1930 |
Juillet 1930 : le combat pour unifier et souder l'Opposition de Gauche Internationale face à la tourmente qui s'annonce. |
Œuvres - juillet 1930
L’autorité d’une direction
Cher camarade Müller,
Je ne vous ai pas répondu immédiatement, non seulement parce que j'étais surchargé de travail, mais aussi parce qu'il m'est difficile de donner des réponses concernant des questions aussi concrètes et personnelles et pour lesquelles je n'ai pas la possibilité de juger des circonstances exactes à chaque moment donné. J'ai cependant décidé de m'exprimer même si c'est seulement sous une forme partielle.
Bien sûr, si vous disposiez d'une organisation unie, avec une direction ferme et à l'autorité incontestée, la question du retour du camarade Grylewicz, d'une façon générale, ne se poserait pas. La direction n'est pas une auberge d'où l'on part et revient à sa guise. C'est absolument évident et il nous faut tendre de toutes nos forces à créer dans l'Opposition une opinion publique à ce point affermie que, face à elle, nul ne pourra se permettre la fantaisie personnelle ou le caprice, le chantage à la démission de la direction, etc. Mais il faut se garder de confondre ce qui devrait être avec ce qui est aujourd'hui. Il existe une direction composite. Elle est encore faible, comme l'Opposition dans son ensemble. Dans ces conditions, le départ définitif de Grylewicz serait un point négatif, surtout si l'on prend en compte la possibilité de constitution d'un nouveau groupe, c'est-à-dire un obstacle supplémentaire.
A l'inverse, le retour du camarade Grylewicz renforce l'autorité de la direction car cela démontre que le camarade Grylewicz a reconnu son erreur et l'a corrigée. Dans ce cas, chaque ouvrier peut se dire: Joko, cette tête folle, s'en est allé, Neumann, cet intellectuel capricieux, s'est mis sur la touche, mais l'ouvrier Grylewicz, qui a fait un faux pas, s'est ravisé et est revenu â la direction. Quel dommage y aurait-il là pour l'Opposition ? Je n'en vois pas. Le malheur est que les oppositionnels évoluent beaucoup trop sur le terrain de la psychologie de petits cercles fermés et qu'ils jugent tout du point de vue de l'état d'esprit propre à ce petit cercle, et non du point de vue de l'effet produit sur les travailleurs.
On ne peut certes laisser la porte entrouverte pour un temps indéfini. Il faut dire fraternellement mais fermement au camarade Grylewicz: si tu veux revenir à un travail commun au sein de la direction, tu dois revenir immédiatement, car, à compter de tel et tel jour, nous serons contraints de considérer ton départ comme définitif.
De façon générale, je dois affirmer la chose suivante: si la direction veut acquérir de l'autorité - et c'est son devoir de le souhaiter - elle ne doit plus agir comme si elle disposait déjà d'une autorité inébranlable et elle doit, dans un premier temps, s'appuyer le moins possible sur des droits purement formels. La direction doit conserver un ton tranquille et amical, faire preuve de la plus grande patience, en particulier envers ses contradicteurs. La direction ne pourra pas acquérir d'autorité, si elle ne démontre pas dans les faits à toute l'organisation son objectivité et son honnêteté dans les conflits internes de tout ordre, ainsi que son souci constant de faire prévaloir l'intérêt de l'organisation en tant que telle. Seule l'acquisition de ce type d'autorité qui ne peut se conquérir en un jour confère le droit d'utiliser des mesures d'organisation, voire de répression. Sinon, l'organisation ne peut pas vivre. Mais la tentative de recours à des mesures répressives sans l'autorité nécessaire et sans que l'organisation soit convaincue que de telles mesures sont justifiées, mène nécessairement non pas au renforcement mais bien à l'affaiblissement de l'organisation et surtout au déclin de l'autorité de la direction elle-même.
C'est pourquoi je vous conseille chaleureusement: tout en maintenant la fermeté dans la ligne politique, faites preuve de la plus grande prudence, de la plus grande sagesse, de la plus grande patience et de tact dans toutes les questions personnelles, les conflits et les malentendus.