1948 |
L'EMANCIPATION DES TRAVAILLEURS SERA L'ŒUVRE DES TRAVAILLEURS
EUX-MÊMES |
Voix des Travailleurs nº 46
12 mai 1948
On pouvait penser qu'avec la liberté rendue aux spéculateurs sur l'or et le dollar, le prélèvement "exceptionnel" sur les classes moyennes et la hausse des prix industriels "au niveau des prix agricoles", M. René Mayer avait achevé son programme d'aide directe aux capitalistes.
Il n'en est rien. Alors que de nouvelles hausses s'annoncent pour les consommateurs, le ministre des Finances envisage de nouveaux et substantiels cadeaux pour les milliardaires. Le premier, baptisé amnistie fiscale pour certaines catégories de personnes soumises à l'impôt de solidarité nationale, n'est rien d'autre que pardon et oubli pour les grands fraudeurs du fisc. Le deuxième, appelé participation des capitaux privés au financement des entreprises nationalisées, permettra aux requins de la haute finance de prélever de gros bénéfices, sans aucun risque et sans contribuer à la bonne marche des entreprises. En effet, M. Mayer envisage cette participation sous forme de bons à court terme portant intérêt progressif et obligations ; or, si l'actionnaire, qui achète une part de propriété d'une entreprise, participe non seulement aux bénéfices, mais peut aussi subir des pertes, le souscripteur de bons ou l'obligataire, considéré comme prêteur d'argent, encaisse quand même ses intérêts, même en cas de pertes pour l'entreprise. Qu'il pleuve ou qu'il vente, un tribut lui est toujours dû !
Evidemment, M. Mayer présente ces mesures comme une "aide aux nationalisations". Il y a trois ans, au temps du gouvernement "d'union nationale", de Thorez à Bidault, sous la présidence de De Gaulle, les "nationalisation" furent, en effet, la "tarte à la crème" du nouveau régime dans le domaine économique. Il n'en fallait pas plus à L'Humanité pour essayer de persuader ses lecteurs de la disparition des deux cents familles.
Mais il n'y avait rien de "progressif" dans l'étatisation de certaines branches d'industries et de certaines banques. Dans tous les vieux pays capitalistes, indépendamment de la forme du gouvernement, l'Etat a dû procéder à des "nationalisations" de plus en plus larges, pour faire supporter aux contribuables la faillite du système capitaliste dans les principales branches (mines, chemins de fer, etc.) et assurer ainsi aux capitalistes un minimum de bénéfices (en tant que prêteurs d'argent surtout).
Mussolini en Italie, Hitler en Allemagne, Chamberlain, Churchill et Attlee en Angleterre, Franco en Espagne, tous ont dû, devant la faillite du capitalisme, "nationaliser".
Le 1er décembre 1945, en dénonçant, dans La Lutte de classes, le caractère spoliateur de ces nationalisations, nous réclamions :
Il ne faut accorder aux capitalistes (des secteurs nationalisés) ni rachat ni indemnité prélevés sur le travail du peuple et aggravant sa misère. Il faut abolir le secret commercial, paravent des spéculations financières. Il faut procéder à la publication des bilans et l'ouverture des livres de compte de la bourgeoisie. Il faut que les syndicats ouvriers établissent le plan d'une production d'objets de consommation pour les masses, de rééquipement de l'agriculture et du bâtiment. Il faut organiser les ouvriers et les employés pour le contrôle ouvrier sur la production et la comptabilité des industries et des banques. Faute de combattre pour ces mesures, les "nationalisations" ne s'avéreront qu'une nouvelle cause d'inflation, de spoliation du peuple et d'accroissement de sa misère.
Mais c'est l'inverse qui se produit aujourd'hui. Pendant trois ans, les contribuables ont payé des centaines de milliards pour les entreprises "nationalisées", et les ouvriers ont travaillé avec des salaires dérisoires ; et, maintenant que la plupart d'entr'elles sont renflouées, M. Mayer estime que c'est le moment pour MM. les capitalistes d'être présents à la curée.
Jusqu'où la patience des travailleurs les laissera-t-elle aller ?
LA VOIX DES TRAVAILLEURS
La nouvelle conférence de paix entre Washington et Moscou :
La sensation produite par les nouvelles propositions de Washington à Moscou pour un "règlement général de la paix" mesure, mieux que tout, l'acuité du danger de guerre. Car, en somme, il ne s'agit que d'un nouvel essai, après tant d'autres. Et personne, d'ailleurs, n'ose affirmer qu'il y ait, cette fois-ci, davantage de chances de réussite.
