1938

Source : Léon Trotsky, Œuvres 19, octobre 1938 a décembre 1938. Institut Léon Trotsky, Paris 1985, pp. 233-235.

Trotsky

Léon Trotsky

S.O.S. - La Situation en France

8 décembre 1938

La France impérialiste est entrée définitivement dans une phase critique. Le régime parlementaire est manifestement condamné. La France doit devenir ou bien un pays de dictature fasciste ou bien une république socialiste. Il n’y a pas de troisième possibilité.

En 1936, le mouvement révolutionnaire des ouvriers français a pris de vastes proportions. Les imbéciles pensaient que ce mouvement résultait de l’activité du « Front populaire ». C’était exactement le contraire : la pression croissante des masses et le « danger » révolutionnaire qui en résultait ont provoqué, comme en Espagne, la création du Front populaire.

Toute révolution, même dans un pays qui en a traversé une dizaine, commence avec des illusions naïves et une confiance simple : les nouvelles générations doivent apprendre de nouveau. Le Front populaire, en France, a assumé la même tâche que ce qu’on appelait la « coalition » des cadets, des mencheviks et des socialistes révolutionnaires en Russie en mars 1917 : A contenir la révolution à sa première étape. La différence est que la bureaucratie réformiste en France (socialistes, communistes, syndicalistes) est infiniment plus puissante qu'elle n’était en Russie en 1917. En outre, le Kremlin a soutenu le Front populaire français au nom de la révolution d’Octobre, qui avait gagné contre le Front populaire. Enfin, le parti révolutionnaire en France est infiniment plus faible qu’il ne l’était en Russie.

Dans ces conditions, la coalition française est incontestablement parvenue à freiner et, dans une certaine mesure, à démoraliser le mouvement révolutionnaire de 1936. Jusqu’à quel point et pour combien de temps? Il est impossible de le dire d’avance. Si c’est profondément et pour longtemps, le Front populaire, déjà désespérément scindé, sera définitivement balayé et une dictature réactionnaire accédera au trône en France. Mais si, comme on peut fermement l’espérer, le mouvement temporairement brisé par le Front populaire trouve une issue lui-même, il peut réaliser, et il réalisera la victoire du socialisme. Il n’y a pas de troisième possibilité.

Les chefs actuels du prolétariat, les organisateurs du Front populaire, les Jouhaux, Léon Blum, Thorez et Cie, sont les véritables fossoyeurs de la démocratie parlementaire. Actuellement, personne n’aide aussi efficacement le fascisme que ces « piliers » complètement pourris de la IIIe République. Il est trop tard pour parler du « danger » qui menace la démocratie impérialiste : elle est déjà condamnée et va à sa destruction. Mais la classe ouvrière court à un danger extrême.

Il serait criminel de sous-estimer ce danger. Mais il serait tout aussi criminel de minimiser la force du prolétariat français, de ses traditions de lutte, de son talent pour l’improvisation révolutionnaire. Des milliers et des milliers d’éléments révolutionnaires sont disséminés dans ses profondeurs. La section française de la IVe Internationale est parvenue à éduquer des cadres sérieux. Le danger qui menace poussera inévitablement à gauche une couche de la classe ouvrière après l’autre. Le congrès de la IVe Internationale a donné aux éléments progressistes un programme révolutionnaire. Ce qui leur manque, ce sont des liens entre eux, une organisation centralisée, des moyens techniques et matériels. Il faut entourer les ouvriers révolutionnaires de France d’une atmosphère de sympathie internationale et d’un soutien actif. Le fascisme préparer la guerre civile. L’argent est le nerf important de toute guerre. Il faut aider la section française de la IVe Internationale financièrement. Cette obligation ne doit pas retomber sur les seuls membres de la IVe Internationale. Tous les amis de la liberté et du socialisme ont le devoir de venir en aide aux ouvriers progressistes de France.

N’est-il pas trop tard ? Non, tout montre qu’il n’est pas trop tard. En France, il n’y a pas de parti fasciste puissant et, en vérité, il n’y aura pas d’organisation aussi importante que le parti de Hitler, même avant la prise du pouvoir : c’est contraire aux traditions et aux habitudes du pays. Une organisation beaucoup plus petite est en France capable d’attirer les masses désespérées et découragées de petits bourgeois dans un coup d’État réactionnaire. Malgré tout, la faiblesse actuelle du fascisme français en tant qu’organisation constitue un net avantage pour le parti de la révolution. Jusqu’à ce qu’ait complètement mûri le moment d’un coup fasciste, nous aurons à coup sûr un certain répit, plusieurs mois, peut-être un an, peut-être deux.

Pendant ce répit, même un jeune parti révolutionnaire peut accomplir des miracles. Il faut tirer le signal d’alarme. Il faut ouvrir une campagne internationale sur la catastrophe fasciste en France. Il faut comprendre et expliquer aux masses que cette catastrophe comme celle d’Allemagne est préparée par les partis de la IIe et de la IIIe Internationale. Il faut inspirer le courage, l’audace, l’initiative à l’avant-garde révolutionnaire en France. Il faut lancer une campagne internationale pour constituer un fonds révolutionnaire du prolétariat français. Les éléments d’avant-garde des États-Unis doivent en prendre l’initiative. Il faut regarder en avant et voir tel qu’il est le danger qui approche. C’est en France que se décide maintenant le destin du prolétariat mondial, y compris celui du prolétariat des États-Unis Il nous faut tendre tous nos efforts sans perdre un seul jour. Des tâches héroïques exigent des moyens héroïques.