1919

Source : num�ro 5 du Bulletin communiste (permi�re ann�e), 15 avril 1920.


Le parlementarisme et la lutte pour les soviets

Grigori Zinoviev

1er septembre 1919


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Lettre-Circulaire du Comit� Ex�cutif de l'Internationale Communiste

Chers camarades,

La phase actuelle du mouvement r�volutionnaire pose entre autres questions, de fa�on tr�s imp�rieuse, la question du parlementarisme. En France, en Am�rique, en Angleterre, en Allemagne, tandis que la lutte des classes devient plus �pre, tous les �l�ments r�volutionnaires, en s'unissant ou en coordonnant leur action sur le mot d'ordre du pouvoir des Soviets, adh�rent au mouvement communiste. Les groupes anarchistes-syndicalistes et parfois des groupes qui simplement s'intitulent anarchistes entrent ainsi dans le courant g�n�ral. Le Comit� Ex�cutif de l'Internationale Communiste le constate avec joie.

En France, le groupe syndicaliste du camarade P�ricat forme un Parti communiste1; en Am�rique, et partiellement, en Angleterre, la lutte pour les soviets est men�e par des organisations telles que celles des I. W. W. (Industrial Workers of the World). Ces groupes et ces tendances ont toujours activement combattu les m�thodes parlementaires. D'autre part, les �l�ments du parti communiste issus des partis socialistes, sont enclins pour la plupart, � admettre aussi l'action parlementaire (groupe Loriot eu France, membres de la I. S. P. en Am�rique, membres de l'I. L. P. en Angleterre). Tous ces courants qui doivent �tre � tout prix et au plus t�t unis dans les cadres du Parti communiste ont besoin d'une tactique unique. La question doit donc �tre tranch�e d'une fa�on g�n�rale et le Comit� Ex�cutif de l'Internationale communiste adresse � tous les partis fraternels la pr�sente lettre consacr�e � cette question.

La plate-forme commune sur laquelle il faut s'unir, c'est actuellement la reconnaissance du la lutte pour la dictature du prol�tariat sous la forme du pouvoir des soviets. L'histoire a pos� la question de telle fa�on que c'est pr�cis�ment � ce sujet qu'a �t� pr�cis�e la limite entre le parti du prol�tariat r�volutionnaire et les opportunistes, entre les communistes et les social-tra�tres, quelle que soit leur �tiquette. Ce qu'on appelle le centre (Kautsky en Allemagne, Longuet en France. I. L. P. et certains �l�ments du B. S. P. en Angleterre, Hilquit en Am�rique), constitue, malgr� toutes les assurances contraires, une tendance objectivement antisocialiste, parce qu'elle ne veut et ne peut combattre pour la dictature du prol�tariat. Et par contre, les groupes et les partis qui, par le pass� n'admettaient aucune lutte politique (par exemple, certains groupes anarchistes), reconnaissant le pouvoir des soviets, la dictature du prol�tariat, ont par l�-m�me renonc� � leur caract�re apolitique, en admettant l'id�e de la prise du pouvoir par la classe ouvri�re, qui est n�cessaire pour vaincre la r�sistance de la bourgeoisie. Nous avons ainsi, r�p�tons-le, une plate-forme commune � celle de la lutte pour la dictature des soviets.

Ces anciennes subdivisions du mouvement ouvrier sont �videmment p�rim�es. La guerre a entra�n� un nouveau regroupement. De nombreux anarchistes ou syndicalistes qui professent la n�gation du parlementarisme, se sont, pendant les cinq ann�es de guerre, conduits d'une fa�on aussi vile et aussi tra�tre que les anciens chefs de la social-d�mocratie officielle qui ne juraient que par Marx. Ce regroupement des forces s'accomplit d'apr�s une nouvelle ligne : pour la r�volution prol�tarienne, pour les soviets, pour la dictature, pour l'action des masses. Jusqu'� l'insurrection arm�e inclusivement � ou contre. Telle est de nos jours la question fondamentale. Tels sont les crit�res essentiels. Telles sont les insignes sous lesquels se formeront et se forment les nouvelles unions.

Quel est le rapport entre la reconnaissance du principe des soviets et le parlementarisme ? Il faut ici distinguer avec soin deux questions qui n'ont entre elles aucun lien logique : celle du parlementarisme consid�r� comme une forme d�sirable d'organisation de l'�tat et celle de l'utilisation du parlementarisme afin de concourir a la r�volution. Les camarades confondent souvent ces deux questions, ce qui sur le terrain de la lutte pratique, est de l'effet le plus f�cheux.

