Œuvres – 8 septembre 1929

Léon Trotsky

Lettre à K. Landau

8 septembre 1929

Cher Camarade

Je vous remercie de votre lettre détaillée du 2-3 septembre.

1. En aucun cas ne s'orienter vers une rupture et encore moins l'imposer [1] . Nos tâches : une activité propagandiste aussi longtemps que cela est possible. Jusqu'à présent, nous n'avons rien dit dans la presse contre ces braillards. Ce qui est nécessaire maintenant, ce sont des articles, des résolutions, des brochures. En aucun cas il ne faut se presser de tirer les conséquences organisationnelles.

2. En ce qui concerne les élections municipales, je suis d'accord avec vous. Expliquez ouvertement et clairement votre position ; écrivez à ce sujet dans l'organe autrichien et dans La Vérité. Il me semble que, pour l'instant, on ne puisse pas aller plus loin.

3. Dans votre lettre, je ne vois aucun pessimisme. Bien sûr, il faut considérer les choses avec sérénité et appeler un chat un chat.

4. Pour ce qui est de la politique intérieure, le jugement porté sur ce qu'on appelle la troisième période est ici d'une importante décisive. J'espère pouvoir écrire prochainement un travail d'une certaine ampleur sur cette question, qui comprendra une caractérisation du 1er mai, du 1er août, etc. Le mot d'ordre du "combat pour la conquête de la rue" est toujours juste dans sa forme générale. La question est de savoir quand et comment il faut lutter pour la conquête de la rue. De ce point de vue, la politique du parti communiste a été complètement erronée.

5. Pour la question syndicale, vous avez raison pour l'essentiel : le nihilisme est aussi dangereux que le fétichisme. Mais en général, aujourd'hui, c'est plus le courage et l'initiative qui sont nécessaires pour ébranler, par divers moyens combinés, la domination de la social-démocratie dans les syndicats. Il faut agir de l'intérieur et de l'extérieur. En ce domaine il n'existe pas de recette toute faite. Parfois il est même possible de constituer un "comité de grève" contre "la majorité" pour transformer la minorité. Cela dépend de la situation, de la dynamique du combat, etc.

6. Si quelqu'un s'avisait de dire que je suis de l'avis qu'il n'existe plus de dictature du prolétariat en U.R.S.S., vous pouvez tranquillement décider, voire déclarer ouvertement, qu'il s'agit d'un crétin ou d'un colporteur de ragots ou les deux à la fois.

7. Le mot d'ordre : "Se tourner vers le parti" est fondamentalement juste. Mais il a pris, hélas, chez de nombreux camarades de Wedding [2] , un caractère de capitulation. Vous ne m'écrivez rien des camarades de Wedding [3] , Müller [4] , Weber [5] ou d'autres. Müller peut être utile comme traducteur du russe.

8. J'envoie aujourd'hui le manuscrit de ma brochure. Il faut la traduire en allemand le plus vite possible. Le mieux serait que Pfemfert, Adler et Müller se mettent tous trois en même temps à la traduction. J'envoie aujourd'hui à R. Adler les derniers chapitres à traduire, je vous ferai savoir lesquels.
Elle vous les fera parvenir avant que la première partie de la traduction soit terminée à Berlin. Je vous prie de rédiger soigneusement la traduction.

9. Les moyens nécessaires doivent être envoyés directement de Paris [6] . C'est également là-bas qu'il faut adresser les quittances concernant les sommes reçues à Berlin.

Notes

[1] Trotsky fait allusion à la situation dans le Leninbund où la polémique autour du chemin de fer de l'Est chinois avait tendu à l'extrême les relations internes. Il semble que Landau était tenté par une rupture.

[2] Wedding est un faubourg ouvrier de Berlin. Depuis plusieurs années l'organisation communiste de Wedding était sur des positions proches de celles de l'Opposition de gauche russe, avec cependant des tendances ultra-gauchistes. L'Opposition de Wedding, qui avait des sympathisants dans le Palatinat, avait été en contact avec des Oppositionnels russes, notamment avec Rakovsky en 1927.

[3] Curieusement, Kurt Landau, qui au fond était venu à Berlin pour se consacrer au redressement de la ligne du Leninbund, avait choisi à ce moment d'adhérer à... l'0pposition de Wedding.

[4] Aleksandr dit Sacha Müller (1892-195?) était né à Moscou d'un père allemand et d'une mère russe. Il était employé et était l'un des animateurs de l'Opposition de Wedding à Berlin.

[5] Johann dit Hans Weber(1895-1986) ancien spartakiste, organisateur du K.P.D. dans le Palatinat et membre de son comité central, avait été longtemps l'animateur de l'Opposition de Wedding. Il avait publié en Allemagne la "Critique du projet de programme de l'I.C.".

[6] C'était Marguerite Rosmer qui gérait les finances.