1938 |
Publié originellement en français sous forme de brochure, cet article analyse les tâches des révolutionnaires au lendemain de la signature des accords de Munich durant lesquels Hitler avait fait valoir ses exigences sur les territoires sudètes. |
Après Munich, une leçon toute fraîche
sur le caractère de la guerre prochaine
Vingt ans après la dernière guerre impérialiste mondiale qui a complètement détruit toutes les illusions "démocratiques", les dirigeants du Comintern essayent de prouver que le monde capitaliste a radicalement changé de nature, que l'impérialisme n'est plus le facteur décisif de notre planète, que les antagonismes mondiaux ne sont pas déterminés par les intérêts prédateurs du capital monopoliste mais par des principes politiques abstraits et que le prochain massacre des peuples sera une guerre défensive de la part des démocraties innocentes et pacifiques contre les "agresseurs fascistes". La mémoire humaine doit vraiment être bien courte pour que, à la veille d'une nouvelle guerre impérialiste, les aventuristes de la Troisième Internationale osent ainsi remettre en circulation ces mêmes idées énoncées par les traîtres de la Seconde Internationale pour tromper les masses pendant la dernière guerre.
Il s'agit cependant de quelque chose de plus qu'une simple répétition. Dans la mesure où le capitalisme a atteint au cours du dernier quart de siècle un stade avancé de pourrissement dans le domaine économique comme dans le domaine politique, les falsifications de la Troisième Internationale ont un caractère beaucoup plus évidemment cynique que ne l'étaient les doctrines sociales-patriotiques au cours de la dernière guerre. Les dirigeants de la Seconde Internationale qui avaient perdu confiance dans les vertus des formules "démocratiques" et étaient au bord du désespoir furent surpris et reprirent espoir devant l'aide inattendue que leur apportait le Komintern. Derrière eux, toute une fraction de la bourgeoisie impérialiste se tourne vers les patriotes communistes. Telle est l'origine de la politique infamante et dégénérée des "Fronts populaires".
Toute crise profonde, qu'elle soit politique ou militaire, a toujours un aspect positif en ce qu'elle constitue un test pour toutes les valeurs et les formules traditionnelles, dévoilant la pourriture de ceux qui ont servi à masquer les contradictions en temps de "paix" - la crise est ainsi un puissant facteur de progrès. La crise diplomatique sur l'affaire tchécoslovaque a fort bien accompli cette tâche progressive. Il ne reste plus aux marxistes qu'à tirer toutes les conclusions politiques qui s'imposent de cette récente expérience.
Commençons par un rapide retour en arrière. La guerre de 1914-1918 fut, tout le monde le sait, une "guerre pour la démocratie". L'alliance conclue entre la France, la Grande Bretagne, l'Italie et les États-Unis a permis aux sociaux patriotes de l'Entente de fermer timidement les yeux sur le cinquième allié, le Tsar. Après que la révolution de Février 1917 eut renversé Nicolas II, le front démocratique se trouvait définitivement aligné. Seuls les incorrigibles bolcheviks pouvaient encore crier à l'impérialisme. Était-ce la peine de chicaner sur le fait que Milioukov et le presque socialiste Kerensky voulaient s'emparer de la Galicie, de l'Arménie et de Constantinople ? Finalement, Milioukov et Kerensky expliquèrent que les bolcheviks n'étaient que des agents de Ludendorff (le Hitler de l'époque).
La guerre se termina par la victoire totale des démocraties, bien que la Russie Soviétique, dirigée par les bolcheviks, ait quitté leur camp sacré. Le résultat de cette victoire fut la Paix de Versailles qui avait bien sûr coûté des millions de vies, mais qui devait établir une fois pour toutes sur cette terre le règne de la démocratie, le libre développement des nations et la coopération pacifique des peuples sur la base du désarmement général. La Société des Nations couronna cette guerre qui aurait dû être "la dernière des guerres" : c'est ce que promettaient Wilson et la Seconde Internationale.
Le Paradis sur terre ne s'est cependant pas matérialisé mais à sa place quelque chose qui ressemblerait plus à l'Enfer. La Paix de Versailles étrangla l'Europe. Le protectionnisme étrangla l'économie. La guerre "pour la démocratie" ouvrit l'ère de la dégénérescence finale de la démocratie. Le monde s'appauvrit et se referma sur lui-même. L'un après l'autre, les États prirent le chemin du fascisme ou de la dictature militaire. Les relations internationales devinrent de plus en plus menaçantes. Le désarmement fut remplacé par des programmes militaristes qui eussent été des cauchemars à la veille de la guerre précédente. Les premières escarmouches des futurs conflits sanglants sont apparues en divers endroits du monde. C'est précisément le moment que choisit le Komintern pour abandonner ses derniers restes d'internationalisme et proclamer que la tâche de cette ère nouvelle est l'alliance entre le prolétariat et les démocraties impérialistes en décomposition, "contre le fascisme". Le premier foyer d'infection est le tas de détritus, rebut de ce qui fut jadis l'internationale Communiste.
Certains théoriciens de la Seconde Internationale, comme Kautsky, qui ont essayé d'envisager les perspectives d'avenir, exprimèrent l'espoir qu'après avoir mesuré leurs forces dans le grand massacre des peuples, les impérialistes seraient obligés d'en venir à s'entendre pour établir leur domination pacifique sur le monde en formant une sorte de corporation (théorie du "super-impérialisme"). Cette théorie philistino-pacifiste, version social-démocrate de la Société des Nations, tentait de fermer les yeux sur deux processus : premièrement les constantes variations dans les rapports de forces entre les différents États impérialistes et l'impossibilité totale de mesurer ces variations autrement que par la force des armes ; deuxièmement la lutte de libération du prolétariat dans les métropoles et des peuples colonisés, une lutte qui est le facteur de déséquilibre le plus important et qui, par sa nature même, exclut la possibilité d'un pillage impérialiste pacifique.
La disproportion flagrante et toujours croissante entre le poids spécifique de la France et de l'Angleterre pour ne rien dire de la Hollande, de la Belgique et du Portugal, dans l'économie mondiale et les dimensions colossales de leurs possessions coloniales est tout autant source de conflits et de nouvelles guerres que l'avidité insatiable des agresseurs "fascistes". Plus exactement, les deux phénomènes sont les deux faces d'une même pièce de monnaie. Les démocraties "pacifiques" française et anglaise reposent sur le répression du mouvement national-démocratique de millions d'hommes en Asie et en Afrique pour les formidables super-profits qu'ils permettent de dégager. Au contraire, Hitler et Mussolini promettent d'être plus "pacifiques" s'ils obtiennent les territoires coloniaux qu'ils réclament.
Grâce à leur quasi-monopole sur un continent entier, dont les ressources naturelles sont inépuisables et grâce à des conditions historiques favorables, les États-Unis ont étendu leur domination sur le monde de façon tout à fait "pacifique" et "démocratique" si l'on néglige des broutilles comme l'extermination des Indiens, le vol de la meilleure partie du Mexique, l'écrasement de l'Espagne, sa participation à la dernière guerre et ainsi de suite. Mais ce mode d'exploitation "idyllique" appartient maintenant au passé. Le rapide et effroyable dépérissement du capitalisme américain lui pose des problèmes de survie sous une forme de plus en plus militariste. Depuis le programme pacifiste en quatorze points de Wilson, depuis l'organisation quaker A.A.A. (organisation philanthropique internationale) de Hoover, depuis le New Deal réformiste de Roosevelt, la doctrine de l'isolationnisme, les lois sur la neutralité, etc., les États-Unis courent inévitablement à une explosion impérialiste comme le monde n'en a encore jamais vue.
