1938

 

Trotsky

Léon Trotsky

DISCUSSION POUR RÉSUMER SUR LES REVENDICATIONS DE TRANSITION

23 mars 1938

Trotsky. — Au cours des discussions précédentes, des camarades ont eu l'impression que quelques-unes de mes propositions ou revendications étaient opportunistes, et d'autres qu'elles étaient trop révolutionnaires et ne correspondaient pas à la situation objective. Cette combinaison est fort compromettante, et c'est pourquoi je voudrais défendre brièvement cette apparente contradiction.

Quelle est la situation générale, aux Etats-Unis et dans le monde entier ? La crise économique est sans précédent, la crise financière, dans chacun des états, de même, et la guerre approche. C'est une crise sociale sans précédent. Pendant sept, huit ou neuf ans, nous avons cru que le capitalisme américain ferait preuve de plus de résistance, mais les faits ont montré que le capitalisme américain, c'est-à-dire le capitalisme apoplectique, est peut-être plus près que d'autres de l'effondrement. La crise américaine est une crise sociale, pas une crise de conjoncture. Cette crise sociale — qu'on appelle maintenant récession — présente des traits d'une extrême acuité. Ce n'est pas la fin de la récession.

 Les difficultés financieres des Etats-Unis. Naturellement la nation est très riche, et l'Etat peut lui emprunter, mais cela veut dire que, sur la base de la crise financière, il y a une crise de l'Etat. Nous pouvons dire qu'il y a crise politique de la classe dominante. La prospérité s'est évanouie ; personne ne croit à son retour. Et ce fait se reflète dans la crise politique des démocrates et des républicains. Les classes dominantes sont désorganisées et à la recherche d'un nouveau programme. Le programme de Roosevelt est expérimental, pour ne pas dire aventuriste, du point de vue capitaliste. Cela signifie une prémisse tout à fait fondamentale pour une situation révolutionnaire. C'est vrai pour le monde, c'est vrai pour les Etats-Unis et peut-être spécialement pour eux.

Maintenant, la question du prolétariat. Il s'est produit un très grand changement dans la situation de la classe ouvrière. J'ai appris avec intérêt et plaisir, dans quelques articles du Socialist Appeal et de New International, qu'aujourd'hui le sentiment de l'ouvrier américain qu'il est un ouvrier, est en train de grandir, que ce n'est pas le vieil état d'esprit pionnier, qu'il est ouvrier pour un temps : maintenant il est un ouvrier permanent, et même un chômeur permanent. C'est la base de tous les autres développements dans la classe ouvrière. Et puis il y a eu les grèves sur le tas. Elles étaient, je crois, sans précédent, dans tout le mouvement ouvrier aux Etats-Unis. Comme résultat de ce mouvement, la fondation et la croissance du C.I.O. Et aussi la tendance à construire le Labor party, la L.N.P.L.

Je ne connais pas suffisamment l'histoire et l'actualité du mouvement ouvrier en Amérique. Mais, de façon générale, en 1924, je peux dire que le mouvement était plus imposant, mais qu'aujourd'hui les prémisses sociales sont incomparablement plus mûres. C'est pourquoi la signification du Labor Party est plus importante aujourd'hui. Je ne dirai pas pourtant que toutes les conditions sont développées au même degré et au même niveau. Si on prend la situation mondiale en général — les contradictions impérialistes, la position du capitalisme américain, la crise et le chômage, la position de l'Etat américain comme une expression de l'économie américaine, de la bourgeoisie américaine, l'état d'esprit politique de la classe dirigeante, la désorientation dans ses rangs et la position de la classe ouvrière — on peut dire, en prenant tout cela en considération, que les prémisses sont plus mûres pour la révolution.

