1949 |
cahier ronéoté, en 1ère page : ORGANE POLITIQUE ET THEORIQUE |
LA LUTTE DE CLASSES nº 3
avril 1949
La crise du P.C.F.
En exhibant le pourcentage des voix obtenues aux 1er et 2e tours des élections cantonales, les dirigeants du P.C.F. ont essayé de cacher la crise profonde que traverse le parti, notamment le recul de son influence. Mais, à la conférence nationale de Montreuil, le 10 avril dernier, cette crise est au centre de la discussion et on s'aperçoit que c'est elle qui a motivé la convocation de la conférence.
Naturellement, nulle part cette crise n'est franchement avouée. Les dirigeants font état de ce que Thorez appelle "certains fléchissements locaux", qu'on attribue, cela va de soi, aux fautes de la base, à « l'étroitesse sectaire et opportuniste » des dirigeants locaux. Telle est l'explication donnée par Thorez et Cie au recul de l'influence du P.C.F. , explication qui a l'avantage inestimable de conserver aux grands camarades, et surtout à Thorez, son auréole d'infaillibilité.
Mais en faisant le bilan des élections cantonales, Thorez n'avait-il pas constaté lui-même "une consolidation à de notre Parti Communiste et un progrès inquiétant de la réaction" ? Comment Thorez peut-il donc ensuite parler de "certains fléchissements locaux" ? Si la réaction a fait des progrès "inquiétants", tandis que le P.C.F. stagnait, c'est que l'ensemble de l'activité du parti a été inopérante pour défendre la classe ouvrière de la réaction. Et, dans ce cas, peut-on parler seulement de "déviations de la base" ? De deux choses, l'une : si la base est, dans son ensemble, incapable d'appliquer la merveilleuse politique de la direction stalinienne, le parti lui-même ne vaut rien ; ou bien, ce qui est plus près de la vérité, il faut avouer que c'est cette politique qui ne vaut rien pour empêcher les progrès "inquiétants" de la réaction.
Le nombre de voix aux élections n'est pas un indice des plus importants pour apprécier la force et le rayonnement d'un parti. Il arrive même que ce nombre ne soit plus que le reste d'une puissance passée. Si le P.C.F. continue à recueillir plus ou moins le même nombre ou le même pourcentage de voix aux élections, L'Humanité a perdu, depuis fin 46, plus de la moitié de ses acheteurs. Son tirage est passé de 480.000 exemplaires, c'est-à-dire environ 430.000 numéros vendus, à 250.000, c'est-à-dire environ 200.000 numéros vendus, car le nombre des invendus reste fixe ou même augmente, quand il y a baisse du tirage. Conserver des électeurs mais perdre la moitié des lecteurs de son quotidien central, quelle meilleure preuve que le P.C.F. a perdu la confiance de la majorité de la classe ouvrière, qu'il n'est plus considéré par elle que comme un moindre mal ? Et le fait que la C.G.T. stalinisée continue généralement à recueillir la majorité des voix aux élections de délégués ouvriers, tandis que le nombre de ses cotisants a considérablement baissé, n'est-il pas une preuve décisive de la crise du P.C.F. et de la politique néfaste de ses dirigeants ?
Les travailleurs donnent encore leurs voix, mais rien de plus. L'argent, la confiance et le dévouement de la majorité des travailleurs, qui seuls rendent un parti ouvrier imbattable, le P.C.F. ne les a plus. Fajon n'est-il pas allé jusqu'à dénoncer le grand nombre des cellules du parti qui ne lisent pas L'Humanité (Huma du 16/4/49) ?
Les fléchissements du P.C.F. ne sont nullement locaux ou simplement électoraux -ce qui ne serait pas tellement grave. DEPUIS DEUX ANS, LE P.C.F. EST EN PROIE A UNE PERTE CONSIDERABLE DE SA PROPRE SUBSTANCE.