Rejetée loin en arrière par la Paix de Versailles, l'Allemagne posa "l'unification nationale" comme base de son programme impérialiste. Le fascisme, enfant légitime de la démocratie de Weimar, naquit et grandit sur ce slogan. Quelle ironie du sort ! Pendant sa période historique de développement (des guerres napoléoniennes jusqu'à la Paix de Versailles de 1871), la bourgeoisie allemande retardataire se montra incapable de réaliser l'unification nationale par ses propres moyens. Bismarck ne remplit qu'à moitié cette tâche en conservant presque intactes les vieilleries féodalo-particularistes. La révolution de 1918 abolit, il est vrai, les dynasties allemandes (uniquement parce que la social-démocratie était impuissante à les sauver), mais trahie par la social-démocratie entre les mains des Junkers, des banquiers, de la bureaucratie et des officiers, la révolution fut incapable non seulement de réaliser la Grande République allemande, mais même de centraliser bureaucratiquement l'Allemagne des Hohenzollern. Ces deux tâches incombèrent à Hitler. Le chef du fascisme se présenta, à sa manière, comme le continuateur de Bismarck qui avait été lui-même l'exécuteur testamentaire de la bourgeoisie faillie de 1918. Mais ce n'est là finalement que l'aspect superficiel du processus. Son contenu social a radicalement changé. L'État national, de facteur progressif est devenu depuis longtemps dans les pays avancés un frein au développement des forces productrices. Dix millions d'Allemands de plus à l'intérieur des frontières ne change rien à la nature réactionnaire de l'État national. A leur manière, les impérialistes l'ont parfaitement compris. Pour Hitler, il ne s'agit pas "d'unifier les Allemands" en tant que tâche autonome, mais d'élargir son champ de manoeuvres européen qui doit servir de base à une future expansion mondiale. La crise créée par le problème des Sudètes allemandes, ou plutôt par le problème des montagnes des Sudètes, n'est qu'un épisode dans la lutte pour les territoires coloniaux.
Un nouveau partage du monde est à l'ordre du jour. La première tâche dans l'éducation révolutionnaire des travailleurs doit être de développer la capacité à percevoir derrière les formules officielles, les slogans et les phrases hypocrites, les véritables appétits impérialistes, leurs objectifs et leurs calculs.
La docilité d'agneau des démocraties européennes n'est pas le fruit d'un esprit pacifique, mais reflète une faiblesse. La cause de cette faiblesse n'est pas le régime démocratique en tant que tel, mais plutôt la disproportion entre les bases économiques des centres métropolitains et les empires coloniaux hérités du passé. A cette disproportion, il faut ajouter la lutte de libération dans les colonies qui menace de se transformer en explosion révolutionnaire, surtout en cas de guerre. Dans ces conditions, la "démocratie" en décomposition devient effectivement source supplémentaire de faiblesse pour les vieilles puissances impérialistes.
La réaction officielle en France profite indubitablement des capitulations du Front Populaire. On peut prévoir avec certitude le renforcement du fascisme en France, favorisé par la protection des milieux militaires dirigeants. En Angleterre où la bourgeoisie conservatrice détient le pouvoir, c'est l'opposition travailliste qui devrait se renforcer, plus que le fascisme. Mais au vu de l'ensemble de la situation historique, l'arrivée au pouvoir du parti Travailliste ne peut être qu'un épisode, ou plus exactement une étape, sur la voie de transformations plus radicales. Ni le Major Attlee, ni Sir Walter Citrine ne pourront venir à bout des esprits malins de notre époque !
D'une manière ou d'une autre, le "front international des démocraties" promis par les charlatans des "Fronts Populaires" se trouvera remplacé par un front des quatre puissances : l'Allemagne, l'Italie, l'Angleterre et la France. Après la conférence de Munich, avec la médiation toujours équivoque de Mussolini, les chefs des quatre États devinrent des héros nationaux pour chacun de leur peuple : Hitler avait unifié les Allemands, Chamberlain et Daladier avaient évité la guerre, Mussolini avait aidé les deux parties. Vive le Quartet ! La fraternité petite bourgeoise habituellement mobilisée par la Guépéou pour toutes sortes de congrès pacifistes se tourne déjà vers ces nouveaux messies de la paix. Les socialistes français se sont abstenus sur la question des pouvoirs spéciaux réclamés par Daladier, héros de la capitulation. L'abstention n'est qu'un échelon intermédiaire dans le passage du camp de Moscou à celui du Quartet. L'isolement des prétoriens de Staline à la Chambre des Députés et au Sénat symbolisait l'isolement du Kremlin dans la politique mondiale.
Mais on peut déjà affirmer en toute certitude que le quartet de Munich est aussi peu capable de préserver la paix que le "front des démocraties" qui n'a jamais vu le jour. L'Angleterre et la France ont jeté la Tchécoslovaquie dans la gueule d'Hitler pour lui donner quelque chose à digérer et retarder ainsi pour un moment la question des colonies. Chamberlain et Daladier ont fait des promesses vagues et incertaines qu'un accord général serait signé qui prendrait en considération toutes les questions importantes litigieuses. De son côté Hitler promettait de ne plus présenter d'autres réclamations territoriales en Europe, indiquant ainsi son intention d'exiger la cession de nouveaux territoires dans d'autres parties du monde. En ce qui concerne l'Alsace-Lorraine, le Schleswig, etc., Hitler ne fait, dans le meilleur des cas, que retarder la solution de ces questions jusqu'à la prochaine guerre mondiale. Si le fascisme arrivait au pouvoir en France et le Parti Travailliste en Angleterre, ces transformations n'apporteraient que des changements minimes dans la répartition des pièces impérialistes sur l'échiquier mondial. Une France fasciste ne serait pas plus disposée à abandonner l'Alsace-Lorraine à Hitler ou à partager ses colonies avec lui que ne l'est aujourd'hui le Front Populaire. Le Parti Travailliste, imprégné de l'esprit impérialiste, ne saurait atténuer les contradictions qui opposent l'Angleterre à l'Italie en Méditerranée, ni retarder le développement des antagonismes internationaux entre les intérêts allemands et anglais. Dans ces conditions, le Quartet, s'il est jamais réalisé, ne conduira qu'à une nouvelle crise qui ne sera pas longue à venir. L'impérialisme court inévitablement et irrésistiblement à un nouveau partage du monde correspondant aux changements dans les rapports de forces. Pour éviter la catastrophe, il faut étrangler l'impérialisme. Toute autre méthode est une fiction, une illusion, un mensonge.
Le refus de la France et de la Grande-Bretagne de défendre les intérêts impérialistes de la bourgeoisie tchèque n'a pas seulement pour résultat le démembrement de la Tchécoslovaquie, mais aussi la chute de son régime politique. Cette expérience a révélé, sous une forme chimiquement pure, que la démocratie tchèque n'était pas l'expression de la "volonté du peuple", mais simplement d'un appareil qui a permis au capitalisme monopoliste tchèque de s'adapter à celui des puissances protectrices. La protection militaire venait à peine de s'écrouler que la machine démocratique apparut non seulement comme sans objet, mais aussi comme dangereuse en ce qu'elle risquait de provoquer des frictions inutiles avec Hitler. Les dirigeants bourgeois tchèques ont immédiatement créé une nouvel appareil d'adaptation impérialiste sous la forme d'une dictature militaire. Ce changement de régime fut accompli sans que le peuple y participe le moins du monde, sans nouvelles élections et sans même consulter le vieux parlement. Le Président, élu par le peuple, l'archi-"démocrate" Benès, appela au pouvoir le plus ancien général de la République. Cela apparut tout d'abord comme une sorte de concession faite au peuple qui s'agitait, protestait, manifestait, exigeant que soit organisée la résistance à Hitler, les armes à la main. Résister ? Nous vous donnons un général comme chef national ! Ceci fait, le Président se retira. Là-dessus, le général, ancien chef des forces armées et qui représentait pour ainsi dire le fer de lance de la démocratie, annonce qu'il avait l'intention d'instituer un nouveau régime, afin de maintenir des relations amicales avec Hitler. Et voilà !