Si on passe de ces prémisses à la superstructure, à la politique, on relève moins de maturité. Les contradictions internes du capitalisme américain — la crise et le chômage — sont incomparablement plus mûres pour une révolution que la conscience des ouvriers américains. Tels sont les deux pôles de la situation. On peut dire qu'elle est caractérisée par une sur-maturité de toutes les prémisses sociales fondamentales pour la révolution, un fait que personnellement je n'avais pas prévu il y a huit ou neuf ans.

D'un autre côté, grâce à la rapidité et l'aggravation de la décomposition des conditions matérielles aux Etats-Unis, la conscience des masses — bien qu'elle ait réalisé des progrès importants — demeure arriérée en comparaison des conditions objectives. Nous savons que les conditions subjectives — la conscience des masses, la croissance du parti révolutionnaire — ne sont pas un facteur fondamental. Elles dépendent de la situation objective, en dernière analyse, l'élément subjectif dépend lui-même des conditions objectives, mais cette dépendance n'est pas un processus simple.

On a observé en France l'année dernière un phénomène très important et très instructif pour les camarades des E.U. Le mouvement ouvrier avait reçu un élan puissant. Les syndicats étaient passés en quelques mois de moins d'un million à près de cinq millions. Les grèves sur le tas en France ont été incomparablement plus puissantes qu'aux E.U. Les travailleurs étaient prêts à tout, à aller jusqu'au bout. Et, d'un autre côté, on a vu la mécanique du Front populaire : pour la première fois, on pouvait démontrer l'importance historique de la trahison de l'I.C. Parce que, depuis quelques années, l'I.C. est devenue un appareil pour la conservation sociale du capitalisme, la disproportion entre les facteurs objectifs et subjectifs a pris une acuité terrible, et le Front populaire est devenu le frein le plus puissant pour canaliser ce grand courant révolutionnaire des masses. Et il y est, dans une certaine mesure, arrivé. On ne peut pas prévoir ce que sera demain, mais, en France, ils sont arrivés à capturer le mouvement des masses, et on voit maintenant le résultat : le mouvement à droite, Blum qui devient un dirigeant, celui qui forme les gouvernements d'union, l'union sacrée pour la guerre. Mais ce n'est qu'un phénomène secondaire. Le plus important, c'est qu'il existe, partout dans le monde, ce qui existe aux Etats-Unis, à savoir cette disproportion entre les facteurs objectifs et subjectifs, mais elle n'a jamais été aussi aiguë que maintenant.

On a aux Etats-Unis un mouvement des masses pour surmonter cette disproportion, celui qui va de Green à Lewis, de Walker à La Guardia [1]. Il s'agit de surmonter la contradiction fondamentale. Le P.C. joue aux Etats-Unis le même rôle qu'en France, mais à une échelle plus modeste. Le rooseveltisme remplace ici le Front popularisme de France. Dans ces conditions, notre parti doit réaliser, doit aider les ouvriers à surmonter cette contradiction.

Quelles sont nos tâches? Les tâches stratégiques consistent à aider les masses, à adapter leur mentalité politique et psychologique à la situation objective, à surmonter les préjugés traditionnels des ouvriers américains, à adapter leur état d'esprit à la situation objective de la crise sociale de l'ensemble du système.

Dans cette situation — prenant en considération la petite expérience, puis considérant la création du C.I.O., les grèves sur le tas, etc. — nous avons tout à fait le droit d'être plus optimistes, plus courageux, plus offensifs dans notre stratégie et notre tactique — pas aventuristes — et d'avancer des mots d'ordre qui ne font pas partie du vocabulaire de la classe ouvrière américaine.

Quel est le sens du programme de transition ? On peut dire que c'est un programme d'action, mais pour nous, pour notre conception stratégique, c'est un programme de transition—c'est une aide aux masses pour surmonter les idées reçues, les méthodes et les formes, et pour s'adapter aux exigences de la situation objective. Ce programme de transition doit inclure les revendications les plus simples. Nous ne pouvons ni prévoir ni prescrire les revendications locales et syndicales adaptées à la situation locale d'une usine donnée, le développement de cette revendication, au mot d'ordre pour la création d'un soviet d'ouvriers.

