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LA VOIX DES TRAVAILLEURS nº 54
12 janvier 1949
Au moment où, prélude à la paix générale en Palestine, des conversations s'engageaient entre Israël et l'Egypte, les dirigeants impérialistes de Londres ont suscité le traditionnel incident pour justifier leur intervention armée. Cinq avions anglais ayant été abattus au-dessus du champ de bataille égypto-israélien, le cabinet de Londres en a aussitôt pris prétexte pour mettre en place son dispositif de bataille : mobilisation de la flotte, débarquement de troupes, campagne de presse.
On voit, une fois de plus, que La Fontaine n'a rien inventé dans sa fable Le Loup et l'Agneau. "Israël trouble ma sécurité", prétend Bevin qui voudrait que les avions de Sa Majesté soient considérés comme tabous même au-dessus d'un champ de bataille !
Mais le cynisme de l'intervention anglaise ne s'arrête pas là. L'Egypte a, en effet, refusé "l'aide" anglaise, préférant engager des négociations directes avec Israël. Impliqué dans un conflit qui ne pouvait profiter qu'à l'Angleterre, ce pays, à deux doigts d'une catastrophe intérieure (comme l'a montré l'assassinat de Nokrachy Pacha), préfère, semble-t-il, actuellement une "mauvaise paix" avec Israël à un "bon traité" avec l'Angleterre. Et c'est la bonne voie, car ce sont les troupes anglaises qui stationnent autour du Canal de Suez et c'est l'Angleterre, comme les journaux l'ont révélé, qui veut occuper le Néguev. Mais qu'à cela ne tienne ! L'Angleterre entend atteindre ses buts stratégiques coûte que coûte. Et si les Arabes ne veulent pas de son "aide", elle les aidera malgré eux.
Pourquoi, en effet, les Anglais se gêneraient-ils ? Les Hollandais ne viennent-ils pas de déclencher, sans l'ombre d'un prétexte et en violation de leurs propres engagements, la guerre contre les Républiques Indonésiennes ? La France ne guerroie-t-elle pas depuis plus de trois ans en Indochine ? Les Etats-Unis n'arment-ils pas partout leurs mercenaires et n'occupent-ils pas les principales positions militaires du monde, du Japon à l'Allemagne ? La Russie, sous la conduite des satrapes de Staline, n'est-elle pas redevenue une vaste prison des peuples ? L'O.N.U., comme feu la S.D.N., sert-elle à autre chose qu'à CAMOUFLER le brigandage des grandes puissances ?
La morale de tout ceci, c'est que dans un monde livré aux agissements de brigands militaristes, armés de pied en cap, l'indignation, à elle seule, ne sert de rien. Quand il s'agit des intérêts vitaux de ces grands brigands, l'opinion publique ne joue qu'un faible rôle. Ainsi, la grande majorité de la population française est contre la guerre d'Indochine. Mais cela ne change rien à la conduite de nos capitalistes et de nos gouvernants.
La lutte pour la paix exige autre chose que de bons sentiments, de bonnes paroles et des prêches pour de soi-disant gouvernements mondiaux. Pour arriver à un véritable gouvernement mondial et à la paix universelle, il faut que, dans chaque pays, la classe ouvrière, appuyée sur les masses populaires et leur servant de guide, balaie les capitalistes et leur Etat militariste. Faute de quoi, les désirs et les lamentations des populations laborieuses au sujet de la paix ressembleront fort aux bêlements de moutons qu'on se prépare à égorger !
Après un court répit, le "cycle infernal" de la hausse des prix a amorcé de nouveau sa courbe ascendante. Et de nouveau, les masses laborieuses, dont le pouvoir d'achat ne suffit pas à leurs besoins élémentaires, s'émeuvent et s'agitent. On en a la preuve dans l'empressement de la C.G.T., d'une part, du Cartel (C.G.T. FO., C.F.T.C.) d'autre part, à exiger, l'une, une augmentation de salaire de 25 % et l'échelle mobile, l'autre, une nouvelle mise en ordre des salaires.
Cependant, commentent certains journaux, "le gouvernement est persuadé qu'une agitation sociale n'est pas sur le point d'éclater, les salariés étant fatigués des grèves successives qu'ils ont effectuées depuis deux ans. Il désire donc profiter de ce répit pour maintenir sa politique de blocage des salaires".
