1949 |
cahier ronéoté, en 1ère page : ORGANE POLITIQUE ET THEORIQUE |
LA LUTTE DE CLASSES nº 1
février 1949
La voici donc, cette fameuse baisse des prix agricoles qui, invariablement, depuis l'expérience Blum (décembre 1946) sert de prétexte contre les revendications de rajustement des salaires au niveau des hausses. Mais au lieu de cris de triomphe, les thuriféraires de la baisse ne manifestent qu'inquiétude et désarroi.
Tout d'abord, la chute des prix sur certains produits à la campagne ne se manifeste que dans une proportion infime dans les villes. Ensuite, cette chute des prix, si elle devait s'étendre au secteur industriel, annonce, non pas la terre promise de la prospérité capitaliste, mais une crise capitaliste généralisée : les faillites pour les petites et moyennes entreprises et le chômage pour les ouvriers.
Le premier phénomène &8211; la non-répercussion de la baisse dans les villes &8211; jette une lumière bien crue sur la nocivité des liens capitalistes entre la ville et la campagne et pousse certains journalistes à essayer de masquer le caractère purement capitaliste de ce phénomène par des hauts cris contre la bureaucratie, la part du lion prélevée par l'Etat et les intermédiaires marrons, etc. Comme si tout cela, ce n'étaient pas les produits les plus authentiques du capitalisme pourrissant !
Mais c'est la perspective d'une baisse générale des prix qui inquiète réellement les cercles dirigeants et leurs laquais.
Car, il s'avère qu'une baisse générale des prix agricoles, en diminuant le pouvoir d'achat des agriculteurs, ne ferait à son tour que provoquer une chute des prix industriels. Comme le reconnaît M. Tardy dans « Le Monde » (20 février) : « Une baisse serait souhaitable. Mais si elle ne porte pas sur les coûts de production, si elle a pour effet d'amener les prix de vente au-dessous des prix de revient, nous aurons une crise de chômage ».
Le cynique porte-parole du grand capital s'accommode du reste très bien de cette perspective : « Des entreprises inutiles ou mal gérées (lisez petites et moyennes) disparaîtront. Cet assainissement est déjà commencé. Il en résultera peut-être un peu de chômage passager, mais nous aurons évité la crise ».
Pour le grand capital, le chômage et les faillites ce n'est pas la crise, c'est un assainissement. Mais pour les travailleurs et les classes moyennes ils n'en restent pas moins une catastrophe.
Pour ces derniers, le dilemme est donc le suivant :
Si la baisse des prix à la campagne n'atteint que quelques produits secondaires (légumes, fruits), l'effet de cette baisse sera nul ou très petit dans les villes ; l'écart entre les salaires et les prix restera sensiblement le même.
Si, par contre, les prix agricoles s'effondrent, et qu'une baisse générale des prix industriels et agricoles a lieu, y compris dans les villes, la situation des travailleurs, loin de s'améliorer, empirera considérablement. Car, non seulement d'un côté, il y aura une masse de chômeurs au pouvoir d'achat égal à zéro, mais encore le chômage donnera aux capitalistes une arme décisive contre les ouvriers pour DIMINUER LEURS SALAIRES AUTANT ET MEME PLUS QUE LA BAISSE.
C'est donc maintenant qu'il y a lieu de parler du « cycle infernal » qu'on avait tant agité contre les revendications ouvrières. Le véritable cycle infernal, c'est celui du capitalisme qui, à son époque de déclin, rejette toujours, et par la hausse et par la baisse, une charge de plus en plus écrasante de labeur et de privations sur les masses travailleuses.
Les liens capitalistes entre la ville et la campagne réduisent à néant les espoirs d'une amélioration de la situation des travailleurs comme conséquence d'un effondrement des prix agricoles. Même au prix de la ruine des petits paysans, la situation des travailleurs ne peut être rendue meilleure, parce qu'entre le producteur paysan et le consommateur ouvrier se dressent les capitalistes.
Un échange honnête entre la ville et la campagne, au profit du petit paysan et de l'ouvrier, n'est possible que par le RENVERSEMENT DE LA CLASSE CAPITALISTE ET L'APPLICATION D'UN PLAN DE PRODUCTION ET DE DISTRIBUTION SOUS CONTROLE OUVRIER.
Tant que les capitalistes restent maîtres des moyens de production, la situation des travailleurs continuera à dépendre seulement de leur capacité à défendre leurs revendications et leurs droits.
Mais leur lutte pour une revalorisation réelle des salaires par l'échelle mobile et le contrôle ouvrier, et la lutte contre le chômage, sont inséparables de la lutte pour la suppression des dépenses militaires et la réduction des profits capitalistes, seul moyen d'une baisse en faveur des masses laborieuses.
