1948

L'EMANCIPATION DES TRAVAILLEURS SERA L'ŒUVRE DES TRAVAILLEURS EUX-MÊMES
La Voix des Travailleurs – ORGANE DE LUTTE DE CLASSE
PRIX : 4 francs – ABONNEMENTS 6 mois : 100 frs ; 1 an : 200 frs


Voix des Travailleurs nº 47

Barta

19 mai 1948


Format MS Word/RTF Format Acrobat/PDF Téléchargement fichier zip (compressé)
Cliquer sur le format de contenu désiré

"LAISSEZ TOUTE ESPERANCE..."

L'émotion considérable provoquée par la simple annonce de pourparlers possibles entre Moscou et Washington et l'espoir d'un règlement de paix, quel qu'il soit, ont fait maintenant place à une morne résignation.

Il n'y a même pas eu à attendre les négociations autour du tapis vert pour se rendre compte, une fois de plus, de ce que les dirigeants des puissances dont dépend la paix du monde sont capables de faire.

Vingt-quatre heures après, l'échange de notes américano-russes "pour un règlement de la paix" n'était plus qu'un "incident russo-américain".

Staline et Truman, loin de proposer l'une quelconque des mesures démocratiques capables d'apporter un changement radical dans la situation, comme par exemple le retrait immédiat et sans conditions des troupes de tous les pays occupés, sont au contraire en pleine guerre diplomatique.

Washington considère que la publication de la note de Bedell-Smith par Molotov est une preuve que ce dernier ne prend pas au sérieux la négociation, et la presse officielle juge la réponse de Staline à Wallace, candidat de l'opposition, comme une immixtion dans les affaires intérieures américaines. En effet, dans toutes leurs ententes passées, l'U.R.S.S. et les Etats-Unis ont toujours procédé selon les traditions bien établies de la diplomatie secrète, comme il convient à des ententes entre brigands.

De son côté, Moscou, par ses Courtade, accuse Truman de n'avoir envoyé ses notes qu'en prévision des élections américaines, pour pouvoir les exhumer au moment opportun devant ses électeurs comme une preuve de sa volonté de paix.

La publicité faite par Molotov à la note de Bedell-Smith serait inspirée, d'après L'Humanité, par l'aversion de Moscou envers la diplomatie secrète : "L'U.R.S.S. a porté le débat devant les peuples (13 mai)." Petits innocents qui, pour leur part, n'ont jamais fait de diplomatie secrète... même avec Hitler. Mais Courtade explique lui-même que la publication de la note Bedell-Smith est due seulement à la crainte de voir le gouvernement américain s'en servir à la manière de Molotov quelques mois plus tard !

Tous ces arguments, discussions et procédés ne sont pas de gens qui ont envie de faire la paix, mais qui cherchent seulement le moyen de rejeter les responsabilités de son échec sur l'adversaire. Chacun est pacifiste... pour mieux préparer la guerre ! On arme parce que l'adversaire ne désarme pas, on opprime des pays parce que l'adversaire en occupe d'autres, et on se prépare à attaquer le premier pour que force reste au "parti de la paix"...

NOUS L'AVONS DIT ET NOUS LE REPETONS : CE N'EST PAS UN MUR DE LAMENTATIONS QUI ARRETERA LA GUERRE. Seul, le mouvement ouvrier, en renversant les classes dominantes, pour qui la guerre est la condition même de l'existence, peut l'arrêter. C'est précisément pourquoi la lutte contre la guerre a été la tâche n°1 du mouvement ouvrier dès sa création, c'est-à-dire depuis la fondation de la Première Internationale, en 1864.

La fatigue et l'horreur de la guerre manifestées par les peuples en 1945 ont pu provoquer un court répit dans le conflit général.

Mais tant que les chefs officiels de la classe ouvrière seront des gens à la remorque de Moscou ou à la solde de Washington, le mouvement ouvrier ne sera pas capable de remplir sa tâche. Ceux-ci, en effet, ne font qu'aider d'une manière effrénée ces deux géants militaristes.

