1943 |
LA LUTTE de CLASSES - n° 12
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"L'humanité souffre de la contradiction entre les forces productives et les limites trop étroites de l'Etat national. L'économie planifiée sur la base de la société socialiste libérée des limites nationales, est la tâche du prolétariat international, surtout en Europe. C'est précisément cette tâche qui s'exprime dans notre mot-d'ordre pour les Etats-Unis socialistes d'Europe". (Trotsky) |
Maintenant que se déroule en Tunisie la dernière phase d'une lutte dont tout le profit est la "gloire" acquise par les généraux Rommel et Montgomery et dont les pertes se soldent par des dizaines de milliers de morts et de blessés et par des destructions immenses au détriment des populations Nord-Africaines, maintenant que le rêve impérialiste allemand de domination mondiale a été dissipé par la résistance victorieuse de l'URSS aux assauts du capitalisme allemand, maintenant que l'Europe est de nouveau sur le point de devenir le prochain champ de bataille, c'est le sort des peuples européens qui va se jouer dans les prochains mois...
Comme autrefois les rois, les capitalistes impérialistes "nous saoulent de victoires" (l'Internationale). "Les plus grandes victoires de l'histoire" n'ont pas plus servi au peuple allemand que "la victoire" alliée de 1918 aux peuples de l'Entente. Mais les deux camps impérialistes en présence (l'Axe-Etats-Unis et Angleterre) s'efforcent de faire durer le plus possible le massacre et d'atteindre leurs buts de brigands par le poison de la gloire, fruits des plus terribles de l'histoire de la société divisée en classes.
Il n'est plus besoin aujourd'hui, comme au lendemain de juin 1940 de dénoncer l'impérialisme allemand et le fascisme comme nous le fîmes au moment où il fut accueilli favorablement, grâce à la "victoire" et à la bienveillance que certains lui montraient en tant qu'"allié" de l'URSS : tout le monde a pu expérimenter sur son propre dos le fascisme, comme le plus authentique produit du capitalisme. Contre la machine de guerre allemande il s'agit aujourd'hui seulement de renforcer de plus en plus la lutte prolétarienne.
C'est la propagande alliée qu'il nous faut dénoncer, car elle s'appuie sur les crimes innombrables du militarisme italo-allemand pour présenter sa propre action comme une lutte "libératrice". De quel genre de libération s'agit-il ? Nous l'avons dit dans notre numéro précédent : le même genre de libération que celle accomplie par Hitler. Celui-ci a "libéré" l'Allemagne du traité de Versailles en transformant les soldats allemands en gardes-chiourme d'autres peuples. Churchill a remplacé lui aussi la Charte mensongère de l'Atlantique comprenant "le droit des nations de disposer d'elles-mêmes" par un programme super-versaillais comprenant l'occupation indéfinie des pays "responsables de la guerre" (sic). Il y a cependant une "différence" : Hitler se vante que l'Europe balkanisée recevra indirectement quelques miettes de la "grandeur" de l'impérialisme allemand, du fait que celui-ci se trouve sur le continent. Churchill proclame la domination du monde par quelques nations dont aucune ne se trouve en Europe. Balkanisée sous Hitler ou "sphère d'influence" américaine, voilà l'effet certain du maintien du capitalisme sur l'Europe.
Cette perspective impérialiste nous l'avons dénoncée dès novembre 1940 : "en essayant d'agrandir la part de l'impérialisme allemand dans une Europe déjà appauvrie Hitler a consommé la ruine du continent. Et avant que Hitler ait vaincu l'Angleterre, l'Amérique réduira le vieux monde à la portion congrue... Sur des bases capitalistes la voie est fermée à un relèvement de l'Europe". Nous lui avons opposé, à cette perspective, la perspective socialiste qui seule peut permettre, par l'auto-détermination absolue et la collaboration pacifique de tous les peuples dans une Europe purgée de la domination bourgeoise, le relèvement économique du continent à un degré inconnu auparavant et faire ainsi échec aux plans des impérialismes allemand et américain. La tâche du prolétariat était et reste, non d'attendre le salut de sauveurs par trop intéressés, mais de chasser lui-même "ceux qui ont morcelé l'Europe, prendre le pouvoir pour unifier cette dernière et créer les Etats-Unis socialistes d'Europe". La lutte commune des travailleurs de tous les pays d'Europe devait et doit faire échec à l'impérialisme, ses guerres, son exploitation et son oppression.
L'accroissement du danger militaire pour l'Axe qui est en train de perdre, après les défaites cuisantes subies au cours de la campagne d'hiver en URSS, ses positions en Afrique et qui doit s'attendre pour les mois à venir à des assauts peut-être décisifs, a augmenté à l'extrême la tension intérieure en Allemagne, en Italie et dans les pays occupés. La guerre, qui a atteint son point culminant tant en largeur qu'en profondeur, a rendu la situation particulièrement précaire en Europe, entre autres parce que c'est en Europe que relativement la chute du niveau de vie a été le plus sensible.
Dans ces circonstances la tâche de l'Etat-major allemand n'est plus simplement de se maintenir ou de remporter des "victoires" sans lendemain en URSS. Pour empêcher la désagrégation intérieure du système d'oppression instauré par l'Axe en Europe, il faut que l'impérialisme allemand se débarrasse au moins de son principal adversaire, c'est-à-dire il lui faut briser la résistance de l'Armée Rouge. Mais ce qui n'a pas été possible en 1941 ou en 1942, est encore moins probable en 1943. Ainsi se crée une situation favorable pour l'action révolutionnaire sur le continent.
