1949

cahier ronéoté, en 1ère page : ORGANE POLITIQUE ET THEORIQUE
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !   UNION COMMUNISTE (Trotskyste)
Sommaire : 1. En marge des élections cantonales. 2. Quittez l'Indochine. 3. Qui unifiera l'Europe.


LA LUTTE DE CLASSES nº 2

Barta

mars 1949 (2ème quinzaine)


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Texte publié en deux parties, dans les numéros 2 et 3 de "LA LUTTE DE CLASSES".

QUI UNIFIERA L'EUROPE ?

Quatre ans à peine après l'écrasement du "Nouvel Ordre Européen" d'Hitler, on vient d'annoncer que "dix nations participeront le 28 Mars, à Londres, à une Conférence qui créera définitivement le Conseil de l'Europe". C'est là le premier résultat de l'action entreprise notamment par Churchill en Angleterre, Spaak en Belgique et Blum-Reynaud en France pour créer une "Union Européenne".

A première vue, il semble qu'il n'y ait et ne puisse rien y avoir de commun, sinon l'étiquette, entre "l'œuvre" du fasciste Hitler et celle des "démocrates" occidentaux. Hitler avait imposé son "Ordre Nouveau" européen par la force et au profit du nationalisme allemand, tandis que cette fois-ci, il s'agit d'une entente, sur la base d'une stricte égalité, entre les pays participants.

Cependant, ce rapprochement n'est pas le moins du monde arbitraire, en dépit de la différence de méthode et de personnes. C'est, en effet, la même nécessité historique, qui poussait hier Hitler vers son "Ordre Nouveau", qui fait agir aujourd'hui, pour une "Union Européenne", les représentants, conservateurs ou "de gauche", des vieux nationalismes d'Angleterre ou de France.

L'Etat national et la décadence capitaliste

A son époque de maturité (1789-1871), le capitalisme avait créé, par une série de révolutions bourgeoises, l'Etat national. Indispensable à l'économie marchande, cet Etat représentait un progrès par rapport au morcellement qui l'avait précédé. Mais, par la suite, en raison de la croissance et de la concentration inouïes des moyens de production dans les pays industriellement avancés, le marché national, que le capitalisme s'était créé, est devenu trop étroit. Et les barrières douanières dressées par chaque pays pour se protéger de la concurrence "étrangère" finirent par enserrer l'économie dans autant de camisoles de force. La conquête des colonies a bien fourni, pendant des dizaines d'années (1871-1914), à certains d'entre eux "premiers arrivés" un moyen efficace de s'en sortir en multipliant par dix et par vingt leur espace national [1]. Mais ces pays, l'Angleterre et la France surtout, suscitèrent ainsi contre eux de la part des "tard venus", comme l'Allemagne, une lutte sans merci. Ce fut la première guerre impérialiste de 14-18 pour savoir qui des brigands anglo-français ou allemands auraient la première place dans l'oppression et l'exploitation des peuples.

La défaite des empires centraux et le maintien de l'hégémonie franco-anglaise ne laissèrent cependant pas les choses dans leur état antérieur. Jusqu'alors centre économique et culturel du monde, l'Europe entre dans la voie de la décadence. La guerre avait non seulement causé des ruines ineffaçables, mais les capitalismes "vainqueurs" franco-anglais, pour affaiblir leurs rivaux, aggravent à l'extrême les causes mêmes qui avaient conduit au conflit. Des barrières douanières renforcées, des frontières monstrueuses tracées dans la chair même des peuples, une oppression nationale accrue et une instabilité monétaire générale barrent complètement la voie vers le relèvement à l'Europe d'après 1918. En même temps, elle subit la concurrence économique des Etats-Unis qui, grâce à leurs conditions favorables [2], profitent de la guerre pour établir leur hégémonie sur le monde entier. La Russie, cependant arriérée, échappe à ce sort, grâce à la révolution d'Octobre 1917.

C'est pourquoi l'Internationale Communiste, au temps de Lénine et de Trotsky (1919-1924), avertit inlassablement les travailleurs européens : SANS LA REVOLUTION PROLETARIENNE, L'EUROPE SUCCOMBERA SOUS LA BARBARIE. En effet, seuls les Etats-Unis Socialistes d'Europe, en unifiant le vieux continent, pouvaient lui éviter le sort terrible que lui réservait le maintien de l'Etat national-capitaliste.