D'une manière générale, la démocratie est indispensable à la bourgeoisie en période de libre concurrence. La démocratie n'est d'aucune utilité au capitalisme monopoliste qui repose non pas sur la "libre" initiative, mais sur une direction centralisée; elle le bride et l'entrave. L'impérialisme peut tolérer la démocratie comme un mal nécessaire, mais seulement jusqu'à un certain point. Pendant la dernière guerre, il y a vingt-deux ans, Lénine écrivait : "La distinction entre une bourgeoisie impérialiste républicaine-démocratique et une bourgeoisie monarchiste-réactionnaire s'efface précisément parce que toutes deux pourrissent sur pied". Il ajoutait plus loin : "La réaction politique sur toute la ligne est inhérente à l'impérialisme". Seuls des imbéciles dont le cas est désespéré peuvent croire que les antagonismes internationaux sont déterminés par les incompatibilités qui existent entre la démocratie et le fascisme. En réalité, les cliques dirigeantes de tous les pays ne voient dans la démocratie, la dictature militaire, le fascisme, etc., qu'autant de moyens différents de soumettre leur propre peuple aux buts impérialistes. En outre, l'un de ces régimes, la démocratie, contient déjà, sous la forme par exemple de l'État-Major, un autre régime - la dictature militaire.
En Allemagne, la bourgeoisie impérialiste avec l'aide active de la social-démocratie!, a placé le Feldmaréchal Von Hindenburg à la tête de l'État pour la défendre contre le fascisme. Hindenburg, à son tour, appela Hitler au pouvoir ; après quoi, il est vrai que le Feldmaréchal ne s'est pas retiré mais qu'il est mort. Ce n'est cependant là qu'une question d'âge et de technique. Dans son essence, le coup d'État tchèque reproduit les traits principaux du coup d'État en Allemagne, révélant ainsi les ressorts fondamentaux des mécanismes politiques de l'impérialisme. La question du régime tchèque fut sans aucun doute résolue dans les coulisses des conférences des magnats du capitalisme tchèque, français, anglais et allemand, avec les chefs des États-Majors et les diplomates. En déplaçant les frontières, leur principal souci était avant tout de causer aussi peu de dommages que possible aux intérêts de l'oligarchie financière. La nouvelle orientation de la politique tchèque qui, de la France et l'Angleterre, se tourne maintenant vers l'Allemagne signifie avant tout un échange de stocks, une nouvelle répartition des commandes militaires pour les usine Skoda, etc.
A ce propos, personne ne s'est préoccupé de savoir ce que ferait la social-démocratie et l'ex-parti communiste parce que ces deux partis n'étaient pas plus capables d'organiser la moindre résistance que ne le furent leurs frères aînés en Allemagne. S'inclinant devant les "nécessités nationales", ces organisations pourries firent tout leur possible pour paralyser la résistance révolutionnaire de la classe ouvrière. Lorsque le coup d'État aura été consommé, la clique financière va probablement organiser un "référendum", c'est-à-dire fournir au peuple conduit dans une impasse la précieuse possibilité d'"approuver", sous la menace du revolver de Syrovy, les changements opérés sans lui et contre lui.
Pendant la semaine critique, en septembre, nous avons appris que des voix s'élevaient, y compris même sur le flanc gauche du socialisme, pour dire qu'en cas de "combat singulier" entre la Tchécoslovaquie et l'Allemagne, le prolétariat devrait aider la Tchécoslovaquie à sauvegarder son "indépendance nationale" même s'il fallait pour cela s'allier avec Benès. Cette situation hypothétique ne s'est cependant pas réalisée : les héros de l'indépendance tchèque capitulèrent sans combattre, comme il fallait s'y attendre. On ne peut cependant pas ne pas relever ici, en songeant à l'avenir, l'erreur grossière et dangereuse de ces théoriciens attardés de "l'indépendance nationale".
Même en dehors de ses relations internationales, la Tchécoslovaquie est un État totalement impérialiste. Économiquement, le capitalisme monopoliste y règne en maître. Politiquement, la bourgeoisie tchèque règne (peut-être devra-t-on bientôt dire régnait) sur plusieurs nationalités opprimées. Même de la part de la Tchécoslovaquie isolée, la guerre n'aurait pas été menée pour l'indépendance nationale, mais pour préserver et si possible étendre les frontières de l'exploitation impérialiste.
Même si les autres États impérialistes n'intervenaient pas, il n'est pas permis de considérer une guerre entre la Tchécoslovaquie et l'Allemagne en dehors de l'entrelacs des relations impérialistes européennes et mondiales pour lesquelles cette guerre ne serait qu'un épisode. En un ou deux mois, une guerre tchéco-allemande - si la bourgeoisie avait le désir et la possibilité de se battre - aurait inévitablement entraîné l'intervention d'autres États. Ce serait donc une erreur pour un marxiste de définir sa position sur la base de regroupements diplomatiques et militaires épisodiques plutôt que sur la base de la définition générale des forces sociales qui sont derrière cette guerre.
Nous avons repris à notre compte des centaines de fois la thèse irremplaçable de Clausewitz qui dit que la guerre n'est rien d'autre que la continuation de la politique par d'autres moyens. Afin de déterminer dans chaque cas donné le caractère historique et social d'une guerre, nous devons nous guider non pas sur des impressions et conjectures, mais sur une analyse scientifique de la politique qui précède la guerre et la conditionne. Dès le début de la formation de ce patchwork qu'est la Tchécoslovaquie, cette politique avait un caractère impérialiste.
On peut nous objecter qu'après avoir séparé les Allemands des Sudètes, les Hongrois, les Polonais et, peut-être, les Slovaques, Hitler ne s'arrêtera pas avant d'avoir aussi asservi les Tchèques eux-mêmes et que, dans ce cas, ils seraient parfaitement justifiés de réclamer l'appui du prolétariat dans leur lutte pour l'indépendance nationale. Cette façon de poser la question n'est rien d'autre qu'un sophisme social-patriote. Nous ne savons pas comment se développeront les antagonismes impérialistes. La destruction totale de la Tchécoslovaquie est tout à fait possible. Mais il est également possible qu'avant que cette destruction ait été consommée, une guerre européenne n'éclate dans laquelle la Tchécoslovaquie peut se trouver du côté des vainqueurs et donc participer à un nouveau démembrement de l'Allemagne. Le rôle d'un parti révolutionnaire est-il celui d'un garde-malade pour les gangsters "sinistrés" de l'impérialisme ?
Il est tout à fait évident que le prolétariat doit construire sa politique sur la base d'une guerre donnée, comme elle se présente, c'est-à-dire comme elle a été conditionnée par tout le cours antérieur du développement politique, et non sur une spéculation hypothétique sur l'issue stratégique possible de la guerre. Dans ces spéculations, chacun choisira inévitablement la variante qui correspond le mieux à ses propres désirs, à ses sympathies ou antipathies nationales. Cette politique ne serait évidemment pas marxiste, mais subjective, pas internationaliste, mais chauviniste.
Une guerre impérialiste, d'où qu'elle vienne est toujours faite non pas pour défendre "l'indépendance nationale", mais pour redistribuer le monde conformément aux intérêts des différentes cliques du capital financier. Cela n'empêche pas que la guerre impérialiste ne puisse, en passant, améliorer ou aggraver la situation de telle ou telle "nation" ; ou, plus exactement, d'une nation par rapport à une autre. Ainsi, le Traité de Versailles démembra l'Allemagne. Un nouveau traité de paix peut démembrer la France. Les sociaux-patriotes invoquent précisément ce "péril national" à venir possible comme un argument pour soutenir aujourd'hui "leurs" bandits impérialistes. La Tchécoslovaquie ne fait nullement exception à la règle.
