1929

La lutte de l'Opposition communiste en U.R.S.S. : lettres diverses.


Discussion avec Radek en gare d’Ichim

Juin 1929


Bulletin de l’Opposition n°6, octobre 1929

Je vous envoie un spécimen de la panique de Radek qui est également une explication psychologique de sa désertion. Il semble que Radek soit en train de renouveler sa triste expérience de 1923; au moment décisif, il est submergé par la peur et don­ne la direction aux centristes.

Voici une conversation entre des camarades exilés et Radek pendant son voyage à Moscou en juin 1929 sur le quai d'une gare de chemin de fer (Smilga, malade, était resté dans le train).

Radek

"La situation aujourd'hui est très difficile, le pays traverse un nouveau 1917. La situation au comité central est catastrophique. Droitiers et centristes se préparent à s'arrêter les uns les autres. Le bloc droite‑centre a éclaté et une lutte acharnée est menée contre les droitiers. Ils sont forts. Leurs seize voix peuvent doubler et tripler. Le pain manque à Moscou. Le mécontentement des masses grandit et peut dégénérer en un soulèvement contre le pouvoir soviétique. Nous sommes à la veille d’insurrections paysannes. La situation nous oblige à revenir dans le parti à tout prix ! Notre décision d’une appréciation de la position générale du parti et de la scission de l'Opposition avec l'objectif d'être réadmis dans le Parti communiste d'Union soviétique.

Question : Quelle est votre attitude à l'égard de Trotsky ?

J'ai totalement rompu avec Trotsky. A partir de maintenant, nous sommes des ennemis politiques. Il révise Lénine. Pourquoi a‑t‑il de nouveau ramené la révolution permanente ? Et si nous faisons demain des concessions aux paysans, il va nous faire peur de nouveau avec les paysans et crier à Thermidor ?

Nous n'avons rien de commun avec le collaborateur de Rothermer [1].

Question : Demanderez‑vous l'abrogation de l’article 58 [2] ?

En aucun cas. Pour ceux qui marcheront avec nous, il sera abrogé de lui-même. Mais on n'abrogera pas cet article pour ceux qui mènent dans le parti un travail destructeur et organisent le soulèvement des masses. Nous nous sommes envoyés nous‑mêmes en prison et en exil. La jeunesse qui a rejoint l'Opposition n'a rien de commun avec le parti et le bolche­visme. C'est simplement une jeunesse antisoviétique. Il faut combattre ces gens là par tous les moyens. Un tiers des membres du parti viendront maintenant avec nous et ceux qui resteront n'ont rien de commun avec le bolchevisme.

Question : Comment expliquer une transformation aussi rapide depuis même vos thèses de Tomsk ?

Il y a eu une conférence qui a ramené le parti sur la voie léniniste [3] et, de l'autre côté, on a organisé une Ligue des Bolcheviks‑léninistes. C'est un second parti ‑ le parti de la contre‑révolution.

Notre plate-forme a magnifiquement subi l'épreuve [4]. De document de combat, elle est devenue la plate-forme du parti. Que trouvez­vous à redire aux thèses de Kalinine ? Au plan quinquennal ? Par rapport à cela, la question de retirer nos signatures de la plate-forme n'a qu'une importance secondaire [5].


Les agents du G.P.U. ne nous ont pas laissé parler plus longtemps. Ils ont ramené Karl dans le train sous le prétexte qu'il faisait de l'agitation contre l'expulsion de Trotsky du pays. Radek criait par la fenêtre : "Je fais de l'agitation contre l'expulsion de Trotsky ? Vraiment ! Je fais de l'agitation pour que ces camarades reviennent au parti !"

Karl s'est adressé aux agents du G.P.U. et leur a dit : "Laissez‑les ! Qu'ils réfléchissent ! N'aggravez pas les rapports !''. Les agents du G.P.U. l'écoutèrent sans mot dire, puis le tirèrent à l'intérieur du train. Le train partit.


Notes

[1] Lord Rothermere (1868-1940) , magnat de la presse britannique. Radek dénonçait alors Trotsky pour son utilisation de la presse non-communiste…

[2] L’article 58 du code pénal soviétique est celui qui autorisait la répression pour « activité contre-révolutionnaire ».

[3] La XVI° conférence du P.C.U.S. avait lancé le I° plan quinquennal.

[4] L’Opposition revendiquait l’industrialisation, des mesures de planification économique, etc.

[5] La position alors défendue par Radek est que l’Opposition n’était séparée des staliniens que par des questions d’amour-propre….


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