Source: Documentación histórica del trotsquismo español 1936-1948 (1996); mis en ligne par la Fondation A. Nin. Traduit de l'espagnol par nos soins. |
Juin 1947
Chers camarades:
Deux ans après la fin de la guerre la plus dévastatrice et réactionnaire que l'histoire ait connu, le parti français affronte une grave crise, expression de la crise de l'Internationale, elle-même reflet de l'énorme crise dont souffre le mouvement ouvrier mondial de façon toujours plus aiguë au fil des ans. C'est à l'aune de ses deux causes déterminantes que la IV° Internationale et le mouvement ouvrier mondial doivent donc juger la situation actuelle du parti français et lui chercher une sortie de crise.
"La crise de l'humanité -répétions-nous mille fois avec L. D. Trotsky- est une crise de la direction révolutionnaire." Toutes les explications qui essayent de reporter la responsabilité de l'échec de la révolution sur les conditions objectives, le retard idéologique ou les illusions des masses, sur la puissance du stalinisme ou l'attraction illusoire de l'"Etat ouvrier dégénéré", sont erronées et seulement bonnes à disculper les responsables, à détourner l'attention du véritable problème et obstruer sa solution. Une authentique direction révolutionnaire, étant donné le niveau actuel des conditions objectives pour la prise du pouvoir, doit vaincre tous les obstacles, surmonter toutes les difficultés, triompher de tous ses adversaires. L'état dans lequel se trouve le parti en France, centre de l'Europe, encore noyau irradiant le monde, n'est en aucune façon satisfaisant.
[...] Le mouvement ouvrier mondial aurait dû triompher du vieux monde capitaliste et de la contre-révolution russe pendant la guerre ou juste après. La guerre était, en même temps, le résultat de la crise du mouvement ouvrier mondial et l'occasion de sa reprise et sa victoire définitives. Les causes idéologiques de la crise devaient être détruites, et avec elles les organisations responsables. Mais il s'est produit l'inverse. Les organisations responsables et actrices de la crise ont accru leur domination organique sur la classe des travailleurs, l'enchaînant plus fortement qu'avant au système général de la contre-révolution mondiale. Nous, au contraire, n'avons nulle part atteint la force organique, l'autorité idéologique et le prestige combatif qui donnent son nom à un parti révolutionnaire. Ce résultat ne peut en aucune manière être fortuit et toujours justifié comme résultant des circonstances objectives.
La crise du mouvement ouvrier mondial s'est ouverte sur la place publique en 1914, par la désertion de la Seconde Internationale passée dans le camp capitaliste. La révolution russe, en 1917, a engagé un vigoureux redressement, mais peu après le thermidor stalinien est venu agréger ses propres facteurs de crise idéologique au vieux facteur réformiste. Depuis lors le stalinisme a continuellement accentué sa dégénérescence, tirant son prestige de pays de la révolution, en tirant aussi argent et directives de la caste qui détruisait cette même révolution. Grave, très grave et coûteuse pour le prolétariat avait été la désertion social-démocrate, mais l'intransigeance des bolcheviks en avait limité l'importance et le triomphe du prolétariat russe la condamnait à une défaite prochaine assurée. En se retournant contre la révolution russe, en s'attachant la Troisième Internationale, le thermidor stalinien rejoint la désertion social-démocrate, empêchant la reconstruction du mouvement ouvrier dont il a lui-même aggravé la crise. De la révolution chinoise à la révolution espagnole, le stalinisme poursuit son processus de dégénérescence, qui commence dans la l'opportunisme idéologique avec la complicité avec la petite-bourgeoisie et la bourgeoisie du Kuomintang et culmine dans la réaction capitaliste avec la destruction de ses propres mains d'une révolution triomphante le 19 juillet 1936. Ce parcours reproduit l'évolution du Thermidor stalinien en Russie, qui va de la suppression de la démocratie prolétarienne et de l'opposition de gauche à l'extermination de la vieille garde bolchevique et de dizaines de milliers de militants, aux procès de Moscou et à l'assassinat de Trotsky, en écho des procès. Le gouvernement russe et son appendice externe, le stalinisme mondial, ont dépassé la vieille social-démocratie, tous deux étroitement unis dans l'origine de la puissante et dangereuse crise du mouvement ouvrier mondial. Avec en plus à sa disposition la GPU, police organisée internationalement et subventionnée à coup de millions !
