Œuvres - octobre 1929

Léon Trotsky

31 octobre 1929

Lettre à G. Rosenthal

J'apprends par les journaux turcs que Daladier [1] a renoncé parce que les socialistes avaient refusé de participer au min&stère. Tant pis pour le visa. Toutefois, j'attendrai toujours des nouvelles, là-dessus, de votre part.

La Vérité s'améliore visiblement. On voit que les articles pour la plupart sont écrits avec attention et soigneusement. Je vous ai déjà écrit quelques impressions dans ma lettre précédente. Pour préciser mes idées sur son contenu, je vous dirai quelques mots cette fois sur la bibliographie.

Les artic1es d'A.A. [2] sont très bons et très utiles, mais par le choix des livres et la manière de les critiquer, plus appropriés à une revue marxiste qu'à un hebdomadaire politique. On préférerait voir dans les colonnes bibliographiques de La Vérité des articles sur Les Cahiers du bolchevisme, sur La Revue marxiste, sur L'Humanité même, et sur d'autres journaux du parti ; naturellement aussi sur toutes les éditions du Komintern, du Profintern, de la C.G.T.U. Je crois que par l'intermédiaire de la presse et autres éditions du parti, on pourrait mettre en lumière les traits essentiels de l'activité tout entière du parti.

Les cahiers pompeux du bolchevisme, avec leur papier de luxe, leurs vignettes originales, etc., avec leurs incorrections, leurs articles brouillons, etc. démontrent la richesse matérielle et la pauvreté idéologique d'une manière éclatante et même écoeurante.

Je crois aussi que l'on devra donner deux ou trois articles sur l'Humanité basés sur une étude solide et consciencieuse de celle-ci. Je crois même qu'il faudrait étudier les listes de souscription pour l'Humanité en les comparant avec les souscriptions précédentes par villes, régions, etc. C'est un travail minutieux, encombrant, mais il peut donner des résultats d'une importance tout à fait singulière sur les changements de l'influence du parti sur la composition des sympathisants, etc. Sans des études pareilles, (aussi par et sur les syndicats), notre critique restera abstraite et même vide.

Je parlais dans une de mes lettres à Naville de la nécessité de diviser sérieusement le travail entre La Vérité et La Lutte de Classes en formant une organisation unique. Naville me répond que pour cela il faut une organisation unique, ce qui est entièrement juste. Malheureusement je ne vois pas par le journal lui-même ni par les lettres comment on s'y prend pour aboutir à cette organisation unique composée avant tout d'ouvriers actifs.

Maintenant quelques mots au "maître". Je vous ai envoyé une lettre ennuyeuse sur mes relations avec Rieder. J'ai omis de mentionner que Paz lui a accordé le droit de traduction pour les pays européens, à l'exception de l'Allemagne et de l'Angleterre. Rieder retient, dans ce cas, 40 % des sommes payées à l'auteur. C'est une piraterie. Il est vrai que les éditeurs françaîs pratiquent cette piraterie normalement envers les jeunes écrivains en abusant de leur besoin d'être introduits dans les voies de la franc-maçonnerie internationale des éditeurs. Mais, sans parler de ce que je n'ai aucun besoin de la protection de Rieder devant ses semblables en Hollande ou en Tchécoslovaquie, j'ai reçu un tas de propositions infiniment plus favorables. J'ai transmis il y a quelques jours à Rieder une proposition analogue d'une société anglo-allemande, qui n'émet pas la prétention de retenir plus de 15 % (au lieu des 40 de Rieder). Dans ce cas, je suis lié par le traité et Rieder a le droit formel de transporter ce paragraphe dans le nouveau traité. Mais vous pourrez tout de même essayer de faire une certaine pression sur cette matière problématique qui lui sert de conscience.

Quant à mon livre sur l'Internationale, j'apprends inopinément que toute l'affaire est entre les mains de Magdeleine Paz. Je vous envoie ci-joint sa lettre et ma réponse pour vous mettre au courant. Je ne vous encombrerais pas de cette question s'il ne s'agissait que d'une question personnelle. D'ailleurs, je vous fais une proposition commerciale : les honoraires dus à un avocat dans un cas pareil, nous les déposerons à moitié dans la caisse de La Vérité et dans celle de La Lutte.

Avec mes meilleures salutations et mes remerciements anticipés,

Notes

[1] Edouard Daladier (1884-1970), dirigeant de la "gauche" des radicaux et qui était candidat à un gouvernement "de cartel" avec les socialistes, avait laissé entendre qu'il pourrait accorder à Trotsky un visa pour résider en France.

[2] André Ariat (A.A.) était l'un des pseudonymes d'Aimé Patri.