L'Europe sous la barbarie

Mais la révolution ne vint pas, bien que toutes les conditions objectives nécessaires à son éclosion fussent réunies. Les efforts des social-traîtres de la IIème, ensuite de la IIIème "Internationale", empêchèrent la victoire des travailleurs. En Septembre 39, la 2ème guerre impérialiste déferle.

C'est alors que du côté bourgeois, tant "allié" que hitlérien, on se mit à parler d'un ordre nouveau européen, que chacun prétendait instaurer en cas de victoire.

C'est Hitler qui, le premier, montra ce qu'était une unification bourgeoise du continent, à la suite de la défaite française de Juin 40. Au lieu d'unification, avec l'occupation de l'Europe par les armées allemandes, le nombre des frontières s'accroît, les barrières douanières deviennent autant de murailles de Chine, les monnaies s'effondrent. Le dépècement et la balkanisation de l'Europe deviennent extrêmes. Bien que l'industrie allemande dispose alors d'une écrasante supériorité sur ses concurrents européens, Hitler achève de diviser et de compartimenter le continent et, sur les ruines de tous les Etats européens, il étend les tentacules du capital financier allemand. Son "unification" opère sur une base encore plus pauvre que l'Europe de Versailles. Nous donnions l'explication de ce paradoxe en Novembre 1940. A la question "pourquoi, étant donné son écrasante supériorité sur ses concurrents, l'Allemagne n'unifie-t-elle pas l'Europe ?", nous répondions :

"La suppression des frontières et des barrières douanières, en donnant un nouvel essor au développement économique et culturel, saperait la base même du fascisme – l'économie nationale – et préparerait des bases infiniment meilleures pour une offensive révolutionnaire des masses, ultérieure. Non, le fascisme, comme toute bureaucratie, tend à sa propre conservation, et ce n'est ni aujourd'hui, ni demain qu'il disparaîtra volontairement de la scène, pour le plus grand bien de l'humanité."

Comme celle des "alliés", "l'unification de l'Europe" de Hitler n'était qu'un slogan pour masquer aux yeux des masses le caractère réactionnaire de la nouvelle guerre. Et la victoire de Hitler, celle des "alliés" ensuite, n'eurent d'autre effet que d'installer en Europe la barbarie : le totalitarisme, le génocide (extermination systématique de populations entières), le militarisme, les millions de "personnes déplacées", la famine qui désole les peuples, la destruction massive des villes et la voyouterie qui ravage toutes les classes de la société, tels sont ses principaux traits.

"L'unification occidentale" ... une jambe de bois.

Pour comprendre la véritable signification des efforts actuels "d'unification", il faut ne pas perdre de vue que la victoire des "alliés", en 1945, n'a pas amélioré la situation de l'Europe. Tout comme celle de Hitler en 40, elle l'a poussée encore plus bas. Aux maux anciens [3] s'en ajoute un, décisif : la coupure, par le rideau de fer, de l'ouest européen industriel des contrées agricoles de l'est.

On pourrait objecter que la victoire "alliée" comprend aussi un aspect progressif : l'effondrement du totalitarisme. Mais la reconquête de certaines libertés démocratiques n'a pas été un cadeau des états-majors "alliés", mais la conséquence directe de la lutte que les masses ont menée contre la dictature policière et militaire. En France, cette lutte commence dès 39 ; en Italie, Mussolini est renversé, en 43, par un soulèvement populaire et en Allemagne, c'est la rivalité des quatre dictateurs occupants (et non leur démocratisme) qui a permis au mouvement ouvrier de renaître. La preuve, c'est que le totalitarisme s'est bien maintenu en Espagne où les masses écrasées en 39 n'ont trouvé, depuis, aucune circonstance favorable à la reprise de la lutte.

En fait, les pays occidentaux ne peuvent subsister sur des bases capitalistes qu'avec le soutien financier, politique et militaire des États-Unis. Si cette aide pour la sauvegarde du régime capitaliste cache aux masses sa faillite totale, il ne faut pas oublier, pour mesurer l'ampleur de la chute, qu'il y a 40 ans à peine, les pays occidentaux étaient le centre du monde capitaliste.

