1939 |
Compte rendu d'une discussion à Coyoacan avec des militants américains. Source Léon Trotsky, Œuvres 20, janvier 1939 à mars 1939. Institut Léon Trotsky, Paris 1985, pp. 275-285. |
Œuvres - mars 1939
Notre travail au sein du P.C. (discussion)
La discussion a été ouverte par la lecture des extraits suivants de deux lettres :
Lettre de Trotsky
« Je constate de nouveau, à partir de votre lettre comme de ma discussion avec deux camarades femmes qui sont venues de New York ici, que les choses sont bien médiocres en ce qui concerne le travail de notre parti à l’intérieur du parti communiste. Il n’existe pas du tout de liaisons et à cet égard un certain fatalisme. « Nous sommes trop faibles. Nous n’avons pas assez de main-d’œuvre pour commencer une action systématique, etc. »
Je trouve cela tout à fait faux, dangereux et je dirais presque criminel. Selon moi, nous devons dresser la liste de tous les camarades qui sont venus du Communist Party dans les deux ou trois dernières années, de ceux qui ont des liens personnels avec des staliniens, etc. Organiser avec eux de petites discussions, pas de caractère général, mais pratique, même individuel. Élaborer quelques plans très concrets et rediscuter toute l’affaire après une semaine ou deux. Sur la base d’un tel travail préparatoire on pourrait cristalliser une commission sur cet objectif.
La fin de la tragédie espagnole, la vérité sur les activités des staliniens en Espagne et des articles comme l’excellente correspondance de Paris de Terence Phelan, vont inévitablement créer une certaine désintégration dans les rangs des staliniens. Nous devons être présents pour observer ces procès et utiliser les occasions qui se présentent. C’est la plus importante tâche du parti dans cette période. »
Lettre de [Hansen]
« J’ai lu votre lettre avec beaucoup d’attention et j’en ai discuté avec plusieurs camarades. Il y a quelques tentatives en cours en direction du P.C., mais de caractère local et loin d’être considérées du point de vue de l’organisation comme la première tâche du parti. Un camarade très militant et fort intelligent a considéré que vos suggestions étaient excellentes et pensait qu’elles pouvaient nous conduire au succès. D’autres camarades plus haut dans le parti n’avaient pas la même confiance.
Leurs doutes se situent sur la ligne suivante. Les membres du P.C. dans son ensemble n’ont pas plus d’un an ou un an et demi de parti. Ils sont venus au parti non pour lutter pour réaliser le communisme, mais pour mieux combattre pour la démocratie capitaliste. L’expérience de nos camarades au contact avec des militants de base du P.C. parlent un langage très différent du nôtre. Quand nous parlons politique avec eux, ils ne savent tout simplement pas de quoi nous parlons. En rapport avec cela, j’ai appris d’un de mes très proches amis de Californie, un artiste, sympathisant, mais pas membre du parti, que le P.C. fait une campagne intensive dans les cercles universitaires de Californie et y remporte quelque succès sur la seule base de la lutte pour la démocratie. Les membres qu’ils gagnent sont des gens que j’ai connus au collège comme libéraux, croyant en la démocratie qui pensent même que Nation est très à gauche et qui n’ont pas changé d’un iota. C’est le P.C qui est allé vers eux. En outre, l’activité des membres du P.C. se situe à un niveau incroyablement bas. Ils n’ont pas la moindre formation dans la lutte des classes, mais sont simplement liés à la machine de guerre. Si ces gens quittent le P.C., comme dans le passé, par milliers, ils ne viendront pas vers nous, mais tomberont dans l’apathie ou constitueront du matériel pour les fascistes. Le travail dans le P.C. est très difficile à cause de l’atomisation de ses membres — le pôle contraire de la centralisation de la direction — il n’y a aucune possibilité pour les membres de se rencontrer et de discuter à une échelle plus grande qu’une seule branche ou unité.
