La plate-forme des bolcheviks-léninistes (Opposition) pour le XV° Congrès du PC de l'URSS. Un domument élaboré par Trotsky et Zinoviev, repris par 13 membres du CC et de la CCC, puis par près de 10 000 communistes. |
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Plate-forme pour le XV° congrès du PCUS
Opposition bolchévique unifiée
« La seule base matérielle du socialisme ne peut être que la grande industrie mécanique, capable de réorganiser l'agriculture » (Lénine, T. 18, première partie, page 316).
La condition indispensable de notre développement socialiste, dans sa période primitive actuelle, dans la situation historique du moment, c'est-à-dire dans l'entourage capitaliste et avec le retard de la révolution mondiale, consiste en un rythme d'industrialisation qui apporterait pour la période prochaine tout au moins la solution aux problèmes suivants :
Malgré les progrès importants dans le domaine de l'industrie de l'électrification et des transports, l'industrialisation est loin d'avoir atteint le niveau de développement indispensable et possible. Le rythme suivi actuellement dans l'industrialisation et celui tracé pour les années prochaines sont nettement insuffisants.
Il est évident qu'il n'existe et ne peut exister une politique qui permette d'un seul coup de vaincre toutes les difficultés et de sauter par-dessus une longue période de développement de l'économie et de la culture. Mais la situation arriérée de notre économie et de notre culture exige une tension extraordinaire de nos forces et de nos moyens, une mobilisation rationnelle et opportune de toutes les réserves, une utilisation juste de toutes les ressources en vue de l'industrialisation rapide du pays.
Le retard chronique de notre industrie, ainsi que des transports, de l'électrification et de la construction sur les demandes et les besoins de la population, de l'économie nationale et du système social de l'URSS dans son ensemble, paralyse tout le roulement économique, rétrécit la réalisation de la partie commerciale de la production agricole et de son exportation, maintient l'importation dans un cadre restreint, fait monter les prix au-dessus du prix de revient, crée l'instabilité du tchervonetz, enraye le développement des forces productives, retarde la croissance du bien-être matériel des masses ouvrières et paysannes, provoque un accroissement dangereux des sans-travail et une aggravation des conditions de logement, nuit à la soudure entre l'industrie et l'économie agricole et affaiblit la capacité de défense du pays.
Le rythme insuffisant du développement de l'industrie provoque à son tour un retard dans la croissance de l'économie rurale.
Aucune industrialisation n'est possible sans un relèvement décisif des forces productives agricoles et une augmentation de ses capacités commerciales.
Il n'existe et ne peut exister un rythme convenable de l'industrialisation en dehors d'une diminution systématique et sans relâche des prix de revient ainsi que des prix de fabrique et de ceux de détail pour les marchandises industrielles et sans leur rapprochement des prix mondiaux. C'est en cela que consiste un progrès réel, tant au point de vue du passage du travail à une base technique plus élevée, qu'à une plus grande satisfaction des besoins des travailleurs.
Il est temps d'en finir avec ces cris imbéciles et indécents qui consistent à faire dire à l'Opposition qu'elle veut une augmentation des prix. Le Parti est complètement unanime dans son aspiration à la baisse des prix. Mais cette aspiration à elle seule est insuffisante. On ne juge pas une politique à ses intentions, mais à ses résultats. Les résultats de la lutte actuelle pour la diminution des prix ont obligé plus d'une fois, même les responsables de la direction, à poser la question de savoir si cette politique n'avait pas comme conséquence la perte de très grosses sommes.
- « Où est passé le milliard ? » demandait en janvier de cette année le camarade Boukharine.
- « Où passe la différence entre les prix de gros et ceux de détail ? » demandait après lui, sur cette même question. le camarade Roudzoutak, (sténographie du BP du 3 mars 1927, pp. 220-21). Dans un moment d'insuffisance chronique de marchandises, la baisse incohérente des prix de fabrique, par un bureaucratisme incapable, dans la mesure où, dans la plupart des cas, cette baisse n'est nullement ressentie par les ouvriers et les paysans, a comme conséquence une perte pour l'industrie d'État Cette perte s'élève à des centaines de millions de roubles. La différence croissante entre les prix de gros et de détail qui en découle, surtout dans le commerce privé, est si monstrueuse que l'on peut absolument admettre qu'avec une politique juste, il serait possible de retenir une partie de ces centaines de millions de roubles entre les mains de l'industrie d'État. La conclusion incontestable de toute l'expérience de l'économie de ces dernières années exige une rapide diminution de ces disproportions par l'augmentation de la masse commerciale de l'industrie, l'accélération du rythme du développement de l'industrie. C'est là la voie fondamentale vers une baisse des prix de revient qui, ces dernières années, ont montré plutôt une tendance à l'augmentation qu'à une diminution.