Et l'absence d'une opposition ouverte et de toute manifestation ouvrière sérieuse contre les dépenses militaires, le service militaire, les guerres coloniales, etc., laisse les mains entièrement libres aux classes dominantes pour préparer la troisième guerre mondiale.

Si cela continuait, il n'y aurait d'autre sort pour l'humanité que sa condamnation définitive.

Car sur l'édifice social actuel, dominé par le capital financier, il est écrit, comme sur les portes de l'enfer : "Laissez toute espérance..."

LA VOIX DES TRAVAILLEURS.


CAR TEL EST SON BON PLAISIR

Nous avons déjà dit que M. Lefaucheux était bon prince. Or, un bon prince, s'il se respecte, ne peut manquer d'agir selon son bon plaisir.

Le juge de paix de Boulogne a annulé, le 28 avril, les élections de délégués du Dt 6 et 18. D'après la loi, il aurait déjà dû y en avoir de nouvelles.

Or, nous sommes le 19 mai, à trois semaines au lieu de deux de la sentence, et ces élections n'ont pas encore eu lieu. Comme de juste, le bon prince a pensé qu'après tout la loi est faite pour le vilain. Elle est bonne à invoquer contre les ouvriers lorsqu'il s'agit de les contraindre, mais complètement à ignorer quand elle fait respecter les maigres droits des travailleurs.

Mais ce n'est pas tout. Si M. Lefaucheux refuse, comme le jugement l'ordonne, de nouvelles élections, cela ne veut pas dire qu'il le rejette entièrement. Pour pouvoir ordonner de nouvelles élections, le juge a dû, tout d'abord, casser les mal-élus de la C.G.T. Cela, M. Lefaucheux l'accepte. Le roi Salomon, lui-même, n'a pas fait couper l'enfant en deux, mais M. Lefaucheux est, sans doute, plus fort que Salomon !

Comme on le voit, M. Lefaucheux en prend et en laisse. Pourquoi se gênerait-il ? M. Zanotti, inspecteur du Travail, n'est-il pas dans sa manche ? Les contribuables payent M. Zanotti pour connaître et faire respecter la législation sociale. Mais, celui-ci, soit ignorance, soit mauvaise foi (ce qui revient au même), marche la main dans la main avec M. Lefaucheux et tout son travail dans cette affaire, c'est d'essayer, grossièrement, de duper le S.D.R. M. Lefaucheux lui aurait-il mis un boeuf sur la langue ? (*)

La morale de cette histoire est tirée dans le bulletin du S.D.R. : "Toutes ces fraudes et chicanes de la part de la direction, dureront tant que nous n'aurons pas imposé que les affaires des ouvriers soient réglées par les ouvriers eux-mêmes, sans immixtion des patrons. C'est ainsi que les choses se passent à l'Imprimerie nationale, par exemple, et tout va pour le mieux. Les patrons invoquent toujours la légalité, la démocratie, LA LOI (fabriquée par eux) contre les ouvriers pour les empêcher de bouger ; mais les foulent aux pieds sans vergogne chaque fois qu'un maigre avantage doit être reconnu aux ouvriers.

NOUS NOUS EN SOUVIENDRONS.

En effet, le "tel est mon bon plaisir" de la bourgeoisie à l'égard des ouvriers ne peut, à la longue, s'attirer d'autre réponse que celle que les aristocrates reçurent du peuple en 1789.

(*) L'origine de cette expression est le mot latin "pecunia" qui désigne, en même temps, troupeau et argent.


QUE S'EST-IL PASSE A MAZARGUES ?

De L'Humanité au Monde, on rend responsable des "trotskystes" d'une émeute sanglante, le 15 mai, au camp de travailleurs indochinois de Mazargues.