Il suffit de se rappeler le sort qu'ont eu les précédentes ententes entre les cliques de Washington et de Moscou, à Téhéran, à Casablanca, à Yalta, à Potsdam et à San-Francisco...
En tout cas, la PAIX, pour les masses laborieuses du monde entier, c'est autre chose que le partage, autour du tapis vert, des territoires et des peuples, l'oppression militariste et policière par deux ou trois grandes puissances, le maintien du fardeau des armements et des troupes d'occupation, l'esclavage colonial.
LES PEUPLES VEULENT UNE PAIX DEMOCRATIQUE, CAR, SEULE, UNE PAIX DEMOCRATIQUE PEUT ELOIGNER DEFINITIVEMENT LA GUERRE. UNE "PAIX" IMPERIALISTE NE SERAIT QU'UN REPIT TROMPEUR.
Qu'ils retirent leurs troupes de tous les pays, quels qu'ils soient ! Qu'ils répudient toute annexion de territoires ! Qu'ils donnent aux peuples le droit de disposer d'eux-mêmes, non seulement en Europe, mais aussi en Asie et en Afrique ! Qu'ils libèrent immédiatement les prisonniers de guerre ! Qu'ils renoncent aux "réparations", moyen de spoliation des travailleurs des pays vaincus ! Qu'ils désarment !
Quand nous verrons supprimer le budget de guerre français (qui est actuellement bien au-delà de 300 milliards), le service militaire réduit à six mois, nos soldats revenus d'Indochine, et les usines tourner pour des produits utilitaires, nous saurons que nous sommes en paix.
FAUTE DE QUOI, QUELLES QUE SOIENT LES CONFERENCES ET LES ENTENTES, NOUS N'EVITERONS PAS LA GUERRE.
Le gouvernement se flattait de la stabilisation des prix à laquelle il avait abouti, stabilisation de misère sans doute, mais c'était déjà une belle victoire que d'arrêter la hausse !
Cependant, le gouvernement doit veiller sur les intérêts de tous ses citoyens. Aussi, bien que son plus cher désir ne soit que la baisse des prix, il a dû constater, et M. Abelin, dans son dernier discours, nous l'a expliqué, que les propriétaires d'immeubles étaient une catégorie de citoyens manifestement lésés. Les loyers qu'on leur paie sont "ridiculement bas". D'abord cela empêche la reconstruction. Il faut donc relever les loyers à un coefficient convenable (de 2 à 8, par exemple), quitte à accorder à certaines catégories de familles nombreuses une allocation-logement financée par l'Etat (inflation).
Admirez la logique du gouvernement : les salaires actuels sont trop bas pour permettre de payer des loyers plus élevés. L'allocation-logement, prévue pour certaines catégories, ne compensera pas l'augmentation des loyers. Mais la solution est quand même envisagée de... l'augmentation des loyers.
Mais avec cela on n'en a pas fini. M. Abelin a également dû constater que le déficit du métro était considérable. Les salaires actuels permettent-ils de payer un prix des transports plus élevé ?
Evidemment non ! On ne peut pas non plus demander au gouvernement une "allocation-transport". Il envisage de relever le tarif des transports quand même, comme d'ailleurs celui des P.T.T.
Et ce n'est pas tout : il s'aperçoit qu'il n'a pas été procédé en temps voulu au "rajustement des prix des produits importés actuellement vendus à leur ancien cours", ni aux "prix des produits coloniaux maintenus à leur niveau d'avant la dévaluation". Il faudra, évidemment, réparer cette injustice.
Le gouvernement a l'œil a tout. Chaque fois que dans un secteur quelconque les prix sont relevés, on s'aperçoit que, dans un autre, forcément, les prix ne sont pas au bon niveau et qu'il faut les rajuster. Ad infinitum... Il y a quelques mois, c'était les prix des produits industriels qui étaient trop bas par rapport aux prix agricoles. Le gouvernement y a mis bon ordre. De l'indice officiel 6, les prix industriels ont été relevés à l'indice 14 et commencent même à dépasser l'indice des prix agricoles. C'est bien pour cela qu'on parle d'un relèvement, lors de la prochaine récolte, des prix agricoles taxés (lait, blé, sucre).
Il n'y a qu'un secteur pour lequel le gouvernement est frappé de cécité. Il n'y a que les salaires qu'il ne trouve jamais disproportionnés par rapport au reste. Il n'y a que les revenus des travailleurs qui ne lui paraissent pas "ridiculement bas".