Une fois de plus, on constate qu'il n'y a pas de meilleure école révolutionnaire que le capitalisme lui-même. Sans se soucier de « l'impatience » de ses adversaires ni de « l'action » de ses profiteurs pour « tempérer » ses méfaits, il assène impitoyablement aux masses des coups de plus en plus meurtriers, et ne leur laisse en fin de compte d'autre issue que la révolution ou la mort.
« Même si l'ouvrier courbe entièrement l'échine, l'économie capitaliste ne peut même plus revenir à son niveau d'avant-guerre. Sur le revenu national pèsent, outre les bénéfices capitalistes, les dépenses parasitaires de l'Etat, pour l'armée, pour l'immense bureaucratie de deux millions de fonctionnaires, pour la police, officielle et secrète, pour les groupements paramilitaires, etc. Mais la population, elle, vit et continuera à vivre misérablement (comme en Allemagne ou en Italie après l'autre guerre). En fin de compte la « réanimation » de l'industrie ne ferait que déclencher au bout de peu de temps tous les anciens maux que les ouvriers connaissent : la crise dite de « surproduction » (l'impuissance des producteurs d'acheter ce qu'ils ont produit), par suite le chômage, la paupérisation, la ruine des « classes moyennes », et pour finir de nouvelles guerres.
Extrait de l'article « La bataille de la production » N° 50-51 du 3 septembre 1945
THOREZ PARJURE
A la suite de sa déclaration au sujet de l'attitude que devrait avoir le peuple français au cas où l'armée soviétique « était amenée à pourchasser les agresseurs jusque sur notre sol », Thorez, en se défendant à l'Assemblée Nationale contre l'accusation d'être à la solde d'une puissance étrangère, a été amené à justifier sa position devant les députés. A l'accusation « agent de l'étranger », le secrétaire général du P.C.F. oppose sa soi-disant fidélité aux principes traditionnels du mouvement ouvrier depuis sa naissance jusqu'à nos jours.
La Russie, prétend-il, est le pays du socialisme. or le pays du socialisme ne peut en aucun cas mener une politique d'agression. Les agresseurs, ce sont les tenants du pacte atlantique, les impérialistes américains et le gouvernement complice de cette politique, en l'occurrence le gouvernement français. Or, que commandent les principes socialistes dans un tel cas ? Maurice Thorez se réfère à Jaurès, dont la magnifique figure a servi à pas mal de coquins avant lui (notamment en 14-18) pour justifier leur attitude. Que dit Jaurès, en parlant d'un gouvernement qui refuse les accords, l'arbitrage de l'humanité pour éviter un conflit ?
« Si vous ne voulez pas, (c'est Maurice Thorez qui cite), eh bien vous êtes un gouvernement de scélérats, un gouvernement de bandits, un gouvernement de meurtriers. Et le devoir des prolétaires, c'est de se soulever contre vous, c'est de prendre, c'est de garder les fusils, que vous leur mettez en main, mais non pas à pour aller fusiller de l'autre côté de la frontière des ouvriers, des prolétaires, mais pour abattre révolutionnairement le gouvernement de crise. » (L'Humanité 25.2.49).
Mais dans la bouche de Thorez, les honnêtes paroles de Jaurès ne sont qu'un parjure. Oui, tel est le devoir des serviteurs honnêtes de la classe ouvrière contre la politique criminelle de guerre de leur gouvernement. Mais Thorez lui-même n'a-t-il pas été le principal complice de plusieurs « gouvernements de crime »?
Que l'on se souvienne seulement de l'attitude du P.C.F. et de Thorez au moment où la guerre d'Indochine était menée par les gouvernements de De Gaulle et ceux du tripartisme. Loin de faire appel à la fraternisation avec les victimes de l'agression impérialiste française, les Vietnamiens, comme le fit autrefois en 1924 le Parti Communiste et Thorez lui-même au moment de la guerre d'agression française contre les Rifains, Thorez, Tillon, Billoux (ministres de l'armement) ont au contraire soutenu par leurs actes une politique d'agression. Et depuis qu'en ayant quitté le gouvernement, ils peuvent se permettre toutes les démagogies contre cette guerre qui existe, qui a lieu, où est la fidélité aux principes socialistes que Thorez reprend chez Jaurès ? Où est, même maintenant dans l'opposition, l'appel à la fraternisation ? Quelles grèves pour empêcher le transport des armes et des troupes en Indochine la C.G.T. a-t-elle essayé de provoquer ?