La première chose qu'il faut comprendre dans la situation mondiale, et si on ne la comprend pas tout s'embrouille et l'action devient stérile, c'est que l'Etat et le gouvernement russes actuels, loin d'avoir pour base la révolution bolchevique de 1917, ou le moindre de ses restes, représentent face à elle la plus féroce et achevée des contre-révolutions. L'actuel gouvernement russe a contribué à lui seul à la défaite de la révolution mondiale et à l'état de prostration des masses bien plus que tous les gouvernements capitalistes.
Sans Moscou et le stalinisme mondial, ou bien la guerre impérialiste n'aurait pas éclaté, empêchée par la révolution européenne, ou bien la guerre se serait vite et victorieusement transformée en guerre civile. C'est cette dernière direction que prenait l'action spontanée des masses sous l'occupation nazie, action que le stalinisme et le capitalisme mondial ont, sous un étendard unitaire, réorientée vers la guerre impérialiste via les mouvements nationaux. Nous en sommes ainsi arrivés à l'actuelle complète domination réactionnaire du monde par les Trois Grands victorieux, ce qui entraîne une menace continuelle de nouvelle guerre impérialiste et qui donne aux masses une amère sensation de frustration, gage de domination stalinienne et réformiste. La crise du mouvement ouvrier mondial se résume donc dans la capacité organique du stalinisme (la social-démocratie est un second couteau de peu d'importance) à clouer l'activité des masses, pendant et après la guerre, dans le cercueil mis en place par les vieux impérialismes et la contre-révolution russe.
En sa qualité de noyau régénérateur, la IV° Internationale a dû se développer comme parti mondial luttant pour transformer la guerre impérialiste en guerre civile, en adaptant sa tactique et ses mots d'ordres aux changements qui se sont produits ou se sont clairement manifestés durant la guerre. [...]
Oui, l'Internationale, ou ses principaux partis du temps où elle n'existait pas comme centre d'orientation, ont commis de graves erreurs et ont persisté avec des mots d'ordre qui doivent être abandonnés. Mais la principale erreur c'est qu'aujourd'hui même elle ne semble pas disposée à corriger les erreurs passées et à abandonner les mots d'ordre périmés, et nous devons tous être mobilisés contre cela, sans quoi ce serait funeste.
Prenons les principaux problèmes dans l'ordre où ils se présentent chronologiquement:
Face à la guerre le parti américain a eu une attitude opportuniste comparable à celle du centrisme et non à celle qui doit être la nôtre. Lui-même l'a définie comme non-soutien, transformation de la guerre impérialiste en vraie guerre contre le fascisme, opposition politique, etc... et de façon générale s'est abstenu d'agitation et de travail spécifique contre la guerre, tant à l'arrière qu'au front. Et la politique de ce parti est apparue face au monde, pendant des années, comme la politique officielle de la IV° Internationale ! D'autre part, ce qui faisait office de centre international l'a tacitement accepté comme bonne. Evidemment, la politique du parti américain a entraîné vers l'opportunisme tous les groupes de la IV° Internationale dans le monde. [...]
Les camarades qui pendant l'occupation, dans de terribles conditions, ont continué la lutte générale pour la révolution sur la base de nos idées, se sont montrés redevables de l'estime et de l'admiration de toute l'Internationale. Notre respect et notre amitié va à tous ceux qui sont tombés et ceux qui continuent. C'est cela même qui nous oblige à signaler les erreurs qui entravent aujourd'hui la croissance de l'organisation et la marche révolutionnaire. Pour résoudre positivement sa crise, pour aider l'Internationale à résoudre la sienne, le parti français doit analyser sa conduite et celle de l'Internationale pendant la guerre impérialiste, et condamner les opportunismes et les vacillements. L'erreur la plus grave en ce domaine vient de la nouvelle direction élue à la Pré-conférence d'avril 1946. Depuis plus d'un an elle n'a toujours pas mis en discussion la politique des principaux partis pendant la guerre impérialiste [...]. Son erreur risque d'être davantage mortelle pour notre mouvement quand cette nouvelle direction rechigne à mettre à l'ordre du jour du Congrès mondial en préparation l'attitude des principaux partis face à la guerre impérialiste et aux mouvements nationaux. Une erreur peut être grave ou très grave, mais un parti qui sait les corriger poursuivra son chemin vers la révolution. Une erreur non rectifiée produit la phtisie théorique, l'ankylose organique, la destruction tôt ou tard. [...]
