1930 |
La lettre suivante, à l'origine en russe, n'a été trouvée que récemment [à la date du 18 Octobre 2017] dans les dossiers de la police sur Andres Nin, aux Archives historiques nationales de Madrid (Ministerio de gobernación, policía [histórico], h.394). Mise en ligne en anglais par 'In defense of Marxism'. Traduction MIA. |
Œuvres - novembre 1930
Lettre à A. Nin
Cher ami !
J'ai reçu votre lettre le 12 novembre avec la proposition très intéressante qui sera très utile pour le 17e numéro du Bulletin. Ce n'est que maintenant, après votre lettre, que j'ai une image plus ou moins claire de l'état des rangs communistes en Espagne, en particulier de la position du camarade Maurín. Quelques mots à ce sujet. J'ai appris par Naville que Maurin était à Paris, où il était en contact avec Souvarine, et n'a fait aucune tentative pour nous contacter. Vous savez, bien sûr, que Souvarine se dresse aujourd'hui contre nous de la manière la plus amère et la plus perfide. Il y a plus d'un an, il m'a envoyé une longue lettre programmatique, ou plutôt un pamphlet entier. Ce travail montre non seulement qu'il a abandonné les rangs du bolchevisme en tant que mouvement politique, mais aussi du marxisme en tant que doctrine. Il écrit maintenant dans la presse bourgeoise, sous divers pseudonymes, pour défendre Staline. Tout cela m'a rendu très méfiant, quand j'ai appris que Maurín lui était lié non seulement par des liens familiaux, mais aussi politiquement. Il n'a fait aucune tentative pour entrer en relations avec nous, pas même par simple camaraderie, ce que j'aurais, bien sûr, très bien accueilli ; et, enfin, quand, venant de Paris, il revint en Espagne, il commença à publier un journal, qui contenait des articles de Staline. Étant donné que le camarade Maurín n'est pas un novice, qu'il a une histoire politique et qu'il est un individu hautement qualifié, je suis arrivé sur la base de ces faits à une conclusion définitive sur sa position politique. Vous saurez, bien sûr, mieux, vous avez de meilleures relations et les conditions pour juger, donc si vous exprimez l'espoir que le camarade Maurín viendra à nos côtés, je ne peux que m'en réjouir d'avance.
Il est également tout à fait possible qu'en Espagne, étant donné que la position des organisations et des groupes communistes est si particulière, que la meilleure voie à suivre soit d'unir tous ces groupes qui n'ont pas encore pris de position concrète, puis de développer notre travail au sein cette organisation unifiée. Mais je ne vois pas très bien comment et de quelle manière vous comptez développer ce travail, c'est-à-dire avez-vous en tête de créer dès le départ un embryon d'opposition de gauche, qui ensuite, soumis à la discipline de l'organisation unifiée, mènera ses activités de faction ? Je vous serais très reconnaissant si vous pouviez me parler plus précisément de vos projets et de vos intentions à cet égard.
Nous avons récemment reçu plusieurs lettres de déportés, dont une très longue lettre d'un camp de détention. Cette lettre présente un tableau bien plus favorable que celui dressé sur la base de vos informations. La confusion dans les camps a pris fin et le travail théorique se fait largement et avec beaucoup d'optimisme. Cette correspondance sera publiée dans le prochain numéro du Bulletin, et vous devriez l'examiner : elle émane d'une personne très sérieuse, que je connais bien.
Il est peu probable que vous soyez maintenant capable de lire les journaux soviétiques : ils donneront à nouveau une image légèrement plus optimiste que votre correspondance. Or la Pravda, comme les autres journaux, est depuis près d'un an remplie d'une furieuse persécution de l'opposition. Les coups étaient dirigés principalement contre Boukharine, Rykov, Tomsky, etc. Mais en même temps, à l'exception des résolutions, articles, correspondances, etc., ils mentionnent un renouveau, ou un renouveau, de l'audace etc. des « trotskystes » et des « semi-trotskystes ».