La police a arrêté Do Tham Ky, N'Gane et d'autres, soi-disant organisateurs de cette émeute.

En fait, il s'agit là d'une monstrueuse provocation de gangsters aux ordres des staliniens indochinois, protégés par la police. Celle-ci, en effet, pour briser la résistance des travailleurs indochinois, avait récemment interdit et dissous les groupes de surveillance que les travailleurs du camp avaient organisés eux-mêmes et qui maintenaient un ordre exemplaire.

C'est ainsi que dans la nuit du 15 mai, à 22 h. 30, des groupes de ces gangsters attaquèrent à Mazargues les baraquements des travailleurs et se heurtèrent vite à la résistance de ceux-ci, qui abattirent un des assaillants. Quarante minutes après, le camp était cerné par la police et les arrestations commençaient. Des délégués et travailleurs, connus pour leur dévouement et leur capacité à défendre leurs camarades, furent arrêtés sous l'inculpation de "complot terroriste", comme Do Ky, délégué officiellement reconnu par la D.T.I., particulièrement dangereux, nous apprend Le Monde, parce que "se trouvant dans notre pays depuis neuf ans (il y fut déporté du travail à l'occasion de la deuxième guerre impérialiste), il n'y a travaillé que par intermittence, préférant consacrer son temps à l'étude et à la politique".

Ce sont là, certes, de bien grands crimes aux yeux de la bourgeoisie et c'est, assurément, un "complot" que d'engager les exploités à s'organiser entre eux ...

Mais n'est-ce pas un complot de la plus basse espèce que de favoriser une machination sanglante contre les travailleurs vietnamiens et leurs délégués, pour ensuite mettre en accusation... les victimes ? N'est-ce pas un complot que d'organiser systématiquement l'exploitation de travailleurs – doublement exploités et comme travailleurs et comme peuple occupé – et d'arrêter l'un après l'autre leurs porte-parole reconnus ?

C'en est assez des persécutions contre les travailleurs vietnamiens, qui ont souvent montré une conscience de classe et une solidarité ouvrière exemplaires. Les véritables responsables des événements de Mazargues, ce n'est pas dans leurs rangs qu'il les faut chercher. LIBEREZ DO KY, N'GANE ET LEURS CAMARADES qui, pendant toute la guerre, n'ont jamais cessé d'être solidaires des travailleurs français !

LA VOIX DES TRAVAILLEURS.


LE TRAVAIL DANS LA TRANQUILLITE

Il y a quelques mois, le gouvernement faisait face aux difficultés financières et au déséquilibre du budget par le "plan Mayer" et un prélèvement massif sur les contribuables. Mais finis les beaux jours ! La semaine dernière, devant l'Assemblée nationale, le ministre des Finances faisait approuver une nouvelle avance de 45 milliards de la Banque de France au Trésor, et laissait prévoir "la réévaluation du stock de la Banque" comme conséquence, ce qui veut dire une nouvelle dépréciation du franc.

Le budget est en déséquilibre ; une nouvelle dévaluation est à l'ordre du jour.

Le gouvernement fait état de son manque de ressources pour couvrir les dépenses ordinaires, extraordinaires, et autres... "Mais on ne peut pas tous les six mois opérer un prélèvement exceptionnel ou trouver quelque autre plan Mayer", déplore M. Tardy, l'économiste du Monde.

Les affaires financières de l'Etat vont mal. Les affaires tout court ne vont, paraît-il, pas mieux. Les capitalistes redoutent une crise de mévente, en raison des prix trop élevés, qui n'en continuent pas moins à monter.

Pourquoi tout va-t-il si mal ?

Il y a un an, il y a six mois, quand les ouvriers faisaient grève, quand ils revendiquaient de meilleurs salaires, c'était là, selon les bourgeois, la cause de tous les maux. Mais aujourd'hui ? Ces messieurs ne peuvent pas nous dire que ce sont les grèves qui "jettent la perturbation" dans l'économie. Depuis six mois, ils ont la tranquillité. Au prix d'accidents et de maladies innombrables, ouvriers et ouvrières travaillent à des cadences de plus en plus poussées.