Il y a dans l'Internationale des positions de toutes sortes, depuis celles qui ont ouvertement soutenu l'entrée de nos partis dans les Comités de Résistance; jusqu'à celles qui n'ont voulu aucun compromis avec eux, en passant par celles qui les ont plus ou moins subrepticement favorisé. Sous l'occupation - hier par les troupes allemandes, aujourd'hui par les troupes yankees, russes et anglaises - un phénomène nouveau s'est présenté au mouvement ouvrier par la décomposition du capitalisme, et il était jusqu'à un certain point naturel qu'apparaissent en notre sein des positions très variées. Elles seraient sûrement apparues quant bien même nos partis auraient tous maintenu une attitude intégralement internationaliste. Mais ce ne fut pas le cas, il y a eu des tendances opportunistes qui ont abandonné le défaitisme révolutionnaire, et des tendances internationalistes qui l'ont maintenu en tous moments. On peut ainsi cataloguer les diverses positions prises à propos des mouvements nationaux, les tendances opportunistes se prononçant plus ou moins en leur faveur et les tendances internationalistes contre. Celles-ci considéraient la lutte contre l'Occupation comme une « guerre antifasciste », celles-là voyaient une guerre impérialiste ; celles-ci ont ainsi vu dans les mouvement de Résistance un élément positif dans la lutte contre le fascisme, et celles-ci que les peuples avaient commencé à transformer la guerre impérialiste en guerre civile. Les uns ont soutenu le guérillérisme et le sabotage, instruments des mouvements nationaux, tandis que les autres les ont combattus comme méthodes nationalistes incompatibles avec l'objectif supérieur de transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.
Il ne s'agit pas que d'un problème rétrospectif. L'attitude que l'on a aujourd'hui face à la Russie et au stalinisme mondial dépend dans une large mesure de l'attitude qu'on a pu avoir face aux mouvements nationaux, dont le stalinisme étaient partout la principale composante, de la Pologne à la Yougoslavie et de la France à la Belgique. Aujourd'hui même l'Europe est entièrement occupée par les Trois Grands. [...] L'Occupation n'est pas le résultat propre de tel ou tel impérialisme, mais de l'impérialisme comme facteur mondial à l'époque actuelle, la dénomination « impérialisme » incluant la contre-révolution russe. Le problème est absolument lié avec celui de la « défense inconditionnelle de l'U.R.S.S. », et c'est pourquoi les deux doivent être au premier chef étudiés, dans chaque parti et au prochain Congrès mondial. Sans corriger les erreurs commises sur ces questions nous ne verrons jamais un véritable parti révolutionnaire mondial [...].
Ce n'est pas, comme le considèrent malheureusement quelques tendances, consubstantiel à notre mouvement. Le critère qui a toujours prévalu dans notre attitude vis-à-vis de la question est celui-ci : la défense de l'U.R.S.S. dans une guerre contre des ennemis extérieurs aide t-elle ou entrave t-elle la révolution mondiale ? [...] La « défense inconditionnelle de l'U.R.S.S. » s'est révélée incompatible avec la défense de la Révolution mondiale. La défense de la Russie doit être abandonnée de toute urgence parce qu'elle lie tous nos mouvements, pèse sur notre progrès théorique, et nous donne aux yeux des masses une physionomie stalinisante. Il est impossible de défendre la Révolution mondiale et la Russie en même temps. C'est l'un ou l'autre. Nous nous prononçons pour la Révolution mondiale, contre la défense de la Russie, et vous invitons à vous prononcer dans le même sens [...] pour être fidèles à la tradition révolutionnaire de la IV° Internationale, nous devons abandonner la théorie trotskyste de la défense de l'U.R.S.S. ; nous produirons ainsi dans l'Internationale la révolution idéologique indispensable pour la réussite de la Révolution mondiale.
C'est sans doute la question la plus importante qui fait litige dans notre mouvement, parce que de celle-ci dépendent à des degrés divers toutes les autres. [...] En effet, les partisans de la défense arrivent à la conclusion que la caste contre-révolutionnaire russe, en entrant dans les pays d'Europe occidentale [1] et en Asie, se voit « obligée » d'exproprier le capital et d'adapter l'économies aux formes existant en Russie, formes qu'eux-mêmes continuent de considérer comme socialistes car issues de la Révolution. Quand Thorez, Togliatti et autres chefs staliniens se sont référés aux « nouvelles voies » vers le socialisme sans avoir besoin de révolution, ils avaient, grosso modo, la même idée en tête. Mais la prétendue expropriation consiste en la nationalisation des moyens de production. D'une part, la nationalisation est un résultat automatique de la concentration du capital à son déclin, c'est-à-dire de dégénérescence et de décomposition. D'autre part, le prolétariat européen, il y a de cela deux ans, s'est approprié les moyens de production. En les nationalisant, les russes - comme l'ont fait aussi les anglais et les américains, que ce soit de cette façon ou en indemnisant les capitalistes privés - réalisent une opération d'expropriation du prolétariat. Et c'est ainsi que les partisans de la « défense inconditionnelle » ont présenté l'expropriation du prolétariat pratiquée par les troupes russes avec l'aide des partis staliniens et réformistes, comme un acte progressiste, presque révolutionnaire, quelque chose que le prolétariat doit défendre. Toute une tendance réformiste en puissance - et c'est peu dire - est déjà là en germe.