Parlons maintenant des affaires françaises. Ici, nous avons le début d'un autre conflit sur les lignes que j'ai toujours considérées comme gênantes - sur la ligne syndicale. Ce travail, comme vous le savez peut-être, dirigé par le camarade Gourget, échappe en réalité au contrôle de la Ligue. Vous connaissez sans doute les pratiques des groupes français de type Monatte : chacun assume une certaine tâche sur la base d'une certaine compréhension mutuelle (ou bien ne s'en charge pas), et tous - ou pas - convergent, divergent et échangent des remarques. Autrefois, je voyais souvent ce tableau au quai de Jemappes. Ces habitudes ont même partiellement affecté « La Vérité ». L'organisation est comprise comme une fédération d'individus libres dont le devoir est de ne pas interférer les uns avec les autres. Vous croirez certainement que je dessine une sorte de caricature, mais en même temps vous connaissez assez bien ce milieu pour reconnaître, blague à part, la réalité à laquelle je fais référence. C’est sans ces conditions que le camarade Gourget dirigeait le travail de l'opposition unitaire. D'après les articles et les notes de « La Vérité », et les lettres du camarade Gourget (avec qui nous étions à juste titre en correspondance tout le temps), je craignais qu'il ne déplace le centre de gravité de tout le travail vers l'établissement de rapports avec certains dirigeants individuels bien insérés dans le mouvement syndical, en particulier et surtout dans le Syndicat des enseignants. Lors de son séjour à Prinkipo, Naville a reconnu que Gourget, malgré toutes ses qualités, travaillait plus ou moins en marge de la Ligue, et principalement de manière diplomatique. C'est l'arrière-plan du conflit.
Le 20 [octobre], une conférence de l'opposition unitaire s'est tenue à Paris. Lors de cette conférence, Gourget, avec d'autres militants de l'opposition, qui ne sont pas membres de la Ligue, a établi une large plate-forme d'opposition syndicale. A la réunion de la Ligue, Molinier demanda à entendre les raisons politiques de Gourget, qu'il expliqua à contrecœur. La plate-forme a été critiquée non seulement par Molinier, mais aussi par Naville et Gérard, qui ont reconnu la plate-forme comme ce qu'elle était : inacceptable. Par la suite, Gourget a déposé par écrit (refusant de venir à la réunion en personne) sa démission de la Ligue si elle avait l'intention d'entrer dans l'opposition unitaire. Quelle devrait être la relation entre la Ligue et l'opposition unitaire est une question distincte. Mais dans ce cas, il n'était pas question que l'UO se soumette à la Ligue, mais que le contrôle de la Ligue s’exerce sur le travail d'un de ses membres, occupant un poste de responsabilité. Ensuite, la démission de Gourget a provoqué la démission de Rosmer et a entraîné un certain nombre de nouvelles tensions, difficultés et conflits.
J'ai reçu la plate-forme du camarade Gourget. C'est absolument et à tous égards un document inaceptable, tant dans le fond que dans la forme. Mettre le nom de la Ligue sur la couverture de ce document serait la compromettre irrémédiablement. N'oublions pas un instant qu'il ne s'agit pas d'une plate-forme d'organisation syndicale, mais de la plate-forme d'une fraction politique au sein des syndicats. La plate-forme de Gourget (ou le produit de son compromis) représente la plate-forme éclectique et parfaitement contradictoire d'une sorte de nouvelle fraction, qui devrait concurrencer la Ligue dans les syndicats. En d'autres termes, c'est la plus grande absurdité que l’on puisse imaginer.
L'opposition unitaire peut, bien sûr, être rejointe par des personnes qui ne sont pas membres de la Ligue. Plus elle a de sympathisants, ou de semi-sympathisants, qui ne sont pas complètement compromis, mieux c'est. Par rapport à tous ces éléments, nous devons faire preuve du plus grand tact. Il faut « expliquer patiemment », pour reprendre une formule que vous avez citée à une autre occasion. Mais pour expliquer patiemment, il faut qu'il existe un corps qui puisse donner cette explication, à savoir l'organisation politique, liant ensemble, strictement, toutes ses parties constituantes. Vous vous souvenez sans doute qu'à l'époque (début avril 1917), ou plutôt le jour même (4 avril), où Lénine avançait la formule « expliquez patiemment », il s'adressait aussi à la conférence du Parti : « Je me dresserai contre tout, comme Liebknecht, si vous faites la moindre concession au défencisme. » Ces deux formules sont inextricablement liées dans la méthode de Lénine. Pour pouvoir « expliquer patiemment » aux ouvriers organisés en syndicats, il ne faut pas faire la moindre concession à la théorie syndicaliste, qui est en France le masque le plus effectif, ayant le plus d’autorité et le plus funeste de l'opportunisme quasi prolétarien. Pendant ce temps, les thèses de Gourget sont un mélange éclectique de la théorie du syndicalisme avec la phraséologie communiste.