Les principes du socialisme n'ont rien à faire dans les actes de Thorez. Tour à tour tantôt chauvin, tantôt « internationaliste », tantôt collaborant avec la bourgeoisie et ses pires représentants, De Gaulle, etc... tantôt proclamant la lutte de classes, une seule chose est immuable chez Thorez : la servilité à Staline et à Moscou. Mais la fidélité à un homme à la place de la fidélité à une doctrine et les espoirs mis dans l'instauration du socialisme par une armée de caste (corps des officiers privilégié avec grades, décorations et avantages matériels très élevés par rapport à la masse), et non dans l'alliance ouvrière révolutionnaire internationale, c'est tout le contraire du socialisme !
Oui, le capitalisme américain, en proie à une crise de régime, s'apprête à déclencher la troisième guerre mondiale. Mais, de l'autre côté du rideau de fer, la bureaucratie totalitaire stalinienne commet-elle moins de crimes que le capitalisme international ? Elle opprime et pille les peuples, elle a supprimé toute liberté individuelle, elle a écrasé les masses travailleuses sous un régime policier et militariste, et ses impostures judiciaires ont partiellement ressuscité le Moyen-âge.
Jamais dans l'histoire les baïonnettes n'ont apporté la liberté, comment serait-elle apportée par celles d'un régime totalitaire ?
« Il n'y a pas de sauveur suprême » dit l'Internationale, et ce qui est valable pour dieu ou pour le pape ne saurait être faux concernant le satrape du Kremlin. La classe ouvrière internationale, en face des préparatifs de guerre des impérialistes de New-York, de Londres, de Paris, et de la menace des troupes staliniennes, ne peut se sauver qu'elle- même.
Depuis longtemps les résolutions des Congrès socialistes d'avant 1914, et communistes au temps de Lénine et de Trotsky (1917-24), ont tracé clairement le devoir des travailleurs en cas de guerre : s'unir par-dessus les frontières avec leurs frères de classe, en complète indépendance de tous les gouvernements de privilégiés et des partis et agents qui représentent ces gouvernements.
Si par malheur la classe ouvrière internationale ne réussit pas à empêcher le déclenchement de la guerre par une révolution ouvrière préventive, si demain, à l'instar de Hitler, une autre armée, américaine ou russe, occupait le pays, les travailleurs ne sauraient collaborer sous aucun prétexte avec les dirigeants de ces armées, pas plus qu'il ne fallait collaborer hier avec les dirigeants de l'armée allemande.
La seule collaboration qui est un devoir sacré pour la classe ouvrière française, c'est celle avec la classe ouvrière d'Amérique et de Russie contre les Etats-majors fauteurs de guerre, pour la révolution prolétarienne internationale, qui mettra fin à toutes les occupations et à toutes les guerres.
Les peuples vivant dans la sphère d'influence américaine et du « plan Marshall » ne seront pas médiocrement surpris d'apprendre qu'une crise économique majeure menace d'étreindre le principal bastion du capitalisme et soi-disant gage de leur prospérité, les Etats-Unis eux-mêmes
Malgré l'optimisme entretenu par les admirateurs et profiteurs des générosités de l'oncle Sam, au lendemain du Jour V, les lois des contradictions et de l'effondrement du capitalisme, découvertes par Marx, n'ont pas manqué de manifester leur toute-puissance, sur le plus puissant des régimes capitalistes.
Maintenant, la triste réalité dissipe les illusions et laisse apparaître, chez certains de ses défenseurs conscients, une angoisse croissante. Car, seule, l'angoisse peut expliquer certains aveux qui, de la part de partisans avoués du système, sont, à proprement parler, étonnants,
Examinant l'évolution de la situation internationale et nationale des Etats-Unis, ces derniers mois, Servan-Schreiber en arrive, dans le très bourgeois « Monde », à la constatation suivante :
« ... les Etats-Unis arrivent aujourd'hui à un moment capital de l'après-guerre : celui où se trouvent de nouveau réunies toutes les conditions économiques critiques de 1938 que la préparation puis la conduite de la guerre ont simplement retardée de 10 ans (souligné par nous). Le problème est celui de l'arrivée à maturité d'un régime capitaliste &8211; même le plus efficace de tous &8211; et du choix d'une orientation pour la transformation progressive de la société. »
Retenons cet aveu : la guerre et sa préparation ont été la seule solution que le régime capitaliste ait pu trouver aux « conditions économiques critiques de 1938 ». Mais quelles sont les conditions économiques critiques actuelles et comment M. Schreiber voit-il la possibilité d'une « transformation progressive » du capitalisme américain, qui exclurait la guerre ?
Les capitalistes américains espéraient, en vainquant leurs concurrents de l'Axe et en prenant leur place dans l'exploitation des peuples d'Asie, d'Afrique et de la majeure partie du monde, posséder ainsi un marché suffisamment étendu pour maintenir l'équilibre du capitalisme américain. Le Plan Marshall, lui-même, découle du même calcul : créer un marché supplémentaire en aidant au relèvement du capitalisme des pays dont l'économie a été désorganisée par la guerre.