La conséquence des deux guerres impérialistes, c'est qu'il n'y a plus d'Europe, ni politiquement, ni économiquement. C'est leur déchéance irrémédiable, et non pas leur "aspiration au progrès", qui pousse une fraction des bourgeoisies nationales aux tentatives actuelles  "d'harmonisation économique". Mais quels sont les résultats ?

Le pompeux Conseil de l'Europe – d'une Europe qui n'existe plus – qui doit se composer d'un Comité de ministres et d'une Assemblée Consultative d'une centaine de membres, ne devra s'occuper ni des questions militaires, ni des questions soumises à d'autres organismes européens, tel que l'O.E.C.E. "Comme celui-ci traite de l'économie, un domaine essentiel pour l'Union de l'Europe échappera au Conseil" (Le Monde du 8 mars). L'O.E.C.E. ? "Constatons-le : on parle beaucoup moins de ce grandiose programme commun qui devait fondre en un tout harmonieux les dix-neuf plans de quatre ans" (Le Monde du 9 mars). "Mais, ajoute "Le Monde", jamais avant-guerre on n'avait vu dix-neuf pays dévoiler, directement ou indirectement, leurs plans d'importation ou d'exportation ou leurs programmes d'investissements. C'est le cas aujourd'hui." Si c'est le cas aujourd'hui, ce n'est cependant pas parce que les ministres de ces pays sont décidés à pratiquer, ne fût-ce que progressivement, une économie planifiée, mais parce qu'ils sont obligés de rendre des comptes à leurs maîtres américains qui contrôlent l'O.E.C.E.

Les choses vont-elles mieux en ce qui concerne le projet d'union douanière entre la France et l'Italie ? A lire superficiellement le texte de l'accord signé le 26 mars, tout va pour le mieux. On pense arriver à l'union économique complète entre les deux pays en l'espace de quelques six ans, "étant donné la complexité du problème". Mais l'entente douanière réalisée par le traité du 26 mars peut-elle aboutir à la création d'une "unité économique" progressive ? Cette entente, la Belgique, la Hollande et le Luxembourg l'ont déjà réalisée sous le nom de Benelux. Et si elle a empêché leur paralysie économique, aucun essor n'en est cependant résulté. "La Belgique réclame depuis des années, mais en vain, le droit d'aménager à ses frais un canal direct entre les bassins d'Anvers et le Rhin pour éviter les passes maritimes difficiles qui la gênent dans le canal Hanswend. Elle s'est du reste engagée à laisser la part du lion à Rotterdam dans le trafic rhénan." (Le Monde du 25 mars). "Amsterdam, pour l'instant, semble répondre : pas d'union économique si nous devons céder à Anvers. Quant aux autres problèmes de voies d'eau, nous sommes prêts à traiter". Le régime capitaliste condamne donc soit Anvers, soit Rotterdam au dépérissement, en cas d'union complète. Dans le cas de la France et de l'Italie, le projet de "libre circulation des biens et des personnes" suppose la suppression du contrôle étatique des deux côtés. Du reste, cela ne peut se faire EN REGIME CAPITALISTE sans que l'industrie italienne l'emporte sur l'industrie française ou inversement. Et c'est pourquoi l'article 8, qui prévoit que "les deux gouvernements auront la faculté de maintenir les monopoles établis par eux et actuellement en vigueur", réduit, en fait, "la libre circulation" à une formule de propagande.

Ce n'est pas "la complexité des choses" qui empêche les plans '"d'harmonisation" et "d'unification" de se réaliser, mais les intérêts contradictoires des capitalistes des différents pays. C'est pourquoi, en aucun cas ces essais ne peuvent être, à l'Europe mutilée, d'un plus grand secours que ne l'est, à un vétéran estropié, une jambe de bois.

Les "démocraties populaires", prisons des peuples

Si la "construction" de l'Europe occidentale ressemble à une jambe de bois, comment qualifierons-nous la situation de l'autre côté du "rideau de fer" ?