En réalité, tous ces arguments spéculatifs et le fait d'agiter le spectre des calamités nationales à venir pour soutenir telle ou telle bourgeoisie impérialiste n'ont qu'une seule base : le rejet tacite de la perspective révolutionnaire et de la politique révolutionnaire. Sans doute, si la prochaine guerre se terminait par une victoire de l'un ou de l'autre camp impérialiste; si elle n'entraînait ni soulèvement révolutionnaire, ni la victoire du prolétariat ; si la nouvelle paix impérialiste se révélait encore plus désastreuse que celle de Versailles et enchaînait le peuple pour des décennies ; si l'humanité malheureuse supportait tout cela en silence, alors non seulement la Tchécoslovaquie et la Belgique, mais aussi la France pourraient être ramenées à la situation de nations opprimées (on peut admettre la même hypothèse en ce qui concerne l'Allemagne). Dans cette éventualité, la formidable désagrégation à venir du capitalisme ramènerait tous les peuples en arrière pour plusieurs décennies. Bien entendu, dans cette perspective, qui suppose la passivité, la capitulation, la défaite et le déclin, les classes opprimées et les peuples tout entiers seraient obligés de regrimper sur les genoux, en payant de leur sueur et de leur sang, le chemin historique déjà parcouru, en le retraçant avec les mains.
Une telle perspective est-elle exclue ? Si le prolétariat supporte sans fin la domination des sociaux-impérialistes et des communo-chauvinistes, si la Quatrième Internationale s'avère incapable de se frayer un chemin vers les masses, si les horreurs de la guerre ne poussent pas les ouvriers et les soldats à la rébellion, si les peuples coloniaux continuent à donner patiemment leur sang pour le bénéfice des négriers, alors dans ces conditions, le niveau de la civilisation sera inévitablement rabaissé et la régression et la décomposition générale peut remettre à l'ordre du jour en Europe la question des guerres nationales. Et alors nous, ou plutôt nos fils, devrons déterminer la politique à suivre en ce qui concerne les futures guerres sur la base de ces nouvelles conditions. Aujourd'hui, nous nous déterminons non pas sur la perspective du déclin, mais sur celle de la révolution. Nous sommes défaitistes en ce qui concerne l'impérialisme, mais pas en ce qui concerne le prolétariat. Nous ne relions pas la question du sort des Tchèques, des Belges, des Français ou des Allemands en tant que nations aux mouvements conjoncturels des fronts militaires au cours d'une nouvelle querelle entre impérialistes, mais nous la relions au soulèvement du prolétariat et à sa victoire sur les impérialistes. Nous regardons en avant et non en arrière. Le programme de la Quatrième Internationale affirme que la liberté pour toutes les nations européennes, petites et grandes ne peut être assurée que dans le cadre des États Unis Socialistes d'Europe.
Tout cela ne veut bien entendu pas dire qu'il n'existe aucune différence entre la démocratie et le fascisme ou que cette différence n'a aucune importance pour la classe ouvrière comme l'affirmaient les staliniens il n'y a pas si longtemps encore. Les marxistes n'ont rien de commun avec ce nihilisme politique à bon marché. Mais il faut comprendre clairement, dans chaque cas, le contenu effectif de cette différence et ses véritables limites.
Pour les pays coloniaux et semi-coloniaux, la lutte pour la démocratie et l'indépendance nationale représente une étape nécessaire et progressive du développement historique. C'est pour cette raison que nous jugeons que les travailleurs ont non seulement le droit, mais le devoir de participer activement à la "défense de la patrie" contre l'impérialisme, à conditions qu'ils conservent leur indépendance organisationnelle de classe et mènent une lutte impitoyable contre le poison du chauvinisme. Ainsi, dans le conflit qui oppose le Mexique aux rois du pétrole et à leur comité exécutif qui n'est autre que le gouvernement démocratique de Grande-Bretagne, le prolétariat du monde entier qui possède une conscience de classe se range totalement aux côtés du Mexique (cela ne concerne évidemment pas les laquais de l'impérialisme qui sont à la tête du Parti Travailliste britannique).
En ce qui concerne le capitalisme avancé, il a depuis longtemps dépassé non seulement les anciennes formes de propriété, mais aussi l'État national et donc, aussi la démocratie bourgeoise. C'est justement là que se situe la crise fondamentale de la civilisation contemporaine. La démocratie impérialiste est dans un état de putréfaction et de désintégration. Un programme de "défense de la démocratie" dans les pays avancés est un programme réactionnaire. La seule tâche progressive dans ces pays est la préparation de la révolution socialiste internationale. Son but est de briser le cadre de l'ancien État national et de construire une économie adaptée aux conditions géographiques et technologiques, sans taxes et droits de douane qui relèvent d'une économie médiévale.
Encore une fois, cela ne veut pas dire qu'il faille rester indifférent aux méthodes politiques actuelles de l'impérialisme. Dans tous les cas où les forces contre-révolutionnaires essayent de s'éloigner de l'État "démocratique" en décomposition pour revenir en arrière vers les particularismes nationaux, la monarchie, la dictature militaire, le fascisme - le prolétariat révolutionnaire, sans assumer le moins du monde la responsabilité de la "défense de la démocratie" (elle est indéfendable) résistera les armes à la main à ces forces contre-révolutionnaires pour ensuite, en cas de victoire, diriger l'offensive contre la "démocratie" impérialiste.
Cette politique n'est cependant applicable que dans les conflits intérieurs, c'est-à-dire dans les cas où la lutte intéresse l'avenir d'un régime politique comme c'était le cas par exemple en Espagne. La participation des travailleurs espagnols à la lutte contre Franco était un devoir élémentaire. Mais c'est précisément parce que, et seulement à cause de cela, les travailleurs n'ont pas réussi à remplacer à temps le pouvoir de la démocratie bourgeoise par leur propre pouvoir que la "démocratie" a pu ouvrir la porte au fascisme.
Mais transférer mécaniquement les lois et les règles d'une lutte entre classes différentes dans une seule et même nation à une guerre impérialiste qui est la lutte qui oppose les membres d'une même classe appartenant à des nations différentes relève de la pure falsification et du charlatanisme. Aujourd'hui, après la récente expérience de la Tchécoslovaquie, il semble qu'il ne soit pas nécessaire de démontrer que les impérialistes se combattent mutuellement non pas pour des principes politiques, mais pour la domination du monde, en se dissimulant derrière un principe quelconque qui doit servir leurs objectifs.
Mussolini et son associé le plus proche sont, autant qu'on puisse le savoir, des athées, c'est-à-dire qu'ils ne croient ni à Dieu, ni à Diable. Le roi d'Angleterre et ses ministres croupissent dans leur superstitions médiévales et croient non seulement au Diable, mais aussi à la Grand-Mère du Diable. Mais cela ne veut pas dire qu'une guerre entre l'Italie et l'Angleterre représenterait le combat de la science contre la religion. Mussolini, l'athée, fera tout son possible pour ranimer les passions religieuses des musulmans. Le dévôt protestant Chamberlain, de son côté, cherchera de l'aide auprès du Pape, et ainsi de suite. Dans le calendrier du progrès humain, la république est placée au-dessus de la monarchie. Cela veut-il dire qu'une guerre faite, par exemple, par la France républicaine à la Hollande monarchiste pour la domination d'un territoire colonial serait la lutte d'une république contre une monarchie ? Et nous ne parlerons même pas du fait que dans le cas d'une guerre nationale engagée par le Bey de Tunis contre la France, le progrès serait du côté de la monarchie barbare et non du côté de la république impérialiste. L'hygiène occupe une place importante dans la culture humaine ; mais en cas de meurtres, il importe peu de savoir si le meurtrier s'est ou non lavé les mains avant son acte. Substituer des abstractions politiques ou morales aux objectifs réels des camps impérialistes opposés, ce n'est pas lutter pour la démocratie, mais aider les brigands à déguiser leurs vols, leurs pillages, leurs violences. C'est actuellement la fonction principale des Seconde et Troisième Internationales.