Mais, de même que la guerre, la victoire, tout en sauvant la domination du capitalisme américain, n'a en rien amélioré son fonctionnement, au contraire. La situation du capitalisme américain est aujourd'hui pire qu'en 1938. Les destructions, inouïes, causées par le choc des armées, ont fait qu'à une capacité de production du capitalisme yankee double de celle d'avant-guerre ne correspond plus qu'un marché mondial fortement diminué et en proie à l'anarchie. Tandis que l'exploitation directe des peuples coloniaux se heurte à une résistance décisive et victorieuse de leur part.
Quant au Plan Marshall, s'il a tout d'abord procuré à l'industrie américaine de nouveaux débouchés, en aidant au relèvement des pays capitalistes ruinés par la guerre, il n'a pas fait que cela. Finalement, et dans une bien plus forte mesure encore, il a ressuscité leur concurrence. « La reprise des exportations européennes vers l'hémisphère occidental, par exemple, a réduit de 20% les achats de produits américains en Amérique latine et au Canada ». L'excédent des exportations des U.S.A. sur leurs importations est tombé de 11 milliards 300 millions, en 1947, à 6 milliards 500 millions.
Et les symptômes d'une crise commencent à apparaître : chute des prix agricoles, chute des bénéfices industriels qui tombent de 21 milliards, en 1948, à 16 milliards (au rythme des 2 premiers mois), en 1949, chute des valeurs de l'industrie automobile et enfin, le plus redoutable, un chômage accru. Le chiffre total, fait-on remarquer, n'est pas énorme, « à peine 3 millions ». or, les Etats-Unis en ont eu jusqu'à 12 millions, avec une population moindre, entre 1929 et 1932. Mais sur ces 3 millions, on en compte 700.000 rien que pour le mois de janvier.
LE BLUFF DU « 4ème POINT »
Cette nouvelle réunion des « conditions économiques critiques de 1938 » va-t-elle donc déclencher la guerre ? C'est là que M. Schreiber fait tout son possible pour se fourrer le doigt dans l’œil. Il parle sérieusement de « l'extraordinaire 4ème Point » d'un discours de Truman qui doit, soi-disant, changer la face des choses et arrêter la course du capitalisme américain vers l'abîme de la guerre. Truman a, en effet, annoncé la décision américaine de « construire partout le bien-être et d'industrialiser les pays non-développés ».
La belle trouvaille ! Créer, dans les pays « arriérés », une industrie nouvelle, serait, pour le capitalisme américain, couper les branches sur lesquelles il est assis. Exporter des usines, à la place de marchandises, ajournerait peut-être la crise pour quelques années, mais enlèverait définitivement au capitalisme américain son marché mondial. Du reste, M. Schreiber a la précaution d'indiquer que cette « extraordinaire décision » a pour but de : « redonner à l'Amérique l'initiative morale et tactique qu'elle avait perdue dans la guerre froide avec la Russie » ! En somme, un thème de propagande de plus !
Les capitalistes américains sont davantage rassurés par les services économiques du gouvernement américain qui font valoir que « la continuation du Plan Marshall et le programme d'armement assureront à la production industrielle et agricole les débouchés nécessaires » (Monde du 20.2.49) .
Mais le programme d'armement n'a cessé d'augmenter depuis 1945, et cela n'a pas empêché les signes précurseurs de la crise d'apparaître. C'est aussi la raison pour laquelle on le pousse au-delà de toute nécessité militaire. Au budget de guerre américain, de quelques 16 milliards, et à l'aide Marshall aux pays européens, s'ajouteront bientôt les milliards de l'aide militaire appelée « Pacte Atlantique ».
Et où cela mènera-t-il ? Donnons encore la parole à M. Schreiber : « La guerre froide menace de se transformer quelque jour en guerre tout court à Les fabrications d'armements continuent sur un rythme accéléré, ne serait-ce que pour résorber le chômage qui commence à se manifester en particulier aux Etats-Unis.
Et l'histoire prouve, hélas ! que les armements fabriqués ont toujours été utilisés. »
Il n'y a aucune hésitation possible sur la réponse à donner à la question posée en tête de cet article.
Pour autant que la question de la guerre et de la paix continue à dépendre uniquement de la situation et de la volonté de la classe capitaliste américaine, elle est inévitable. Mais la classe ouvrière américaine pourrait encore avoir son mot à dire, à condition qu'elle sache se soustraire à la propagande chauvine impérialiste de l'écrasante majorité de ses dirigeants actuels, vendus au grand capital.
A. Mathieu