Pendant que l'Europe occidentale parvenait à un haut développement économique et culturel sur les bases du capitalisme et de l'Etat national, l'est européen continuait à croupir dans sa barbarie séculaire. Colonisés par trois grandes puissances (l'Autriche-Hongrie, la Russie et la Turquie) jusqu'en 1914, les peuples des Balkans et d'Europe centrale ne connurent pas une situation meilleure quand le traité de Versailles eut créé une multitude d'Etats dits nationaux [4]. En raison de l'état arriéré des forces productives dans ces pays, leur morcellement les ravala à l'état de semi-colonies "protégées" – exploitées – par le capital anglo-français. La suppression de toutes les frontières économiques et politiques et la création d'un Etat fédéral des Balkans et d'Europe centrale a donc toujours été la condition préalable de leur émancipation politique et économique. Aussi, malgré sa stalinisation, la IIIème Internationale mettait-elle, entre les deux guerres, le mot-d'ordre de Fédération balkanique et d'Europe centrale au centre de la propagande.

La guerre de 39-45 s'étant terminée par l'occupation de la presque totalité de l'Europe centrale et des Balkans par les armées de Staline et l'arrivée au pouvoir, sous sa protection, des partis staliniens, on pouvait supposer que ce problème au moins serait résolu dans un sens progressif. Mais au lieu de favoriser l'unification des pays gravitant dans sa sphère d'influence, Moscou dressa, à son tour, des obstacles militaires et économiques entre les peuples de l'Est pour les maintenir sous sa sujétion. Elle a imposé des frontières aussi nombreuses et pas plus justes que les anciennes, puisque tracées selon le critère militariste du vainqueur et du vaincu ; elle prélève, sous prétexte de réparations [5], un lourd tribut sur les anciens "alliés" de l'Allemagne que leurs maîtres successifs avaient déjà réduits à la misère complète ; elle interdit toute entente économique directe entre les Etats. Etouffant dans les étroites limites de leurs économies naines, les pays de l'Est n'ont ainsi d'autre partenaire possible que l'URSS envers laquelle leur isolement et leur faiblesse les condamnent à la soumission complète.

L'oppression à laquelle l'URSS soumet les peuples balkaniques est telle qu'elle est arrivée à entrer en conflit non pas avec de quelconques représentants de l'ancienne bourgeoisie balkanique, mais avec les leaders les plus influents des partis staliniens. Quand, en 1947, Dimitrov osa parler, dans un discours public, de Fédération balkanique, il fut rappelé à l'ordre par Moscou et cela suffit pour qu'il se rétractât aussitôt. Ensuite, Tito partisan, lui, d'une Fédération danubienne [6] fut plus heureux que Dimitrov, en ce sens qu'il put résister aux injonctions de Moscou. Mais il n'a pu se maintenir qu'en spéculant sur les antagonismes des deux camps de guerre : Amérique-URSS. Ce qui n'améliore nullement la situation, ni de la Yougoslavie, ni des Balkans, ni de l'Europe. D'autres, comme Gomulka en Pologne et, il y a une semaine environ, Kostov en Bulgarie, furent éliminés purement et simplement. Or quel est le crime capital du dernier en date ? "Au cours de pourparlers commerciaux récents avec l'Union soviétique, Traitcho Kostov a manqué de sincérité et d'amitié envers les représentants de l'Union soviétique".

Staline a compartimenté l'est européen exactement comme Hitler et pour la même raison. L'unification et la planification de ces régions, riches en matières premières et en population, auraient provoqué un essor économique considérable, dont l'URSS ne pouvait que bénéficier. Mais, en même temps, les bases de la domination totalitaire de la bureaucratie soviétique auraient été sapées. Rien n'inflige un démenti plus éclatant aux prétentions socialistes de la bureaucratie soviétique et rien n'éclaire mieux son caractère parfaitement réactionnaire que son attitude dans cette question capitale ! Les noms et les maîtres ont changé. Mais, derrière le "rideau de fer", comme dans l'ancienne Russie des tsars, les "démocraties populaires" sont autant de prisons des peuples dont Staline est le geôlier en chef.

