1940 |
Lettre à A. Goldman (8328), traduite de l'anglais, avec la permission de la Houghton Library. |
Oeuvres : juillet 1940
[Service militaire]
Cher Camarade Al [1]
Je crois que nous sommes d'accord avec vous sur tous les points de caractère principiel tels qu'ils sont formulés dans votre lettre du 6 juillet.
Il est très important de comprendre que la guerre n'annule ni ne diminue l'importance de notre programme de transition. C'est le contraire qui est vrai. Le programme de transition est un pont entre la situation présente et la révolution prolétarienne. La guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens. La caractéristique de la guerre est qu'elle accélère le développement. Cela signifie que nos mots d'ordre révolutionnaires de transition deviendront de plus en plus réels, effectifs, importants avec chaque nouveau mois de guerre. Nous n'avons bien entendu qu'à les concrétiser et les adapter aux conditions. C'est pourquoi dans votre premier paragraphe, j'éliminerais le mot “ modifier ” parce qu'il peut donner l'impression que nous voulons modifier quelque chose qui a un caractère de principe.
Nous sommes absolument partisans de l'entraînement militaire obligatoire et, de la même façon, du service militaire. Service militaire ? Oui. Par l'État bourgeois ? Non. Nous ne pouvons pas confier cette tâche, comme toute autre, à l'État des exploiteurs. Dans notre propagande et notre agitation, il nous faut différencier très nettement ces deux questions. C'est‑à‑dire, ne pas combattre la nécessité pour les ouvriers d'être de bons soldats et de construire une armée basée sur la discipline, la science, des corps solides, etc., y compris le service militaire, mais contre l'État capitaliste qui abuse de l'armée au compte de la classe exploiteuse. Dans votre paragraphe quatre, vous dites : “ Une fois que le service militaire est passé dans la loi, nous cessons de lutter contre lui mais continuons notre lutte pour l'entraînement militaire, etc. ” Je préférerais dire : “ Une fois que le service militaire est passé dans la loi, sans cesser de lutter contre l'État capitaliste, nous concentrons notre lutte pour l'entraînement militaire, etc.
Nous ne pouvons nous opposer à l'entraînement militaire obligatoire par l'État bourgeois, exactement comme nous ne pouvons nous opposer à l'éducation obligatoire par l'État bourgeois. L'entraînement militaire est à nos yeux une partie de l'éducation. Nous devons lutter contre l'État bourgeois : il abuse dans ce domaine comme dans les autres.
Il nous faut bien entendu lutter contre la guerre, non seulement “ jusqu'au tout dernier moment ”, mais pendant la guerre aussi, quand elle a commencé. Il nous faut cependant donner à notre combat contre la guerre son sens révolutionnaire plein, en nous opposant et en dénonçant impitoyablement le pacifisme. L'idée très simple et très grande de notre combat contre la guerre, c'est : “ Nous sommes contre la guerre, mais nous aurons la guerre si nous ne sommes pas capables de renverser les capitalistes.
Je ne vois pas de raison de renoncer au mot d'ordre de référendum du peuple sur la guerre [1]. C'est un mot d'ordre excellent pour démasquer la futilité de leur démocratie sur une question aussi vitale que la guerre.
Je ne crois pas que la revendication des milices ouvrières doive être éliminée par celle de l'entraînement militaire pour tous. L'approche de la guerre et la guerre elle‑même, avec la montée des sentiments chauvins, vont inévitablement provoquer des pogroms contre les syndicats, les organisations et journaux révolutionnaires, etc. Nous ne pouvons renoncer à nous défendre. L'entraînement militaire pour tous ne peut que nous faciliter la création de milices ouvrières.
“ La propriété gouvernementale [...] de toutes les industries de guerre ” devrait être remplacée par “ nationale ” ou “ propriété d'État ”.
Telles sont les remarques que je peux faire sur votre lettre.
Notes
[1] Albert Goldman, membre de la direction du S.W.P., avait consulté Trotsky sur la façon de formuler la position de ce parti vis‑à‑vis de l'introduction du service militaire obligatoire.
[2] Ce mot d'ordre avait été lancé à la suite de la discussion sur l'amendement Ludlow (Œuvres, 16, pp. 132‑133), à la suite d'une discussion où Trotsky avait soutenu Burnham contre le reste de la direction.