Ils ne peuvent pas non plus prétendre que la hausse des prix est provoquée par les augmentations de salaires. Il n'y en a pas eu depuis le mois de décembre, et même alors, dans beaucoup d'usines, les patrons se sont arrangés pour ne pas les accorder. Le soi-disant minimum vital, reconnu au mois de décembre, a été, non seulement établi sur 200 heures de travail par mois au lieu de 160, mais encore sur un coefficient de production de 140%. Les ouvriers en sont arrivés à travailler 220 et 240 heures par mois à des cadences de 140%, 150% et plus, pour gagner un salaire bien en dessous du minimum vital !

La propagande capitaliste a expliqué qu'il faut au pays "le travail dans la tranquillité". Voilà ce qu'y ont gagné les ouvriers.

Ces messieurs les capitalistes voudraient bien nous faire voir les choses la tête en bas : moins l'ouvrier a de prétentions, plus il produit, et plus le revenu national s'accroît, laissant à chacun une part plus grande. Quand en réalité, moins les ouvriers revendiquent et plus facilement le fruit de leur travail se perd dans le gouffre des profits capitalistes, de la concurrence internationale et des dépenses de guerre. Ce n'est que dans la mesure où les ouvriers se défendent, qu'ils peuvent arracher aux capitalistes et à leur gouvernement le droit de vivre en travaillant.


A la R.N.U.R.


LA LIMITE DE LA SUREXPLOITATION

Les ouvriers qui ont débrayé, il y a quatre semaines, pour empêcher la direction de diminuer les temps, en arrivent à penser aujourd'hui qu'ils ont fait grève pour rien. En effet, dans la plupart des cas, malgré la révision des temps, la cadence est redevenue aussi infernale : cela grâce aux moyens dont dispose la direction, de faire faire le même travail avec un effectif inférieur, etc...

Déjà au moment des grèves, alors que la C.G.T. avait posé la révision des temps en tête de ses revendications (qu'elle n'avait même pas daigné faire connaître aux ouvriers) nous expliquions ce qui en résulterait pour les ouvriers, dans La Voix  n°41 (7 avril 48) : La C.G.T. revendique l'amélioration des coefficients. Or, il est bien certain que le patronat n'améliorera pas le coefficient de la production, puisque le principe du travail au rendement subsiste et que la C.G.T., bien loin de le contester le défend. Dans ces conditions, le patron pourra toujours contester ce que nous avons gagné, puisque lui seul a un contrôle sur la production (soi-disant base de détermination du salaire) et qu'il est le seul à fixer les temps et à établir les chronométrages.

En réalité, seule la revendication du S.D.R., du RETOUR AU PLAFOND A 116% avec maintien des salaires, peut mettre un frein à la surexploitation patronale. Avec le système actuel, la direction est arrivée à tirer toujours plus du travail de ses ouvriers, tout en maintenant les salaires au niveau le plus bas.

Les chaînes et le fouet étaient nécessaires pour river l'esclave  à sa peine ; pour maintenir l'ouvrier sous le joug, on fait sévir le pire régime des brimades. Plus que jamais, la chiourme fait des excès de zèle. A chaque instant, pleuvent les menaces de mutation ou de licenciement. On a même vu, au département 30, le contremaître amener au chef d'atelier deux ouvriers qui avaient "osé" s'asseoir pour travailler. Le chef d'atelier a statué : Vous êtes embauchés comme hommes de machines (!). Vous devez faire votre travail debout. C'est cela ou la porte !...

Il y a quelques mois à Collas, ce sont les ouvriers qui, sur l'initiative du S.D.R., mirent à la porte le chrono, venu pour faire diminuer les temps.

