1932 |
Edition établie d'après les documents laissés par le regretté Pierre Broué, résultats de travaux à la Houghton Library, pour les "Oeuvres" de Léon Trotsky en français. |
Cher camarade Stein,
J'ai bien reçu votre lettre du 19 octobre. Zinoviev et Kamenev, eux aussi, voulaient combattre le centrisme bureaucratique sans se faire exclure. Cela revient à ne mener le combat contre Staline que dans le cadre admis par ce dernier. Le résultat est que Zinoviev et Kamenev sont exclus du Parti non en tant que combattants marxistes mais des capitulards compromis. Si parmi les oppositionnels certains veulent, dans une situation si grave aller au combat sans la volonté de le mener jusqu'au bout, ils ne connaîtront que des défaites et s'écrouleront. On peut et on doit être très prudent et prêter attention à l'opinion publique du Parti. Mais il ne faut jamais jouer à colin-maillard ni tenter de remplacer une tactique basée sur les principes par une petite diplomatie mesquine. Je me suis expliqué déjà en détails sur cette question dans une lettre à un camarade tchécoslovaque. Si l'on retrouve cette lettre, on vous l'enverra.
De même que l'opposition dans sa totalité doit prêter attention à l'état d'esprit régnant dans le Parti, de même les bolchéviks-léninistes doivent être à l'écoute de l'état d'esprit au sens de l'Opposition.
Mais être à l'écoute dans les deux cas, ne signifie nullement qu'il faille se plier à cet état d'esprit ou capituler devant lui. Les véritables oppositionnels de gauche, quelle que soit leur faiblesse numérique, doivent se souder et porter la discussion énergiquement à la base, dans les cellules ouvrières, sans rien dissimuler et en appelant un chat un chat. Seule une telle offensive idéologique peut permettre aux bolchéviks-léninistes d'entraîner les meilleurs parmi ceux de l'Opposition qui oscillent. Une partie d'entre eux sera temporairement rejetée, mais c'est inévitable. Nous les retrouverons plus tard.
A la lecture du prochain numéro du Bulletin russe (il arrivera probablement à Varsovie en même temps que cette lettre), les camarades polonais s'apercevront à quel point toutes les questions sont devenues aiguës en U.R.S.S. Le contrecoup de la crise sur le parti communiste polonais sera particulièrement violent. L'Opposition doit s'y préparer. Une attitude claire et courageuse portera ses fruits.
A propos des objections que vous soulevez sur la question de la guerre entre l'Union soviétique et l'Allemagne hitlérienne, je ne peux que répondre brièvement ce qui suit :
1) Cette guerre serait pour l'U.R.S.S. une guerre défensive au sens premier du terme. Mais une guerre défensive ne signifie pas qu'il faille attendre passivement.
2) Il faut tenir compte de l'état d'esprit des masses en Allemagne comme en Pologne. Mais Hitler une fois au pouvoir, Hitler bourreau du prolétariat allemand, Hitler
agent de l'impérialisme mondial ferait bientôt orienter cet état d'esprit dans la bonne direction.
3) Aujourd'hui, il ne s'agit pas encore de la guerre ; il s'agit de dire clairement ce qui est et ce qui sera. Si le gouvernement soviétique prend ne position dénuée de toute ambiguïté, cela constitue un élément de poids intervenant dans la situation actuelle, en faveur du prolétariat allemand et contre le fascisme.
Il faut donc considérer la question non pas d'un point de vue pédant et schématique, mais bien dialectique, en partant de la situation actuelle et en examinant son développement. Y aura-t-il la guerre, dans quelles circonstances, quel sera alors l'état d'esprit des masses, autant de questions sur lesquelles nous aurons cent fois l'occasion de revenir.