La question concernant un plan quinquennal de développement de l'économie nationale qui figure à l'ordre du jour du XV° Congrès doit retenir, avec raison, le centre de l'attention du Parti. Le projet de la Commission du plan d'État n'est pas encore officiellement adopté et il est peu probable qu'il le soit dans sa forme actuelle. Mais il révèle, néanmoins, l'expression la plus systématique et la plus achevée de la ligne essentielle de la direction de l'économie.
Les investissements de capitaux dans l'industrie, d'après le plan, n'augmentent presque pas d’année en année (1 142 millions pour l'aimée prochaine, 1 205 millions pour 1931) et par rapport à la somme totale investie dans l'économie nationale, ils tombent de 36,4 % à 27,8 %. Les sommes prélevées sur le budget de l'État et versées dans l'industrie tombent au cours de ces années à peu près de 200 millions à 90 millions de roubles.
L'augmentation de la production est prévue à un rythme de 4 à 9 % chaque année comparativement à l'année précédente, ce qui est le rythme des pays capitalistes dans une période de relèvement rapide. Les avantages gigantesques de la nationalisation des terres, des moyens de production, des banques et de la centralisation des directions, c'est-à-dire les avantages de la révolution socialiste n'ont presque pas influencé le plan quinquennal.
La consommation individuelle en marchandises industrielles, misérable à l'heure actuelle, ne doit grandir au cours de 5 ans que dans la proportion de 12 %. La consommation de tissus de coton, en 1931, qui représentera 97 % de celle d'avant-guerre, sera de cinq fois inférieure à celle des États-Unis en 1923 ; la consommation de fonte sera de plus de 4 fois inférieure à celle de l'Allemagne, de 11 ½ fois inférieure à celle des États-Unis ; la production de l'énergie électrique sera trois fois moindre qu'en Allemagne, 7 fois moindre qu'aux États-Unis; la consommation du papier représentera, vers la fin des cinq ans, 83 % d'avant-guerre. Et tout cela 15 ans après Octobre. La présentation, à l'occasion du 10° anniversaire de la Révolution d'Octobre, d'un plan aussi étriqué, tout imprégné de pessimisme, équivaut à travailler contre le socialisme.
La baisse des prix de détail, projetée par le plan d'État, dans la mesure de 17 % pour 5 ans, même dans le cas où elle se réaliserait, ne pourrait avoir que peu de chances de s'exprimer dans les rapports entre nos prix et les prix mondiaux qui sont de deux fois et demi à trois fois au-dessous des nôtres.
Selon le plan quinquennal, malgré la diminution insignifiante des prix (ceci n’est qu'à l'état de projet), il manquera pour couvrir la demande annuelle du marché intérieur, pour 400 millions de roubles de marchandises manufacturées. Si, par exemple, on présume que les prix fantastiques actuels diminueront pendant ces cinq années de 22 % - diminution plus que modeste - cela provoquera un manque de marchandises manufacturées de 1 milliard de roubles. La disproportion, de cette façon reste intacte et est la source de la croissance des prix de détail. Le plan quinquennal promet aux paysans, pour 1931, à peu près une quantité équivalente à celle d'avant-guerre de marchandises manufacturées à un prix une fois et demi plus grand que celui d'avant-guerre. Ce plan promet à l'ouvrier de la grande industrie une augmentation, pendant cinq ans, de son salaire nominal de 33 % et fait miroiter devant les yeux des ouvriers des espérances peu fondées sur la diminution des prix. La disproportion entre la demande et l'offre sera, selon les intentions du plan d'État, contrebalancée par l'augmentation des prix des loyers ouvriers de 200 à 250 % par rapport aux prix actuels, ce qui, grosso modo, rapporterait 400 millions de roubles par an. Parce que la partie aisée de la population a de grosses possibilités d'achat qui ne peuvent pas être satisfaites par le marché intérieur, les fonctionnaires du plan d'État cherchent à modifier cet état de choses en diminuant le salaire réel des ouvriers. Il est vraiment, difficile de croire qu'un tel moyen pour équilibrer le marché intérieur soit proposé par les organes responsables de l'État ouvrier ! En donnant aux consommateurs de si fausses perspectives, on les pousse volontairement sur le terrain dangereux et faux de la suppression du monopole du commerce extérieur.