Gouvernements stalino-réformistes et front unique avec le stalinisme : en France cette idée est exprimée concrètement avec le mot d'ordre de gouvernement PS-PC-CGT, mot d'ordre commun à la fraction Craipeau et à celle de Franck, qui partagent en outre la théorie potentiellement réformiste de la défense de la Russie et la majeure partie des idées qui portent préjudice au parti français.
Nous ne croyons pas nécessaire d'indiquer ici l'évolution conservatrice de la social-démocratie ces dernières années, cela n'a été que de la pluie sur du mouillé. Le stalinisme est aujourd'hui mille fois plus dangereux pour la révolution, parce qu'il représente les idées et les intérêts d'une contre-révolution triomphante en Russie, qui offre au monde, et de façon plus immédiate en Europe, son expérience, sa puissance et sa solution propre contre le prolétariat en marche vers le socialisme. Les partis staliniens sont aujourd'hui de simples représentants et disciples de la contre-révolution installée au Kremlin. Comparés à eux, les mencheviks de 1917 étaient très révolutionnaires. Les mots d'ordre de front unique et de gouvernement ouvrier constituait en Russie un tout inséparable et issu des formes de démocratie prolétarienne existant dans les Soviets, lesquels - c'est important - ont été créés et conservés avec la collaboration des mencheviques et des socialistes-révolutionnaires. Le stalinisme est aujourd'hui absolument incompatible avec toute démocratie prolétarienne. Où que soient apparus des organes de pouvoir révolutionnaire, de l'Espagne à Varsovie, Paris ou Milan, il s'est empressé de les détruire. Le stalinisme ne peut pas permettre que les révolutionnaires aient la parole. Le modèle du front unique et de gouvernement PS-PC-CGT ne peut en aucune manière faciliter la création des organes de démocratie et de pouvoir prolétariens, et tout gouvernement stalinien ou sous influence stalinienne apporte avec lui l'anéantissement physique de l'avant-garde révolutionnaire.
Il est donc urgent et nécessaire que le P.C.I. et notre mouvement international rejettent ces deux mots d'ordre aujourd'hui périmés. L'exemple de l'Europe orientale n'est-il pas éloquent ? Le prolétariat n'a pas vraiment d'illusions dans la démocratie bourgeoise, ni dans la social-démocratie, ni dans le stalinisme. Il doit endurer de se trouver emprisonné dans les appareils des deux courants, surtout et toujours celui du stalinisme. Cela ne contribue pas peu à l'absence d'une organisation révolutionnaire qui puisse lui inspirer confiance et combativité fiable, qui contribue plus ou moins directement à notre politique [...] Pour inspirer de la confiance au prolétariat et amener à l'action par la rupture même d'avec les carcans organisationnels, il serait mieux indiqué de créer un front unique de toutes les organisations ouvrières minoritaires qui s'opposent à la collaboration de classes, et sont partisanes de la révolution et de la démocratie prolétarienne en général. Le prolétariat verrait ainsi un noyau solide qui casserait le cercle asphyxiant constitué autour de lui par le stalinisme et le réformisme.
Pour résumer, le mot d'ordre de gouvernement PS-PC-CGT tel qu'il a été mis en avant en France, de gouvernement stalino-réformiste, est aujourd'hui totalement erroné, et ne servira qu'à maintenir les masses dans leur état actuel, et aussi - c'est tout aussi pénible que nécessaire de le dire - à développer les nouvelles tendances réformistes potentielles qui existent dans la IV° Internationale. Il nous est impossible de laisser dire, camarades du Parti Communiste Internationaliste, que la critique de votre parti en particulier, et celle de l'Internationale en général, puisse se résoudre en soutenant la fraction Franck contre la fraction Craipeau. Elle le sera plutôt en soutenant les deux fractions qui se prononcent contre la défense de l'U.R.S.S. et contre le mot d'ordre de gouvernement PS-PC-CGT. La fidélité au trotskysme n'est pas une fidélité à la lettre, mais à l'esprit révolutionnaire du trotskysme. [...]
