1971 |
"L'histoire du K.P.D. (...) n'est pas l'épopée en noir et blanc du combat mené par les justes contre les méchants, opportunistes de droite ou sectaires de gauche. (...) Elle représente un moment dans la lutte du mouvement ouvrier allemand pour sa conscience et son existence et ne peut être comprise en dehors de la crise de la social-démocratie, longtemps larvée et sous-jacente, manifeste et publique à partir de 1914." |
Révolution en Allemagne
Pierre Broué
De la guerre à la révolution - Victoire et défaite du gauchisme
Les historiens occidentaux ont généralement adopté le point de vue suivant lequel la révolution allemande de novembre 1918 n'était pas une véritable révolution. Ils soulignent l'insignifiance de l'action des conseils allemands, leurs improvisations, leurs hésitations, et, finalement, leur impuissance. Les comparant aux réalisations russes, ils en tirent la conclusion que les conseils allemands n'étaient pas de véritables soviets, mais des organismes éphémères, des formes transitoires nées d'un engouement passager et d'une mode quelque peu romantique [1]. Les interprétations officielles en R.D.A. conduisent aujourd'hui certains historiens à des positions analogues : alors que bolcheviks et spartakistes, en 1918, avaient vu dans le développement en Allemagne des conseils d'ouvriers et de soldats la preuve du caractère prolétarien de la révolution allemande un spécialiste d'Allemagne orientale pourra affirmer, au cours d'une discussion publique, que les conseils allemands ont été, et pour certains d'entre eux, dès le début, des « organes du pouvoir de la bourgeoisie » [2].
Pour les uns, il s'agit de démontrer qu'une révolution soviétique, un appareil d'État constitué sur la base d'une pyramide de conseils, relèvent dans un pays avancé de l'utopie. Pour les autres, il faut prouver qu'aucune révolution ne saurait revêtir un caractère prolétarien sans la « ferme direction » d'un parti « de type marxiste-léniniste ». Partisanes toutes deux, ces thèses reflètent quelque vérité : il a manqué dans les soviets allemands de 1918 l'action concertée d'explication patiente qu'avaient menée en Russie les bolcheviks et qui leur avait permis, entre février et octobre, d'affermir les soviets et leur autorité, et d'y gagner la majorité afin de les entraîner dans la lutte pour le pouvoir.
Mais il serait erroné de procéder à une comparaison entre les conseils allemands de novembre 1918 et les soviets russes de novembre 1917. C'est des soviets de février 1917 qu'il faut rapprocher les premiers, issus les uns et les autres d'une action en grande partie spontanée, avant que se soit déroulé le grand débat politique sur le pouvoir. Malgré la faiblesse de leur organisation, les révolutionnaires allemands jouent dans la constitution des conseils un rôle plus important que celui des bolcheviks dans celle des soviets. La bourgeoisie ne s'y est d'ailleurs pas trompée, pas plus en Allemagne que dans les pays de l'Entente.
En réalité, au lendemain du 9 novembre, les chances de la révolution soviétique allemande apparaissent plus sérieuses que ne l'étaient en février celles de la révolution soviétique russe. Dans tous les centres ouvriers, certes, les conseils sont partagés entre la double influence des majoritaires et des indépendants. Mais, en Russie, en février, mencheviks et S.R. avaient partout la majorité, y compris dans le soviet de Petrograd. En Allemagne, au contraire, les révolutionnaires, indépendants de gauche, I.K.D. ou spartakistes, partisans de la dictature du prolétariat, dirigent quelques-uns des conseils les plus importants : Richard Müller à Berlin, Kurt Eisner à Munich, Rück à Stuttgart, Heckert à Chemnitz, Lipinski à Leipzig, Merges à Brunswick, Laufenberg à Hambourg, président des conseils d'ouvriers et de soldats dont l'autorité rayonne dans des régions entières. Pour le reste, il n'y a apparemment ni plus ni moins de désordre dans la tumultueuse naissance des conseils allemands qu'il n'y en avait eu dans celle des soviets ou qu'il n'y en aura en 1936 dans les comités ou les consejos d'Espagne.