Cette fois-ci, le coup direct est tombé sur la Tchécoslovaquie. La France et l'Angleterre ont été sérieusement endommagées. Mais le coup le plus formidable a été porté au Kremlin. Son système de mensonges, de charlatanisme et de falsifications s'est écroulé à la face du monde entier.
Ayant écrasé les masses soviétiques et rompu avec la politique de la révolution internationale, la clique du Kremlin est devenue le jouet de l'impérialisme. Sur tous les points essentiels, la diplomatie de Staline n'est plus depuis cinq ans que le reflet et le complément de celle d'Hitler. En 1933, Staline fit des pieds et des mains pour devenir l'allié de Hitler. Mais la main tendue fut refusée dans la mesure où Hitler, qui cherchait à établir des relations amicales avec l'Angleterre, se présentait comme le sauveur de l'Allemagne et de l'Europe toute entière contre le bolchevisme. Là-dessus, Staline se donna pour tâche de prouver à l'Europe capitaliste qu'elle n'avait nul besoin de Hitler, que le bolchevisme ne représentait en lui-même aucun danger, que le gouvernement du Kremlin était un animal domestique dressé à faire le beau pour mendier. Ainsi, s'écartant de Hitler, ou plutôt repoussé par lui, Staline devint progressivement un laquais et un tueur à gages au service des pays de l'impérialisme repu.
D'où cette soudaine frénésie d'obséquiosité devant la démocratie bourgeoise gangréneuse de la part du gang totalitaire du Kremlin ; d'où l'idéalisation imbécile et hypocrite de la Société des Nations ; d'où les "Fronts Populaires" qui ont étranglé la Révolution Espagnole; d'où la substitution de chants déclamatoires "contre le fascisme" à la véritable lutte des classes. La fonction internationale actuelle de la bureaucratie soviétique et du Komintern est révélée avec une impudence particulière au congrès pacifiste de Mexico (septembre 1938) où les mercenaires de Moscou ont essayé de convaincre les peuples d'Amérique Latine qu'ils devaient se battre non pas contre le véritable impérialisme qui les menace, mais seulement contre le fascisme.
Comme il fallait s'y attendre, Staline ne gagna ni l'amitié ni la confiance par ces manoeuvres sordides. Les impérialistes ont pris l'habitude de juger une société non pas d'après les déclarations de ses "chefs", non pas même d'après le caractère de ses superstructures politiques, mais sur ses bases sociales. Tant que la propriété étatique des moyens de production, protégée par le monopole du commerce extérieur, est maintenue en Union Soviétique, les impérialistes, y compris les impérialistes "démocratiques", continueront de considérer Staline sans plus de confiance mais avec beaucoup moins de respect que l'Europe féodalo-monarchiste ne considérait le premier Bonaparte. Malgré l'auréole de ses victoires et sa cour de brillants maréchaux, Napoléon n'a pas pu échapper à Waterloo. Staline a couronné la série de ses capitulations, échecs et trahisons par l'anéantissement des maréchaux de la révolution. Peut-il subsister le moindre doute quant au sort qui l'attend ?
Le seul obstacle à la guerre est la peur que les classes possédantes ont de la révolution. Tant que l'Internationale Communiste est restée fidèle aux principes de la révolution prolétarienne, elle représentait avec l'Armée Rouge avec laquelle elle était liée, le premier facteur de paix. En prostituant le Komintern et en le transformant en agence de l'impérialisme, en décapitant et en paralysant le pouvoir militaire des Soviets, Staline a complètement délié les mains à Hitler, comme à ses adversaires et poussé l'Europe vers la guerre.
Les falsificateurs de Moscou accumulent aujourd'hui les malédictions gratuites sur la tête de leur ancien ami démocratique, Benès, parce qu'il a "capitulé" prématurément et empêché l'Armée Rouge d'écraser Hitler, indépendamment de l'attitude de la France. Cette tempête théâtrale ne fait qu'illuminer plus violemment encore l'impudence et la duplicité du Kremlin. Qui vous avait obligé à croire en Bénès ? Qui vous a obligé à forger le mythe de l'"alliance des démocraties" ? Et enfin, qui vous a empêché, pendant les heures critiques alors que la Tchécoslovaquie bouillait comme un chaudron, d'appeler le prolétariat de Prague à prendre le pouvoir et d'envoyer l'Armée Rouge à son secours ? Il est apparemment plus difficile de lutter contre le fascisme que de fusiller et d'empoisonner les vieux bolcheviks L'exemple de la Tchécoslovaquie doit permettre à tous les petits États et surtout aux peuples coloniaux de comprendre quelle sorte de secours ils peuvent attendre de la part de Staline.
Seul le renversement de la clique bonapartiste du Kremlin peut permettre la régénération de la puissance militaire de l'URSS. Seule la liquidation de l'ex-Komintern ouvrira la voie à l'internationalisme révolutionnaire. La lutte contre la guerre, l'impérialisme et le fascisme exige la lutte sans merci contre le stalinisme couvert de crimes. Quiconque défend directement ou indirectement le stalinisme, quiconque garde le silence sur ses trahisons ou exagère la puissance de son armée est le pire ennemi de la révolution, du socialisme et des peuples opprimés. Plus vite le gang du Kremlin sera renversé par l'offensive armée des travailleurs, plus grandes seront les chances d'une régénération socialiste de l'URSS, plus proches et plus larges seront les perspectives de la révolution internationale.
Afin de comprendre le rôle actuel de la social-démocratie et de l'ex-Komintern, il faut encore une fois rappeler les fondements économiques sur lesquels repose l'opportunisme dans le mouvement ouvrier mondial.
L'âge d'or du capitalisme, qui dura avec des oscillations inévitables, jusqu'en 1913, permit à la bourgeoisie d'une part, d'élever légèrement le niveau de vie de certaines couches prolétariennes et, de l'autre, de jeter de grasses aumônes à la bureaucratie et à l'aristocratie ouvrière, les élevant ainsi au-dessus des masses. La bureaucratie syndicale et parlementaire, qui semblaient proches de la solution de leur propre "problème social", pouvaient montrer aux masses les débuts d'une amélioration. Telle est la base sociale du réformisme (opportunisme) qui est un système destiné à illusionner les masses et un sytème d'imposture de la part de la bureaucratie ouvrière. L'optimisme réformiste de la Seconde Internationale a atteint son épanouissement pendant les années du dernier essor économique précédant la guerre (1909-1913). C'est pourquoi les dirigeants ont perçu la guerre comme une calamité extérieure qui menaçait les bases de la croissance de la prospérité nationale ; c'est ainsi qu'ils la présentaient aux masses. D'où la politique de "défense de la patrie" qui n'était que la défense des intérêts impérialistes de leur bourgeoisie respectives, de façon inconsciente chez les masses et de façon consciente ou semi-consciente pour la bureaucratie.
Mais il se trouva que la guerre n'était en fait nullement une calamité extérieure qui interrompait provisoirement le développement national, mais plutôt une explosion des contradictions internes du système impérialiste au moment où tout développement supplémentaire sur la base de ce système était devenu pratiquement impossible. Et puisque la guerre ne pouvait ni agrandir notre planète, ni rendre sa jeunesse au capitalisme, elle se termina par l'accélération et l'aggravation à l'extrême de tous les processus de pourrissement du capitalisme. Avec le déclin de la démocratie, commença le déclin de la bureaucratie ouvrière. Le fascisme apporta "seulement" aux ouvriers une aggravation de leur esclavage ; à la bureaucratie réformiste, il apporta la ruine totale.
