1932 |
Edition établie d'après les documents laissés par le regretté Pierre Broué, résultats de travaux à la Houghton Library, pour les "Oeuvres" de Léon Trotsky en français. |
Cher Camarade Neurath,
Mon pessimisme a propos du visa s'est avéré justifié. Les conditions posées par les autorités tchécoslovaques concernant le visa sont totalement irréalisables, et c'est de toute évidence en accord avec les autorités turques que les conditions sont formulées de telle sorte qu'il me soit impossible de les remplir. Pour l'heure, ces indications ne sont destinées qu'à votre information personnelle. J'ai déjà écrit à trois ministres tchécoslovaques pour leur soumettre franchement la situation et j'attends maintenant qu'une décision soir prise, mais sans le moindre optimisme.
Ce que vous m'avez communiqué, y compris la lettre du camarade Michalec, est évidemment d'un grand intérêt pour moi. J'ai reçu hier d'un camarade polonais l'information selon laquelle il régnerait une grande effervescence dans le parti communiste et il se serait constitué, au sein des "très hauts" responsables"du parti un groupement oppositionnel de gauche publiant des brochures de l'Opposition de gauche, les diffusant, etc. Si l'on considère le niveau théorique relativement élevé et la tradition révolutionnaire du parti polonais, son interdépendance ancienne avec le bolchevisme, force est de considérer cette nouvelle comme la plus importante de cette dernière période dans la vie de l'Opposition de gauche. L'Opposition grecque progresse très bien, son organe politique commence à paraître trois fois par semaine. L'hebdomadaire des Bulgares,que je suis en mesure de suivre, fait des progrès satisfaisants. Mais tout cela n'est que détails et questions locales en comparaison des grandioses événements d'Allemagne. C'est là que tout se joue. Dans les jours qui viennent, je prendrai position sur la situation nouvelle et je vous enverrai évidemment ce document.
En U.R.S.S., la crise du ravitaillement, c'est-à-dire la crise agricole, prend des formes de plus en plus aiguë préparant ainsi la crise de l'industrialisation. Toutes les mises un garde se sont réalisées de façon décuplée. Je prépare un grand article sur cette question qui est la seconde en importance, après la question allemande. Je pose la question : quelle importance peut-on accorder à l'affirmation abstraite du "socialisme dans un seul pays" de la part des staliniens et des brandlériens, alors que ces gens-là n'analysent pas les processus économiques concrets dans le pays, ne prévoient rien, sont surpris par chaque crise et adoptent servilement tous les faux-fuyants de la bureaucratie après coup.
C'est aujourd'hui le 24 juillet 1932. Je crois qu'au 24 juillet 1933 les principales questions en litige dans l'I.C. et en U.R.S.S. seront réglées en principe par l'Histoire et que la position et le rôle de l'Opposition de gauche seront tout à fait différents d'aujourd'hui (ce qui ne signifie nullement que je me plaigne de la situation actuelle au sein de l'Opposition de gauche).