Contre les attaques patronales, quelles qu'elles soient, les ouvriers ont, en réalité, plus d'un moyen, outre la grève, pour se défendre : surtout s'ils sont organisés. Mais on pourrait difficilement parler d'organisation en ce qui concerne la direction en zigzag de la C.G.T., basée sur les intérêts du moment de ces messieurs les bureaucrates.

"Poussez les cadences !" Tel est le mot d'ordre patronal de l'heure. Jusqu'où cela ira-t-il ? C'est aux ouvriers de répondre. La limite de la surexploitation sera celle de leur patience.

P. BOIS.


Leur démocratie

C'est la troisième fois que, le vendredi, à 13 heures, à la sortie de la cantine KK, cégétistes et staliniens du coin s'en prennent à la camarade qui vend La Voix. Ces gens, qui se posent en zélés défenseurs du "règlement", entendent lui interdire la vente "dans l'enceinte de l'usine". Or, en réalité, la vente s'effectue habituellement le long du portail pour tous les journaux, France-Soir et Ce soir, entre autres.

Evidemment, c'est un simple prétexte qu'ont saisi là les bureaucrates pour pouvoir déverser leur hargne et leurs calomnies contre la presse révolutionnaire et faire des menaces démonstratives à ses diffuseurs.

Mais, s'il y a deux ou trois ans, ces énergumènes faisaient régner la terreur dans l'usine et pouvaient essayer de "casser la figure" à tous ceux qui osaient exprimer ou diffuser des opinions qui n'étaient pas les leurs, aujourd'hui, ces méthodes n'ont plus cours.

Les ouvriers ont eu largement le temps de s'apercevoir à qui ils avaient affaire. Aussi se sont-ils chargés de répondre aux staliniens et de leur dire ce qu'ils pensaient de leurs méthodes antidémocratiques et antiouvrières. "Vous parlez des fascistes, vous êtes comme eux !" se sont-ils écriés. Si bien que les staliniens ont dû s'en, aller sans avoir obtenu ce qu'ils voulaient, mais non sans s'être attiré, une fois de plus, la haine et le mépris des ouvriers.


FRERES DE MISERE

Il y a quelques semaines, au moment où L'Humanité et la presse cégétiste proclamaient les "victoires" des ouvriers de l'industrie, elles relataient aussi les victoires des ouvriers agricoles de l'Aisne, qui ont fait grève pour l'amélioration de leurs conditions de vie. Nous avons pu apprendre qu'il en était des "victoires" de ces ouvriers comme des nôtres.

Mais pourquoi les travailleurs agricoles ont-ils fait grève ?

Quand un paysan parle du salaire d'un ouvrier de la ville, il n'a retenu que l'exemple du P.3 de chez Bloch qui gagne 160 frs de l'heure et il n'a prêté aucune attention à l'O.S. de chez Renault qui gagne 72 à 73 frs de l'heure, et encore moins à l'ouvrière des produits chimiques qui gagne bien souvent moins de 60 frs de l'heure. De même quand l'ouvrier parle de la vie des paysans, il n'a en vue que le standard de vie du gros cultivateur, ou même du cultivateur moyen, qui avec ses 60 ou 70 hectares possède un petit tracteur, 1 cheval ou 2, 3 ou 4 vaches, etc... Celui-là peut vivre, bien qu'avec les quelques millions que représente sa fortune, il conserve un standard de vie que peu d'ouvriers lui envieraient. Une petite ferme peut faire vivre un ménage, mais les autres membres de la famille partageant la vie du fermier, sont réduits à zéro s'ils viennent à se marier ou à quitter le logis pour une raison quelconque. C'est d'ailleurs ce qui explique la migration des paysans vers les usines.

Mais il y a aussi les ouvriers agricoles. En général, ceux-ci ont une très nombreuse famille à nourrir. Les habitants sont inscrits pour le pain, et comme la ration est insuffisante, il faut chercher par des combines à se procurer un peu de farine ou de blé, qu'on moud dans son moulin à café !

