1919

Un ouvrage qui servira de manuel de base aux militants communistes durant les années de formation des sections de l'Internationale Communiste.


L'ABC du communisme

N.I. Boukharine


3
Comment le développement du capitalisme a conduit à la révolution communiste
(L’impérialisme, la guerre et la faillite du capitalisme)


32 : La guerre civile

La guerre civile est une lutte de classes exaspérée, qui se transforme en révolution. La guerre impérialiste mondiale entre différents groupes de la bourgeoisie pour un nouveau partage du monde fut menée à l’aide des esclaves du capital. Mais elle imposa aux ouvriers de telles charges que la lutte des classes commença à se transformer en une guerre civile des opprimés contre leurs oppresseurs, guerre que Marx appelait déjà la seule guerre équitable.

Il est tout naturel que le capitalisme ait conduit à la guerre et que la guerre impérialiste entre Etats bourgeois ait été suivie de la guerre civile. Notre parti avait prédit cela, dès 1914, alors que personne encore ne songeait à la Révolution. Et cependant il était clair que le prolétariat, accablé par la guerre sous des charges énormes, finirait par se soulever et que la bourgeoisie ne pourrait réaliser une paix durable, à cause des antagonismes insurmontables entre les groupes nationaux de pillards capitalistes.

Notre prédiction se réalise intégralement aujourd’hui. Aux terribles années de tuerie, de bestialité et de sauvagerie, succéda la guerre civile contre les oppresseurs. Elle fut ouverte par la Révolution russe, en février et en octobre 1917; les Révolutions finlandaise, hongroise, autrichienne et allemande l’ont continuée; puis la Révolution commença dans d’autres pays… Et en même temps, la bourgeoisie est manifestement incapable de faire une paix durable. Les Alliés ont vaincu l’Allemagne en novembre 1918; ils n’ont signé à Versailles la paix de rapine que sept mois plus tard. Tout le monde sent que cette paix ne peut durer; depuis, se sont battus les Yougo-Slaves et les Italiens, les Polonais et les Tchéco-Slovaques, les Polonais et les Lithuaniens, les Lettons et les Allemands. Et tous les Etats bourgeois ont attaqué la République des ouvriers russes victorieux. Ainsi la guerre impérialiste se termine par la guerre civile d’où le prolétariat sortira nécessairement triomphant.

La guerre civile n’est due ni au caprice d’un parti ni au hasard, c’est une manifestation de la Révolution, qui était inévitable parce que la guerre des pillards impérialistes devait ouvrir définitivement les yeux des masses ouvrières.

Une révolution sans guerre civile est aussi chimérique qu’une révolution « pacifique ». Ceux qui pensent de la sorte (par exemple les mencheviks qui pestent contre la guerre civile) régressent de Marx vers les socialistes antédiluviens qui croyaient pouvoir convaincre les capitalistes. C’est comme si l’on voulait, à force de caresses, convaincre le tigre de se nourrir d’herbe et de laisser les veaux tranquilles. Marx était partisan de la guerre civile, c’est-à-dire de la lutte armée du prolétariat contre la bourgeoisie. Il écrivait, au sujet de la Commune de Paris de 1871, que les communards n’ont pas été assez résolus; dans le manifeste de la Ier Internationale, rédigé par Marx, il est dit d’un ton de reproche : « Les sergents de ville même, au lieu d’être désarmés et arrêtés, comme cela aurait dû se faire, trouvaient les portes de Paris grandes ouvertes pour qu’ils pussent, sains et saufs, se retirer à Versailles. Non seulement les hommes d’ordre (les contre-révolutionnaires) ne furent pas molestés, mais on les laissa se rallier et s’emparer tout doucement de plus d’une position forte, au centre même de Paris… Il répugnait au Comité central de continuer la guerre civile que Thiers [le Denikine français] avait engagée par son attaque nocturne à Montmartre. Il commit cette fois la faute capitale, décisive, de ne pas marcher sur Versailles, alors sans défense, et perdit ainsi l’occasion d’en finir avec le complot de Thiers et de ses Ruraux. Au lieu de cela, le parti de l’ordre put encore essayer sa force devant les urnes du scrutin, le 26 mars, jour de l’élection de la Commune. » Marx se prononce donc clairement pour l’écrasement par les armes des gardes blancs dans la guerre civile.
Ainsi les maîtres du socialisme prenaient la révolution très au sérieux. Ils comprenaient que le prolétariat ne peut convaincre la bourgeoisie et doit imposer sa volonté par la guerre civile menée, à l’aide des baïonnettes, de fusils et de canons, jusqu'à la victoire.

La guerre civile mit l’une en face de l’autre, les armes à la main, les classes de la société capitaliste dont les intérêts sont opposés. Le fait que la société capitaliste est partagée en deux, qu’elle est formée en réalité d’au moins deux sociétés — ce fait restait, en temps normal, invisible. Pourquoi ? Parce que les esclaves obéissaient en silence à leurs maîtres. Mais avec la guerre civile, la partie opprimée de la société s’insurge contre la partie qui opprime. Il va de soi que, dans ces conditions, aucune « vie commune », aucune « union pacifique » entre les classes n’est possible : l’armée se divise en gardes blancs issus de la noblesse, de la bourgeoisie, des intellectuels rouges, et en soldats rouges, sortis de la classe ouvrière et paysanne; toute Assemblée Constituante où siégeront en même temps des fabricants et des ouvriers, devient impossible : comment pourraient-ils siéger « paisiblement » dans la même Constituante, quand ils se fusillent dans la rue ? La guerre civile dresse les deux classes l’une contre l’autre. C’est pourquoi elle ne peut se terminer par la conciliation, le compromis, mais seulement par la victoire complète d’une classe sur l’autre. La guerre civile en Russie et dans d’autres pays (en Allemagne, en Hongrie) confirme cela entièrement. N’est possible aujourd’hui que la dictature du prolétariat ou celle de la bourgeoisie et des généraux. Le gouvernement des classes moyennes et de leurs partis (socialiste-révolutionnaire, menchevik, etc.) n’est qu’une voie de passage. Lorsque le gouvernement des Soviets en Hongrie eut été renversé par une « coalition » que suivit bientôt la réaction. Lorsque les socialistesrévolutionnaires constitutionnels eurent, pour quelques temps, réussi à s’emparer d’Oufa, de l’autre côté de la Volga, et de la Sibérie, ils en furent chassés 24 heures après, par l’amiral Koltchak, appuyé par la haute bourgeoisie et les propriétaires. Et Koltchak mit la dictature des propriétaires et des bourgeois à la place de celle des ouvriers et des paysans. La victoire décisive sur l’ennemi et la réalisation de la dictature prolétarienne sont le résultat inévitable de la guerre civile mondiale.


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