Seuls la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis ont pu conserver les formes politiques de la démocratie, même sous une forme mutilée ("pouvoir spéciaux", lois sur l'immigration, abandon du droit d'asile, etc.) ; ce sont les pays capitalistes les plus riches et traditionnellement les plus pillards et les plus privilégiés qui ont depuis longtemps concentré entre leurs mains la part du lion des possessions coloniales et des principales ressources naturelles de notre planète. Il n'est pas difficile de trouver l'explication de cette "sélection naturelle". La démocratie ne peut subsister que tant que les contradictions de classes n'atteignent pas un stade explosif. Afin d'atténuer les frictions sociales, la bourgeoisie a dû engraisser une large couche d'intellectuels petits-bourgeois, la bureaucratie et l'aristocratie ouvrière. Plus l'auge est remplie, plus ardente est la flamme du social-patriotisme. La ration réformiste n'a été maintenue que dans les pays qui ont pu accumuler dans le passé d'immenses richesses grâce à l'exploitation du marché mondial et au pillage des colonies. En d'autres termes, dans une situation de dégénérescence du capitalisme, seule la bourgeoisie le plus aristocratique peut conserver un régime démocratique (jusqu'à un certain moment !). La base du social-patriotisme reste l'esclavage colonial.
Dans les pays qui, comme l'Italie et l'Allemagne, n'ont pas hérité du passé une vaste accumulation de richesses et qui n'ont pas la possibilité de tirer des super-profits des colonies, la bourgeoisie a détruit le parlement, dispersé la bureaucratie réformiste et enfermé les travailleurs dans un étau d'acier. Il est vrai que la bureaucratie fasciste ne dévore pas moins, ni plus, que la bureaucratie réformiste, mais en retour, elle n'est pas obligée de faire des concessions aux masses ni d'émettre des traites que le capitalisme pourrissant n'est plus capable de payer. Privée de nourriture, la bureaucratie social-démocrate retraitée d'Italie, d'Allemagne et d'Autriche brandit bien haut la bannière du défaitisme - dans l'émigration.
La source principale de la vigueur des partis sociaux-démocrates, ou plus exactement sociaux-impérialistes, est la protection de la bourgeoisie qui, par le parlement, la presse, l'armée et la police, protège et défend la social-démocratie contre toutes sortes de mouvements révolutionnaires et même contre la critique révolutionnaire. A cause de l'aggravation des contradictions internes et internationales, ce lien organique entre la bureaucratie et la bourgeoisie se révélera encore plus ouvertement et cyniquement dans la prochaine guerre, ou, plus exactement, ce lien a déjà été révélé essentiellement dans la politique perfide des Fronts Populaires qui auraient été absolument inconcevables à la veille de la première guerre. Cependant, l'initiative des Fronts Populaires fut prise non par la Seconde Internationale, mais par la Troisième.
Le développement rapide et monstrueux de l'opportunisme soviétique s'explique par des causes analogues à celles qui, à la génération précédente, ont mené à l'épanouissement de l'opportunisme dans les pays capitalistes, à savoir le parasitisme de la bureaucratie ouvrière qui a résolu sa "question sociale" sur la base d'un accroissement des forces productives en URSS. Mais comme la bureaucratie soviétique est incomparablement plus puissante que la bureaucratie ouvrière dans les pays capitalistes et que la ration dont elle dispose se distingue par sa capacité presque illimitée à se renouveler, il n'y a rien d'étonnant à ce que la variété soviétique de l'opportunisme ait immédiatement pris un caractère particulièrement vil et perfide.
En ce qui concerne l'ex-Komintern, sa base sociale a une nature double : d'une part, il vit des subsides du Kremlin, se soumet à ses ordres, et dans ce sens, on peut dire que tout bureaucrate ex-communiste est le frère cadet et le subordonné d'un bureaucrate soviétique. D'autre part, les diverses machines de l'ex-Komintern se nourrissent aux mêmes sources que la social-démocratie, les super-profits de l'impérialisme. Le développement des partis communistes ces dernières années, l'infiltration dans leurs rangs de la petite-bourgeoisie, leur installation dans la machine étatique, dans les syndicats, aux parlements, dans les municipalités, etc., ont renforcé à l'extrême leur dépendance envers le national-impérialisme, au détriment de la traditionnelle dépendance envers le Kremlin.
Nous avons prédit il y a dix ans que la théorie du socialisme dans un seul pays devait inévitablement conduire au développement des tendances nationalistes dans les sections du Komintern. Cette prédiction est devenue une réalité évidente. Mais jusque récemment, le chauvinisme des partis communistes, français, anglais, belge, tchèque, américain et autres paraissait refléter, et reflétait jusqu'à un certain point, les interêts de la diplomatie soviétique (la "défense de l'URSS"). Nous pouvons prévoir aujourd'hui l'accession à une nouvelle étape. La croissance des antagonismes impérialistes, la proximité évidente de l'URSS doivent inévitablement renforcer les tendances nationalistes centrifuges au sein du Komintern. Chacune des sections va commencer à développer une politique patriotique pour son propre compte. Staline a réconcilié les partis communistes des démocraties impérialistes avec leur bourgeoisie nationale. Cette étape est maintenant terminée. Le procureur bonapartiste a joué son rôle. Désormais, les communo-chauvins devront se préoccuper de leur propre peau dont les intérêts ne coïncident pas toujours avec "la défense de l'URSS".
Lorsque l'Américain Browler jugea qu'il était possible de déclarer devant la commission sénatoriale qu'en cas de guerre entre les État-Unis et l'Union Soviétique, son parti se rangerait du côté de la patrie bien-aimée, il a peut-être pu considérer que cette déclaration n'était qu'un simple stratagème. Mais en réalité, la réponse de Browler est un symptôme qui ne trompe pas du changement d'orientation d'une politique qui de "Moscovite", devient "nationale". Le "stratagème" n'est que la nécessité de s'adapter au "patriotisme" impérialiste. La grossièreté cynique de ce stratagème (de la "Patrie des travailleurs", on passe à la République du Dollar) révèle la profondeur de la dégénérescence des sections du Komintern et la solidité de sa dépendance envers l'opinion publique de la bourgeoisie.
Quinze ans d'épurations ininterrompues, de dégradation et de corruption ont mené la bureaucratie de l'ex-Komintern à un tel degré de démoralisation qu'elle est devenue capable et même désireuse de relever la bannière du social-patriotisme. Les staliniens (nous devrons bientôt dire les ex-staliniens) n'ont évidemment pas inventé la poudre. Ils ont simplement ramassé les banalités éculées de l'opportunisme petit-bourgeois. Mais en les propageant, il y ont injecté la rage des parvenus "révolutionnaires" qui ont fait de la calomnie, du chantage et du meurtre totalitaires leur méthode habituelle de "défense de la démocratie". En ce qui concerne les vieux réformistes classiques qui se lavent innocemment les mains devant les situations embarrassantes, ils ont appris à utiliser le soutien de ces nouvelles recrues du chauvinisme.
Dans le pays impérialiste qui se trouvera dans le même camp que l'URSS pendant la guerre (à supposer qu'il y en ait un), la section de l'ex-Komintern "défendra" naturellement Moscou. Cette défense n'aura pourtant pas grande valeur puisque, dans ce pays, tous les partis "défendront" l'URSS. (Afin de ne pas se compromettre avec son allié impérialiste, Moscou ordonnera probablement au parti communiste de crier moins fort et essayera peut-être même de le dissoudre). Au contraire, dans tous les pays appartenant au camp hostile, c'est-à-dire dans les pays où Moscou aurait justement le plus besoin de défenseurs, les partis communistes se rangeront totalement aux côtés de la patrie impérialiste : cela est infiniment moins dangereux et beaucoup plus profitable.