Examinons tour � tour chacune de ces questions et tirons toutes les conclusions n�cessaires. Quelle est la forme de la dictature prol�tarienne ? Nous r�pondons : les soviets. Une exp�rience d'une signification mondiale l'a d�montr�. Le pouvoir des soviets est-il compatible avec le parlementarisme ? Non. trois fois non ! Il est absolument incompatible avec les parlements existants parce que la machine parlementaire repr�sente la puissance concentr�e de la bourgeoisie. Les d�put�s, les Chambres, leurs journaux, leur syst�me de corruption, les liens des parlementaires dans la coulisse avec les grandes banques, leurs relations avec tous les appareils de l'�tat bourgeois sont autant de cha�nes aux pieds de la classe ouvri�re. Il les faut briser. La machine gouvernementale de la bourgeoisie, et par cons�quent le parlement bourgeois doit �tre bris�e, dispers�e, an�antie, et il faut organiser sur ses ruines un nouveau pouvoir celui des unions ouvri�res de classe, celui des � parlements ï¿½ ouvriers c'est-�-dire les soviets. Seuls les tra�tres de la classe ouvri�re peuvent leurrer les ouvriers en leur faisant esp�rer une transformation sociale par des moyens pacifiques, par des r�formes parlementaires. Ces gens sont les pires ennemis de la classe ouvri�re et il faut les combattre impitoyablement ; aucun compromis n'est admissible avec eux. Aussi notre mot d'ordre est-il pour tout pays bourgeois : A bas le Parlement ! Vive le pouvoir des soviets !

Mais on peut poser la question suivante : Soit. Vous n'admettez pas le pouvoir des parlements bourgeois actuels ; mais pourquoi ne pas organiser de nouveaux parlements plus d�mocratiques bas�s sur un v�ritable suffrage universel ? A cela nous r�pondons : Pendant la r�volution socialiste, la lutte est tellement �pre que la classe ouvri�re doit agir promptement, de fa�on d�cisive, sans admettre dans son sein, dans son organisation du pouvoir, des ennemis de classe. A ces exigences les Soviets d'ouvriers, de soldats, de marins, de paysans �lus dans les fabriques, les usines, les fermes, les casernes, satisfont seuls. Ainsi se pose la question de la forme du pouvoir prol�tarien. Et maintenant il faut renverser le gouvernement bourgeois des rois, des pr�sidents, des parlements, des chambres de seigneurs, des assembl�es constituantes. Toutes ces institutions sont pour nous des ennemis jur�s que nous devons an�antir.

Passons maintenant � la deuxi�me question fondamentale : Peut-on utiliser les parlements bourgeois dans le but de d�velopper la lutte de classes r�volutionnaire ? Cette question, comme nous l'avons dit plus haut, n'a aucun lien logique avec la premi�re. En effet, c'est que l'on peut tendre � d�truire une organisation en y entrant, � en l'utilisant ï¿½. Nos ennemis de classe le comprennent parfaitement bien quand ils se servent dans leur propre dessein des partis socialistes officiels, des trade-unions, etc... Prenons un exemple. Les communistes bolcheviks russes particip�rent aux �lections de l'Assembl�e Constituante. Ils y si�g�rent, mais il vinrent pour dissoudre au bout de vingt-quatre heures cette assembl�e et r�aliser totalement le pouvoir des soviets. Le parti bolchevik a eu ses d�put�s � la Douma d'�tat du tzar. Reconnut-il alors cette Douma comme une forme de l'organisation de l'�tat id�ale, ou simplement admissible ? Il serait insens� de le supposer. Il y envoyait ses repr�sentants pour y attaquer de ce c�t� aussi l'appareil gouvernemental du tsarisme, pour contribuer � la destruction de cette m�me Douma.

Ce n'est pas pour rien que le gouvernement du tzar condamna les � parlementaires ï¿½ bolcheviks aux travaux forc�s pour � haute trahison ï¿½. Les d�put�s bolcheviks menaient aussi en profitant � ne f�t-ce que momentan�ment � de leur � inviolabilit� ï¿½ l'action ill�gale, organisant les masses pour monter � l'assaut du tzarisme. Mais une telle action � parlementaire ï¿½ n'a pas �t� vue qu'en Russie. Prenez l'Allemagne et le travail de Liebknecht. Feu notre camarade a �t� un r�volutionnaire mod�le ; n'�tait-ce pas un acte �minemment r�volutionnaire que d'appeler du haut de la tribune du Landtag prussien les soldats � la r�volte contre ce m�me Landtag ? Sans doute, et nous voyons ici maintenant combien est admissible et profitable une pareille attitude. Si Liebknecht n'avait pas �t� d�put�, il n'aurait jamais pu manifester une telle activit� ; ses discours n'eussent pas eu une pareille port�e. L'exemple du travail parlementaire des communistes su�dois nous en convainc aussi. En Su�de le camarade H�glund a jou� et joue le m�me r�le que Liebknecht en Allemagne. Profitant de son si�ge de d�put� il contribue � la destruction du syst�me parlementaire bourgeois. Personne en Su�de n'a fait autant pour la cause de la r�volution et pour la lutte contre la guerre que notre ami. Nous voyons le m�me fait en Bulgarie. Les communistes bulgares ont utilis� avec succ�s, pour des fins r�volutionnaires, la tribune parlementaire. Aux derni�res �lections ils ont obtenu 47 si�ges. Les camarades Blagoev, Kirkov, Kolarov et d'autres leaders du mouvement communiste bulgare savent contraindre la tribune parlementaire � servir la cause de la r�volution prol�tarienne. Un tel travail � parlementaire ï¿½ exige une hardiesse et un temp�rament r�volutionnaire exceptionnels : ici, en effet, les hommes sont � un poste particuli�rement dangereux. Ils minent la position de l'ennemi dans son propre camp ; ils entrent au parlement, non pour recevoir cette machine entre leurs mains, mais pour aider les masses � la faire sauter du dehors.

