1924

Zetkin tire le bilan de l'échec de "l'Octobre allemand"....

Source : Compte-rendu analytique.

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Intervention au V° congrès de l'Internationale communiste

Clara Zetkin

24 juin 1924


CLARA ZETKIN. — On a affirmé que la défaite d'Octobre avait été le résultat d'une politique petite-bourgeoise et opportuniste poursuivie par le Parti depuis 1921. On a parlé ici de brandlerisme et de radekisme. Mais jusqu'à la défaite d'octobre, la centrale a été approuvée par l'Exécutif. Si donc, le Parti est coupable, l'Exécutif l'est autant que lui.

On a affirmé que c'était intentionnellement que Brandler avait choisi la Saxe pour y réaliser sa politique réformiste de front unique, parce que les masses communistes dans ce pays étaient déjà opportunistes. Brandler a surestimé l'importance de la Saxe, non pas parce qu'il a cru que les masses communistes y étaient imprégnées d'esprit social-démocrate, mais au contraire parce qu'il a pensé à tort que les masses social-démocrates étaient déjà gagnées à notre influence et prêtes à lutter à nos cotés.

Le 9 novembre, les fascistes se préparaient à proclamer la monarchie ; l'agression des fascistes dans le Sud a été arrêtée par la Saxe et la Thuringe.

Je vois les causes de la retraite d'Octobre dans une série de faits qui nécessitent une critique sévère de l'attitude antérieure du Parti. L'occupation de la Ruhr rendait la situation révolutionnaire. Le Parti aurait dû diriger les forces révolutionnaires qui surgissaient et les conduire à la lutte pour la conquête du pouvoir. Mais il n'a pas su comprendre à temps la situation. Il aurait fallut agir au Parlement, dans les Conseils municipaux, dans les réunions, dans les manifestations, dans les conseils d'usines. Il aurait fallu que chaque revendication fût ramenée à la question de la prise du pouvoir, de la guerre civile. Il aurait fallu donner aux Conseils d'usines un rôle politique, en faire, comme des centuries, le point d'appui d'une action de masse.

Lorsque la direction s'aperçut de son erreur, elle se mit à organiser fiévreusement l'armement du Parti. Mais l'armement doit aller de pair avec la conscience de la nécessité de la lutte armée. Les facteurs moraux doivent remplacer l'insuffisance des armes. C'est dans la lutte que le prolétariat sentira la nécessité de mieux s'armer pour abattre l'adversaire. Le parti a trop peu fait pour expliquer cela aux masses. Sa politique et son action ne se liaient pas aux masses. C'est pourquoi le Gouvernement ouvrier de Saxe a été une faute formidable. Le Gouvernement ouvrier ne pouvait avoir de sens que s'il avait été le couronnement d'un mouvement de masse, appuyé sur les organes du prolétariat en dehors du Parlement, c'est-à-dire sur les Conseils d'usines, les congrès du prolétariat, les forces armées de la classe ouvrière. On a pensé au contraire que le Gouvernement ouvrier serait le point de départ d'un mouvement de masses et de l'armement du prolétariat. Ainsi furent commises différentes fautes dans l'application de la tactique du front unique. Le résultat a été : ni hommes, ni armes. Il a été affirmé ici que la retraite ordonnée par le Parti ne correspondait pas à la volonté révolutionnaire des masses et du Parti. Ce n'est pas juste. Les masses n'étaient pas prêtes. Le Parti n'a pas su utiliser leur état d'esprit révolutionnaire. Même l'insurrection de Hambourg prouve ce que j'avance. Toute mon admiration pour les quelques centaines de héros qui ont combattu à Hambourg ne m'empêche pas de constater que ni les autres membres du Parti, ni le reste du prolétariat de Hambourg n'ont affirmé leur solidarité. Et pourtant, il y avait 14.000 communistes à Hambourg.

THAELMANN. — Ils n'avaient pas d'armes.

CLARA ZETKIN. — Je le sais, camarade Thaelmann, mais ils manquaient de résolution pour s'en emparer.

