Lettre à la direction nationale de l’Opposition de Gauche du KPD Berlin
20 décembre 1931
Kadiköy,
20 décembre 1931
A la direction nationale de l’Opposition de Gauche du KPD Berlin
Chers camarades,
Un ami allemand m’a écrit pour me demander mon opinion sur la question suivante : est-il possible, pour trouver accès dans le parti, d’entreprendre certaines démarches dépassant le cadre de la déclaration faite par le camarade Sénine ? Etant donné que cette question est si importante, si cruciale pour le destin de l’Opposition allemande, je considère comme mon devoir de vous faire connaître pour ainsi dire « officiellement », par cette lettre, mon opinion, ou plutôt mon intime conviction. Je trouve que la déclaration qui a été faite atteint déjà l’ultime limite de ce qui est acceptable, sans toutefois franchir cette limite. (Si j’avais participé à la réunion, j’aurais pour ma part exigé que soit inclus dans la déclaration le maintien de nos positions propres, comme par exemple, nous l’avons toujours fait en Russie). Mais le moindre pas plus avant dans cette direction équivaudrait à un suicide politique, particulièrement s’agissant d’un camarade chargé non pas d’une tâche purement technique, mais d’un travail politique au grand jour.
Ce que l’on appelle une « ruse de guerre » n’est admissible que lorsqu’elle trompe l’ennemi, et non les amis. Mais si nos camarades publiaient des déclarations politiques contradictoires avec nos positions de principe, comment les travailleurs à l’intérieur du parti, à l’extérieur du parti, au sein de notre propre fraction, sauraient-ils où cessent les véritables opinions et où commencent celles que nous simulons ? Nous considérons une telle politique comme innaceptable même en Russie, où il ne s’agit pas de la bureaucratie du parti, mais de l’appareil d’état, de la GPU, face à laquelle la ruse de guerre de la part des emprisonnés et des bannis aurait bien mieux lieu d’être. Une telle ruse de guerre serait d’autant moins admissible en Allemagne où l’appareil d’état et l’appareil du parti ne sont pas une seule et même chose, et où nous ne pouvons élargir et approfondir notre influence parmi les travailleurs qu’en leur démontrant que primo nous savons ce que nous voulons, et que secundo, nous restons fermes sur nos opinions.
Je comprends fort bien que les motivations de certains camarades tentés par cette voie n’ont absolument rien à voir avec la capitulation, et sont dictées par le souci sincère des intérêts de l’Opposition de gauche. Sans vouloir rabaisser en quoi que ce soit la valeur personnelle de ces camarades, il faut rejeter énergiquement ce raisonnement.