C'est que le gouvernement n'a qu'un œil, mais c'est le bon : il ne voit que l'intérêt des capitalistes. Que les ouvriers s'avisent de demander que le prix de leur force de travail, ridiculement bas, soit rajusté au niveau des autres prix (dont il est de plus de moitié plus bas) et le gouvernement, de son œil déformant, y verra la catastrophe et la fin du monde.
Mais à ce jeu-là, tant va la cruche à l'eau qu'elle se casse.
Le dernier acte de barbarie du gouvernement grec : l'exécution, en représailles du meurtre du ministre de la Justice Ladas, de 264 prisonniers politiques détenus depuis 1944, a soulevé, pour la première fois, l'indignation de la presse dite "démocratique".
La Grèce souffre depuis des années un effroyable martyre. Cette réprobation à retardement des représentants des "démocraties occidentales" n'est due qu'à leur inquiétude de voir le P.C.F. apparaître comme le seul parti exprimant l'indignation que pareils actes ne manquent de susciter chez tous les gens doués de cœur et de raison. "Nous réprouvons les "excès" de M. Tsaldaris..." rétorquent-ils à L'Humanité, qui proteste à longueur de colonnes contre la répression sanglante et le martyre des travailleurs grecs.
Mais il est plus facile de protester que d'avouer aux ouvriers ce qui a mené à cette situation.
Il aura fallu trois ans aux travailleurs de France pour que, devant la perspective d'une nouvelle guerre, entre les alliés d'hier, ils découvrent la duperie qu'a été la "guerre démocratique contre le fascisme".
La Grèce n'a même pas connu ce délai. C'est dès 1944, les troupes allemandes ayant à peine quitté le territoire, que l'état-major anglais recommençait la guerre contre le peuple grec et que M. Churchill prenait la place de Hitler.
Le "gouvernement de libération", arrivé à Athènes en droite ligne de Londres, avait exigé en premier lieu le désarmement de la "résistance". C'est ce qui fut à l'origine du soulèvement de 1944. A la même époque, le désarmement de la résistance en Belgique provoquait là-bas aussi des batailles sanglantes entre la police et les ouvriers armés.
Pour les alliés, la guerre contre Hitler n'était que la lutte pour remplacer la domination de ce dernier par leur propre domination. Il ne pouvait s'agir de laisser des armes entre les mains de travailleurs pour qui la lutte contre Hitler avait signifié la lutte pour le pain, la paix et la liberté, mais qui devaient bientôt s'apercevoir que la démocratie et la libération des impérialistes alliés n'avaient été que tromperie.
Comme en France, les dirigeants staliniens avaient embrigadé là-bas les ouvriers dans la résistance derrière les représentants de l'impérialisme, allié momentané de l'U.R.S.S. Ils ont trompé les ouvriers sur les mobiles de cet impérialisme et sur l'enjeu de la lutte qui se menait ("démocratie contre fascisme"). Aussi, quand les événements de Grèce éclatèrent en 1944, L'Humanité affectait-elle l'étonnement : "C'est là une chose vraiment incroyable !" (28-11-44). Mais si elle jouait l'étonnement, c'était seulement pour faire oublier que c'étaient les dirigeants staliniens qui avaient prêché aux peuples la cause alliée et celle des gouvernements "démocratiques" réfugiés à Londres (les De Gaulle et les Tsaldaris).
Pourquoi les anciens combattants contre le fascisme devaient-ils se battre à nouveau ? "L'action de l'E.L.A.S. et de l'E.A.M. n'a pas d'autre but que de former un gouvernement démocratique", répondait L'Humanité. Les dirigeants staliniens étaient prêts, pour leur part, à accepter le désarmement des milices en échange d'une collaboration gouvernementale. En France, Thorez n'avait-il pas approuvé le désarmement des milices, en échange de la vice-présidence ?
Cependant, ils ne réussirent pas en Grèce, car le gouvernement du "socialiste" Papaandréou d'abord, celui du métropolite Damaskinos ensuite, etc., avec l'appui militaire total de l'impérialisme anglo-saxon, engagea une lutte sans compromis pour mettre à genou le peuple grec, dont les traditions ouvrières ne sont pas des moindres. Ce n'est qu'en matant toute opposition politique dans le pays que le capitalisme anglo-américain pouvait s'assurer en Grèce d'une position stratégique contre l'U.R.S.S.