La plupart du temps les enfants sont en loques, comme les parents du reste. S'ils arrivent à nourrir à peu près leurs enfants, c'est qu'en plus de leur dur travail, le soir et le dimanche, ils cultivent le jardin, élèvent des poules et des lapins et se livrent à mille travaux qui leur donnent beaucoup de mal pour peu de résultats. Si l'ouvrier agricole a le gros avantage sur l'ouvrier industriel de vivre au grand air et de manger à peu près à sa faim (quoique sa nourriture soit des plus rudimentaires), il le paye par un manque complet de loisirs.

L'ouvrier agricole gagne 60 à 70 frs de l'heure nourri. Ceci est peut-être vrai pour certains, de même qu'il est vrai qu'il y ait des P3 à 160 frs de l'heure chez Bloch. Mais prenons un exemple plus courant, dans l'Aisne à côté de Fismes, un ouvrier agricole, ancien prisonnier et dont le peu de bien a été détruit pendant la guerre, travaille dans une ferme et gagne actuellement 30 frs de l'heure.

Ce sont ces bas salaires qui ont été à l'origine de la grève. Mais après trois semaines d'une grève déclenchée dans de mauvaises conditions et sans coordination, les ouvriers ont repris le travail sans rien obtenir (quoi qu'en dise L'Humanité). Bien plus, dans la ferme en question le repas de midi leur a été supprimé, ils ne touchent plus de beurre, et s'ils ont besoin de chevaux pour labourer leur jardin ou rentrer leur bois le dimanche, ils doivent payer 250 frs par cheval (alors qu'avant le fermier le leur prêtait gratuitement).

Ouvriers industriels et ouvriers agricoles sont unis par la même misère ; et chez les uns comme chez les autres, les "victoires" cégétistes ne sont que duperie.


PENSONS AUX AUTRES ...

Coup sur coup, ces dernières semaines, les journaux ont annoncé plusieurs catastrophes sur le front du travail : Courrières, Pantin, Caen, Kenadsa... Par dizaines des mineurs sont emmurés au fond de la mine ou brûlés par le grisou, par dizaines, des ouvriers sont écrasés sous une voûte de béton qui s'effondre. Et chaque fois, il est prouvé que l'accident est dû à l'insuffisance, sinon au défaut total, des moyens de sécurité, alors que la plupart du temps le personnel avait alerté en vain la direction. Partout les patrons vont à l'économie et l'aménagement du système de sécurité dans leurs mines, leurs usines ou leurs chantiers est le dernier de leurs soucis. Une seule chose compte pour eux, réduire les frais d'exploitation au minimum pour tirer le maximum de profit.

Les catastrophes qui coûtent la vie à des dizaines d'êtres humains émeuvent l'opinion publique et endeuillent la classe ouvrière. Mais, sur le front du travail, tous les jours, c'est par milliers que se solde le bilan des victimes : brûlés vifs, estropiés, doigts coupés, poignets tranchés, chevelures arrachées, etc., sans compter ceux qui meurent à petit feu de tuberculose ou simplement d'épuisement. Car, non seulement les ouvriers travaillent dans des conditions d'insécurité et d'insalubrité totales, mais le rythme de travail qui leur est imposé provoque actuellement plus que jamais une énorme recrudescence d'accidents et de maladies.

C'est cela qu'il faut se rappeler chaque fois que "la grande presse" fait du tapage autour des moyens spectaculaires de sauvetage mis en oeuvre à l'occasion des grandes catastrophes.


PROMETTRE, C'EST NOBLE !