Ce sont là les deux points extrêmes, à partir du développement de notre programme de transition, pour trouver les liens et amener les masses à l'idée de la prise révolutionnaire du pouvoir. C'est pourquoi certaines revendications apparaissent comme très opportunistes — parce qu'elles sont adaptées à la mentalité réelle des travailleurs. C'est pourquoi d'autres apparaissent comme trop révolutionnaires — parce qu'elles reflètent plus la situation objective que la mentalité réelle des ouvriers. Nous devons combler aussi vite que possible l'écart entre les facteurs objectifs et les facteurs subjectifs. C'est pourquoi je ne peux surestimer l'importance du programme de transition.

Vous pouvez m'objecter qu'on ne peut pas prédire le rythme de développement, et que la bourgeoisie trouvera peut-être une position de repli politique — ce n'est pas exclu — et que nous serons alors obligés de battre en retraite. Mais dans la situation actuelle, c'est vers une stratégie offensive, non vers la retraite que nous devons nous orienter. Cette offensive stratégique doit être inspirée par l'idée de la création de soviets d'ouvriers à celle d'un gouvernement ouvrier et paysan. Je ne propose pas de lancer tout de suite le mot d'ordre des soviets — pour bien des raisons, surtout parce que ce mot d'ordre n'a pas pour les ouvriers américains le sens qu'il avait pour les ouvriers russes — pour aller, de là, à la dictature du prolétariat. Il est très possible et probable que, de même qu'on a vu aux Etats-Unis les grèves sur le tas, on y verra, sous une forme nouvelle, un équivalent des soviets. Probablement commencera-t-on par leur donner un autre nom. Dans certaines périodes, les soviets peuvent être remplacés par les comités d'usine, de l'échelle locale à l'échelle nationale. On ne peut le dire à l'avance, mais notre orientation stratégique pour la prochaine période, c'est l'orientation vers les soviets. L'ensemble du programme de transition doit combler les trous entre les conditions d'aujourd'hui et les soviets de demain.

Shachtman. — Pourriez-vous élaborer et développer les perspectives de guerre, sur le plan international et par rapport aux Etats-Unis aujourd'hui ?

Trotsky. — Dans cette perspective stratégique, la guerre signifie, comme Lénine l'a dit, un accélérateur formidable du mouvement. Si les Etats-Unis étaient impliqués dans une guerre, cela signifierait d'abord l'isolement pour nous, mais pas pour des années, comme pendant la dernière guerre, mais pour quelques mois. Puis une énorme vague de sympathie pour nous transformerait notre parti en centre révolutionnaire national dans un bref laps de temps. En ce sens, la guerre qui vient est l'un des facteurs fondamentaux d'une situation pré-révolutionnaire et changera plus en six mois la mentalité des ouvriers américains que nous n'aurions pu le faire en six ans et plus. Elle créera pour nous des conditions exceptionnellement favorables, pourvu que nous ayons une attitude stratégique, la prévoyant, préparant nos cadres, et ne nous absorbant pas dans de petites questions. Naturellement c'est un acquis considérable que nous soyions enracinés dans les syndicats, mais il est très important de ne pas perdre de vue notre ligne stratégique mondiale. Toute revendication économique locale, partielle, doit viser à se rapprocher d'une revendication générale de notre programme de transition, et surtout sur la question de la guerre : comme nous l'avons dit hier, le contrôle de l'industrie de guerre et l'armement des ouvriers et des paysans.

Shachtman. — Deux autres questions : nos relations avec les fermiers ? Deuxièmement, les rapports du parti avec les classes moyennes urbaines ?