Vous avez dit, camarades, qu'il y a eu échec parce que le Parti avait donné l'ordre de la retraite. J'estime que cela est inexact. Les événements de novembre de 1918 en Allemagne, ont montré que la volonté révolutionnaire, sans avoir besoin de mots d'ordre de la majorité du Parti alors au pouvoir, s'élance en avant, même contre la volonté du Parti. Si l'on prend en considération la situation d'octobre 1923, on doit dire que Brandler, en n'acceptant pas le combat non seulement a agi comme il était inévitable d'agir, mais encore a rendu au Parti un grand service. Dans le cas contraire, en effet, le Parti aurait été mis en miettes et la fleur du prolétariat du Saxe et de Thuringe aurait péri.

À mon avis, le Parti n'est pas encore sorti d'une pénible crise de croissance et n'est pas encore apte à lutter. Je ne citerai à l'appui que quelques faits. Le 1er mai qui aurait dû être plus que jamais une journée de manifestation contre la réaction a piteusement échoué à Berlin et dans le reste de l'Allemagne, sauf de rares exceptions. Fait caractéristique, la Centrale avait longuement discuté pour savoir s'il fallait faire front unique ou laisser les divers secteurs organiser la journée selon les circonstances. L'agression de la police berlinoise contre la mission commerciale russe exigeait une forte campagne de protestation. Les masses auraient dû être invitées à une lutte violente contre l'impérialisme français et l'impérialisme mondial et aussi contre la bourgeoisie allemande prête à vendre l'Allemagne. La question nationale aurait dû être exposée et utilisée à notre point de vue révolutionnaire de la conquête du pouvoir. Il fallait intéresser la petite et la moyenne bourgeoisie. Mais le Parti se contenta de réunions et de manifestations. Les élections ont révélé un accroissement très heureux du Parti Communiste et cependant les 6 millions de suffrages reçus par la social-démocratie et les voix purement prolétariennes qu'a obtenues le fascisme sont une ombre sérieuse. La démonstration de notre fraction du Reichstag, le jour de l'ouverture du Parlement me plaît beaucoup, mais elle manque de liaison avec les masses. Les manifestations de masses ont fait défaut et cependant elles auraient eu plus de poids. Dans la circonscription de Halle-Mersebourg nous avons obtenu 186.000 suffrages, les social-démocrates 110.000. Où étaient donc nos électeurs pendant la manifestation et que disait-on du front unique par en bas ?

Dans ces derniers mois les grèves ont été plus nombreuses que jamais. Où le Parti a-t-il pris la tête du mouvement ? En Haute-Silésie seulement. Par suite de la passivité ou tout au moins de l'insuffisante activité du Parti, les masses sont retombées sous la conduite d'Amsterdam. On a pu s'en apercevoir après les élections des conseils d'entreprises et des délégués syndicaux. Nous avons subi des pertes importantes en regard d'une consolidation de la social-démocratie.

Tous ces faits me permettent d'affirmer que le Parti n'a pas encore acquis la solidité, la puissance et l'activité susceptibles de lui permettre de rallier les masses pour l'action.

Il se peut qu'une aggravation de la situation mondiale ne se fasse pas attendre. En Allemagne la crise peut être précipitée par la décision des experts. Plus que jamais nous devons mobiliser toutes nos forces pour gagner les masses et les mener au combat. Le Parti a commencé à se préparer au combat de demain en s'entendant avec les Partis Communistes des pays voisins. Cela est parfait. Cependant la mobilisation internationale ne doit pas nous faire oublier que chaque prolétariat doit combattre et vaincre son impérialisme sur son propre territoire. Ensuite le prolétariat doit se chercher des alliés. Où en est-on des questions nationale, paysanne et petite bourgeoise ? Où sont les principes concrets et pratiques de notre politique ? Ni le rapport Zinoviev ni les débats n'ont encore établi avec netteté la tactique à suivre pour réaliser le front unique. Zinoviev a commenté les décisions du IV° Congrès à la façon d'un exégète de la Bible ou des Évangiles. Je suis de l'avis de Luther : « Laissons le Verbe tranquille ». Les résolutions du IV° Congrès doivent se passer d'explications et d'interprétations. Si elles ne suffisent plus, elles doivent être changées. Si nous controversons pour savoir ce que Zinoviev a rédigé seul et ce qu'il a rédigé avec Radek et comment comprendre tel ou tel passage, il faudra reconnaître à d'autres camarades le droit d'interpréter aussi à leur façon les décisions.