"Deuxième front" et action prolétarienne
Depuis l'alliance avec l'impérialisme anglais, Staline, suivant la pratique introduite par la bureaucratie, a disposé du mouvement ouvrier dans les pays capitalistes en faveur de ses alliés temporaires. En France il a abandonné la direction de la "nation" (du prolétariat) au mouvement "colonialiste et impérialiste" (tract stalinien de juin 1941) de De Gaulle, tout comme dans les autres pays occupés il l'a abandonné aux différents De Gaulle nationaux, agents de l'Angleterre impérialiste. C'est ainsi que depuis le conflit à l'Est le parti "communiste" a abandonné le prolétariat en tant que classe à son propre sort : le salut devait venir du deuxième front et de la victoire des "démocraties". Ainsi Staline sacrifiait délibérément les ouvriers au nom de sa soi-disant "défense de l'URSS".
Mais les événements ont montré, comme nous n'avons pas cessé de le répéter, que les véritables plans des alliés concernant l'URSS c'est de vaincre non pas avec l'Union Soviétique, mais contre l'Union Soviétique, dont l'affaiblissement est recherché par les impérialistes alliés en même temps que l'affaiblissement et la défaite de l'Allemagne. Ce fait fondamental est illustré dernièrement par l'offensive alliée en Tunisie, déclenchée après que l'Etat-major allemand ait contenu l'offensive soviétique d'hiver et même repris Kharkov. Pour menacer leurs alliés bourgeois de l'activité de la classe ouvrière et faire pression sur eux en faveur de l'URSS, les staliniens, avec leur manque de scrupules habituel, font semblant de changer de position en écrivant dans la "Vie Ouvrière" du 14/3/1943 : "ce qui est vrai, c'est que le retard à constituer le deuxième front, alors que les circonstances sont si favorables, l'amène (la classe ouvrière) à envisager qu'elle sera le principal instrument de sa propre libération". Et l'article en question fait appel à la création de comités d'unité syndicale.
Cet appel à l'organisation et l'activité en tant que classe des ouvriers, qui n'est qu'une "tactique" (c'est-à-dire une tromperie) dans l'intention des staliniens, doit être transformé par les ouvriers en une activité énergique de réorganisation des organismes illégaux économiques et politiques prolétariens, sous leur propre contrôle. Il ne faut pas un instant oublier que la disparition des organes de la classe ouvrière n'est pas seulement due à la répression bourgeoise mais aussi à l'abandon par le Parti stalinien du front de classe.
La situation du mouvement ouvrier en France à la suite des déportations qui ont privé les usines des éléments les plus jeunes et les plus actifs, n'est pas facile ; mais il faut considérer la situation d'ensemble sur tout le continent européen dont les ressources humaines et matérielles sont subordonnées à la machine de guerre italo-allemande. Ce qui est un moins pour la classe ouvrière d'un pays peut constituer un plus pour l'ensemble du mouvement. Des millions de jeunes ouvriers de tous les pays occupés ou alliés, transportés en Allemagne sous la pression des nécessités militaires, ont créé dans ce pays une situation sans précédent pour la lutte révolutionnaire. En cas de conflit ouvert entre la bourgeoisie et le prolétariat en Allemagne, à la faveur d'une crise militaire par exemple, les ouvriers déportés se trouveront tout naturellement soudés à la lutte menée par les ouvriers allemands contre leur bourgeoisie. Un nombre considérable de prisonniers de tous les pays se trouvant dans les camps allemands se rallieront à la lutte des ouvriers qui les auront libérés. AINSI, L'UNION DES OUVRIERS DE TOUS LES PAYS DANS UNE LUTTE COMMUNE PEUT ETRE FACILITEE PAR LES MESURES MEME QUI DEVAIENT L'ANEANTIR.
Il ne faut donc aucunement attendre passivement que le mouvement ouvrier commence ailleurs (Allemagne, Balkans, etc...) parce qu'en France la classe ouvrière a été décimée par les déportations : l'Europe est un immense dépôt de poudre où il suffit d'une étincelle révolutionnaire sur n'importe quel point du continent pour que la révolution prolétarienne s'étende aux endroits les plus favorables à cette lutte.
Les mois qui viennent doivent être le point de départ de la reprise des traditions de lutte du prolétariat français Il faut en finir avec la passivité, le débrouillage individuel et le petit commerce ; le destin historique de la classe ouvrière c'est de se libérer elle-même en libérant l'humanité tout entière.
Il sera accompli par une classe ouvrière audacieuse qui, repoussant toutes les illusions impérialistes, sait qu'elle n'a que ses chaînes à perdre et un monde à gagner.
Les efforts des ouvriers doivent être dirigés en premier lieu vers l'organisation de classe, syndicats et organisation politique pour la lutte anti-capitaliste, pour le droit à la vie et aux libertés élémentaires. Il faut tendre vers l'armement du prolétariat pour ôter à la bourgeoisie le monopole des armes qui lui permet de disposer du sort de l'ouvrier. Il faut unir son sort au sort des ouvriers des autres pays et vaincre avec eux l'impérialisme fauteur de guerres et de misère.
Vivent les Etats-Unis socialistes d'Europe et du monde !