Conclusions

Que la suppression des frontières politiques et économiques, dans le cadre d'une Fédération européenne, soit le seul moyen de sauver l'Europe de la barbarie qui la submerge, il n'est plus personne pour le contester. La fusion en une seule économie de toutes les économies européennes ferait de ces dernières un tout dont l'efficacité serait bien supérieure à leur somme individuelle. Mais les intérêts antagonistes de chaque bourgeoisie occidentale – car l'Etat national constitue la base indispensable de la puissance des trusts monopoleurs – ; le caractère nationaliste des nouvelles bureaucraties balkaniques ; et, surtout, la lutte à mort entre les géants américain et russe dressent d'infranchissables obstacles sur le chemin d'une véritable unification, aux promoteurs de "l'Union européenne" [7] et autres "Fédération balkanique". Quoi d'étonnant, dans ces conditions, que la Providence devienne le principal espoir des "hommes d'Etat" progressistes ? "Tout irait mieux si un technicien de génie surgissait dans le monde avec une idée nouvelle... Peut-être – qui sait ? – en dotant l'Europe d'une monnaie ou d'une encaisse commune", déclare, par exemple, Paul Henri Spaak, porte-parole de la Belgique à l'O.N.U. et personnage très apprécié dans les "milieux internationaux", à l'envoyé du "Monde" (22 mars 1949).

Ce n'est pas un hasard si, malgré leur culture, les représentants qualifiés de la bourgeoisie oublient que l'Ancien régime, quand les nécessités de progrès économique entrèrent en contradiction irrémédiable avec la monarchie absolue, chercha, lui aussi, mais en vain, un homme de génie pour le sauver. Car, à l'époque, les mesures économiques et politiques propres à relever la France étaient un coup mortel pour la noblesse parasitaire, et c'est seulement par la révolution que la bourgeoisie ascendante put les imposer. Si, aujourd'hui, la bourgeoisie, bien qu'elle dispose d'un nombre incalculable de techniciens éminents dans le domaine économique, ne trouve pas de sauveur qui puisse établir ne fût-ce que l'unité monétaire, cela prouve tout simplement que les intérêts des monopoles capitalistes s'opposent, à leur tour, d'une manière absolue, aux nécessités du progrès économique en Europe et dans le monde. L'aveu d'impuissance de Spaak ne constitue pas seulement un aveu de faillite de la bourgeoisie. Bien qu'indirectement, il confirme d'une manière éclatante les prétentions des révolutionnaires prolétariens qui ont inlassablement dénoncé la bourgeoisie comme définitivement réactionnaire et soutenu que le sort du progrès économique était indissolublement lié aux progrès et aux victoires de la classe ouvrière.

Ce qui achève de démontrer le caractère réactionnaire de "l'Union européenne", c'est qu'elle n'est nullement basée sur une véritable égalité entre les Etats membres. Par exemple, on veut bien admettre l'Allemagne dans l'Union occidentale, mais sans pour cela supprimer son occupation. Et jamais il n'y a eu autant d'inégalité de fait entre les nations occidentales que maintenant. L'union bourgeoise, sous quelque forme et dans quelques limites que ce soit, ne supprime pas mais implique l'oppression nationale. Elle la renforce même : quand les promoteurs de "l'Union européenne" disent, en substance : "Il faut que chaque Etat abandonne une part de sa souveraineté au profit de l'ensemble des Etats", c'est naturellement aux seuls Etats faibles de consentir des sacrifices aux Etats forts. Ils doivent accepter de camoufler eux-mêmes leur sujétion derrière une égalité formelle ! C'est ainsi que le Commonwealth anglais et l'Union française, soi-disant basés sur l'égalité, camouflent l'oppression des peuples coloniaux par les capitalistes anglais et français.

Par contre, la Révolution russe, de 1919 à 1923, a montré dans les faits que la prise du pouvoir par la classe ouvrière met fin à l'oppression nationale sous toutes ses formes.

Le rôle décisif de la classe ouvrière dans la solution de ce problème fondamental pour la vie des peuples – l'inégalité et l'oppression nationale – est une preuve de plus, s'il en était besoin, qu'en luttant pour résoudre sa propre question sociale, le prolétariat lutte pour résoudre les problèmes fondamentaux de l'humanité entière.

Tant que la classe ouvrière ne sera pas assez forte pour renverser, par la révolution prolétarienne, ceux qui ont morcelé l'Europe et s'opposent à son unification – la bourgeoisie et la bureaucratie balkanique – , les peuples d'Europe seront voués aux pires maux. Ce qui était urgent après 1914, est devenu une question de vie ou de mort depuis 1939, créer les ETATS-UNIS SOCIALISTES D'EUROPE.

A. MATHIEU



Notes

[1] Hitler n'a donc rien inventé avec son "espace vital".