Le gouvernement, aidé par les journalistes, prend ses désirs pour des réalités. Les grèves fatiguent en effet beaucoup les ouvriers. Elles demandent non seulement des sacrifices personnels au gréviste, mais surtout à ses proches. Elles exigent non seulement l'arrêt du travail, mais la lutte contre les briseurs de grève du patron, dont le meilleur est la force répressive du gouvernement, soi-disant impartial, au-dessus des classes. Mais travailler du matin au soir et tous les jours de la semaine sans jamais de repos véritable, manger une nourriture insuffisante et de mauvaise qualité, augmenter toujours le rendement et les bénéfices qui en résultent pour le patron, et voir les siens mal vêtus, mal nourris et souvent malades et cependant DESCENDRE DE PLUS EN PLUS BAS, cela est cent fois plus insupportable que la lutte gréviste contre le patronat.
Si les salariés, et avant tout les ouvriers, hésitent à recourir à la grève, ce n'est pas à cause de la "fatigue" – leur permet-on jamais d'être fatigués ? – mais du manque de confiance dans leurs dirigeants. Ce n'est pas l'affirmation d'une minorité syndicale mécontente pas plus qu'un état de chose localisé, comme le croient, chacun de son côté, les ouvriers, mais une réalité pour le pays tout entier. Le mal est tellement grand et tellement étendu que pour essayer de l'enrayer les dirigeants de la C.G.T. en sont venus à des aveux publics. Sous prétexte d'auto-critique, dans une série d'articles dans "L'Humanité", B.Frachon démasque les élus de la C.G.T. aux Comités d'Entreprises devenus "des porte-serviettes au service du patron" et dénonce ces comités comme des organismes de collaboration de classe, un miroir aux alouettes auquel ceux-ci se sont laissés prendre (Huma du 24/12/48, et du 1/1/49). Et de la même façon, R.Guyot, le 4 Janvier, critique les membres du P.C.F. militant dans la C.G.T. pour mépris de la masse et incapacité d'assurer la défense des revendications élémentaires des travailleurs.
L'explication de cette auto-critique n'est pas difficile à trouver, perdant dans de nombreux endroits leur influence sur les travailleurs et souvent au profit de tendances syndicales honnêtes, les dictateurs de la C.G.T. en rejettent la responsabilité sur les militants et cadres de la base. Mais cela peut-il faire oublier que ce sont les dirigeants de la C.G.T., au service des ambitions gouvernementales des chefs du P.C.F. qui ont prôné les Comités d'Entreprise comme une démocratie économique nouvelle ? Que ce sont eux qui, en transformant la C.G.T. en garde-chiourme pour appuyer Croizat-ministre, ont désappris les militants de la base à défendre les travailleurs ?
Les travailleurs se sont aperçus depuis longtemps qu'ils ne sont pas défendus et voilà pourquoi ils hésitent à entrer en lutte ouverte avec le patronat.
Mais la rapacité de ce dernier, la hausse constante du prix de la vie et la pourriture que révèlent tous les jours les classes dominantes et les cercles dirigeants les contraignent, d'autre part, à entrer en lutte, malgré les défaites subies.
M.Queuille et ses acolytes se trompent. Les travailleurs hésitent, voudraient ne pas être contraints à la grève, car ils n'ont pas confiance dans leurs dirigeants, mais ils tiennent cette lutte pour inévitable. Après tout, n'est-ce pas grâce à ces luttes même trahies, que les travailleurs ont sauvegardé leur liberté d'action et freiné la chute de leur niveau de vie ?
Devant la nouvelle hausse de prix scélérate, les travailleurs ne se résigneront pas. Ils n'ont pas fait que se fatiguer pendant ces deux années, ils ont aussi beaucoup appris. Déjà leurs anciens dirigeants bureaucratisés ne peuvent plus agir comme bon leur semble. Et après tout, c'est dans la capacité de soumettre leurs dirigeants, quels qu'ils soient, à leur contrôle, que réside le gage essentiel de la victoire des ouvriers.
Dans les luttes prochaines inévitables, les travailleurs entreront mieux préparés et avec plus de chances de réussite.