Trotsky. — Je crois qu'il s'agit d'expliquer aux ouvriers la situation du fermier et comment on peut l'améliorer. Nous sommes trop faibles pour consacrer directement nos forces aux fermiers, mais il faut que nos ouvriers aient une claire compréhension de leur situation et que nous aussi, nous ayons un programme de transition lié à celui des ouvriers. Nous devons expliquer que nous n'imposerons pas la collectivisation, que nous espérons les convaincre; que, s'ils 'veulent conserver leur indépendance, nous les aiderons par le crédit ; et que nous commencerons par le mot d'ordre de l'intervention de l'Etat, non en faveur des trusts, mais en faveur des fermiers. Puis nous disons : quand nous serons au pouvoir, il ne sera pas question de violence contre vous ; vous choisirez vos propres méthodes. C'est transitoire seulement au sens que cela relie la situation actuelle des fermiers à la collectivisation de l'agriculture. Mais nous disons si vous ne voulez pas aller plus loin, nous attendrons.

Avec les classes moyennes urbaines, c'est pareil. Pour les commerçants, les petits de l'industrie : « Vous voulez rester indépendants. Maintenant vous dépendez des trusts. Vous dépendrez de l'Etat : il vous donnera des produits et vous les vendrez. Si vous voulez transformer votre magasin en magasin d'Etat, nous réglerons cette question avec vous. Nous vous donnerons une période de choix, mais ce sera pour vous une bonne période, car l'Etat ne sera pas asservi aux intérêts du grand capital. Alors vous serez au service du peuple. En Amérique, vous conserverez vos privilèges sociaux au moins pour un temps. »

Naturellement, nous ne pouvons pas dire aux techniciens qu'ils deviendront des technocrates — non, nous ne pouvons pas permettre une nouvelle aristocratie, mais ils constitueront, une partie importante de la société.

Rivera. — Il y a aussi une stratification parmi les ingénieurs qui gagnent moins que les plâtriers. Cela signifie dès maintenant qu'ils sont de véritables travailleurs et c'est tant mieux pour nous.

Trotsky. — La stratification à l'intérieur des professions est une question très importante.

Cannon. — Quel sera l'effet de la guerre ?

Shachtman. — Supposons que ce soit une guerre européenne dans laquelle les Etats-Unis n'entrent pas encore ?

Trotsky. — Dans ce cas, pour les Etats-Unis, l'effondrement économique sera reporté. Ce qui est clair, c'est que les pays engagés dans la guerre connaîtront l'effondrement non au bout de quatre ou six ans, mais au bout de six à douze mois, parce que les pays capitalistes ne sont pas plus riches, mais plus pauvres qu'en 1914, sur le plan matériel ; techniquement, ils sont plus riches, ils dépenseront quatre, cinq, six fois plus que pendant la première guerre mondiale pour la destruction, parce que la guerre commencera là où se terminait la première. Le facteur psychologique, celui qui fait que la vieille génération qui a fait la dernière guerre, vit encore, et que les traditions de la dernière guerre sont encore vivantes : personne ne va croire que cela signifie le bonheur, l'épanouissement des droits, la destruction du militarisme, et que cette production sera pour l'humanité. Ces leçons existent même dans la jeune génération. C'est pourquoi leur patience ne sera pas longue. Et la révolution ne viendra pas après quatre ans, mais bien plus tôt, après quelques mois. Si nous entrons dans cette guerre bien trempés et durs comme l'acier, si nous sommes capables de surmonter courageusement les obstacles de la première période, nous deviendrons la force décisive, aux Etats-Unis comme ailleurs.

Cannon. — Peut-on considérer l'expropriation comme la nationalisation, le terme qu'emploient les réformistes ?

Trotsky. — Il faut souligner que si le pouvoir est aux mains de Roosevelt, il n'est pas dans les nôtres. Il nous faut chaque fois souligner l'élément de classe. Il nous faut opposer notre formule à celle des réformistes : nationalisation ? Oui, mais aux mains de qui ?

Cannon. — Combien de temps les Etats-Unis pourront-ils selon vous se tenir à l'écart de la guerre ?