[2] Leur étendue, à l'échelle d'un continent, joue justement un rôle décisif dans leur prospérité capitaliste.

[3] Le sort subi actuellement par l'Allemagne et l'Autriche est encore bien pire que celui de la France ou de la Belgique naguère.

[4] Tracées selon les intérêts des vainqueurs impérialistes franco-anglais, les frontières de Versailles partageaient certains peuples balkaniques entre plusieurs Etats (la Macédoine, par exemple, était partagée entre la Yougoslavie, la Bulgarie et la Grèce) ; elles arrivaient à englober au sein d'un seul Etat, comme la Roumanie ou la Yougoslavie, jusqu'à huit ou neuf minorités nationales, soumises à l'oppression de la nation dominante.

[5] Au temps de Lénine et de Trotsky, et même longtemps après, l'Internationale Communiste dénonçait inlassablement les "réparations" comme "UN PILLAGE DEGUISE DES PEUPLES VAINCUS PAR LES VAINQUEURS". Que certaines "démocraties populaires" soient obligées de payer un lourd tribut à d'autres "démocraties populaires", et surtout à l'URSS – quelle dérision de l'internationalisme prolétarien !

[6] Eux-mêmes staliniens 100%, en ce sens qu'ils se maintiennent au pouvoir par les mêmes méthodes que Staline, les petits satrapes balkaniques entendent naturellement la fédération non pas comme une véritable unification, mais comme un renforcement des liens directs entre les Etats balkaniques de façon à s'assurer une certaine hégémonie. C'est ce qui explique précisément leur faiblesse et leurs échecs devant Staline. Eux-mêmes ennemis de la révolution prolétarienne et de la démocratie qu'elle implique, la base de leur pouvoir personnel est trop faible pour leur assurer le succès.

[7] En fait, comme le plan Marshall et le Pacte atlantique, cette entreprise entre dans le cadre de la préparation de la 3ème guerre mondiale qui rend nécessaire une coordination étroite entre les occidentaux.


EN MARGE DES ELECTIONS CANTONALES

S'il fallait apprécier la démocratie selon le nombre des consultations électorales, la IVème République pourrait alors compter parmi les plus démocratiques. En l'espace de quatre ans, il y a eu, en effet, pas moins de trois référendums, trois élections générales (deux constituantes et une législative), deux municipales, deux au Conseil de la République et deux cantonales.

Ce n'est cependant pas par respect de la volonté populaire qu'on a si souvent fait appel à l'électeur. Les "référendums" ont été la conséquence des aspirations de De Gaulle au pouvoir personnel et les résultats des élections n'ont servi qu'à la répartition des places entre les politiciens.

Elles n'ont eu, en effet, la moindre influence sur la politique des gouvernements qui ont été formés depuis la "libération".

Malgré leurs victoires parlementaires en 1945-46, les deux partis se réclamant du socialisme et de la classe ouvrière, le P.C. et le P.S., qui avaient gagné la majorité des voix et des sièges, ont participé au pouvoir sous le signe du daladiérisme de 39-40 ; avec De Gaulle, ils ont mené la guerre en Indochine, bloqué les salaires, fabriqué intensivement des armements, sauvé la domination des capitalistes sous prétexte des "nationalisations" et réprimé les défenseurs de la classe ouvrière.

Le départ, en janvier 46, de l'aspirant dictateur De Gaulle, qui ne put arriver à ses fins sans un mouvement de masse fasciste, changea-t-il quelque chose à cette politique ? Le tripartisme (P.C., P.S., M.R.P.) continua exactement la même.
Et le passage forcé ("pour ne pas être dépassé à gauche par les trotskystes") de Thorez dans l'opposition ne change rien non plus à la politique gouvernementale. "Produire d'abord" sans Thorez, "Maintien de l'ordre" sans De Gaulle, les tenants de la 3ème Force continuent de gouverner avec les mêmes moyens qu'auparavant.
Si donc les élections cantonales, malgré les cris de victoire de tous les partis, laissent percevoir un profond malaise, c'est dans le manque de principes et de programme véritable de tous les partis actuels qu'il faut en chercher l'explication. Alors qu'en 45 et en 46, après six années de guerre et de dictature, les masses populaires sont allées aux urnes avec enthousiasme, en pensant appuyer par leurs voix des partis qui devaient faire du neuf, depuis, les illusions ont fait place à la déception et au découragement. Ce découragement n'est pas prouvé seulement par le nombre croissant des abstentions, mais aussi par le langage même de ceux qui sollicitent les votes. Ceux qui ont voté P.C., c'est, avant tout, par crainte de De Gaulle ; ceux qui ont voté R.P.F., c'est par crainte de Thorez ; et ceux qui ont voté 3ème Force, c'est par crainte des extrêmes totalitaires. Ils n'ont pas appelé tellement à la confiance en eux-mêmes, mais ont ramassé des voix en agitant l'épouvantail de l'adversaire.

