1931 |
Brochure rééditée dans les "Ecrits" de Trotsky, tome III, Supplément à la revue "4ème Internationale", 1959 |
Contre le national-communisme
(les leçons du plébiscite "rouge")
" Révolution populaire " au lieu de révolution prolétarienne
Le zigzag, à première vue " inattendu ", du 21 juillet n'est nullement tombé comme un coup de foudre dans un ciel clair, mais il fut préparé par tout le cours de la dernière période. Que le Parti communiste allemand soit conduit par la volonté sincère et ardente de vaincre le fascisme, de lui arracher les masses, de renverser le fascisme et de l'écraser – il ne peut y avoir, bien entendu, aucun doute à cela. Mais le malheur est que la bureaucratie stalinienne tend de plus en plus à agir contre le fascisme en utilisant les armes de ce dernier : elle lui emprunte des couleurs sur sa palette politique et s'efforce de le dépasser à la criée aux enchères du patriotisme. Ce ne sont pas des méthodes et des principes d'une politique de classe, mais des procédés de concurrence petite bourgeoise.
Il est difficile de se figurer une capitulation de principe plus honteuse que celle de la bureaucratie stalinienne qui a remplacé le mot d'ordre de la révolution prolétarienne par le mot d'ordre de la révolution populaire. Aucune ruse, aucun jeu de citations, aucune falsification historique ne changeront le fait que le marxisme a été trahi dans ses principes pour atteindre une meilleure contrefaçon du charlatanisme fasciste. Je suis obligé de répéter ce que j'ai écrit à ce sujet, il y a quelques mois :
" Bien entendu, chaque grande révolution est une révolution populaire ou révolution nationale, en ce sens qu'elle rassemble autour de la classe révolutionnaire toutes les forces vives et créatrices de la nation et qu'elle reconstruit la nation autour d'un nouveau pivot. Mais cela n'est pas un mot d'ordre, c'est une description sociologique de la révolution qui demande des explications précises et concrètes. En tant que mot d'ordre, c'est une fanfaronnade et du charlatanisme, une concurrence de bazar aux fascistes, faite au prix d'une confusion qu'on sème dans la tête des ouvriers."
" Evolution étonnante des mots d'ordre de l'Internationale Communiste, surtout dans cette question. Après le troisième Congrès de l'Internationale Communiste, le mot d'ordre " classe contre classe " était devenu l'expression populaire de la politique du " front unique prolétarien ". Cela était très juste : tous les ouvriers doivent se rassembler contre la bourgeoisie. Ensuite, on l'a transformé en alliance avec les bureaucrates réformistes contre les ouvriers (expérience de la grève générale anglaise). Après on est passé à l'autre extrême aucun accord avec les réformistes, " classe contre classe ". Le même mot d'ordre qui devait servir au rapprochement des ouvriers sociaux-démocrates et des ouvriers communistes a commencé à signifier pendant la troisième période, la lutte contre les ouvriers sociaux-démocrates, en tant que classe adverse. Aujourd'hui, un nouveau tournant : la révolution populaire à la place de la révolution prolétarienne. Le fasciste Strasser dit : 95 % du peuple sont intéressés à la révolution, par conséquent, c'est une révolution populaire et non de classe. Thaelmann l'accompagne dans cette chanson. Mais en réalité l'ouvrier communiste devrait dire à l'ouvrier fasciste : évidemment 95 %, sinon 98 % du peuple sont exploités par le capital financier. Mais cette exploitation est organisée de façon hiérarchique : il y a des exploiteurs. Il y a des sous-exploiteurs, etc. C'est seulement grâce à cette hiérarchie que les super-exploiteurs dominent la majorité de la nation. Pour que la nation puisse effectivement se reconstruire autour d'un nouveau pivot de classe, elle doit se reconstruire idéologiquement, et ceci n'est réalisable que dans le cas où le prolétariat, sans se dissoudre dans le " peuple ", dans la " nation ", mais au contraire en développant " son " programme de la révolution "prolétarienne ", obligera la petite bourgeoisie à choisir entre deux régimes. "
" Le mot d'ordre de la révolution populaire endort les petits bourgeois ainsi que les larges masses ouvrières, il les concilie avec la structure hiérarchique bourgeoise du "peuple", il ralentit leur libération. Dans les conditions actuelles de l'Allemagne, le mot d'ordre de la révolution "populaire" efface les frontières idéologiques entre le marxisme et le fascisme, il concilie une partie des ouvriers et de la petite bourgeoisie avec l'idéologie du fascisme en leur permettant de croire qu'il n'y a pas nécessité de faire le choix puisque, ici et là, il s'agit de la révolution populaire " [1].
Note
[1] Cf. L. Trotsky : "La révolution espagnole au jour le jour " Ecrits Tome III