Si nous supposons que l'UO compte un nombre important de travailleurs non convaincus de la plate-forme syndicale de l'Opposition de gauche, nous devrions organiser un bloc ou une large coalition avec eux, sur la base d'une entente pratique, tout en conservant notre plein droit de faire de la propagande pour les idées de la Ligue. Mais introduire dans la Ligue le droit de contrôler de l’extérieur le travail de ses propres membres c’est, comme vous le savez, une chose très différente. Le fait que le camarade Rosmer, si je comprends bien, ait soutenu Gourget, bien que très triste, ne m'étonne pas plus que ça. Vous savez que Rosmer et moi sommes de vieux amis, il a passé quelques mois avec nous ici et j'ai eu plusieurs fois l'occasion de lui parler de tout.
Le fait qu'il était rarement impliqué dans le parti, et que, depuis cinq ans, il n'était pas actif, n'est pas passé inaperçu. Il a les mêmes méthodes que celles de Monatte : se réunir une fois par semaine pour échanger des expériences, sans prendre aucune décision, en laissant chacun faire ce qu'il veut, et laisser les événements suivre leur propre chemin.
Rosmer m'a écrit deux fois pour me dire qu'il sentait que sa mission personnelle était accomplie, que la poursuite du travail serait une corvée et qu'il devait céder la place à la jeunesse, etc. J'ai fortement résisté à cet état d'esprit, surtout lorsqu'il a nié l'existence de divergences de principe, tant au sein de la Ligue qu'avec moi. Maintenant, cependant, il a démissionné. Je lui ai écrit une lettre hier à ce sujet. Si j'en avais la moindre occasion, j'irais bien sûr immédiatement le voir, pour essayer personnellement de dissiper cette humeur. Mais comme cela n'est pas possible (je vous joins ma lettre à Rosmer), je lui ai demandé de venir quelques semaines à Prinkipo pour essayer de discuter et que nous nous mettions d'accord. Si cela s'avère impossible au bout de quelques jours, tant mieux s'il est possible de séparer les questions politiques de notre amitié personnelle.
Voici comment les choses se passent en France. Bien sûr, ce serait mieux si les choses n'étaient pas comme ça. Mais il faut prendre la situation telle qu'elle est. Le développement de l'opposition en Europe occidentale s'est produit au milieu d’une telle ignorance et d’une telle désunion, que des facteurs personnels aléatoires ont joué un rôle important et souvent néfaste. On le voit en Allemagne, en Belgique et dans d'autres pays.
En 1923-24, des gens ont été expulsés de différents partis pour la seule raison qu'ils n'étaient pas d'accord pour condamner immédiatement Trotsky. Par la suite, ces éléments ont été contraints de regrouper leurs forces, sans avoir ni traditions révolutionnaires ni fondement théorique sous leurs pieds. Certains d'entre eux ne se sentaient même pas faire partie d'une organisation révolutionnaire et en ont vite profité pour l'abandonner. Cette dernière catégorie comprend Madeleine et Maurice Paz, et dans une certaine mesure le vieux Loriot et Souvarine qui, n'ayant pas eu le temps de devenir marxiste, est devenu libre penseur, comme je l'ai déjà écrit plus haut. En Allemagne, Urbahns a compromis pendant plusieurs années l'Opposition entre la social-démocratie et le sapronovisme. Enfin, en Belgique, Van Overstraten - et ce fut une grande surprise pour moi - s'est révélé impressionniste et dilettante. Sans compréhension marxiste, il recommence à zéro sur chaque question, comme sur une page blanche, comme un autodidacte politique, malgré sa formation intellectuelle. J'ai rencontré Overstraten à plusieurs congrès et lors de deux ou trois visites qu’il m'a rendu au commissariat militaire. Si je me souviens bien, il ne parlait jamais aux congrès et dans les conversations personnelles, il écoutait plus qu'il ne parlait. Il est tout à fait clair qu'il ne se sentait pas à l'aise dans le Comintern de Lénine : mais maintenant il l'admet ouvertement. Il a perdu la discipline théorique et organisationnelle, et je crains qu'il ne puisse plus la récupérer.