Malgré la conservation des formes et l'abus des rites parlementaires, la IVème soi-disant République est située bien plus bas que la IIIème. En effet, sous celle-ci, surtout avant 1914 (et même entre les deux guerres), la politique gouvernementale n'était pas la même selon que la victoire échéait au "Cartel des gauches" ou au "Bloc National". Les élections n'étaient pas exclusivement une question de places. La question de la laïcité, des droits démocratiques, de la législation sociale, etc..., dépendaient dans une certaine mesure, souvent non négligeable, du résultat des élections.
Cependant, même avec plus de démocratie réelle, la IIIème République, en fin de compte, n'a pu offrir aucune issue aux masses frappées par la putréfaction du capitalisme. Elle les a, au contraire, menées au daladiérisme et au pétainisme. Seule, la lutte directe des masses (et pas seulement des ouvriers) contre le capitalisme et le fascisme naissant avait offert, de 34 à 37, le moyen d'en sortir par le renversement de la bourgeoisie et de son régime politique pourrissant. Mais le mouvement ouvrier révolutionnaire fut saboté, trahi, vendu par Thorez et Blum. Sous la IVème République également, le mouvement ouvrier, par ses grandioses luttes grévistes d'avril à septembre 47, a offert une chance aux masses laborieuses d'éviter la dictature totalitaire et la guerre. Mais, là encore, Thorez a réussi à le détourner de ses objectifs et à le pousser dans des défaites.

Ce qui caractérise le régime de la IVème République et ses mouvements politiques, c'est qu'elle est la moins démocratique de toutes, la plus pourrie, la plus stagnante.

Il faudra donc aux travailleurs plus de courage, plus d'élan et plus d'esprit de sacrifice que jamais pour éviter l'écrasement. Mais de "CEUX QUI N'ONT RIEN A PERDRE ET TOUT A GAGNER", les difficultés accrues ne peuvent, en fin de compte, que renforcer la combativité et l'intelligence politique.


QUITTEZ L'INDOCHINE !

La guerre au Viêt-nam n'a fait que reprendre de plus belle... depuis que de nouveaux accords de paix ont été signés avec Bao-Daï. Conscients d'ailleurs de la véritable situation, les représentants du gouvernement français, en la personne du ministre de la guerre, déclaraient à la Chambre, au moment où ces négociations étaient en train d'aboutir, que "les dépenses pour l'Indochine sont plus nécessaires que jamais, alors qu'une nouvelle phase commence qui interdit un ralentissement de notre effort militaire". Bao-Daï, roi fantoche et représentant des féodaux, ne pouvait offrir à la bourgeoisie française que l'appui de ces derniers, et non pas la soumission du peuple.

Et aucune autre personnalité, même "plus représentative", ne peut offrir aux colonialistes français cette soumission. Le peuple annamite, comme tous les peuples coloniaux (Indes, Chine, Indonésie, etc...), mène une lutte décisive et victorieuse contre l'impérialisme et n'acceptera PLUS JAMAIS de ployer sous le joug de la domination française.

Quel est alors le sens de la politique que préconisent certains, comme les socialistes, qui demandent qu'on négocie aussi avec Ho-Chi-Minh, ou les staliniens qui réclament qu'on ne négocie qu'avec celui-ci ?

Deux accords avaient déjà été signés avec Ho-Chi-Minh – celui du 6 mars 1946 et le modus vivendi de septembre 46 – qui ne se distinguaient pas beaucoup de l'accord conclu avec Bao-Daï, en ce sens qu'ils consacraient également le principe de "l'indépendance du Viêt-nam dans le cadre de l'Union Française" et la sauvegarde des intérêts de l'impérialisme français au Viet-nam. Cette politique est d'ailleurs si peu originale, qu'il y a quelques semaines, c'est le journal R.P.F. de Saïgon qui préconisait, comme plus opportunes, des négociations avec Ho-Chi-Minh.