Tous les camarades sont d’accord que nous savons trop peu de la composition et de ce qui se passe à l’intérieur du P.C. et que nous pourrions faire beaucoup plus. J’ai proposé d’instituer un travail organisationnel à une échelle nationale, et un des camarades les plus haut placés s’est demandé comment j’aimerais faire ce type de travail. Naturellement le problème de briser cette organisation et, au départ, de savoir ce qui s’y passe m’intéresse énormément, mais il y a bien des camarades beaucoup mieux faits que moi pour un tel travail.
Oui, il y a du scepticisme de la part de certains. Quand je soutiens qu’une scission est inévitable au sein du P.C. et que cela ne peut qu’éduquer dans une certaine mesure les gens qui y sont même pour un certain temps — même le Daily Worker utilise dans une certaine mesure le fond socialiste — ils sont d’accord sur l’existence d’une contradiction dans leur idéologie, mais ne peuvent pas y entrevoir de profit pour nous.
Une remarque curieuse — quelques-uns de ceux qui étaient les militants les plus en vue de la troisième période sont maintenant devenus des partisans dévoués de Roosevelt à l’intérieur du P.C. Ils ne sont pas cyniques, ils sont réellement partisans de Roosevelt. Que peut-on faire de gens comme eux ? »
Trotsky :
Il me semble que ces deux lettres constituent une introduction suffisante et que les camarades pourraient exprimer leur opinion sur les possibilités d’un travail à l’intérieur du parti stalinien.
O’Brien :
Je pourrais ajouter quelques mots sur les rapports de nos membres avec les staliniens d’après les expériences que j’ai eues quand j’étais à New York à l'Appeal. On avait des plaintes chaque fois qu’on imprimait des articles contre les staliniens. Les camarades nous écrivaient que nous étions en train d’essayer de construire un parti de masses et qu’il fallait faire de notre journal un journal de masses, et pas avoir le visage tourné constamment du côté du parti stalinien. Pour eux, se tourner vers les ouvriers signifiait se détourner du parti stalinien. Pourtant, chaque fois que ces mêmes camarades écrivaient pour l'Appeal, les réalités du travail du parti exigeaient qu’ils écrivent contre les staliniens. D’autres camarades, qui se plaignaient des attaques contre le P.C., quand on leur demandait des suggestions concrètes, ne pouvaient que suggérer d’autres attaques !
Leurs objections reposaient, il me semble, sur la quantité du matériel antistalinien. Certainement une étude du Socialist Appeal montrerait que 60% des articles étaient dirigés contre le parti communiste. Mais ce travail semble trop diffus, c’est tirer en l’air. Ce qu’il faut, c’est un plan concret et une approche consistante des staliniens.
En écoutant cette lettre et son analyse des membres du P.C., il me semble que notre approche doit prendre en compte cette analyse. Il faut tenir compte de ce qui est fondamental — si les membres du P.C. ne sont intéressés qu’à la « défense de la démocratie », c’est sous cet angle qu’il faut traiter la question. Si nous sommes sérieux dans notre désir d’influencer les membres actuels du P.C., il nous faut avoir la volonté d’essayer de les éduquer pour les amener à un point de vue révolutionnaire. Nous ne pouvons nous attendre à nous adresser à la nouvelle base stalinienne en partant d’un point de vue révolutionnaire. Et nous ne pouvons pas non plus nous attendre à ce qu’ils soient familiarisés avec l’histoire de l’I.C.
Je voudrais suggérer pour maintenant une colonne fixe, dont le responsable serait chargé particulièrement de ce travail, dans le journal, une ou deux fois par semaine si nécessaire, pour prendre un ou deux points fondamentaux et marteler là-dessus toutes les semaines. Notre campagne antistalinienne, bien que concrète sur un plan local, est incompréhensible à l’échelle nationale pour les membres de base du P.C. En couplant avec la presse, cependant, nous devons faire un travail d’organisation à l’intérieur du P.C. afin de pouvoir à la fois en tirer un bénéfice, diriger et guider la presse.