De tout ce qui précède on peut déduire logiquement notre opposition au mot d'ordre de nationalisations. Les nationalisations, tant avec la contre-révolution russe qu'en contre-révolution purement bourgeoise, ont servi en période révolutionnaire à exproprier le prolétariat en train de s'approprier les moyens de production, et en période de passivité des masses à concentrer la propriété dans les mains de l'Etat, symbole religieux et oppresseur par excellence utilisé pour rendre plus difficiles les grèves, restreindre la démocratie (service de police stalino-réformiste dans les usines françaises) et entreprendre la création d'un ordre corporatif. Nous devons opposer à ce mot d'ordre caduc celui d'expropriation du capitalisme et de destruction de son Etat par des comités ouvriers démocratiquement élus. [...]
L'Internationale n'a pas eu de politique révolutionnaire pendant la guerre, ou plus précisément elle n'a pas eu de politique du tout. Elle restait somnolente pendant que ses partis les plus connus, principalement le S.W.P., suivaient une politique entièrement opportuniste, de « triomphalisme révolutionnaire » face à la guerre, en même temps qu'ils prétendaient s'ériger en dépositaires de la fidélité au programme (quelle partie du programme est plus importante que la lutte contre la guerre ?), en se faisant les portes-drapeau de la défense de la Russie. A ces tendances, qui ne sont pas absentes au sein du parti français, nous disons qu'ils ont brisé le programme dans ce qu'il avait de plus essentiel [...]. Notre programme doit être adapté aux gigantesques changements survenus avec la guerre. C'est là qu'est la fidélité au programme, pas dans la répétition inamovible, encore mois dans la répétition partielle qui laisse de côté le défaitisme révolutionnaire et interprète le reste de façon droitière.
La destruction criminelle de la révolution espagnole principalement due au stalinisme, et le début immédiat de la guerre impérialiste, marquent la fin d'une étape, qui avait été ouverte par la fin de la guerre impérialiste précédente et le triomphe de la révolution russe. Tout a souffert d'importants changements, le vieux capitalisme et la Russie stalinienne, l'attitude générale des masses et ses idées ou croyances envers la démocratie bourgeoise et les organisations traditionnelles. L'Europe est une vaste prison, un champ de torture dont les gardiens et les fonctionnaires sont parfois de nationalité allemande ou italienne, d'autres de nationalité russe, américaine, anglaise et française. Une nouvelle étape est née dans la lutte implacable de notre époque pour trouver une solution révolutionnaire à ses conflits. Notre programme ne peut pas précisément être le même que dans l'étape précédente. S'il veut rester révolutionnaire, il doit être modifié.
Nous ne doutons pas un seul instant que la cause fondamentale de la crise du parti français et de l'Internationale aux opportunismes d'hier face à la guerre impérialiste et les mouvements de résistance, plus l'inertie idéologique pour changer ce qu'il était nécessaire de changer. Aujourd'hui cette inertie perdure avec la nouvelle direction mondiale. La crise ne fera que s'aggraver si elle n'est pas résolue en adoptant les changements indiqués par cette lettre. [...]
Le prochain congrès du Parti Communiste Internationaliste aura une importance énorme pour l'avenir de notre mouvement mondial. Il est nécessaire que les problèmes exposés ici soient dûment examinés ; pour sauver le parti, il est nécessaire que tout le parti, incluant les fractions Craipeau et Frank, se rende compte de l'urgence de changer radicalement ses positions sur les points indiqués ici; il est nécessaire de reconsidérer notre programme de transition en général, et de se mettre en conditions d'aider énergiquement l'Internationale à effectuer sa propre révolution idéologique [...]
Une fois encore: la fidélité au trotskysme n'est pas la répétition littérale de ce que le trotskysme disait hier, même en supposant qu'il ne fut pas défiguré d'une manière droitière. La fidélité au trotskysme est la rectification sincère, décidée et courageuse, de certaines des affirmations qu'il a faites hier. Aussi la révolution est-elle révolutionnaire, elle nécessite des bonds, des modifications et négations radicales des ses propres affirmations précédentes. Oui, la révolution est aussi révolutionnaire !
Notes
{1] Il s'agit visiblement d'une erreur, on veut probablement parler de l'Europe orientale.