Le véritable caractère de la social-démocratie en tant que parti dont la politique reposait et repose toujours sur l'exploitation impérialiste des peuples arriérés, apparaît nettement dans le fait que la Seconde Internationale n'a jamais eu la moindre influence dans les pays coloniaux et semi-coloniaux. La bureaucratie ouvrière des pays impérialistes craignait consciemment ou semi-consciemment de mettre en route dans les colonies un mouvement qui pouvait miner les bases de sa propre prospérité dans les centres métropolitains.
Il en fut différemment avec le Komintern. En tant que véritable organisation internationaliste il se jeta immédiatement sur le terrain vierge des colonies et y conquit une grande influence grâce au programme révolutionnaire de Lénine. La dégénérescence ultérieure du Komintern transforma les sections dans les pays coloniaux ou semi-coloniaux en agences de l'impérialisme européen et américain sur sa gauche, surtout en Amérique Latine. Parallèlement, la base sociale des partis "communistes" coloniaux a changé. Pillant impitoyablement ses esclaves asiatiques et africains et ses demi-esclaves d'Amérique Latine, le capitalisme étranger est aujourd'hui obligé de nourrir une mince couche de l'aristocratie ouvrière - pitoyable, pathétique, mais une aristocratie parmi la misère universelle. Le "stalinisme" est devenu ces dernières années le parti de cette "aristocratie" ouvrière, ainsi que la "gauche" de la petite bourgeoisie, surtout les fonctionnaires, juristes, journalistes, professeurs, etc., bourgeois qui s'adaptent à la révolution nationale et exploitent les organisations ouvrières pour faire carrière. Ceux-là trouvent que le stalinisme est la meilleure idéologie qui soit au monde.
La lutte révolutionnaire contre l'impérialisme exige du courage, de la résolution et l'esprit de sacrifice. Où les héros petits-bourgeois trouveront-ils ces qualités ? D'un autre côté, en s'adaptant à l'impérialisme "démocratique", ils peuvent se tailler des carrières tranquilles et agréables sur le dos des travailleurs. Le meilleur moyen de dissimuler cette adaptation aux travailleurs est de répandre le mot d'ordre de la "défense de l'URSS", c'est-à-dire entretenir des relations amicales avec le Kremlin. Cela permet de publier des journaux sans lecteurs, d'organiser des congrès avec pompe et de faire toute sorte de publicité à l'échelle internationale. Cette corporation d'"Amis de l'URSS" professionnels, de faux "socialistes" et de faux "communistes", qui dissimulent leur parasitisme social et leur servilité devant l'impérialisme et l'oligarchie du Kremlin derrière de bruyantes déclamations contre le fascisme, est devenue une véritable plaie pour le mouvement ouvrier dans les pays coloniaux et semi-coloniaux. Sous tous ses masques, le stalinisme est le premier obstacle à la lutte de libération des peuples arriérés et opprimés. Le problème des révolutions coloniales est ainsi devenu indissolublement lié à la cause de la Quatrième Internationale.
Le Bureau de Londres des Centristes incurables (Fenner Brockway, Walcher et Cie), conjointement avec Brandler, Sneevliet, Marceau Pivert et avec la participation des "sections scissionnistes de la soi-disant Quatrième Internationale" se sont réunies pour créer - ne souriez pas ! - le "Fonds de Guerre Extraordinaire" (War Emergency Fund) destiné à parer au danger de guerre. Ces gentlemen ne se sont pas préoccupés de créer un "fonds" des idées. Dieu merci, ce sont des matérialistes et non des idéalistes. On peut douter que cette nouvelle "union" représente quelque danger pour l'impérialisme. Mais elle rend un grand service à la Quatrième Internationale car elle rassemble la bêtise, l'hybridité et l'inconsistance de toutes les variétés et de tous les tons du centrisme, c'est-à-dire de la tendance qui est la plus en contradiction avec l'esprit de notre époque. Comme toutes les "unions" mécanistes similaires, elle sera déchirée par des conflits internes et éclatera en morceaux au moment précis où sera arrivée l'heure de l'action.
Pourrait-il en être autrement ? Les organisations qui ont créé ce "Fonds" héroïque ne sont pas parties sur la base d'un programme commun, mais venues de tous les coins de la carte politique du centrisme, comme les enfants abandonnés des vieux partis et factions opportunistes et continuent encore aujourd'hui de jouer de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel opportuniste et d'évoluer dans différentes directions. Tous ont décliné et se sont affaiblis ces dernières années, sauf le parti issu de la récente scission de Marceau Pivert à qui l'on peut prédire le même sort peu enviable. Le Bureau de Londres n'a jamais réussi à créer une nouvelle organisation dans aucun pays au monde, avec de nouveaux éléments jeunes et sur la base d'un programme propre. Aucun groupe révolutionnaire ne se ralliera à cette cause qui n'a ni passé ni avenir. Dans les pays coloniaux, le Bureau de Londres n'a pas même l'ombre d'une influence. On peut énoncer comme une loi le fait que toute notre organisation "révolutionnaire" incapable à notre époque impérialiste de prendre racine dans les colonies est condamnée à végéter misérablement.
Chacun de ces groupes en état de survie se maintient par la force de l'inertie et non par la puissance des idées. La seule organisation qui ait un passé révolutionnaire plus sérieux, le POUM, s'est jusqu'à présent avéré incapable de réviser courageusement sa politique centriste qui fut une des causes principales de l'écroulement de la Révolution Espagnole. Les membres survivants du groupe sont encore moins capables de critique et d'auto-critique. Un esprit de dilettantisme sénile plane sur toute l'entreprise.
Il est vrai que sous la bannière de la Quatrième Internationale, se sont rassemblés plusieurs de ces "déchets" dès les premiers jours. Mais l'énorme travail de sélection, nettoyage et rééducation fut fait ici sur la base d'une théorie scientifique et d'un programme clair. Ce travail, dont les philistins n'ont jamais compris le sens et l'importance, s'est déroulé et se déroule encore dans une atmosphère de libre et patiente discussion à visage découvert. Celui qui est incapable de passer ce test a prouvé dans l'action son incapacité organique à contribuer à l'édification d'un Internationale révolutionnaire. Ce sont ces "déchets" triés, mis à l'écart et expulsés qui ont été incorporés au "Fonds" du centrisme international. Ce seul fait appose sur l'ensemble de l'entreprise le sceau de l'invalidité absolue.
Dans une moment de lucidité, Marceau Pivert déclara il y a quelques années que toute tendance dans la classe ouvrière qui menait la lutte contre le "Trotskysme" se caractérisait ainsi elle-même comme tendance réactionnaire. Notons que cela n'a pas empêché Pivert, qui est un centriste congénital dont les paroles contredisent les actes, de rejoindre le Bureau de Londres qui cherche à se donner une physionomie bien à lui en s'écartant convulsivement du "Trotskysme".