Lankin :
Je crois que le seul moyen par lequel nous pouvons réellement découvrir ce qui se passe dans le P.C. c’est d’y envoyer véritablement des gens pour une certaine période et leur y donner des tâches spéciales — des gens formés. Je crois — et je le pense depuis longtemps — que dans la mesure où il s’agit de recruter, nous ne recruterons pas beaucoup à partir de cette organisation. Il y a peu d’éléments révolutionnaires dans le P.C. Presque tous ces gens, qui l’avaient rejoint avant qu’Hitler arrive au pouvoir, ont passé la troisième période et acceptent maintenant la nouvelle ligne, sont absolument sans intérêt. Personne ne peut avoir accepté la troisième période et maintenant la nouvelle ligne et le faire honnêtement. Ils sont malhonnêtes et dégénérés. Les nouveaux, qui ont adhéré après la troisième période, ne sont pas révolutionnaires, mais, pour eux, il existe un peu d’espoir. Parmi eux il y a un certain nombre d’ouvriers qui y sont venus, non sur une ligne révolutionnaire, mais parce que c’était le premier contact avec le mouvement « radical » et parce qu’ils voulaient préserver « la démocratie ». Beaucoup venaient des syndicats. Nous pourrions en gagner quelques-uns par notre travail dans le parti stalinien. Mais il nous faut y envoyer des gens qualifiés pour n’y rester qu’un certain temps.
Guy :
D’accord avec ce que dit Lankin, mais pour être capables d’y envoyer des gens, il faut que ce soient des camarades entièrement inconnus et qualifiés qui puissent faire le travail qu’il faut faire, et ce sera difficile à trouver.
Cornell :
Ce que dit le camarade Guy est juste — c’est très difficile d’envoyer des camarades qualifiés, ou, pour cette affaire, un de nos camarades, dans le P.C. Nos gens sont connus, ils sont facilement reconnaissables et le simple fait d’être trotskystes leur a donné une espèce de réputation. Même si on les envoie ailleurs au milieu du pays, les staliniens se remueront et ne tarderont pas à les découvrir. Même avec de considérables sacrifices, leur activité dans le P.C. sera brève. On peut suggérer de laisser dans le P.C. les gens qu’on y gagne. Mais cela présente aussi des difficultés. On ne change pas du jour au lendemain, mais sur une assez longue période. Au fur et à mesure qu’augmentent leurs doutes et leurs interrogations, ils se dénoncent eux-mêmes de plus en plus jusqu’à être connus comme trotskystes avant de s’en être rendus compte eux-mêmes. Si, par suite d’une heureuse combinaison de circonstances, ce n’est pas le cas, ils ne sont pas d’ordinaire formés pour mener un travail aussi délicat et n’ont pas la base politique. Si on les laissait dans le P.C., ils seraient bien plus vraisemblablement démoralisés et quitteraient le mouvement totalement plutôt que de nous amener des recrues. Trouver des gens à envoyer est une tâche difficile, mais il faut évidemment la réaliser, et, en même temps, le travail tout à fait essentiel d’une planification et d’une direction délicate et souple.
O’Brien :
Lors de la visite ici du camarade Gould, nous avions discuté un projet de mettre en circulation un bulletin ronéotypé ou un journal à l’intérieur du P.C. lui-même. Avez-vous entendu dire qu’on fait quelque chose en ce sens?