Or, pendant ces deux années, le mouvement gréviste s'est manifesté avec une ampleur égale à celle de la période révolutionnaire de 34-36. La dégringolade du P.C. coïncide donc avec la montée du mouvement ouvrier et l'intensification extrême de la lutte de classes. Ce qui a renforcé les tendances révolutionnaires véritablement ouvrières a donné le coup de grâce au P.C.F., bien qu'à partir de novembre-décembre 47 il se soit déguisé en parti d'opposition et de lutte de classe. "La grève Renault est le commencement de la fin pour la direction officielle", affirmions-nous en tirant les leçons des deux premières semaines de cette grève. Cette fin n'a pas été et ne pouvait être immédiate, car un parti vieux et puissant ne disparaît pas de la scène en quelques mois, ni même en quelques années, surtout quand il manque un véritable parti révolutionnaire capable de fournir aux travailleurs leur véritable parti. Mais les leaders du P.C.F. ont récolté ce qu'ils ont semé. Ils ont perdu le bénéfice ministériel de leur trahison ; mais ils n'ont pas gagné la con- fiance et l'appui des masses travailleuses. Il leur reste, il est vrai, celui de la bureaucratie stalinienne ; mais la crise du stalinisme dans le monde entier ôte à cet appui le caractère décisif qu'il avait dans le passé. LA DECADENCE DU P.C. EST IRREMEDIABLE. Elle est due, non pas à « l’étroitesse sectaire et opportuniste de la base », mais à la trahison du sommet.
Après la signature du Pacte Atlantique
C'est Truman qui, sans le vouloir, a parfaitement résumé le sens véritable du Pacte Atlantique : "je n'hésiterai pas à employer la bombe atomique comme en 1945 pour le maintien de la paix". Ce n'est pas la paix en général que ces messieurs défendent, mais une paix américaine la soi-disant paix actuelle, avec leur occupation de l'Allemagne occidentale, leur mainmise sur la Grèce, leur domination stratégique sur le Pacifique, le Pôle Nord, l'Afrique, le Sud Asiatique, etc à
Mais en opposant au Pacte Atlantique l'entente de Potsdam de 1945 (entre Staline et Truman), Moscou ne montre-t-elle pas aussi le bout de l'oreille ? C'est Yalta et Potsdam, en effet, qui, au sortir de la guerre, ont reconnu à Moscou les territoires allemands qu'elle occupe actuellement (1), le contrôle des Etats baltes, la modification des frontières polonaise et finlandaise, l'annexion de Koenigsberg, de la Bessarabie, de la Bukovine, de la Ruthénie, des Iles Kouriles, de Port Arthur, de l'Œle Sakhaline dans le Pacifique.
Contre la "paix américaine", Moscou réclame donc une paix russo- américaine de partage du monde. Voilà pourquoi les journalistes à la solde de la bureaucratie moscovite vantent le "pacifiste" Roosevelt en l'opposant au belliciste Truman qui, après Potsdam, aurait abandonné les traditions de son prédécesseur. Ils passent sous silence que si l'Amérique et la Russie se sont entendues en 1945, c'est faute de pouvoir se faire la guerre aussitôt : l'effondrement des puissances de l'Axe avait, en effet, laissé un vide que seule l'entente entre les deux brigands, Staline et Roosevelt, pouvait combler pour empêcher les peuples de faire la révolution. Cette entente ne provenait pas de leurs bonnes intentions respectives, mais d'une nécessité qui s'imposait aussi bien à Moscou qu'à Washington à l'époque.
Mais actuellement, les Etats-Unis peuvent-ils sans intervenir, laisser la Chine glisser dans le camp russe ? Peuvent-ils permettre à l'Indochine d'échapper à leur allié français ? Peuvent-ils tolérer que Staline, du fait de l'affaiblissement du capitalisme, gagne des positions en Europe occidentale ?
Et Moscou peut-elle tolérer que son conflit avec Tito renforce le camp américain, que la défaite du P.C. grec fasse de la Grèce une position stratégique de premier ordre pour les Américains contre l'U.R.S.S., et qu'éventuellement Mao Tse Toung, à l'instar de Tito, affaiblisse ses positions en Asie au lieu de les renforcer ?
Voilà pourquoi le Pacte Atlantique achève, en réalité, les préparatifs en vue de la 3e guerre mondiale. Si du côté russe il n'y a pas de pacte semblable, c'est que l'inféodation à Moscou des territoires occupés est suffisamment forte pour que Staline puisse se passer de telles formalités.
En 1949 il n'y a pas de compromis possible entre les deux géants militaristes. La paix américaine et la paix russe s'opposent irréductiblement en un conflit que seule la guerre peut dénouer. Au rythme actuel des événements révolutionnaires, la mobilisation des masses contre la guerre risque une fois de plus d'être dépassée par la mobilisation capitaliste pour la guerre.
[Deuxième partie de l'article, reproduite à la suite de la première, dans le numéro 2 de La Lutte de Classes de mars 1949]