1930 |
Mai 1930 : le combat pour unifier et souder l'Opposition de Gauche Internationale face à la tourmente qui s'annonce. |
Œuvres - mai 1930
Réponse au c. K.
Cher ami,
J'ai reçu votre lettre du 2 mai. Nous n'avons aucune divergences sur le fond. Cela est pleinement clarifié, je l'espère, dans le Biulleten, en particulier dans le numéro II. Bien entendu, nous maintenons la politique du rythme maximal d'industrialisation et de collectivisation. Mais la réalisation du rythme le plus élevé, que nous atteindrons seulement dans des conditions d'isolement, suppose à chaque moment un rythme non pas statistiquement maximal, mais économiquement optimal; un rythme rationnel, garanti au mieux économiquement, que seul le rythme de demain est capable d'assurer.
Sur un plan évidemment tactique et non stratégique, cela signifie à l'étape actuelle: "Arrière! ne te caches pas!". Et je crois indispensable de crier ces simples mots à pleine voix, sans douter pourtant un instant que les bureaucrates à œillères, qui demain ne se contenteront pas de reculer mais reflueront à toute allure au-delà des limites desquelles ils étaient partis, aujourd'hui nous convaincront ... de déviation droitière. Ce sera de la littérature pitoyable. Mais le fait que l'Opposition de Gauche, qui a pendant des années réclamé l'accélération de l'industrialisation et de la collectivisation, ait su à temps crier aux aventuriers, aux profiteurs et aux inconséquents de la bureaucratie: "Arrière!", ce fait entrera dans les consciences.
"Ralentir la collectivisation" signifie évidemment réfréner la collectivité et nullement réduire la construction réelle des kolkhozes. Mais le rythme de la collectivisation doit avoir une fondement économique. La bonne volonté dans la collectivisation n'exclut en rien la pression économique, qui se distingue de la pression administrative par les bénéfices réels qu'elle apporte au lieu de menaces policières. Dans un système de collectivisation correctement élaboré, l'action des idées se combine à la pression de l’économie. Mais comme cette dernière opère en grandeur réelle, elle doit être sévèrement évaluée et introduite dans un système qui permette un essor régulier de la collectivisation, avec un affaiblissement et non un renforcement, du facteur administratif.
Inutile de dire que le pouvoir révolutionnaire doit se débarrasser des koulaks qui poussent à la révolte et qu'il le fera. Mais en les menaçant de dékoulakisation après leur avoir hier encore caressé la tête ("enrichissez-vous, développez-vous"), on pousse ainsi de façon administrative vers la révolte. Il fallait donc soulever contre cette dékoulakisation le même cri de mise en garde: "Arrière!".
En ce qui concerne la réduction des dépenses, notre plate-forme reste bien sûr entièrement valable. On se souvient que dans un manifeste de 1927, Staline avait promis avec Rykov et Kuibychev, de réduire les dépenses bureaucratiques de 300 à 400 millions de roubles. Dans les faits, ils n'ont rien réduit. On n'a vu encore nulle part la bureaucratie se réduire elle-même.
Mais les revendications générales de notre plate-forme ne nous dispensent pas de la nécessité de revoir de façon décisive les plans industriels ultérieurs menés depuis un an et demi à deux ans. Car aujourd'hui les programmes enflent au gré de l'inspiration du secrétariat général, régional, départemental. Comment sont-ils couverts économiquement? D'abord par un abaissement de la qualité de la production. Ensuite par l'inflation. L'un et l'autre frappent les ouvriers, frappent les paysans pauvres et préparent un blocage violent de l'industrialisation. Voilà pourquoi là aussi il faut crier: "arrière".
Les profiteurs du rythme maximal aujourd'hui demain, lorsque les processus économiques viendront, secrètent pour eux, leur frapper le front encore plus fort, ils décriront au-dessus de nos têtes un arc de cercle qui les ramènera sur la vieille voie oustrialolviste; je n'ai pas la moindre divergence avec vous là-dessus. D'ailleurs vous avez vous-même très justement déchiffré notre solidarité entre les lignes de l'article d'un des professeurs staliniens jaune-rouges (il paraÎt qu'on les appelle professeurs à cause de leur métier peu enviable).
Je vous embrasse fort et vous souhaite bonne santé.