Comme l'ont déclaré, dans les récents débats à la Chambre, MM. Bidault et Queuille, les ministres P.C.F. comme les autres, ont loyalement apposé leur signature sur ces accords. Ce n'est cependant pas la paix qui s'en est ensuivie : pendant que M. Thorez, avec M. Bidault, signait ces accords, M. Tillon, ministre de l'air, veillait à la fabrication des "Cormorans" pour le transport des tanks à destination d'Indochine...

Toute négociation est, par définition, un compromis entre la présence des colonialistes au Viêt-nam et les intérêts anticolonialistes du peuple du Viêt-nam. Un semblable compromis, entre l'oppression et la libération, ne peut exister. C'est pourquoi, quelles que soient les négociations, au premier changement du rapport des forces, les hostilités recommencent.

Si, à la Chambre, des Bidault et des Queuille ont rendu hommage au loyalisme des ministres P.C.F., c'est parce qu'en effet, si le P.C.F., aussi bien que tous les autres partis, n'avaient pas été tous partisans de la présence en Indochine, le gouvernement aurait été incapable de continuer sa politique de guerre ; c'est parce que, en dehors de manifestations verbales pour la paix en Indochine, ils n'ont jamais montré la moindre velléité d'une opposition active, telle que l'a connue la bourgeoisie française, au moment de la guerre du Rif., quand le P.C. ne demandait pas des négociations mais le retrait des troupes ; c'est parce qu'ils n'ont jamais opposé au gouvernement et aux colonialistes la seule exigence qui avait un sens pour la paix : Quittez l'Indochine ! Or, si cette exigence n'est pas posée, tout le reste n'est que verbiage. Le maintien des troupes hollandaises en Indonésie, malgré la conclusion d'un accord de "paix", n'a-t-il pas abouti à la reprise des hostilités, aussitôt que l'Etat-major a estimé le moment favorable ? Tant que des troupes coloniales françaises seront présentes en Indochine, il n'y aura pas de paix.

Depuis quatre ans, des milliers de vies humaines et des milliards de francs, représentant autant d'impôts et de misère pour la population en France, sont engloutis par cette lutte. Mais la "sale guerre", qui est une calamité pour le peuple, est un moindre mal pour la bourgeoisie française et même une source de profits (fabrications de guerre). C'est pourquoi sa politique réelle ne se tranche pas dans les débats parlementaires : on n'a encore jamais vu les états-majors demandant au peuple de se prononcer sur leurs entreprises par un vote. La réalité nous a montré, en France, aux Pays-Bas, que les débats dans les parlements se sont toujours engagés après que les états-majors avaient mis leurs plans à exécution, pour qu'ils puissent agir plus librement, pendant que les "représentants du peuple" discutent...

Les manifestations verbales de toute sorte n'ont pas empêché le gouvernement, depuis quatre ans, de fournir à l'état-major autant d'armes, de matériel, de troupes qu'il lui a fallu.

La véritable propagande contre la guerre, personne ne l'a menée. Les dirigeants de la C.G.T. qui peuvent, pour satisfaire à la politique du P.C.F., organiser, dans les usines, la signature de "la lettre pour la paix" à Truman, n'ont à aucun moment essayé d'organiser (alors qu'ils en auraient eu largement les moyens) l'opposition active de la classe ouvrière contre l'envoi d'armes, de matériel, de troupes à destination d'Indochine. C'eût été cependant la seule opposition réelle à l'état-major, la seule politique qui aurait obligé le gouvernement à faire la paix, comme la révolte de la Mer Noire, en 1919, empêcha l'intervention de l'impérialisme français contre les Soviets.
C'est une criminelle hypocrisie que la soi-disant opposition à la politique de guerre du gouvernement au nom d'une politique de négociations et d'accords...

QUITTEZ L'INDOCHINE ! EVACUEZ LES TROUPES ! telle doit être l'exigence des travailleurs, s'ils veulent que l'arrêt des fabrications de guerre et la réduction du budget militaire soient une réalité et la lutte pour la paix, autre chose qu'un slogan de propagande dans la bouche des politiciens...


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