La "démocratie alliée" a apporté d'emblée au peuple grec un gouvernement fasciste et la guerre civile. En France et en Italie, on a eu l'impression que la collaboration "pacifique" --donnant, donnant-- des partis staliniens avec les partis bourgeois se perpétuerait grâce à l'étouffement de la lutte de classe. Mais les événements nous prouvent que la France et l'Italie sont aussi sur le chemin de la Grèce.
Il faut protester hautement et condamner les abominables crimes des impérialistes alliés et du gouvernement fasciste en Grèce. Il faut alerter les peuples du monde entier pour faire cesser le martyre du peuple grec.
Mais, avant tout, il s'agit de ne plus suivre ceux qui, par leur politique des "blocs" et de collaboration avec la bourgeoisie nous mènent en droite ligne au "martyre grec" !
Irène DECLAIR
"Les travailleurs luttent pour l'aboutissement de leurs revendications", tel est le leitmotiv qui revient chaque jour dans la presse cégétiste et stalinienne.
Est-ce exact ?
Quand ils en ont assez de subir le joug patronal, les ouvriers arrêtent les machines. Alors, des bureaux des organisations syndicales, arrivent des revendications toutes faites rédigées dans un style que très peu d'ouvriers comprennent. S'agit-il bien des revendications des ouvriers ?
Augmentation des salaires de 20%, demande aujourd'hui la C.G.T. Mais combien cela fait-il, 20% ? On sait que lors de la dernière augmentation de décembre, les salaires ont été majorés, en principe, de 30%. Or, chez Renault, cela s'est traduit par une augmentation du taux de base de 40 fr.30 à 43 fr.90 pour un O.S.2 (c'est-à-dire à peine 10%). La direction est arrivée à ce résultat en incorporant dans ses calculs les primes au salaire.
Ces temps derniers, ont eu lieu des débrayages. Au bout de quelques jours, les ouvriers reprenaient le travail. D'après la C.G.T., ils avaient remporté une "victoire". C'est-à-dire les 20% ? Non ! Mais la C.G.T. avait revendiqué la révision des temps. La paye arrive et les ouvriers s'aperçoivent, comme aux presses, qu'ils touchent 2 francs de plus par heure !
L'année dernière, les travailleurs de chez Renault sont entrés en lutte pour une augmentation de 10 francs sur le taux de base. La C.G.T. a réussi à manœuvrer pour la transformer en une revendication de 10 francs de "prime à la production". Puis elle a fait reprendre le travail avec 3 francs au lieu de 10.
"Mais si nous n'avons pas obtenu entièrement (sic) satisfaction sur les 10 francs, ont dit les cégétistes, du moins avons-nous obtenu la révision des chronométrages et la garantie d'un boni à 120%." Hélas ! le gouvernement a défini les augmentations du mois de décembre sur une base de rendement à 140% !..
A la vérité, il y a loin des revendications cégétistes aux revendications ouvrières.
Les ouvriers revendiquent une augmentation clairement chiffrée de leur salaire (10 francs sur le taux de base, par exemple) et non pas des pourcentages avec majoration de ceci, retenue de cela, primes et autres tromperies.
Ils ne veulent pas d'un salaire basé sur deux cents heures de travail par mois, avec le calcul compliqué des majorations d'heures supplémentaires, sans impôts, jusqu'à quarante-cinq heures, impôt au-dessus de quarante-cinq heures, etc.
Ils veulent gagner leur vie en faisant leurs quarante-cinq heures par semaine, puisque la belle conquête des quarante heures a disparu des mœurs.
Ils ne veulent pas non plus d'un salaire basé sur une production à 140%, compte tenu d'une prime de vie chère qui s'ajoute à une prime de production.
Ils veulent gagner leur vie en travaillant normalement et, comme premier pas vers la suppression du travail aux pièces qui rend l'ouvrier esclave de sa machine, ils revendiquent le retour au plafond à 16%, supprimé par Croizat.
P. BOIS
Les journaux du 8 mai ont annoncé que cinquante-quatre officiers et soldats polonais, cantonnés à Lille, avaient commencé le 5 mai une grève de la faim qu'ils entendaient poursuivre jusqu'au 11 mai, date à laquelle ils devaient être obligatoirement démobilisés, sans subsistance, sans ressources, sans toit...
Il s'agit de militaires faits prisonniers par les Allemands en 1939 et 1940 et incorporés dans l'armée britannique aussitôt après leur libération. Malgré leurs capacités professionnelles, ils n'ont pas réussi à s'intégrer dans l'économie française. Parmi eux, pourtant, on compte un général de division, des ingénieurs, des architectes et des ouvriers spécialisés. Ils n'ont pourtant trouvé place ni dans l'industrie, ni dans le commerce.