Trotsky. — Je crois qu'ils n'interviendront pas au début, mais cela ne dépend pas seulement d'eux — mais de l'activité du Japon et de l'attitude de la Grande-Bretagne. C'est très difficile à dire, mais il faut s'attendre à des intervalles beaucoup plus brefs que dans la dernière guerre où ils ont mis presque deux ans et demi avant d'intervenir. Maintenant, en deux ans et demi, ce sera l'effondrement général.

S'ils veulent influer sur la guerre, il leur faut intervenir beaucoup plus vite et sur une échelle sans précédent en Europe et ailleurs, en concentrant des forces dix fois supérieures à celles de Wilson [2] qui n'avait pas dix millions et plus de chômeurs. On peut dire que tous ces chômeurs seront absorbés par l'industrie de guerre, mais cela signifie la création d'une terrible pompe pour absorber toutes les richesses de la nation.

Shachtman. — Pensez-vous que l'Union Soviétique sera avec un état contre un autre, ou bien que les impérialistes permettront à Hitler d'attaquer à l'Ouest et le Japon en Orient ?

Trotsky. — Je ne crois pas qu'ils auront un plan aussi raisonnable. Je crois que la guerre commencera avec l'Union Soviétique dans un des camps, et que, pendant la guerre, ils l'écraseront — par des alliés ou des ennemis, peu importe — à moins qu'une révolution n'éclate.

Shachtman. — Comment expliquer alors le tournant politique en Grande-Bretagne ?

Trotsky. — C'est une tentative — vitale autant pour l'Italie que pour la Grande-Bretagne — de voir si elles peuvent arriver à un accord, et ce qu'elles feront s'il dure plus de trois mois, si l'Italie reste dans l'expectative comme dans la dernière guerre, ou si elle rejoint le plus fort, ou ceux qui lui semblent les plus forts. J'ai traité cette question des alliances et alignements possibles en cas de guerre dans un article pour la presse bourgeoise, mais il n'a pas été publié. Peut-être notre presse le publiera-t-elle [3].

Shachtman. — Et maintenant, sur le travail du parti dans la lutte contre la guerre. Vous dites, et je crois que c'est juste, que si et quand la guerre éclatera aux Etats-Unis, la première réaction des ouvriers sera une terrible vague de chauvinisme, et que notre parti sera mis hors la loi. Comment le parti russe fonctionnait-il dans l'illégalité, dans quelle mesure essayait-il de fonctionner légalement, etc. ?

Trotsky. — A cette époque, le parti avait une fraction parlementaire, et elle a eu beaucoup d'importance. Elle n'a pas été impeccable au début de la guerre, mais, peu à peu, sous la pression de Lénine et du mécontentement croissant, ils sont devenus plus révolutionnaires. Alors ils ont été arrêtés. C'était au début de 1915, cela leur avait laissé seulement six à huit mois d'activité. Vous, vous n'avez pas de fraction parlementaire, mais je crois que votre préparation à l'illégalité, c'est votre travail dans les syndicats — c'est la plus importante école du travail illégal. A Minneapolis, nos camarades ont maintenant une position plus ou moins favorable et un bloc avec les « réformistes honnêtes », mais, que la guerre approche, et les « réformistes honnêtes » seront les plus chauvins et attaqueront nos camarades, même si ces derniers sont prudents ; ils rompront avec nous, feront bloc avec les staliniens et accuseront nos camarades d'être des espions pour l'Allemagne ou le Japon. Dans d'autres syndicats, la situation n'est pas aussi favorable qu'à Minneapolis et on fera pression sur nos camarades pour les éliminer. C'est pourquoi nous devons organiser nos cadres afin de prendre la place des bureaucrates, il faut que ces éléments soient plus ou moins illégaux, c'est-à-dire pas connus comme des membres de la IVe Internationale. De toute façon, quand la situation s'aggravera, que nos camarades seront exclus, il y aura un nouvel équipage pour les remplacer et je crois que ce travail est la meilleure des préparations pour le travail illégal.