Le front unique a deux conséquences. D'abord chaque Parti Communiste, discipliné, centralisé, doit intervenir à visage découvert, ne jamais faire dépendre ses actes de la manière de voir des autres, intervenir en guide révolutionnaire des masses. Ensuite il doit toujours être en contact avec les masses et raffermir ce contact en luttant pour leurs revendications quotidiennes.

À l'égard du gouvernement ouvrier et paysan je ne puis accepter la déclaration de Zinoviev, que c'est un pseudonyme, un synonyme ou Dieu sait encore quel nyme de la dictature du prolétariat. Cela était peut-être juste pour la Russie. Mais il n'en est pas de même pour des pays où le capitalisme est fortement développé. Là, le gouvernement ouvrier et paysan est l'expression politique d'une situation dans laquelle la bourgeoisie ne peut plus se maintenir au pouvoir tandis que le prolétariat n'est pas encore à même d'ériger sa dictature. Les ouvriers attendent de ce gouvernement une politique ouvrière et révolutionnaire qui est impossible sans une intervention dictatoriale dans l'économie capitaliste et dans la propriété privée. Aussi est-il clair qu'un gouvernement ouvrier ne saurait jamais s'appuyer sur la force d'un Parlement. Il doit s'appuyer sur les organes du pouvoir révolutionnaire des ouvriers en dehors du Parlement : le Congrès des Soviets et du prolétariat armé. La période des gouvernements ouvriers révolutionnaires, dans le vrai sens du mot, ne peut être de longue durée. Le gouvernement ouvrier est une étape non obligée vers la dictature.

Je ne crois pas que la vague démocratique et pacifiste, dont l'importance est tellement surfaite par les opportunistes, soit de longue durée ni de grande force. Aussi, suis-je d'avis que chaque étincelle de pouvoir réel que le prolétariat pourra conquérir doit être utilisée jusqu'au bout. La bourgeoisie est ébranlée. Elle ne s'en tient plus à ses méthodes légales et illégales ; elle recourt aux opportunistes et aux réformistes pour leurrer les ouvriers. Les partis communistes doivent tracer entre eux et les réformistes une démarcation franche. Les circonstances actuelles exigent la totale indépendance des partis communistes en tant que guides révolutionnaires de la classe prolétarienne. C'est un problème de tout premier plan.

Il y a d'autre part un danger de gauche. L'idée que le Parti seul, sans les masses, serait capable d'entreprendre des actions révolutionnaires décisives, mène au putschisme. J'ai entendu dire par exemple que le Parti Communiste allemand aurait dû, en octobre, lutter pour le pouvoir quand bien même les masses seraient restées passives. Ç'aurait été une répétition de l'action de mars. Si nous voulons trouver la bonne position aussi bien à l'égard des autres partis ouvriers que des masses, nous devons assimiler les enseignements de la révolution russe et du Parti Communiste Russe sur la discipline, la centralisation, l'organisation et la tactique parmi les masses. Notre parti doit être le cerveau, le centre organisateur. Les masses et le Parti sont les facteurs actifs de la révolution. À ce point de vue comme à tous les autres, les partis communistes ne doivent cesser de se bolchéviser. Il faut que chaque militant soit imbu de cette idée : « Si ma besogne, si ma volonté n'est qu'une goutte infime, c'est peut-être précisément la dernière goutte destinée à faire déborder la coupe révolutionnaire. » Si nous arrivons à travailler de cette manière, si nous arrivons à combattre ainsi, la vague continuera à monter, la volonté des masses s'unira sous la conduite du Parti Communiste en vue de l'assaut et avec une puissance irrésistible le flot révolutionnaire se précipitera et engloutira la société bourgeoise.


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