La construction pendant ces cinq ans de 6 à 7 mille verstes de voie ferrée - contre 14 mille verstes construites, par exemple, de 1895 à 1900 - est dangereusement insuffisante non seulement au point de vue de l'industrialisation socialiste, mais aussi du point de vue des besoins économiques élémentaires des principales régions économiques.
Telle est avec des écarts, soit d'un côté, soit de l'autre la position réelle des organes d'État qui, effectivement, dirigent le développement de l'économie de notre pays. C'est ainsi que s'écarte de la réalité la ligne actuelle de la direction.
L'issue de la longue lutte de deux systèmes sociaux, ennemis inconciliables - celui du capitalisme et du socialisme - se détermine en dernier lieu par les rapports de force dans la productivité du travail de ces deux systèmes. Dans les rapports actuels du marché, ceci se traduit par les rapports des prix intérieurs avec les prix mondiaux. Lénine avait en vue justement cette question essentielle, quand, dans un de ses derniers discours, il prévenait le Parti que celui-ci devrait se trouver, d'ici peu, devant « un examen que lui feront subir le marché russe et le marché mondial avec lequel nous sommes liés, dont nous dépendons et avec lequel nous ne pouvons pas rompre » (Lénine, T. XVIII, 2° partie, page 83). Voilà pourquoi l'idée de Boukharine que nous pouvons atteindre le socialisme à « pas de tortue » représente une banalité petite-bourgeoise.
On ne peut se soustraire à l'encerclement capitaliste sous le toit d'une économie nationale limitée à ses frontières, car une telle limitation nous obligerait à avancer avec une lenteur excessive et par conséquent à supporter non une faible pression, mais, au contraire, une forte pression non seulement des armées et de la flotte capitalistes (interventions armées) mais avant tout la pression qui sera exercée sur nous par les produits capitalistes manufacturés à bon marché.
Le monopole du commerce extérieur est l'arme indispensable de la construction socialiste dans la situation où les pays capitalistes possèdent une base technique plus développée. Mais le monopole ne peut protéger l'économie socialiste qui se bâtit qu'à la condition que, dans le domaine de la technique, du prix de revient, de la qualité et des prix des produits manufacturés, on se rapproche continuellement du niveau de l'économie mondiale. Le but de la création économique ne doit pas être une économie nationale limitée à ses frontières, ce qui diminuerait sensiblement le rythme de son développement et son niveau, mais au contraire doit consister à augmenter notre poids spécifique sur le marché mondial, en réalisant le rythme le plus accéléré dans notre développement économique.
Pour réaliser ceci, il faut comprendre la signification énorme de notre exportation qui retarde actuellement, d'une façon inquiétante, sur le reste de l'économie prise en bloc (la participation de l'URSS dans les échanges sur le marché mondial est tombée de 4.32 % en 1913 à 0,97 %) ; changer, dans une certaine mesure notre politique vis-à-vis du koulak, car celle-ci lui a donné la possibilité de nuire, par son accumulation usurière en nature, à l'exportation socialiste ; développer les rapports avec l'économie mondiale en ayant toujours comme but le développement maximum de l'industrialisation et le renforcement des éléments socialistes dans l'économie pour contre-balancer les éléments capitalistes ; ne pas disperser, pendant les années qui vont suivre, une accumulation restreinte, mais passer progressivement et selon un plan, à de nouvelles formes de production, en garantissant en premier lieu la production massive des machines indispensables ; utiliser, avec habileté et prudence, dans notre propre industrie, les conquêtes mondiales, de la technique capitaliste.
Miser sur un développement socialiste isolé et sur un rythme du développement économique indépendamment de l'économie mondiale, altère toute perspective juste, fait dévier de sa voie tout le travail d'ensemble, ne donne pas le fil conducteur pour régulariser nos rapports avec l'économie mondiale. Le résultat sera que nous ne saurons plus ce que nous pourrons construire nous-mêmes et ce que nous devons importer de l'étranger. Repousser catégoriquement la théorie de l'économie socialiste isolée, signifiera, dans les années qui vont suivre, une utilisation beaucoup plus rationnelle de nos ressources, une industrialisation plus rapide, une croissance beaucoup plus vigoureuse et continuelle de notre propre construction de machines, la croissance plus rapide du nombre des ouvriers occupés, une réelle diminution des prix, le renforcement véritable de l'URSS dans les conditions de son encerclement capitaliste.
Le développement des rapports mondiaux ne cache-t-il pas des dangers de blocus et de guerre ? La réponse à cette question découle de tout ce qui a été dit plus haut.