A son défilé du 1er mai, cette année, la C.G.T. avait arboré, entre autres mots d'ordre, l'indépendance nationale des peuples. Ayant eu connaissance de ces dispositions favorables quelques jours auparavant, les délégués du M.T.L.D. (Parti de l'Indépendance Algérienne) les prirent au sérieux et deux d'entre eux allèrent trouver Hénaff pour obtenir de participer à la manifestation de façon autonome. Après bien des difficultés - il n'est pas plus facile de voir un dirigeant de la C.G.T. que de voir le Président de la République, commente L'Etoile Algérienne du 9 mai - ils furent reçus par Hénaff qui leur donna, avec son consentement, l'avertissement que la C.G.T. s'opposerait par tous les moyens à ce que les trotskystes profitent du cortège M.T.L.D. pour vendre leurs journaux !

Mais Hénaff ne se donna même pas la peine d'utiliser ce prétexte plutôt qu'un autre : trois jours après, le 26 avril, il retirait son autorisation et interdisait tout simplement le défilé autonome des Nord-Africains.

– Votre situation n'est pas la même que celle du Vietnam, répliqua Hénaff à un délégué invoquant l'exemple des travailleurs indochinois.

– C'est bien cela ! Les Indochinois qui luttent, eux, la C.G.T. ne s'avise pas de leur marcher sur les pieds. Et nous qui l'avons toujours suivie docilement, elle nous traite comme des chiens, concluait le délégué.

Pour la C.G.T., en effet, les ouvriers nord-africains, c'est la masse arriérée qu'on manoeuvre et dont on se sert, à chaque occasion, pour faire nombre (votes, grèves, etc.). Mais la dernière attitude de Monsieur-le-Secrétaire-de-l'Union-des-Syndicats a soulevé l'indignation parmi les ouvriers nord-africains au point que beaucoup envisagent de quitter la C.G.T. pour s'organiser dans des syndicats autonomes.


A LA RADIOTECHNIQUE (SURESNES)

Plus l'ouvrier baisse la tête...

A la Radiotechnique, où les salaires sont des plus bas, la production des postes, qui était, il y a trois mois, de 18 par chaîne, est passée ces temps derniers, à 22, pour le même nombre d'ouvriers. Cette cadence infernale a pour conséquence une recrudescence des cas de maladie, et s'accompagne d'une activité intense de la chiourme. Interdiction aux ouvriers de se déplacer. Le moindre geste anormal est repéré par un chef et sujet à réprimande. C'est ainsi qu'une ouvrière, "prise" en train de manger un casse-croûte, s'est vue rappeler à l'ordre par son chef : "Qu'est-ce que vous faites ?" "Je mange". "Travaillez, vous mangerez après !"

Une ouvrière, s'inquiétant de voir la cadence s'accélérer à ce point, voulut en connaître la raison. "On a augmenté la production parce qu'on n'était pas arrivé au plafond", répondit le chef. "Quel est le plafond ?" Le chef ne put répondre... car le plafond, en réalité, ce n'est pas un chiffre de production, établi d'après calcul, mais la limite qu'impose la force des ouvriers.

Tout prétexte est bon à la direction pour intensifier la production et spéculer sur la misère des ouvriers. Il y a deux semaines, la direction eut besoin d'ouvriers pour travailler le samedi et le dimanche. Ceux qui vinrent se virent gratifier d'une majoration de 30% au lieu de 100% pour les heures supplémentaires, un jour de repos. Au bureau, où ils étaient allés réclamer, on leur répondit : "ce n'est pas la loi de payer à 100%."

Ces messieurs ont l'habitude de toujours se retrancher derrière la loi pour refuser le moindre avantage aux ouvriers, quitte à l'interpréter contradictoirement.

La cupidité patronale n'a pas de limite.


A QUOI ONT SERVI LES GREVES ?

[Suite de l'article sur la grève Renault d'avril 1947, reproduit en entier avec le numéro 43 de la Voix des Travailleurs]


ADMINISTRATION : JEAN BOIS, 65, rue Carnot, Suresnes (Seine)


Archives Trotsky Archives IV° Internationale
Précédent Haut de la page Suite Sommaire