Le cas de ces cinquante-quatre Polonais prouve, encore une fois, qu'il n'est pas réservé à tout le monde de pouvoir, comme M. Kravchenko, choisir la liberté... Sinon celle de mourir de faim !
Par des débrayages, suivis en partie seulement par les ouvriers, la C.G.T. a protesté contre la mise à pied des délégués qui avaient organisé des réunions sur le lieu du travail ; mise à pied qui constitue une atteinte au droit syndical.
Le branle-bas de combat était donné par la C.G.T. moins pour défendre le droit syndical que ses propres positions. Car en quoi, il y a un an, était-il moins une atteinte au droit syndical, le fait d'interdire de parler pendant le travail, de diffuser un tract ou des journaux dans l'usine, ou le fait que les responsables du S.D.R. soient mis à pied ? Mais, il y a un an, la C.G.T. était complice de ces brimades contre les ouvriers. N'était-ce pas elle qui appelait Daniel Mayer et la direction de la R.N.U.R. à "prendre leur responsabilité" contre les "250 énervés" du secteur Collas ?
De la même manière, en 1948, la presse de la C.G.T. et du P.C.F., Marty en tête, découvrent que la Régie Renault est un bagne et que les nationalisations ne sont qu'un capitalisme d'Etat ; alors que jusqu'en 1947 les ouvriers devaient produire pour défendre ces mêmes "nationalisations".
Si la Régie est un bagne et si Lefaucheux peut se permettre ces atteintes au droit syndical, c'est bien les cégétistes qui en sont responsables, eux qui ont toujours eu en vue leur propre situation et non pas celle des ouvriers.
Au mois de mai 1947, ils ont refusé de suivre les ouvriers et ont saboté leurs mouvements. Mais au mois de novembre ils ont demandé aux ouvriers de les suivre dans une grève antidémocratique vouée à l'échec. Les bureaucrates entendent que les ouvriers les suivent toujours, mais ils ne veulent en aucun cas suivre les ouvriers. Aussi les voit-on lancer des appels et des mots d'ordre sans s'occuper s'ils correspondent à la situation des ouvriers. Mais il faudrait que ces derniers les approuvent par la seule vertu qu'ils émanent du cerveau des bureaucrates !
Mais, contrairement à l'opinion de ces guides éclairés, qui est aussi celle des bourgeois, les ouvriers savent juger par eux-mêmes des choses et des gens. Aussi, récompensent-ils les cégétistes selon leurs œuvres. Et ils le feraient encore bien mieux si les bureaucrates ne réussissaient encore partiellement à faire pression sur eux par le chantage : "si vous ne marchez pas avec nous, c'est le patron qui en profitera !"
Mais c'est précisément de la trahison de ces gens et de la division qu'ils ont semée au sein de la classe ouvrière que le patron a profité. Et ce n'est qu'en s'organisant en dehors de leur emprise que les ouvriers parviendront à se défendre efficacement contre les attaques patronales sous toutes leurs formes.
P.F.
L'APPAT
Après avoir fait savoir aux ouvriers qu'ils devraient marcher droit, sinon ils trouveraient à qui parler, M. Lefaucheux se radoucit et fait appel au bon sens ouvrier : "Ne faites pas de grève, nous (c'est-à-dire lui) sommes en bonne voie de redressement et si tout va bien, la direction pourra distribuer une partie des bénéfices à la fin de l'exercice 1948".
Si on ne fait pas de grève, si les prix n'augmentent pas, si la concurrence n'est pas trop difficile, si nous avons des matières premières, la direction, très généreuse, pourra, après avoir rattrapé le déficit de 1947, donner une participation aux bénéfices aux ouvriers à la fin de l'exercice 1948, c'est-à-dire pratiquement vers le mois de juin ou juillet de 1949.
Comment pourrions-nous apporter du crédit à des promesses soumises à tant de conditions et prévues pour les calendes grecques. D'autant plus que les ouvriers n'ont aucun contrôle sur la comptabilité de la Régie, qui pourra toujours trouver un prétexte pour justifier qu'il n'y a pas de bénéfices.
Non, monsieur Lefaucheux, les ouvriers ne croient pas au père Noël, ce ne sont pas des promesses qu'il leur faut.
[Suite de l'article sur la grève Renault d'avril 1947, reproduit en entier avec le numéro 43 de la Voix des Travailleurs]
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