La préparation de la guerre exige, évidemment, la création de réserves de matières premières indispensables provenant de l'étranger, ainsi que la création, suffisamment à temps, de nouvelles industries indispensables, exemple : usinage de l'aluminium, etc. Mais ce qui est le plus important, en cas de guerre difficile et longue, c'est de posséder une industrie développée dans la plus large mesure possible, capable de produire d'une façon massive et de passer rapidement d'une forme de production à une autre. Le passé nous a démontré qu'un pays hautement industriel comme l'Allemagne, lié intimement avec le marché mondial, malgré la guerre et le blocus qui l'a coupé, d'un seul coup, du reste du monde, a montré une vitalité, et, une force extraordinaires. Si, avec les privilèges incontestables de notre ordre social nous savons, pendant la période de « paix », utiliser le marché mondial pour accentuer notre développement, économique, nous serons beaucoup plus armés et plus aptes à supporter le blocus et n'importe quelle intervention armée.
Aucune politique intérieure ne peut nous éviter à elle seule les dangers économiques, politiques et militaires provenant de l'encerclement capitaliste. La tâche intérieure se ramène à se renforcer par une politique de classe juste, par des rapports justes de la classe ouvrière avec la paysannerie et par un acheminement continuel dans la voie de la construction socialiste. Les ressources intérieures de l'URSS sont innombrables et rendent la chose tout à fait possible. En utilisant en même temps, dans ce but, le marché capitaliste mondial, nous lions nos futures destinées historiques au développement ultérieur de la révolution mondiale. La victoire de la Révolution mondiale dans les pays avancés rompra l'encerclement capitaliste, nous libérera de lourdes obligations militaires, nous renforcera largement dans le domaine de la technique, accentuera la rapidité de notre développement à la ville, à la campagne, à l'usine, à l'école, etc., nous donnera la possibilité de construire le socialisme, autrement dit, la société où les classes disparaissent, société ayant comme base une technique perfectionnée, une égalité réelle de tous ses membres dans le travail et la répartition des produits du travail.
A la question : « Où trouver les ressources indispensables pour résoudre plus énergiquement, à la manière révolutionnaire, les tâches d'une réelle industrialisation, pour accentuer le développement culturel des masses d'où découlent les destinées de la dictature socialiste ? », l'Opposition répond :
La source principale pour trouver les fonds indispensables est une nouvelle répartition du revenu national, une utilisation rationnelle du budget, des crédits, des prix. Une juste utilisation des rapports avec l'économie mondiale doit nous fournir les ressources supplémentaires.
Telle est la réponse à la question : où faut-il prendre les ressources indispensables ? Il est faux de déclarer que le rythme du développement de l'industrialisation est influencé directement par le manque de ressources. Les ressources ne sont pas grandes, mais elles existent. Il faut avoir une politique juste !
Le projet de Plan quiquennal d'État doit être rejeté et condamné comme incapable de s'accorder avec la tâche de « transformation de la Russie de la Nep en Russie socialiste ».
Il est nécessaire d'imposer, d'une manière plus juste, les différentes classes : le koulak et le nepman doivent payer davantage. Les impôts des ouvriers et des paysans pauvres doivent être abaissés.
Il faut diminuer le poids spécifique des impôts directs, liquider, dans les années qui vont suivre, le monopole de la vente de la vodka.
Mettre de l'ordre dans les finances des chemins de fer.
Mettre de l'ordre dans les finances de l'industrie.
Assainir l'industrie forestière abandonnée, qui peut et doit être une source de gros bénéfices.
Il faut garantir la stabilité absolue de l'unité monétaire. La stabilité du tchervonetz exige d'une part la diminution des prix, et d'autre part un budget équilibré. Il est inadmissible de recourir à de nouvelles émissions pour couvrir le déficit du budget.
Il nous faut un budget d'ensemble, sans déficit, sévère, sans exagération et non pas basé sur des éléments occasionnels.
Dans le budget de 1927-1928, il faut augmenter les ressources pour la défense (surtout pour l'industrie qui travaille pour la guerre), pour l'industrie en général, pour l'électrification, pour les transports, pour la construction de logements, pour la collectivisation de l'agriculture.
Repousser énergiquement toutes les tentatives tendant à supprimer le monopole du commerce extérieur. S'engager fermement dans la voie de l'industrialisation, de l'électrification, de la rationalisation, dans celle de l'élévation de la force technique de l'économie, dans la voie de l’amélioration de la situation matérielle des masses.