Des camarades me demandent souvent s'il ne faudrait pas créer une école spéciale. Ce serait artificiel, mais notre travail le plus important est maintenant le P.C., y pénétrer jusqu'au bureau. Il nous faut dans les syndicats des camarades qui nous représentent, se déclarent ouvertement partisans de la IV° Internationale, mais ils seront les premières victimes de la bureaucra­tie à l'approche ou au début de la guerre, et la police officielle laissera aux bureaucrates syndicaux le travail de les exclure et de les priver de tous moyens. C'est pourquoi nous devons préparer des jeunes, ou des gens qui ne parlent pas bien, mais sont de bons organisateurs, et qui peuvent rester inconnus. De ce point de vue, votre situation est plus favorable que ne l'était la nôtre en Russie, parce qu'il est tout à fait improbable que le gouvernement interdise les syndicats. Ils essaieront de s'assurer la coopération des bureaucrates syndicaux, et il nous sera possible de nous y cacher, et nous aurons des sympathisants. Et quand montera la grande vague de la douleur des mères et que ce sentiment se reflétera dans les syndicats, nous leur dirons que nous leur avions dit ce qu'était la guerre.

Au début, nous ne pourrons pas être offensifs — c'est presque impossible physiquement. Ce sera suffisant si nos camarades ne capitulent pas devant la vague chauvine.

Shachtman. — Et sur le comité central ?

Trotsky. — C'est une question trop particulière pour pouvoir être tranchée par la situation générale : cela dépend de l'autorité du parti et des conditions de vie. Une partie du comité central peut passer immédiatement dans la clandestinité et l'autre partie rester avec beaucoup de prudence tout en cherchant à établir des liaisons illégales.

Shachtman. — J'ai posé cette question d'un point de vue différent. Les membres du comité central devront-ils faire une déclaration publique ?

Trotsky. — Oui, certains d'entre eux devront le faire, mais après avoir consulté un avocat, pour qu'elle soit formulée de façon à ne pas les conduire à la cour martiale. Pourtant la déclaration devra être assez claire pour que nous puissions dire plus tard : nous vous avons avertis. Et il faudra compléter par des déclarations plus claires au nom du parti, des tracts illégaux, etc. Certains seront arrêtés et deviendront le symbole de l'activité ouverte du parti.

Shachtman. — Et pour le journal ?

Trotsky. — Ayez un journal, même sans titre ; il devient un point de ralliement pour les ouvriers, même si la ligne n'est pas complètement développée, même s'il ne fait que s'opposer à la guerre.

Cannon. — Est-il judicieux que le Socialist Appeal adopte cette ligne, ou vaut-il mieux le laisser supprimer et avoir un autre journal ?

Trotsky. — Il vaut mieux laisser supprimer l'Appeal. Même s'il n'était pas interdit, je pense qu'il faudrait créer un autre journal.

Shachtman. — Comment les bolcheviks distribuaient-ils leur propagande pendant la guerre ?

Trotsky. — Illégalement.

Shachtman. — Naturellement.

Trotsky. — Des publications illégales, c'est pourquoi c'est important, une presse. Vous aurez de la chance d'avoir une ronéo.

Karsner. — Est-ce que les organisations culturelles ne pas être très utiles dans ces époques ?

Trotsky. — Oui, et d'abord les syndicats.

Notes

[1] Le passage du syndicalisme de métier réactionnaire de l'A.F.L. de William Green au syndicalisme d'industrie du C.I.O. de John L. Lewis, avait constitué un pas en avant, de même que le passage de la mairie de New York des mains de James John Walker (1886-1957), un démocrate affairiste inféodé à Tammany Hall, à celles de La Guardia.

[2] Thomas Woodrow Wilson (1856-1924), président démocrate élu en 1913, réélu en 1917, avait engagé les Etats-Unis dans la guerre sur un programme de « paix ».

[3] Il s'agit de l'article « Before a New World War », qui ne fut publié qu'en partie dans Liberty du 13 novembre 1937.