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Source Léon Trotsky, Œuvres 2e série, volume 3, février 1929 à mai 1929. Institut Léon Trotsky, Paris 1989, pp. 130-133, titre : « Directives de Travail »
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Lettre à Salomon Kharine
avril 1929
Cher Ami,
1. En ce qui concerne le tirage, je vous prie de prendre vous-même la décision. D’une façon générale, étant donné la difficulté et la lenteur des liaisons, mieux vaut ne pas demander mon accord pour les questions techniques, mais prendre les décisions en toute autonomie.
2. La question de l’envoi en Russie est une question essentielle. Il faut employer un maximum d’énergie pour la résoudre, profiter des occasions qui se présentent, tout comme on utilisera un mode d’expédition soigneusement mis au point. Les dépenses nécessaires devront être couvertes par la vente, à l’étranger, du premier millier d’exemplaires, et si cela ne suffisait pas, il faudrait se procurer les moyens supplémentaires par l’intermédiaire d’Alfred.
3. J’ai déjà envoyé la liste des articles et documents (discours de Lénine, etc.) qu’il faut absolument, et prioritairement, éditer à l’étranger en russe. Il faut le plus vite possible décider dans quelle ville — Paris ou Berlin — nous les ferons imprimer. Je vous enverrai les manuscrits aussitôt que je saurai que tout est prêt pour l’impression. Notes et avant-propos seront nécessaires. Pour cela, je compte sur vous, et sur les autres camarades compétents. Vous avez accès plus facilement que moi à la bibliographie indispensable.
4. Il faut à tout prix que vous, personnellement, restiez sur place. Si jusqu’ici vous n’avez eu besoin, ainsi que vous l’écrivez, d’aucun prétexte pour cela, il est aujourd’hui indispensable que vous avanciez tous les « prétextes » possibles pour affermir votre position. Si pour une raison ou une autre vous n’y parveniez pas, ne suivez pas l’exemple de Solntsev qui, en dépit de mon insistance, a pris une initiative si imprudente. Aujourd’hui encore, je ne peux y penser sans ressentir une terrible amertume. Comme il nous serait utile aujourd’hui !
5. Quelques mots des questions internationales. Je manque encore d’informations, car je suis pris par d’autres affaires, et cette situation va se prolonger pendant une bonne semaine. Une chose, en tout cas, est claire pour moi en ce qui concerne la France : le groupe le plus important est et reste Contre le Courant. Entre ce groupe et le groupe de La Révolution prolétarienne, il faut établir des liens étroits et si possible une répartition correcte des tâches. Cela n’exclut pas, bien entendu, la critique fraternelle. On ne peut en aucun cas établir une collaboration en masquant, ou en minimisant des divergences importantes sur les principes. Mais le débat sur ces divergences sera mené dans le cadre d’une collaboration qui se prolongera jusqu’à la victoire de la classe ouvrière et au-delà.
Il ne peut être question de coopération avec le groupe de Souvarine tel qu’il se présente aujourd’hui. Il est indispensable d’établir une délimitation théorique parfaitement claire, et d’engager la polémique, calmement, mais fermement. Cette ligne, ainsi que les nouvelles leçons politiques, ramèneront-elles Souvarine sur nos positions ? Je ne saurais le dire. Nous devons faire notre possible pour le mettre sur cette voie. Si nous n’y parvenions pas (ce qui serait regrettable, car c’est un homme de grande valeur), il ne nous resterait plus qu’à gagner les meilleurs de ses partisans.
En ce qui concerne Treint, je ne vois aucune raison de principe qui s’oppose à ce que nous collaborions avec lui. En venant à l’opposition à l’époque de son écrasement, en restant dans l’opposition alors que Suzanne Girault la quittait. Treint est quelqu’un d’énergique, qui s’efforce de sortir de sa chambre, ce que ne font pas assez beaucoup de nos partisans. Ce qu’on dit de lui qu’il est impulsif, qu’il tombe d’une extrême dans l’autre, etc. est sans doute parfaitement exact. Il ne s’agit pas de faire de Treint l’unique dirigeant de l’Opposition, mais de l’intégrer à l’activité et de le mettre à l’épreuve. S’il n’est pas possible à ce stade de l’intégrer à l’activité dans le cadre national, on peut et on doit s’assurer sa collaboration dans le travail international. Le risque de lui permettre ainsi de prendre trop d’autorité n’est guère fondé — et serait repoussé par le sectarisme du groupe. Si Treint élargit son autorité pour marcher de conserve avec nous, nous avons tout à y gagner. Et si, étant engagé dans une collaboration avec nous, il prenait des positions de compromission, il cesserait d’exister politiquement; les meilleurs de ses partisans viendraient à nous. Il n’y a rien de pire que le statu quo dans les relations entre groupes et cercles proches. Ce genre de secte peut entrer dans un long processus de pourrissement. Le mouvement est nécessaire. Il faut arracher ces cercles à leur inertie. Il ne faut pas laisser se développer le conservatisme de groupe, particulièrement pernicieux en France. Il faut se préparer à franchir avec audace le pas du regroupement des forces sur une base nouvelle, plus large.
6. Je ne peux rien dire des élections en Belgique, car je ne connais pas la situation. Il n’existe pas de recettes, valables pour tous les pays, pour tous les problèmes politiques particuliers. Précisément, ce qu’on peut dire au sujet du parlementarisme dépend, pour beaucoup, du rapport de forces. Et si l’Opposition belge peut faire élire ses députés qui, de la tribune du Parlement, expliqueront aux ouvriers la nécessité de restaurer l’unité de l’Internationale communiste, il n’y aura là que des avantages. C’est aux Belges eux-mêmes à prendre la décision. Je ne connais pas suffisamment la situation pour me prononcer de façon catégorique.
7. Il faut porter notre attention sur la Tchécoslovaquie, c’est extrêmement important. Le parti est en effervescence. Nous pouvons et nous devons nous exprimer là-bas à haute voix. Il faut trouver les voies d’accès. Écrivez à ce sujet en Allemagne, en Autriche. Parlez avec nos amis français, ils ont peut-être des liens.
8. Il ne faut pas tracer une croix sur les camarades de l’opposition de Wedding. Ils peuvent constituer pour nous un point d’appui dans certains cas.
9. J’ai reçu de Moscou une lettre extrêmement intéressante et importante. Ljova va la recopier et vous l’envoyer.
Cordial salut.