1947 |
Nº 6, premier numéro paraîssant après la grève Renault |
La Voix des Travailleurs de chez Renault
20 mai 1947
par PIERRE BOIS du Comité de grève Collas
Nous étions entrés en lutte pour arracher les 10 francs sur le taux de base, comme acompte sur le minimum vital calculé sur l'indice des prix. Mais nous avons repris le travail avec l'aumône de 3 francs de "prime".
Les responsables officiels du syndical vantent cette "victoire", cependant déjà annihilée pour les mois à venir par l'inflation (rien que dans les deux dernières semaines, l'Etat vient de mettre en circulation vingt nouveaux milliards de francs-papier). Il n'a pas été question, dans les négociations officielles du syndicat, de garantir notre salaire par L'ECHELLE MOBILE, c'est-à-dire son calcul sur l'indice des prix.
Mais notre lutte, même sabotée, a-t-elle été inutile ? Tout au contraire ! Si nous avons subi un échec PARTIEL quant aux gains immédiats, nous avons, par contre, réussi à renverser complètement la vapeur.
Nous avons tout d'abord prouvé à tous ceux qui nous croyaient mûrs pour la capitulation, résignés aux bas salaires, à l'esclavage économique, que la classe ouvrière n'a rien perdu de sa capacité de lutter, unie pour la défense de ses intérêts vitaux.
Nous avons secoué le joug de nos soi-disant représentants qui, au lieu d'être les défenseurs de nos revendications, étaient devenus nos gardes-chiourme.
Nous avons obligé la direction patronale à reconnaître le principe du PAIEMENT DES HEURES DE GREVE.
Nos revendications, les 10 francs et l'échelle mobile, sont approuvées par la majorité des ouvriers de la France entière (voir les journaux), et la direction syndicale officielle devra lutter réellement pour ces revendications, sinon une deuxième vague ouvrière la jettera elle-même par-dessus bord.
En lançant son appel à la grève générale, le Comité de grève avait affirmé sa conviction que la victoire totale des revendications pouvait être obtenue.
En regard des résultats obtenus, ne pourrait-on pas dire qu'il a été trop optimiste ? Qu'on en juge : il a suffi que deux départements, 6 et 18, continuent la grève, appuyés sur la sympathie active de toute l'usine, pour que la revendication sur laquelle les bonzes syndicaux avaient capitulé – le paiement des heures de grève – soit accordée à toute l'usine. C'est ainsi que nous avons obtenu les 1.600 francs.
Il a suffi, d'autre part, de la grève Renault pour qu'une vague d'augmentations, allant jusqu'à 10 fr., soit accordée dans presque toutes les usines. C'est ainsi que les usines Citroën ont obtenu les 3 francs sans un seul jour de grève.
Il n'y a pas de doute qu'une grève générale aurait arraché la victoire totale.
Mais la grève générale était-elle possible ?
La grève générale manifeste sa réalité tous les jours en province et à Paris. La grève générale ce n'est pas une chose qu'on décrète, c'est un mouvement profond surgi de la volonté unanime de toute la classe ouvrière, quand elle a compris qu'il n'y a pas d'autres moyens de lutte. En présence de cette volonté de la classe ouvrière, on peut seulement agir de deux façons : soit, comme l'a fait le Comité de grève, donner le maximum de forces à l'action ouvrière en unifiant en un seul combat livré par la classe ouvrière pour des objectifs communs : LA GREVE GENERALE ; soit, comme la fraction dirigeante de la C.G.T. et de la C.F.T.C., fractionner les luttes ouvrières, les séparer artificiellement les unes des autres. Les mener dans l'impasse des primes.
Or, de même que la grève Collas, le vendredi 25 avril, avait entraîné dans la lutte toute l'usine Renault, la continuation de la grève dans toute l'usine aurait entraîné dans la lutte ouverte toute la classe ouvrière.
De la lutte que nous venons de mener, il reste prouvé que la grève est l'arme revendicative essentielle des travailleurs. Il reste prouvé également que, quelles que soient les manoeuvres intéressées, pour ou contre la grève, de tous les pêcheurs en eau trouble, la volonté unanime des travailleurs est capable de triompher de tous les obstacles.
Dans nos prochaines luttes, nous entrerons mieux préparés et nous obtiendrons ce que nous n'avons pu obtenir cette fois-ci.
Les "responsables" syndicaux s'agitent. Mais ce n'est pas pour déjouer les manoeuvres de la direction qui essaie de se rattraper. Ils déploient une grande activité... en faisant circuler des tracts contre les "provocateurs" avec toutes sor-tes d'insinuations et de calomnies. Mêlant le vrai et le faux, ils visent avant tout les ouvriers qui, à l'encontre du sabotage de la section syndicale, ont tenu bon dans la grève, et particulièrement les départements 6 et 18 (secteur Colas). Tous les ouvriers ont pu voir le comportement anti-démocratique des dirigeants de la section syndicale pendant la grève.
Aussi, ces derniers essaient-ils, maintenant, par tous les moyens, de discréditer le Comité de grève, dont ils n'osent et ne peuvent cependant pas mettre en cause aucun de ses membres. Leur grossière calomnie ne prend pas. Mais en l'utilisant quand même, ils veulent démoraliser les ouvriers et faire le jeu de patrons. La preuve de leur mauvaise foi et de leurs intentions malhonnêtes, c'est qu'ils s'adressent aux "pouvoirs publics" (qui sont toujours du côté des patrons) pour "ouvrir une enquête sur les perturbateurs".
Mais il y a un moyen très simple de démasquer les provocateurs, s'il y en a. C'est de former dans l'usine même des commissions d'ouvriers pris dans la rang et chargés d'enquêter. Aux départements 6 et 18, les ouvriers ne connaissent pas de provocateurs. Si les dirigeants politiciens du syndicat ont des documents, qu'ils les apportent aux 6 et 18 ; qu'ils les montrent et qu'ils s'adressent directement aux ouvriers qui sont assez grands pour juger eux-mêmes.
Nous demandons, d'autre part, que les dirigeants syndicaux rendent compte de l'utilisation des sommes encaissées pour le soutien de la grève.
Voilà le moyen. Mais ils se garderont bien de l'utiliser. Et s'ils ne veulent pas utiliser ce procédé démocratique, c'est qu'ils sont de vulgaires calomniateurs qui veulent cacher, par la calomnie, leur travail antiouvrier.
Dans l'usine : ni Gestapo, ni Guépéou, ni police ; liberté et discipline ouvrières.
Heures supplémentaires
La direction profite des difficultés pécuniaires des ouvriers
pour leur imposer un nouvel horaire.
Alors que l'heure de sortie est fixée à 18 heures pour l'ensemble
de l'usine, à Collas, elle est portée à 18 h 30.
Lundi 19 mai, de nombreux ouvriers de ce secteur ont protesté en quittant à 17 h 30.
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