Les oppositionnels d'Europe occidentale n'ont jamais vécu une vie idéologique et politique cohérente, n'ont pas abordé les grandes questions, ne se sont pas impliqués dans la vie interne des autres partis. C'est ainsi que tous ces compagnons de route accidentels (Urbahns, Overstraten, Souvarine, Paz ) apparaissaient aux autres ainsi qu'à nos camarades, et ils se voyaient tels. Mais au fond, ils nous ont causé beaucoup de tort, en bloquant aux idées de l'opposition la voie de l’entrée dans le parti, qu'ils ont déclaré mort et liquidé. Cette approche était beaucoup plus facile et donnait la possibilité de vivre tranquillement dans son coin, avec une heure par semaine de discussions oppositionnelles.
Notre travail à l'étranger ces deux dernières années a été de mettre un terme à ces fictions, à la multiplication des malentendus fondamentaux et de développer les fondements de l'Opposition de gauche internationale. Pendant ces deux années, j'ai passé plus de temps à défricher qu'à construire. Mais c'était un travail préalable absolument nécessaire, si l'on tient compte du fait que le sol est très encombré, non seulement par les ordures de l'appareil officiel, mais aussi par la confusion et le chaos des regroupements d’opposition aléatoires et accidentels. Une organisation oppositionnelle fonctionnelle n'a été pratiquement présente, dans aucun pays, au cours des deux dernières années. La meilleure organisation était probablement le groupe américain, précisément parce qu'il s'est réellement constitué récemment, recevant une forte et nouvelle impulsion du VIe Congrès.
Au vu des conditions évoquées plus haut, je crois que depuis près de deux ans, nous avons fait des progrès très substantiels dans tous les pays. Dans une vingtaine de pays, nous avons des sections et des publications dont la solidarité n'est pas basée sur des souvenirs anciens et des liens personnels, mais sur l'analyse marxiste des événements mondiaux les plus importants de la dernière période (l'ère des épigones) et sur l'orientation collective dans les événements d'aujourd'hui. Un certain nombre de livres ont été produits dans toutes les langues principales, ce qui vous permet de naviguer dans l'histoire et le développement des idées de l'opposition. Extérieurement, notre rupture avec Overstraten peut sembler une défaite. Mais si l'on tient compte du fait que quelques dizaines d'ouvriers de Charleroi ont mené une lutte de principe avec Overstraten au cours des deux dernières années, et indépendamment du fait que non seulement le camarade Rosmer, mais aussi moi-même, a défendu Overstraten contre eux, alors je dirais que nous avons remporté la plus grande victoire en Belgique. Nous avons découvert qu'il existe de vrais cadres prolétariens capables de se défendre, même contre des autorités supérieures. Il n'en demeure pas moins que des centaines d'Oppositionnistes belges ont été entraînés dans des directions différentes, en raison du caractère informe de l'Opposition belge et d'une direction totalement incapable. C'est la revanche du passé. D'autre part, les ouvriers de Charleroi sont des cadres d'avenir et nous pouvons construire avec eux.
J'en parle tellement en détail pour que les nouvelles crises soient vues dans la bonne perspective. Dans votre lettre, il y a la phrase suivante : « La scission en France aurait été catastrophique pour nous ». Bien sûr, chaque scission a un caractère douloureux. Et bien sûr, le départ du camarade Rosmer pourrait être un revers pour l'œuvre de La Vérité, et moi, pour ma part, je suis prêt et disposé à tout pour éviter cela. C'est dans cet esprit que j'ai écrit aux camarades français et à Rosmer lui-même (voir ci-dessus). Cependant, je dois quand même souligner qu'aucune scission n'est catastrophique pour nous. Je ne veux pas argumenter contre votre lettre, car il est peu probable que vous ayez utilisé le mot catastrophique dans son sens littéral, mais seulement dans le sens des tristes conséquences de la scission, sur lesquelles nous n'avons aucun désaccord.
