1947 |
Nº 7, période de l'immédiat-après la grève Renault |
La Voix des Travailleurs de chez Renault
27 mai 1947
Tous ceux qui ont des profits à perdre ont tremblé et tremblent encore. Les conflits sociaux et la crainte de la grève générale troublent leur sommeil. Les coffres-forts sont alarmés. Les journaux reproduisent les discours de Ramadier contre les "provocateurs" : "la greve générale est une provocation". Dans ce concert alarmé des intérêts sordides, les dirigeants de la C.G.T. figurent en bonne place.
Qui sont les provocateurs ? Partout, comme chez Renault, la volonté de grève surgit d'en bas. Le communiqué de la Fédération de l'Eclairage dit textuellement :
"Les délégués fédéraux... se sont réunis le samedi 24 mai 1947 porteurs de mandats pour la greve immédiate et sans limite donnes dans des assemblées d'organisations de base" (Humanité, 25-5).
C'est sans doute pour ne pas se laisser provoquer... par les ouvriers que les dirigeants cégétistes ont décidé de ne pas tenir compte de la volonté de la base "pour une grève immédiate et sans limite". "Le comité national, poursuit le communiqué, calme, maitre de ses décisions, ne s'est pas laissé entrainer sur ce plan."
Pour ne pas respecter la démocratie, les dirigeants de la C.G.T. traitent les ouvriers en enfants, tout en mettant en avant leur sagesse et leur "calme".
Mais c'est leur "calme" devant les souffrances des ouvriers qui a permis au gouvernement d'ajourner la révision des salaires au mois de décembre et d'utiliser, contre les grèves isolées, des méthodes totalitaires, comme la réquisition militaire. Les capitalistes, eux, ne prêchent pas du tout le calme : par leur porte-parole, le gouvernement, ils opposent aux ouvriers leur volonté et leur force unies.
Sans se concerter, d'un bout à l'autre du pays, les travailleurs ont eu recours à la même méthode de lutte : la grève et, en même temps, à la suite de la grève Renault.
Tous les efforts des capitalistes, c'est de passer sans trop de dommages à travers cette situation et avec le moins de concessions possible.
Si les dirigeants cégétistes s'opposent à la lutte ouvrière gréviste, ce n'est pas par stratégie, c'est parce qu'ils ne savent plus lutter avec les ouvriers. Tout ce qu'ils savent, c'est se déplacer en auto pour se rencontrer avec les potentats de l'industrie ou des ministres, négocier confortablement autour du tapis vert. Ils prêchent le calme, parce qu'ils haïssent la lutte de ceux qui troublent leurs bons rapports avec les capitalistes. Et parce que dans la lutte ouverte, ce ne sont pas eux, mais d'autres qui font le travail de dirigeants. Que deviendraient dans une grève générale leurs grands et petits postes ? Dieu nous en préserve !
Ce sont les travailleurs qui veulent un mouvement d'ensemble, qui ferait capituler rapidement les capitalistes. Ce sont les bureaucrates qui n'en veulent pas.
Mais l'attitude des bureaucrates n'a pas nom "stratégie", mais "trahison".
Les mois qui viennent décideront du sort de la classe ouvrière pour longtemps. Car ce n'est pas tous les ans que la classe ouvrière se trouve prête, dans son ensemble, à mener la lutte. La trahison de quelques milliers de bureaucrates sera-t-elle plus forte que la volonté de millions et de millions d'exploités ?
La Voix des Travailleurs.
De nombreux ouvriers nous font savoir leur répugnance à continuer de payer des cotisations pour engraisser des bureaucrates qui sabotent leur action. Le prochain numéro de La Voix sera consacré à l'étude des moyens et des formes d'organisation que nous pourrons envisager pour continuer notre lutte.
Nos 10 francs !
La fraction dirigeante de la C.G.T. nous avait dit : "Reprenons le travail sur la base des 3 francs et nous aurons ensuite les 10 francs par des négociations." Le résultat, c'est que le gouvernement prétend maintenant ajourner la révision des salaires à décembre.
La fraction dirigeante du syndicat a "soutenu" nos revendications comme la corde soutient le pendu. Les 3 francs n'étaient pas un acompte sur les 10 francs, à partir du 1er mai, comme elle l'a prétendu, mais un appât pour nous faire capituler.