Il n'est cependant pas difficile de prédire que la bourgeoisie, les réformistes et les staliniens continueront à étiqueter ces créateurs du "Fonds" comme "Trotskystes" ou "demi-trotskystes". Ils le feront en partie par ignorance, mais surtout pour les obliger à s'excuser, se justifier et se démarquer eux-mêmes. Et ils vont effectivement jurer avec ferveur qu'ils ne sont nullement des trotskystes et que s'il devait leur arriver, de même que leur ancêtre Pigvé, de rugir comme des lions, ils "rugiront" comme une colombe. Nous les connaissons : ce ne sont pas des novices. Les Fenner Brockway, les Walcher, les Brandler, les Sneevliet, les Pivert, comme les éléments rejetés par la Quatrième Internationale essayent depuis des années - des décennies pour quelques-uns - de prouver leur éclectisme désespéré dans le domaine de la théorie et leur stérilité dans la pratique. Ils sont moins cyniques que les staliniens et se situent légèrement sur la gauche de l'aile gauche des sociaux-démocrates - c'est tout ce qu'on peut dire en leur faveur. C'est pourquoi, dans la liste des Internationales, ils doivent entrer sous le numéro trois un huitième ou trois quart. Avec ou sans "Fonds", ! ils entrent dans l'histoire comme l'association des citrons pressés. Quand sous la pression de la guerre, les larges masses se mettront en mouvement, elles ne chercheront pas à connaître l'adresse du Bureau de Londres.
Toutes les forces et tous les ressorts de la dernière guerre sont remis en mouvement, mais sous une forme incomparablement plus violente et dénudée. Le mouvement suit les sillons déjà tracés et peut donc avancer à une allure beaucoup plus rapide. Personne ne croit plus aujourd'hui, comme ce fut cas à la veille de 1914, à l'inviolabilité des frontières et à la stabilité des régimes. C'est un énorme avantage pour le parti révolutionnaire. A la veille de la dernière guerre, les sections de la Seconde Internationale elles-mêmes ne savaient pas quelle serait leur politique le lendemain et adoptaient des résolutions ultra-révolutionnaires ; si les éléments de gauche ne se sont libérés que progressivement du marais pacifiste, cherchant leur voie à tâtons, aujourd'hui, toutes les positions de départ ont été occupées d'une manière précise, avant la guerre. Personne n'attend plus des partis sociaux-démocrates qu'ils suivent une politique internationaliste, eux qui ne promettent rien de plus que la "défense de la patrie". Le départ des sociaux-patriotes tchèques de la Seconde Internationale est le commencement de la désintégration officielle totale de celle-ci. La politique de la Troisième Internationale est définie d'avance avec presque autant de précision ; le pronostic est seulement légèrement faussé par un élément de hasard dû à l'aventurisme. Si les sociaux-démocrates et les ex-communistes allemands et italiens deviennent dans la guerre de simples défaitistes, ce sera uniquement parce que Hitler et Mussolini leur interdisent d'être des patriotes. Mais partout où la bourgeoisie continue à engraisser la bureaucratie ouvrière, la social-démocratie et les ex-communistes seront du côté de l'État-Major Général et, qui plus est, le premier violon du chauvinisme sera tenu par les musiciens de l'école stalinienne. Pas seulement le violon, mais aussi le revolver pointé sur les ouvriers révolutionnaires.
Jean Jaurès fut assassiné au début de la dernière guerre, Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg à la fin. En France, l'assassinat du chef du parti socialiste n'a pas empêché ses autres dirigeants d'entrer au gouvernement de la guerre impérialiste. En Allemagne, le meurtre des deux grands révolutionnaires fut réalisé avec la participation directe du gouvernement social-démocrate. En France, l'assassin était un obscur petit bourgeois chauvin, alors qu'en Allemagne ce sont des officiers contre-révolutionnaires qui procédèrent à l'assassinat. La situation est aujourd'hui plus claire. L'extermination à l'échelle mondiale des internationalistes a commencé avant le déclenchement de la guerre. L'impérialisme n'a plus besoin de compter sur un "heureux accident", la mafia stalinienne possède une agence internationale toute faite pour l'extermination des révolutionnaires. Jaurès, Liebknecht, Luxembourg étaient des dirigeants socialistes très connus. Rudolf Klement était un jeune révolutionnaire encore peu connu. Mais son assassinat, parce qu'il était secrétaire de la Quatrième Internationale, a une profonde signification symbolique. L'impérialisme indique à l'avance par l'intermédiaire de ses gangsters staliniens d'où viendra le danger mortel en temps de guerre.
Les impérialistes ne se trompent pas. S'ils ont réussi à se maintenir après la dernière guerre, sauf en Russie, ce fut uniquement dû à l'absence de parti révolutionnaire. Se libérant avec difficultés des rets de la vieille idéologie, avec le fétichisme de l'"unité", la plupart des éléments oppositionnels de la social-démocratie n'allèrent pas plus loin que le pacifisme. Dans les moments critiques, ces groupes montrèrent qu'ils étaient plus capables de freiner le mouvement révolutionnaire des masses que de le diriger. C'est dans ce sens qu'il n'est pas exagéré de dire que l'"unité" des partis de la Seconde Internationale sauva la bourgeoisie européenne.
Actuellement, des sections de la Quatrième Internationale existent dans trente pays. Il est vrai qu'elles ne sont que l'avant-garde de l'avant-garde. Mais si nous avions aujourd'hui, avant la guerre, des organisations révolutionnaires, alors ce serait la révolution et non la guerre qui serait à l'ordre du jour. Mais cette organisation révolutionnaire n'existe pas et nous ne nous faisons là-dessus aucune illusion. Mais la situation de l'avant-garde révolutionnaire est beaucoup plus favorable aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a 25 ans. La plus grande conquête est qu'il existe déjà avant la guerre et dans tous les pays les plus importants du monde, des cadres révolutionnaires éprouvés qui se comptent par centaines et par milliers, liés entre eux par l'unité d'une doctrine et passés par l'épreuve de l'école des persécutions les plus cruelles de la bourgeoisie impérialiste, de la social-démocratie et surtout de la mafia stalinienne. La Seconde, la Troisième et l'Internationale d'Amsterdam ne peuvent plus aujourd'hui réunir de congrès parce qu'elles sont paralysées par leur dépendance envers l'impérialisme et parce qu'elles sont déchirées par des contradictions "nationales". Au contraire, les sections de la Quatrième Internationale, malgré la maigreur de leurs ressources, les difficultés pour obtenir des visas, le meurtre de son secrétaire et la grêle des coups de la répression, ont pu tenir leur congrès au moment le plus critique ; congrès au cours duquel ont été formulées avec précision et concrètement les tâches de la lutte titanesque actuelle, sur la base de l'expérience historique.
Ces cadres précieux ne se laisseront pas écarter de leur route par une quelconque vague de chauvinisme, ni intimider par les Mausers et les couteaux staliniens. La Quatrième Internationale entrera dans la prochaine guerre comme un bloc étroitement soudé, dont les sections pourront suivre une seule et même politique, indépendamment des frontières et des tranchées qui les sépareront. Il est tout à fait possible qu'au début de la guerre, quand l'instinct aveugle de l'autoconservation combiné à la propagande chauviniste aura poussé les masses populaires dans les bras de leurs gouvernements, les sections de la Quatrième Internationale se trouveront isolées. Elles sauront comment résister à l'hypnose nationaliste et à l'épidémie du patriotisme. Elles trouveront dans les principes de l'internationalisme un rempart contre la panique de la base et la terreur d'en haut. Elles mépriseront les oscillations et vacillements de la "démocratie" philistine. D'un autre côté, elles écouteront attentivement la voix des sections les plus opprimées de la population et de l'armée qui verse son sang. Chaque nouveau jour de guerre travaillera pour nous. L'humanité s'est appauvrie depuis 25 ans, alors que les moyens de destruction sont devenus infiniment plus puissants. C'est pourquoi, dès les premiers mois de la guerre, une réaction tempêtueuse contre l'opium du chauvinisme s'élèvera parmi les masses laborieuses. Les premières victimes de cette réaction seront, avec le fascisme, les partis des Seconde et Troisième Internationales. Leur destruction est la condition nécessaire à la création d'un véritable mouvement révolutionnaire qui ne trouvera pas d'autre axe de cristallisation que la Quatrième Internationale. Ses cadres aguerris mèneront les travailleurs à la grande offensive.
Coyoacan, 10 octobre 1938