La base a été posée. Mais la formation des cadres de l'opposition reste un énorme défi. Il y a les deux côtés pour cette tâche. Premièrement, nous devons apprendre à "expliquer patiemment", c'est-à-dire rejeter l'arrogance absurde de l'opposition par rapport à l'avant-garde prolétarienne, c'est-à-dire surtout par rapport aux partis communistes officiels, qui dans la plupart des pays représentent une force sérieuse qui ne peut être négligée nulle part. Pour expliquer patiemment, sans tomber dans la prostration, il faut une politique ciblée. Mais pour que de petits groupes nationaux sans base théorique suffisante, sans traditions, sans expérience, ne se perdent pas dans le processus d'explication patiente, il faut un lien étroit entre eux, une réévaluation mutuelle constante, un contrôle idéologique organisé, une double et une triple intransigeance idéologique.
Je voudrais revenir brièvement sur les affaires espagnoles. Dans mon article, j'ai exprimé très prudemment l'idée qu'après les quelques années de dictature, les mouvements d'opposition de la bourgeoisie, le bruit de surface des républicains et les manifestations des étudiants, on doive inévitablement s’attendre à l'action des travailleurs, et cette action peut attraper un parti révolutionnaire par surprise. Si je ne me trompe pas, le camarade Lacroix et d'autres ont estimé que j'exagérais l'importance symptomatique du mouvement étudiant et avec lui les perspectives de la mobilisation révolutionnaire des ouvriers. Depuis lors, le mouvement de grève en Espagne a pris une ampleur gigantesque. On ne sait pas qui dirige ces grèves. Quelle place y occupe le Parti communiste officiel ? Que fait l'opposition ? Comme tous les groupes sont très faibles, il semble probable qu'un front unique communiste serait nécessaire, principalement dicté par la nécessité d'une politique commune à l'égard de la grève générale. Ne pensez-vous pas que l'Espagne pourrait traverser le cycle que nous avons vu en Italie après 1918-19 : effervescence, grèves, grèves générales, saisies d'usines, manque de leadership, déclin du mouvement, montée du fascisme et dictature contre-révolutionnaire ? Primo de Rivera n'était pas une dictature fasciste de type italien, car il ne s'appuyait pas sur les masses réactionnaires. Ne pensez-vous pas qu'à la suite de ce soulèvement incontestablement révolutionnaire en Espagne, avec l'échec complet de l'avant-garde prolétarienne, comme des partis, il puisse y avoir, et d'ailleurs à court terme, les conditions d'un véritable fascisme espagnol ? La chose la plus dangereuse dans ces circonstances est le temps perdu.
Comment traite-t-on, en particulier, la question agraire en Espagne ? Est-ce que cela a été soulevé par l'un des partis ? Cela a-t-il été développé théoriquement ? Y a-t-il du travail en cours parmi la paysannerie, en particulier parmi les ouvriers agricoles ?
En ce qui concerne le livre que vous avez écrit sur les « dictatures », je suis informé par les camarades français, qui sont très élogieux sur le livre, ainsi que par la critique du camarade Gorkin, avec qui vous semblez être en désaccord, mais qui néanmoins a une très haute opinion de lui. Gorkin a dit à Naville que selon son opinion – celle de Gorkin - ainsi selon les autres camarades, vous devriez prendre une position de leader dans l'opposition espagnole. (Si je ne me trompe pas, il s'est déjà plaint au camarade Naville que vous ne vouliez pas le rencontrer à Paris, malgré sa volonté de mettre de côté sa réticence à travailler sous votre direction). Je dis peut-être quelque chose d'incorrect, mais c'est l'impression que j'ai après ma conversation avec Naville. Je serais très heureux de lire votre livre sur les dictatures ; en catalan, je le comprendrais à peine.