Il faut que la direction syndicale qui nous a forcés à la reprise du travail s'explique immédiatement sur les moyens d'obtenir les 10 francs ! Nous examinerons ce qu'elle en dit et nous verrons ensemble ce qu'il faut faire devant la nouvelle situation. Et si la direction cégétiste continue à saboter, comme par le passé, nous envisagerons nous-mêmes les moyens de lutte. Car, depuis notre mouvement, nous nous sommes enrichis d'une grande expérience et nous ne voulons plus nous laisser mener avec des promesses trompeuses. Nous sommes entrés en lutte pour que ça change et ça doit changer.
Nos 10 francs à partir du 1er mai !
Minimum vital calculé sur l'indice des prix (Echelle mobile des salaires) !
Nous allons être appelés à voter pour les délégués du personnel. En juin 1936, l'action de la classe ouvrière a imposé au patronat la reconnaissance officielle des délégués. Mais si les conventions collectives prévoient la possibilité pour les ouvriers d'élire des délégués de leur choix, la bourgeoisie, fidèle à sa tradition de reprendre de la main gauche ce qu'elle a dû céder de la main droite, a modifié cette loi par plusieurs décrets, dont le dernier en date est celui de l'ex-ministre Croizat.
Que dit cette loi du 16 avril 1946 ?
D'abord que les candidats doivent être présentés sur les listes des organisations syndicales les plus "représentatives". Or nous savons comment sont établies ces listes. Les futurs délégués, choisis par la C.E., sont présentés à l'assemblée générale du syndicat (une trentaine d'ouvriers, bien souvent moins). Un exemple nous suffira pour montrer toute l'iniquité de cette "représentation".
Au secteur Collas, la grosse majorité des ouvriers, écoeurés par les méthodes bureaucratiques et policières des dirigeants syndicaux, ont cessé de payer leurs cotisations.
Après la grève, ils se sont réunis pour former une nouvelle C.E., qui a été élue à l'unanimité des ouvriers syndiqués et non syndiqués, à l'exception des dirigeants qui avaient jugé plus sage de ne pas se présenter à la réunion. La section syndicale de la R.N.U.R. a refusé de reconnaître cette C.E. parce qu'elle avait été élue par des ouvriers non à jour de leurs cotisations.
Or tous les ouvriers sont des syndiqués, et s'ils refusent actuellement de payer des cotisations c'est qu'ils en ont assez de confier leur argent à des gens qui l'utilisent pour les combattre et les calomnier (voir la série de tracts de la C.G.T. pendant la grève).
Mais, pour les dirigeants actuels du syndicat, la volonté d'un millier d'ouvriers mécontents est moins précieuse que celle d'une trentaine de "syndiqués" (lire : cochons de payants).
D'après la loi en vigueur, plus de mille ouvriers qui ont prouvé leur combativité pendant la grève ne peuvent pas élire légalement leur représentant, tandis qu'une poignée de jaunes a la possibilité d'élire les siens.
En somme, on nous offre une illusion de démocratie. C'est pourquoi, dans ces conditions, il est préférable de ne pas avoir de délégués que d'en avoir de mauvais (ceux qui se substituent au contremaître pour pousser à la production et faire la police dans l'usine).
Certains camarades ont pensé, après l'attitude répugnante des dirigeants cégétistes dans notre grève, qu'il fallait faire bloc contre eux aux élections. Certains sont même allés jusqu'à envisager favorablement la proposition de la C.F.T.C. de faire une liste d'union contre les bureaucrates de la C.G.T.
Or, il ne peut être question pour nous de faire bloc avec des organisations réactionnaires contre des organisations bureaucratisées.
Le problème n'est pas pour nous d'avoir des délégués à tout prix et d'envisager toutes les combines possibles pour faire élire nos représentants. Le problème, c'est d'imposer au patronat et au gouvernement la libre élection des délégués. Hors de cela, nos délégués ne sont que des représentants imposés bureaucratiquement.
C'est pourquoi nous devons avant tout engager la lutte pour avoir la possibilité d'élire des représentants de notre choix.
1°) Chaque ouvrier doit avoir la possibilité de présenter sa candidature sans avoir à passer par la censure d'une organisation bureaucratique ;
2°) Nous devons avoir la possibilité d'élire nos représentants par département, car il est absolument anormal que nous soyons appelés à nous prononcer sur des noms que nous ne connaissons pas et qu'on veut nous faire élire bureaucratiquement.
C'est ainsi qu'au secteur Collas, les délégués cégétistes "dans la ligne" seraient élus par les voix du restant de l'usine contre la volonté des ouvriers de ce secteur.