Trotsky :
Rien n'est fait, comme on peut le constater à la lecture de cette lettre. Et quelques camarades pensent qu’on ne peut rien faire ni gagner beaucoup de camarades. C’est aussi l’opinion que vient d’exprimer le camarade Lankin. Nous avons deux tâches qui sont liées, mais qu’en même temps il faut étudier séparément. L’une est de discréditer, écraser, broyer le P.C. en tant qu’obstacle à notre mouvement. Si nous gagnons, beaucoup viendront à nous. Le premier obstacle était le parti socialiste — beaucoup plus faible que le parti communiste. Nous avons essayé de le franchir et avec un certain succès. Maintenant le parti socialiste n'existe plus pour nous en tant qu’obstacle. La Vieille Garde est une organisation petite-bourgeoise semi-libérale, sans influence directe sur le mouvement ouvrier. Et le groupe de Norman Thomas est en train de mourir. La tâche est réduite au P. C. Ce que le camarade O’Brien nous dit des objections de nombreux camarades — ne polémiquons pas directement contre les gens du P. C., mieux vaut aborder le P. C. de façon constructive — signifie une approche anonyme. Ils espèrent ainsi éviter les frictions et les coups. Cela démontre que sous cette forme on peut constater une certaine crainte face à l’opinion publique des staliniens. Cela signifie que les staliniens sont forts et que nous sommes faibles. Cette objection montre que les staliniens constituent maintenant l’obstacle suivant et le plus important sur notre chemin. Et l’on ne peut pas répondre, comme le font certains camarades, que, du point de vue sociologique, ils ne sont pas faits avant tout d’éléments prolétariens, qu’ils ont été démoralisés et que nous ne pouvons pas les gagner. Ce n’est pas ce que dit le camarade Lankin, puisqu’il propose une certaine action à l’intérieur de ce parti. Les camarades, selon la lettre, disent qu’ils sont sceptiques au sujet de ce travail en général. La première tâche consiste à discréditer ce parti aux yeux des ouvriers. La seconde est de gagner le plus de membres possible des rangs de ce parti.
Dans son discours au 18e congrès du P.C. U.S., Manouilsky a dit que le P.C. Américain avait 20.000 membres et en a maintenant 90.000. Je ne suis pas sûr que ce soit exact, mais il est possible qu’ils soient maintenant autour de ce nombre. Combien d’ouvriers ? Je n’en sais rien.
Dans cette lettre, comme dans les discussions avec des camarades, nous avons entendu que la croissance des staliniens est due aux éléments petits-bourgeois. Il est presque certain qu’ils sont en majorité des petits bourgeois, mais j’interroge nos camarades sur leur influence dans les syndicats. D’où vient leur influence dans les syndicats — de la base ou du sommet ? Nous savons que les lovestonistes influencent le sommet, par des relations personnelles, etc. Comment en est-il pour les staliniens, est-ce basé sur les noyaux des membres, ou à travers les sommets de la direction ? Je ne connais pas la réponse. Ont-ils des noyaux organisés dans les syndicats? Sont-ils nombreux? Ont-ils des réunions et acceptent-ils les instructions du parti ? C’est seulement une hypothèse que l’influence des staliniens aurait une double origine — dans une certaine mesure plus grande encore l’appareil. Ils ont un appareil puissant, avec des fakirs formés très utiles pour les autres fakirs moins formés : une combinaison bien naturelle.
Mais en même temps, est-ce que cet appareil bureaucratique n’a pas une base parmi les simples membres? Il doit bien avoir quelque base dans les masses. S’il en est ainsi, cela prouve que, parmi les 90.000 il y a plusieurs milliers d’ouvriers et d’ouvriers suffisamment influents.
Avons-nous une carte des syndicats et une carte de l’influence des staliniens dans les syndicats ? Il faut avoir une carte de ce type avec les caractères, les chiffres, etc. de tous les syndicats, sur le plan national et local. On ne peut pas combattre un ennemi sans des reconnaissances préalables. Il nous faut pénétrer, avoir plus de postes dans les syndicats, il nous faut pénétrer dans le parti communiste. Les syndicats sont plus ou moins démocratiques et nous sommes plus ou moins capables d’y travailler. Il nous faut généraliser, analyser, résumer, concrétiser toutes les informations que nous avons et fabriquer une carte des syndicats et de l’influence des staliniens, parce que le mouvement syndical est le champ le plus important pour nous. Là, les staliniens entrent directement en conflit avec les intérêts des syndicats. Nous l’avons vu dans celui de l’automobile et dans d’autres. Et, comme dit le camarade O’Brien, notre critique est juste, mais trop abstraite. Elle ne peut pas atteindre l’ouvrier de base dans un syndicat. Notre critique repose sur nos conceptions générales à nous, pas sur l’expérience propre des ouvriers. Nous ne pouvons le faire que parce que nous n’avons pas d’informations et parce que nous ne faisons rien pour en avoir. Supposons un instant que toute l’influence des staliniens dans les syndicats provienne non des ouvriers mais seulement de leur appareil formé d’éléments petits-bourgeois et de bureaucrates. C’est absolument exagéré — impossible —, mais pour le moment nous accepterons cette idée qui confirme l’opinion selon laquelle nous ne pouvons gagner beaucoup de membres du P. C. ; mais, même dans ce cas, il nous faut aborder les ouvriers en général dans les syndicats de façon à faire éclater cet appareil et à le discréditer. Il n est pas homogène. Il est formé de Jimmy Higgins, de bureaucrates et de fakirs. Le P. C. aussi a ses Jimmy Higgins, honnêtes et dévoués.