Ainsi, sommes-nous pour la conservation des Parlements bourgeois d�mocratiques en tant que forme de gouvernement de l'Etat ?

Non, en aucun cas. Nous sommes pour les Soviets. Sommes-nous pour l'utilisation des parlements au profit de notre travail communiste, tant que nous n'avons pas la force de les renverser ?

Oui, mais en observant diverses conditions.

Nous savons tr�s bien que ni en France, ni en Am�rique, ni en Angleterre, il n'y a eu parmi les ouvriers de parlementaires r�volutionnaires. Mais cela ne prouve pas que la tactique que nous croyons bonne soit erron�e. Toute la question r�side en ce fait qu'il n'y a jamais eu dans ces pays de parti r�volutionnaire tel que les bolchevistes russes et les spartakistes allemands. Si un tel parti existe tout peut changer. Il faut en particulier :1� que le centre de gravit� de la lutte soit situ� hors du Parlement (dans les gr�ves, les insurrections et les autres formes de la lutte des masses) ; 2� que les interventions du Parlement correspondent � cette lutte ; 3� que les d�put�s prennent part au travail ill�gal ; 4� qu'ils agissent sur mandat du Comit� central du parti, en se soumettant � lui ; 5� que dans leurs interventions ils ne s'embarrassent pas des formes parlementaires (qu'ils n'aient pas peur de se heurter � la majorit� bourgeoise, qu'ils sachent parler par-dessus sa t�te, etc.) Faut-il, ou non, participer, � tel moment donn�, � telle campagne �lectorale � cela d�pend de toute une s�rie de conditions concr�tes qui dans chaque pays, doivent �tre, au moment opportun sp�cialement examin�es. Les bolcheviks russes ont �t� pour le boycottage des �lections � la premi�re Douma en 1906. Six mois plus tard, ils �taient pour la participation aux �lections � la deuxi�me Douma, quand il fut prouv� que la domination des bourgeois propri�taires durerait encore en Russie pendant quelques ann�es. Avant les �lections pour l'Assembl�e constituante allemande en 1918 une partie des spartakistes voulait y participer ; l'autre y �tait appos�e. Mais le parti resta un parti communiste unique.

Nous ne pouvons renoncer en principe � utiliser le parlementarisme. Le parti bolchevik en Russie au printemps 1918, �tant d�j� au pouvoir, d�clara � son 7e Congr�s, dans une r�solution sp�ciale que si par la suite d'un concours de circonstances particuli�res, la bourgeoisie parlementaire prenait de nouveau momentan�ment le dessus, les communistes russes pourraient �tre contraints � tirer de nouveau parti du parlementarisme bourgeois. Il ne faut donc pas se lier les mains � cet �gard.

Ce que nous voulons surtout souligner, c'est que la v�ritable solution de la question a lieu dans tous les cas hors de l'enceinte du parlement, dans la rue. Il est maintenant �vident que la gr�ve et l'insurrection sont les seules m�thodes de lutte d�cisive entre le Travail et le Capital. C'est pourquoi les principaux efforts de tous les camarades doivent �tre concentr�s sur le travail de la mobilisation des masses ; cr�ation du parti, cr�ation de nos groupes dans les associations professionnelles et conqu�te de celles-ci ; organisation des soviets au cours de la lutte, direction de l'action des masses, agitation dans les masses en faveur de la r�volution, voil� ce qui est au premier plan, les interventions parlementaires et la participation aux campagnes �lectorales n'�tant dans ce travail qu'un moyen secondaire et rien de plus.

S'il en est ainsi � et il en est indiscutablement ainsi � il va de soi que ceux dont les opinions divergent sur cette question ne doivent pas se diviser pour cela. La pratique des prostitutions parlementaires a �t� tellement �c�urante que les meilleurs camarades ont l�-dessus des pr�jug�s. Il faut les d�truire peu � peu au cours de la lutte r�volutionnaire. C'est pourquoi nous insistons aupr�s de tous les groupes et de toutes les organisations qui m�nent une lutte effective pour les soviets en faveur d'une union maxima, en d�pit des d�saccords sur ce sujet.

Tous ceux qui sont pour les Soviets et la dictature prol�tarienne doivent s'unir au plus t�t et former un parti communiste unique.

Salut communiste.

Le pr�sident du Comit� ex�cutif de l'Internationale communiste,

G. Zinoviev

Note

1 Note de la R�daction du Bulletin communiste : Ce parti est aujourd'hui disloqu� et l'on ignore ce qui en subsiste. Mais ses membres entrent pour la plupart dans le Comit� de la 3e Internationale, r�guli�rement affili� � l'Internationale communiste.


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