, cela signifierait que le capitalisme n'a pas encore rempli sa mission historique en Europe et dans le reste du monde, et que le capitalisme actuel n'est pas un capitalisme impérialiste et en décomposition, mais un capitalisme toujours en progrès, développant l'économie et la culture. Et cela signifierait que nous sommes apparus trop tôt sur la scène.
Président : Le camarade Trotsky a plus que dépassé le temps qui lui était imparti. Il a parlé pendant plus d'une heure et demie. Il demande cinq minutes de plus. Je vais procéder au vote. Qui est pour ? Qui est contre ? Quelqu'un demande-t-il que l'on procède à un nouveau vote ?
Camarade Trotsky : Je demande un nouveau vote.
Président : Qui est en faveur d'accorder cinq minutes de plus au camarade Trotsky ? Qui est contre ? La majorité est contre.
Camarade Trotsky : Je souhaitais utiliser ces cinq minutes pour un bref résumé des conclusions.
Président : Je vais procéder à un nouveau vote. Qui est pour que le temps de parole du camarade Trotsky soit prolongé de cinq minutes ? Ceux qui sont pour lèvent leur billet de délégué. Qui est contre ? La majorité est en faveur. Il vaut mieux prolonger le temps que de compter les voix pendant cinq minutes. Le camarade Trotsky va continuer.
Camarade Trotsky : Si l'on suppose que pendant les trente à cinquante prochaines années, dont nous avons besoin pour l'établissement du socialisme, le capitalisme européen se développera vers le haut, alors nous devons arriver à la conclusion que nous serons certainement étranglés ou écrasés, car le capitalisme ascendant possédera certainement, en plus de tout le reste, des techniques de guerre améliorées en conséquence. Nous savons en outre qu'un capitalisme dont la prospérité augmente rapidement est tout à fait capable d'entraîner les masses dans la guerre, aidé par l'aristocratie ouvrière qu'il est capable de créer. Ces sombres perspectives sont, à mon avis, impossibles à réaliser ; la situation économique internationale n'en offre aucune base. En tout cas, nous n'avons pas besoin de fonder l'avenir du socialisme dans notre pays sur cette supposition.
Il reste la deuxième possibilité, celle d'un capitalisme en déclin et en décomposition. Et c'est précisément sur cette base que le prolétariat européen apprend, lentement mais sûrement, l'art de faire la révolution.
Est-il possible d'imaginer que le capitalisme européen poursuivra son processus de décomposition pendant trente à cinquante ans, et que le prolétariat restera entre-temps incapable d'accomplir une révolution ? Je demande pourquoi je devrais accepter cette hypothèse, qui ne peut être désignée que comme l'hypothèse d'un pessimisme infondé et des plus profonds à l'égard du prolétariat européen, et en même temps d'un optimisme béat à l'égard de l'établissement du socialisme par les forces de notre pays, isolées ? En quoi est-ce le devoir théorique ou politique d'un communiste d'accepter la prémisse que le prolétariat européen n'aura pas pris le pouvoir dans les quarante ou cinquante prochaines années ? (S'il prend le pouvoir, alors le point en discussion disparaît.) Je maintiens que je ne vois aucune raison théorique ou politique de croire que nous construirons le socialisme avec la coopération de la paysannerie plus facilement que le prolétariat d'Europe ne prendra le pouvoir.
Non. Le prolétariat européen a les plus grandes chances. Et si dans ce cas, alors je vous demande : Pourquoi ces deux éléments sont-ils opposés l'un à l'autre, au lieu d'être combinés comme les "deux conditions" de Lénine ? Pourquoi exige-t-on la reconnaissance théorique de l'établissement du socialisme dans un seul pays ? Qu'est-ce qui a donné lieu à cette prise de position ? Pourquoi cette question n'a-t-elle jamais été soulevée par quiconque avant 1925 ? (Une voix : "Elle l'a été !") Ce n'est pas le cas, elle n'a jamais été mise en avant. Même le camarade Staline a écrit en 1924 que les efforts d'un pays agraire étaient insuffisants pour l'établissement du socialisme. Je suis aujourd'hui encore fermement convaincu que la victoire du socialisme dans notre pays n'est possible qu'en conjonction avec la révolution victorieuse du prolétariat européen. Cela ne signifie pas que nous ne travaillons pas à l'état socialiste de la société, ni que nous ne devons pas poursuivre ce travail avec toute l'énergie possible. De même que l'ouvrier allemand se prépare à prendre le pouvoir, nous préparons le socialisme de l'avenir, et chaque succès que nous pouvons enregistrer facilite la lutte du prolétariat allemand, de même que sa lutte facilite notre progrès socialiste. C'est là le seul véritable point de vue international qu'il faut avoir de notre travail pour la réalisation de l'état socialiste de la société.