Le camarade Lankin dit que les gens qui ont vécu l’expérience de la troisième période et maintenant la nouvelle orientation sont absolument démoralisés et dénués d’intérêt. Les bureaucrates, oui, mais pas les ouvriers — même pas la majorité. Dans la troisième période, ils ont subi une série de défaites et senti la nécessité d’un changement de politique. C’était pareil en France. Alors l’I.C. a proposé une voie nouvelle. Les dirigeants leur ont dit que c’était une manœuvre. Ces ouvriers n’étaient pas formés et n’avaient qu’une idée vague de la valeur d’une manœuvre. Ils savaient que les bolcheviks avaient manœuvré avec succès. Tout a empiré à travers les années. Ils étaient de plus en plus engagés et ne trouvaient pas d’issue. Ils ont traversé une crise morale. Un ouvrier qui a été éveillé par une organisation lui en garde de la reconnaissance, et il ne lui est pas facile de rompre avec elle, surtout s’il ne découvre pas d’autre chemin. Nous le considérons trop tôt comme perdu. Ce n’est pas juste.
Je répète qu’il doit y avoir une opposition à la bureaucratie au sommet. Le sommet est tout-puissant et les fonctionnaires modestes sentent que ce n’est pas une organisation fraternelle. C’est là une ligne de friction dans l’organisation elle-même. Il nous faut trouver dans leurs bureaux une femme de ménage, puis les gens au-dessus et commencer avec eux.
D’un autre côté il existe dans l’appareil des contradictions politiques, les éléments dirigeants et demi-dirigeants sont de deux types. Les leaders — une partie d’entre eux — ont l’éducation « cosmopolite » de la culture stalinienne et sont prêts à tout trahir pour elle. Ils sont la minorité active, influente, et absolument corrompue de l’appareil. Mais il y a les autres. Dans un grand parti, il est inévitable qu’il y ait des nouveaux — des Yankees — pas des canailles internationales. Il y a d’honnêtes Yankees, ils sont dévoués à Roosevelt, à la démocratie, etc. Si l’Union soviétique marche avec les États-Unis, alors ces deux fractions de la bureaucratie peuvent demeurer ensemble avec une espèce d’amitié. Ce sera un reflet de l’amitié entre Roosevelt et Staline, et un reflet dans le P. C. lui-même. Mais si la politique de Roosevelt et celle de l’Union soviétique s’opposent, nous aurons des conflits dans l’appareil lui-même. Peut-être cela se passe-t-il en ce moment, mais nous n’en savons rien. Si, au moment opportun, nous pouvions poser une question claire aux membres du P. C. ou dans une revue, alors, si nous savions ce qui se passe, nous pourrions projeter une scission.
Je crois que nous devrions organiser un recensement de tous les camarades du parti qui ont des liens ou des connaissances sur les gens ou les méthodes du P. C. et des noyaux à l’intérieur des syndicats. Localement et nationalement. Puis les convoquer et discuter des informations qu’ils ont et des matériaux qu’ils détiennent. Leur donner deux-trois jours ou une semaine pour les compléter, parce que, dans la majorité des cas, ils ont abandonné ces relations. Ils peuvent les rétablir. Puis convoquer de nouveau ces camarades et discuter des plans concrets. On leur dit de voir certaines personnes ou d’envoyer leur frère ou leur sœur les voir. On élabore des moyens pratiques élémentaires d’approche. Peu à peu une organisation peut être mise sur pied qui doit faire deux sortes de travail : l’un, très délicat et illégal, qui doit être organisé du sommet, nationalement et localement, de travail avec la base, et l’autre, une pénétration générale dans les rangs staliniens. Le camarade Cornell dit que les camarades se démoralisent si on les laisse dans le P.C. C’est parce qu’ils sont isolés. Il est très difficile de travailler dans une atmosphère de fausseté et de mensonges. Si leur travail est systématique, s’ils ont des réunions régulières avec le comité, s’ils reçoivent l’aide nécessaire et la compréhension pour leurs problèmes et remportent même quelques succès, alors il n’y aura aucune démoralisation. Il nous faut rejeter ce fatalisme sociologique, commencer le travail politique et l’organiser à une échelle locale et nationale.
