1921 |
Un travail de Boukharine récapitulant les acquis du marxisme. Il servira de manuel de formation de base aux militants communistes durant les années de construction des sections de l'Internationale Communiste. |
La théorie du matérialisme historique
Supplément
Brèves remarques sur le problème de la théorie du matérialisme historique
Selon Marx, les rapports de production sont la base matérielle de la société. Cependant, parmi nombre de groupes marxistes (ou, plutôt, pseudo-marxistes), il existe une tendance irrésistible à « spiritualiser » cette base matérielle. Les progrès de l'école et de la méthode psychologiques dans la sociologie bourgeoise ne pouvaient pas ne pas « contaminer » les milieux marxistes et semi-marxistes. Ce phénomène allait de pair avec l'influence croissante de la philosophie académique idéaliste. On se mit à reprendre en sous-uvre la construction de Marx en introduisant sous sa base matérielle la base psychologique « idéale » l'école autrichienne (Böhm-Bawerk), de L. Word et tutti quanti. En l'occurrence également, l'initiative revint à l'austro-marxisme théoriquement en décadence. On se mit à traiter de la base matérielle dans l'esprit du « Pickwick Club. » L'économique, le mode de production passèrent dans la catégorie inférieure des réactions psychiques. Le soubassement solide du matériel disparut de l'édifice social.
Dans la littérature russe, cette transformation psychologique du marxisme a été poursuivie systématiquement dans les ouvrages de A.-A. Bogdanov. Selon Bogdanov, la technique elle-même, n'est pas une chose matérielle, mais le savoir-faire des hommes, l'art de travailler à l'aide d'instruments déterminés, un entraînement psychologique, pour ainsi dire.
Il est évident qu'un tel marxisme « psychologisé » s'écarte nettement du matérialisme souligné « con amore » par Marx en sociologie.
Comment donc considérer le caractère matériel des rapports de production ?
Dans la littérature marxiste, on n'a pas donné, me semble-t-il, de réponse précise à cette question, et c'est ce qui explique en partie que des constructions « psychologiques », auxquelles on ne saurait refuser une certaine unité et une certaine logique, exercent une influence sur les esprits marxistes [1].
Comment résoudre ce problème ? L'adversaire apporte une série d'arguments sérieux. Le plus important est que la conception des rapports entre les hommes présuppose l'action psychique réciproque de ces derniers. Le lien de travail devient ainsi un lien d'ordre psychique et comme il n'est pas douteux que la création et le maintien de ces rapports constituent un processus psychique résultant d'actes psychiques s'objectivant sur le plan social, le caractère social psychique de la « base » se trouve par là même établi.
J'affirme qu'à cette argumentation il n'a rien été opposé dans nos milieux. C'est pourquoi je propose une solution nouvelle, matérialiste, du problème, solution conforme à celles de Marx. Cette solution la voici :
Par rapports de production, j'entends la coordination des hommes (considérés comme « machines vivantes ») par le travail dans l'espace et dans le temps. Le système de ces rapports est aussi peu « psychique » qu'un système planétaire avec son soleil. La détermination de sa place à chaque point chronologique, voilà ce qui constitue un système. De ce point de vue, toute attribution de caractère psychique à la base disparaît. Et le fait que les éléments psychiques sont un facteur intermédiaire, ne détruit ni n'affecte l'enchaînement de notre argumentation: toute superstructure sert de facteur intermédiaire dans le processus de reconstitution en commun de la vie sociale.
Je considère cette solution comme la seule juste et comme la seule matérialiste. Seule, en outre, elle permet de réfuter Adler et consorts.
Notes
[1] Étant donné l « intelligence » de certains critiques, je tiens à faire observer qu'il s'agit ici du plan logique, qui a évidemment, son équivalent social et économique.