En conclusion, je répète les mots que j'ai prononcés lors du Plénum du CC : Si nous ne croyions pas que notre État est un État prolétarien, bien qu'avec des déformations bureaucratiques, c'est-à-dire un État qui devrait être mis en contact beaucoup plus étroit avec la classe ouvrière, malgré de nombreuses opinions bureaucratiques contraires et erronées ; si nous ne croyions pas que notre développement est socialiste ; si nous ne croyions pas que notre pays possède des moyens adéquats pour la promotion de l'économie socialiste ; si nous n'étions pas convaincus de notre victoire complète et finale : alors, il n'est pas nécessaire de le dire, notre place ne serait pas dans les rangs d'un parti communiste.
L'Opposition peut et doit être évaluée selon ces deux critères : elle peut accepter l'une ou l'autre ligne. Ceux qui croient que notre État n'est pas un État prolétarien, et que notre développement n'est pas socialiste, doivent diriger le prolétariat contre un tel État et doivent fonder un autre parti.
Mais ceux qui croient que notre État est un État prolétarien, mais avec des déformations bureaucratiques formées sous la pression des éléments petits-bourgeois et de l'encerclement capitaliste ; ceux qui croient que notre développement est socialiste, mais que notre politique économique n'assure pas suffisamment la redistribution nécessaire du revenu national ; ceux-là doivent combattre avec les méthodes et les moyens du parti ce qu'ils considèrent comme faux, erroné ou dangereux, mais doivent en même temps partager l'entière responsabilité de toute la politique du parti et de l'État ouvrier. (Le président sonne.) J'ai presque terminé. Encore une minute et demie.
Il est incontestable que les disputes internes du parti ont été caractérisées ces derniers temps par une extrême acuité de forme, et par l'attitude fractionnelle. Il est incontestable que cette aggravation fractionnelle de la contestation de la part de l'Opposition – quelles que soient les prémisses qui l'ont suscitée – pourrait être considérée, et a été considérée par une large section des membres du parti, comme signifiant que les divergences d'opinion avaient atteint un point rendant impossible le travail en commun, c'est-à-dire qu'elles pouvaient conduire à une scission. Cela signifie une divergence évidente entre les moyens et les objectifs, c'est-à-dire entre les objectifs pour lesquels l'Opposition a tenu à se battre et les moyens qu'elle a employés pour une raison ou une autre. C'est pour cette raison que nous avons reconnu ce moyen – la fraction – comme étant défectueux, et non pour quelque autre raison ne découlant pas de la présente considération. (Une voix : " Vos forces étaient insuffisantes ; vous avez été vaincus ! ") Nous le reconnaissons en considérant l'ensemble de la situation interne du parti. Le but et l'objet de la déclaration du 16 octobre étaient de défendre les opinions que nous défendons, mais de le faire dans le respect des limites fixées par notre travail commun et notre solidarité de responsabilité pour l'ensemble de la politique du parti.
Camarades, quel est le danger objectif de la résolution sur la déviation sociale-démocrate ? Le danger réside dans le fait qu'elle nous attribue des vues qui conduiraient nécessairement, non pas simplement à une politique d'opposition, mais à la politique d'un deuxième parti.
Cette résolution a la tendance objective de transformer aussi bien la déclaration du 16 octobre que le communiqué du CC en fragments de papier que, avec satisfaction... (Une voix : " Est-ce une menace ? ") Non, camarades, ce n'est pas une menace. Loin de moi la pensée de proférer une quelconque menace. (Une voix : "Pourquoi soulever cela à nouveau ?") Vous allez l'entendre dans un moment. Plus que quelques mots.
A notre avis, l'acceptation de cette résolution sera préjudiciable, mais dans la mesure où je peux juger de l'attitude de l'Opposition, en particulier des camarades dirigeants, l'acceptation de cette résolution ne nous fera pas dévier de la ligne de la déclaration du 16 octobre. Nous n'acceptons pas les vues qui nous sont attribuées. Nous n'avons pas l'intention d'élargir artificiellement les différences, ni de les aggraver et de préparer ainsi une rechute dans la lutte fractionnelle. Au contraire, chacun d'entre nous, sans chercher à minimiser les divergences d'opinion existantes, s'efforcera d’avoir l'attitude de maintenir ces divergences dans les limites de la poursuite de notre travail et de notre responsabilité commune pour la politique du parti.