Pour faire échec aux manoeuvres bureaucratiques des "dirigeants" syndicaux qui veulent nous imposer leur candidature,
Pour imposer des élections démocratiques de délégués,
Vous vous abstiendrez tous au premier et deuxième tours des élections de délégués pour pouvoir présenter au troisième tour des délégués :
De votre choix,
Par département.
Pierre Bois
Premier tour. – Les candidats sont élus à la majorité absolue des inscrits (pour 20.000 inscrits, il faut 10.001 voix).
Deuxième tour. – Les candidats sont élus à la majorité relative à condition qu'il y ait au moins la moitié de votants que d'inscrits (sur 20.000 inscrits s'il n'y a pas 10.001 suffrages exprimés, les élections sont nulles).
Troisième tour. – Les électeurs pourront voter pour des candidats autres que ceux présentés par les organisations syndicales.
Les premiers "bienfaits" du plan Monnet se font sentir chez Renault. Pour augmenter la production selon le "plan", la semaine passe de 45 à 48 heures. A cela, la C.G.T. n'a vu aucun inconvénient. Pendant la grève, elle nous affirmait que sa prime à la production devait être basée sur la production actuelle. Seulement, pour accroître la production, on n'a rien trouvé de mieux que de nous faire faire des heures en plus. Il n'a pas été un seul instant question de machines neuves, de rationalisation de la production pour alléger notre peine. On a tout simplement cherché à augmenter la durée de notre effort : comme il est difficile d'accélérer notre cadence, on nous fait travailler trois heures de plus par semaine.
Est-ce que pour cela notre niveau de vie sera plus élevé ? Non. Au fur et à mesure que la durée de notre présence à l'usine s'accroît, notre standard de vie baisse. 45 heures, 48 heures... Sans compter que la presque totalité du salaire des "heures supplémentaires" passe dans les caisses de l'Etat (impôt cédulaire), notamment pour les P1, P2 et P3.
Ce qui est plus grave, c'est que c'est une atteinte à notre santé, car le séjour prolongé dans l'atmosphère empoisonnée de la régie ne peut que miner un peu plus notre organisme.
C'est, de plus, une atteinte à notre droit le plus élémentaire, mais aussi le plus sacré : la liberté de réunion. Il n'est pas facile de nous réunir après 9 et 10 heures de travail abrutissant. Et dans ces conditions, il nous est encore bien plus pénible de réfléchir aux moyens de défendre nos intérêts.
Et ne parlons pas des réunions sportives. Car faire une séance de culture physique après 9 heures et demie de travail à la régie devient non plus un moyen d'entretenir notre santé, mais un surmenage de plus pour notre corps.
En allongeant notre journée de travail, c'est le souci de nous abrutir, qui guide le patronat, plutôt que celui de la production.
DURIEUX.
Mercredi 14 mai, les délégués ont tenté de m'emmener de force à la direction pour avoir diffusé un tract du Comité de grève de Collas. Devant l'hostilité des ouvriers, outrés de ces méthodes, ils sont allés voir le contremaître, puis le chef d'atelier, enfin le comité d'entreprise. N'ayant certainement pas obtenu ce qu'ils désiraient, un responsable est venu me trouver, me menaçant de me briser les reins.
Le soir, une équipe de matraqueurs m'attendaient. Mais ils se tinrent tranquilles quand ils virent que j'avais eu la précaution de me faire accompagner par des camarades.
Ces "responsables", qui sont les fervents défenseurs de la production, passent beaucoup plus de temps à discuter qu'à leur boulot.
Ils diffusent journellement des tracts et des journaux pendant le travail, et ce sont eux qui veulent, par la force, nous empêcher d'émettre nos opinions.
Il faut qu'eux-mêmes ne soient pas très convaincus de la justesse de leur position pour user de telles méthodes.
Au 49, comme ailleurs, nous saurons imposer la démocratie.
Les ouvriers sont assez grands pour juger où sont les diviseurs.
Jean BOIS
Sous prétexte de mécaniser la paye, la direction a décrété qu'elle aurait lieu à dates fixes (tous les 7 et 15 par exemple), c'est-à-dire toutes les quinzaines au lieu de toutes les quatorzaines.
Le système de la paye à jours fixes (par exemple tous les deux mardis) était une conquête de 1936. De cette manière, la paye tombait au bout d'un temps toujours le même ; tandis que maintenant, sans compter le jour supplémentaire d'attente, lorsque l'arrêt des comptes tombera sur un dimanche ou un samedi, ce sera autant de jours reportés à la quinzaine suivante. Certaines quinzaines seront de dix jours, d'autres de onze ou douze jours, et le prélèvement des impôts en sera augmenté dans ce dernier cas.