Je joins ici une copie de la lettre du camarade Gorkin sur l'édition espagnole de « La Révolution permanente ». La proposition qui est faite est très favorable politiquement et financièrement. Je pense que l'Espagne est aujourd'hui le seul pays où un éditeur bourgeois serait prêt à payer pour ce genre de livre : de tels livres sont demandés grâce à l'effervescence révolutionnaire. Je n'ai pas encore répondu au camarade Gorkin, car je lui avais déjà écrit que [les droits sur] le livre vous avaient été transférés. Dans votre lettre, vous évoquez « la Révolution permanente », mais dans un contexte différent, suite à mes articles dans la presse bourgeoise, etc. Il me semble que la parution immédiate de « la Révolution Permanente » aurait une signification bien plus grande que les articles archaïques de la presse bourgeoise, qui ont aussi moins d'importance du fait de la parution de mon Autobiographie. Je vous conseillerais de changer la séquence [de publication] et de commencer par « la Révolution permanente », afin qu'elle sorte avant « l'Histoire de la Révolution Russe », qui représente un volume plus important. Si vous pensez qu'il est plus approprié de passer immédiatement à « l'Histoire de la Révolution », alors qu'en est-il de « la Révolution Permanente » ?
Malheureusement, aussi étrange que cela puisse paraître, mon traducteur allemand, qui est en même temps mon « agent littéraire », comme disent les Américains, n'a toujours pas répondu à ma question sur la traduction espagnole. Je ne peux pas l'expliquer et je lui ai encore envoyé une demande urgente. Mais cela ne change rien à la situation. Même si nous supposons (ce qui est peu probable) qu'il a signé un accord avec une maison d'édition espagnole sans mon consentement préalable, j'ai toujours besoin que la traduction soit faite non pas à partir du texte allemand, mais à partir du texte russe, et j'exigerai qu'ils vous embauchent en tant que seul traducteur compétent. Mais je crois que l'accord n'a pas été conclu. En tout cas, il faut que vous me répondiez rapidement.
Si vous vous attaquez à « la Révolution permanente », je vous enverrai une copie russe et la préface qui n’est pas incluse dans l'édition russe du livre, mais imprimée dans le Bulletin sous le titre "Deux conceptions". Si vous reprenez « l'Histoire de la Révolution », je vous enverrai le manuscrit russe.
Vous dites que Landau a annoncé [la publication de] votre correspondance sans votre consentement. Mais dans ce cas, comment a-t-il eu votre correspondance ? Ou a-t-il simplement écrit en utilisant vos mots ? Ou lui avez-vous envoyé une copie des lettres que vous m'avez envoyées ? Si tel est le cas, je crains fort que Landau, qui est pressé et négligent, n'imprime certaines choses que nous publierons dans le Bulletin russe, ce qui créera une situation extrêmement désagréable. Ce serait bien si vous pouviez lui écrire en indiquant qu'il peut imprimer votre correspondance mais seulement sous la forme dans laquelle elle apparaît dans le Bulletin. Nous pouvons lui envoyer, par exemple, la version russe du texte avant la sortie du Bulletin.
[Écrites à la main, certaines parties sont illisibles :]
Je suis très préoccupé par votre situation financière. Malheureusement, je suis maintenant sans argent. L'''Autobiographie'', à part en Allemagne, a atteint des résultats [illisibles]. L'éditeur français m'a trompé tout autour (enfin, d'Espagne, je .... pour l'un des ... ... je n'ai pas encore reçu). Pour couronner les Américains aussi m'ont volé.
(J'ai fait don de 10 000 $ au fonds à Paris.)
Mais ce que je peux vous proposer c’est malheureusement très peu :
• Mararita P. m'a écrit à propos de votre don du fonds : ne cède pas pour le moment, je ne couvrirai pas cela.
• Frais (d'auteur) pour la « Permanente » je vous accorde [illisible] : si vous [illisible] pour le transfert, avec le [illisible] votre [...] bien sûr [...] payez.
Tout cela est bien peu, mais dès [...] la question de l'"Histoire", j'essaierai de faire plus.
Je vous serre fermement la main, salutations chaleureuses à votre famille de la part de nous tous.
LT