Lankin :
J’aimerais ajouter un mot. Quand j’ai dit que nous devions envoyer des camarades qualifiés dans le P.C., je ne voulais pas dire que nous devions les envoyer dans la direction. Je crois qu’il suffit pour ce travail d’envoyer des militants de base à l’esprit très ouvert. Je crois qu’il est bon d’envoyer des camarades de base qui comprennent et peuvent expliquer notre programme, pour y travailler sous la direction d’une commission. Il y a également bien des moyens d’atteindre le P.C., par les organisations fraternelles, parce que là il n’y a pas de troisième degré, par les clubs ou le syndicat. Quelques-uns, parce qu’ils ne sont pas connus, peuvent rejoindre directement ce parti. Beaucoup de ceux qui sont dans les organisations fraternelles du P.C. sont contactés pour y adhérer.
Une autre question que vous avez soulevée. Vous avez posé la question de savoir si les staliniens avaient réellement de l’influence par l’intermédiaire de la base ou par le sommet. Je crois que le gros de leur influence vient du sommet, parce qu’ils sont capables dans de nombreux cas d’acheter cette influence. Quand le P.C. contrôle un syndicat, il le fait parce qu’il donne son soutien total, à un bureaucrate qui, lui n’a pas la carte du P.C.
Gray :
Quand j’étais dans la Ligue des jeunesses communistes et dans un noyau trotskyste à l’intérieur, nous avons publié pendant plusieurs semaines un journal ronéotypé. Son effet a été remarquable, même pour le temps de sa brève durée, et si nous l’avions continué, il y aurait eu des résultats bien meilleurs qu’il n’y a eu. La raison — l’une des principales raisons — de la disparition de ce journal, c’est l’absence d’orientation et de direction de la part de la C.L.A. Les gens du P.C. lisaient vraiment ce journal et y trouvaient du profit. Il provoquait beaucoup de discussions. Si on a pu le faire à cette époque, on peut le faire aujourd’hui, parce que les questions sont beaucoup plus claires maintenant qu’elles ne l’étaient il y a cinq ans.
O’Brien :
A l’époque où nous discutions un projet de bulletin, je pensais que nous n’avions pas assez de monde dans le P.C. pour le réaliser. Mais à travers la discussion j’ai compris qu’il fallait le faire de l’extérieur. Mais on n’a rien fait.
Trotsky :
On n’a rien fait. Pendant la crise avec les gens de Norman Thomas, un tel travail était un lieu commun. Après ça, la nouvelle étape, c’est le travail à l’intérieur du P. C. Nous l’avons également discuté avec des camarades qui sont venus ici, et c’était un lieu commun de dire qu’il fallait le faire et qu’on le ferait. Cela n’a pas été fait. Mais ce n’est pas un reproche. Il est possible qu’après avoir quitté le parti socialiste, nous ayons créé une organisation fermée plus ou moins satisfaite d’elle-même. Comme étape transitoire, on peut le comprendre, mais c’est dangereux. On peut dégénérer en une secte. Un danger de ce genre a été écarté avec l’entrée dans le parti socialiste. Maintenant, il nous faut développer notre travail contre l’obstacle réel.
L’opinion des camarades est intéressante — s’il vous plaît, pas de polémique ouverte avec les staliniens. Il faut éveiller l’opinion de nos propres camarades. Nous disons souvent que le champ véritable de notre activité, ce sont les syndicats, mais là nous rencontrons les mêmes staliniens.