Nous ne voulons pas de ces combines. Toutes les payes doivent être les mêmes et avoir lieu à jour fixe. Notre salaire n'est pas tellement grand que nous puissions attendre après.
De nombreux ouvriers du secteur 88, qui travaillaient en équipe, ont refusé de continuer et reviennent à la journée normale. "Lorsque nous faisons équipe, expliquent-ils, il faut manger le matin, à midi, à 6 heures, le soir, et ensuite, quand nous rentrons au milieu de la nuit, il faut manger encore. Il est impossible de diviser nos 250 grammes de pain en quatre. Par conséquent, nous ne faisons plus équipe".
Au département 49, les "responsables" syndicaux staliniens essaient toujours de maintenir leur "autorité" par des méthodes de gangstérisme. Deux ouvriers ont été menacés "de se voir démolir" ; étant nouveaux dans l'usine et ne sachant pas comment réagir devant de pareilles méthodes, ils ont pris leur compte.
Camarades, si de pareils faits se reproduisent, ne cédez pas à la violence, alertez vos camarades d'atelier, et, surtout, signalez le fait à La Voix.
A LYON
Aussitôt après la grève générale et la manifestation des ouvriers pour un meilleur ravitaillement, "des commissions paritaires ont siégé TARD DANS LA NUIT pour examiner la question des salaires". Chez Peugeot, augmentation de 7 à 13 francs ; chez Bronzavia, de 4 à 19 francs plus un acompte de 1.000 francs à valoir sur la prime générale de 10 francs ; au garage Thiers, 5 francs et 2 fr.50 pour les apprentis ; dans les entreprises textiles, le salaire moyen maximum sera appliqué partout où il ne l'était pas encore. Le paiement de la journée de grève générale a été accordé. "Les pourparlers continuent entre les représentants des syndicats ouvriers et des chambres patronales", les patrons "ne sont pas hostiles à l'établissement des primes de rendement dans le cadre des accords nationaux".
A L'AIR LIQUIDE, BOULOGNE
Les ouvriers refusent la prime de 3 francs qui leur a été proposée et ont voté à l'unanimité (400 voix moins 12) la continuation de la grève. Ils demandent également le paiement des heures de grève. Malgré ce vote, les responsables cégétistes organisent un nouveau vote le mardi 27 "pour ou contre la continuation de la grève".
Il faut boycotter de tels votes qui, n'ayant d'autre objet que de faire revenir les ouvriers sur leur décision, visent tout simplement à les démoraliser et à les faire capituler. Nous en savons quelque chose... A l'exemple de notre revendication, les ouvriers de la Polymécanique à Pantin, ont exigé et obtenu le paiement des heures de grève.
PROFITS ET SALAIRES ...
Les profits des capitalistes présentent des augmentations considérables.
Alors que la part des salaires dans l'industrie et le commerce a diminué depuis un an de 31 à 28 p.100, la part des capitalistes dans le revenu national a augmenté de 65 p.100. Dur avec les ouvriers, le gouvernement est tendre pour les capitalistes. C'est ainsi, qu'entre autres, l'indemnité allouée aux actionnaires de la Banque de France est portée de 28.000 à 44.500 francs.
Cependant de nouvelles hausses de prix se préparent sous prétexte de hausse des salaires. Seul un salaire minimum vital garanti par l'échelle mobile peut défendre la classe ouvrière contre les atteintes continuelles du patronat à notre pouvoir d'achat.
CAMARADES,
Comme pour le numéro 6, la parution du présent numéro de La Voix des Travailleurs est assurée au moyen des listes de souscription. Mais à partir du numéro prochain, notre journal sera vendu au prix de 2 francs. Cela assurera une meilleure répartition des efforts de chacun.
Envoyez des camarades à notre permanence, aux heures indiquées, pour passer vos commandes, afin que nous puissions fixer avec certitude notre tirage.
Aider à la diffusion de notre Voix des Travailleurs, c'est une des conditions de notre victoire. C'est une tâche minime, mais c'est par les petites choses qu'on arrive aux grandes.
ATTENTION AU CHANGEMENT DE PERMANENCE
Tous les mercredis et vendredis de 18 h. à 20 h. au café-tabac "Le Terminus" angle rue Collas-avenue Ed.Vaillant Métro : Pont de Sèvres.