La différence essentielle entre les conseils allemands de novembre 1918 et les soviets de février 1917 réside dans la place qu'y occupent les anciens partis ouvriers et les syndicats. Elle s'explique d'abord par la tradition différente dans les pays, qui fait des soviets en Russie la forme d'organisation par excellence, alors qu'en Allemagne, les appareils politiques et syndicaux sont un facteur permanent et déterminant de la vie ouvrière.
A Cologne, après la tentative de créer un comité (Wohlfartsausschuss) comprenant des représentants des partis bourgeois, dont le Dr. Konrad Adenauer [3], les dirigeants locaux des partis social-démocrates finissent par constituer un conseil ouvrier au cours d'une réunion commune le 8 : ils le font ratifier par acclamation dans un meeting, l'après-midi [4]. A Cassel, le conseil et son comité d'action sont constitués le 9 à la suite de pourparlers entre les syndicats et les deux partis ouvriers. Il est « confirmé » le 13 par une assemblée de 600 délégués élus d'ouvriers et de soldats [5]. A Breslau, le 9, le parti social-démocrate et le Centre catholique invitent les indépendants à former avec eux un « comité populaire », que va présider le social-démocrate Paul Löbe : ce comité est « élu » le 13 par les 30 000 participants d'un meeting [6]. Une procédure semblable aboutit à des conseils ouvriers comprenant des représentants du Centre et des syndicats chrétiens à Duisbourg, Recklinghausen et Bielefeld, où l'opération est conduite par le social-démocrate Severing [7].
Dans l'ensemble, ces procédures restent exceptionnelles, utilisables seulement là où le mouvement révolutionnaire a été coiffé ou même précédé par les initiatives des politiciens ou des hommes d'appareil. L'idée de conseil, confuse certes dans l'idéologie révolutionnaire, comporte cependant une exigence démocratique qui s'accommode mal d'élections préfabriquées ou de votes par acclamation. La plupart du temps, les travailleurs veulent un conseil élu. Fidèle à leur « principe démocratique », les social-démocrates prônent alors des élections sur une base territoriale, par quartiers : le suffrage est « universel » et les notables comme les appareils politiques l'y emportent, comme à des élections ordinaires, sur les candidats connus pour leurs positions de classe. Ainsi à Dresde, où les élections par quartier, organisées par le conseil provisoire, donnent aux social-démocrates 47 élus sur 50 dans le collège « ouvriers » et 40 sur 50 dans le collège « soldats » [8]. Le conseil des ouvriers et soldats de Dresde, présidé par le syndicaliste social-démocrate Neuring, sera désormais l'un des plus conservateurs [9].
Partout ailleurs, les élections se déroulent dans les entreprises, conformément au principe de la dictature du prolétariat, où le droit de vote est organisé sur la base des unités de production. A Berlin, les ouvriers élisent un délégué pour 1000 votants dans les grosses entreprises, un par fraction de 1000 ailleurs [10]. A Francfort-sur-le-Main, le chiffre est de 1 pour 400 [11], à Hambourg et à Leipzig de 1 pour 600 [12], de 1 pour 300 à Stuttgart [13] , de 1 pour 180 à Brême [14].
Dans plusieurs localités, les social-démocrates majoritaires appellent au boycottage des élections dans les entreprises. A Brunswick, ils exigent au préalable, et quel que soit le résultat du scrutin, la promesse d'une représentation paritaire à l'exécutif. Ils se heurtent à un refus et ne se présentent donc pas : les 5 454 électeurs auront à choisir vingt-cinq noms sur une liste de cinquante dressée par le conseil provisoire [15]. A Stuttgart, en revanche, après l'arrestation des membres du premier conseil provisoire, ils obtiennent aux élections la majorité absolue avec 155 délégués sur 300, contre 90 aux indépendants. A Leipzig, où l'organisation majoritaire est inexistante depuis la scission, presque tous les élus appartiennent au parti indépendant. Aux chantiers de la Weser, à Brême, les radicaux de gauche ont 24 élus, contre 13 aux majoritaires et 9 aux indépendants : les majoritaires siègent. Mais, à Hambourg, ils n'acceptent de participer qu'à partir du moment où les autres groupes leur ont promis qu'ils seraient représentés à l'exécutif [16].
Chaque fois qu'une majorité se dessine contre eux dans les élections d'entreprise, les dirigeants social-démocrates locaux et les responsables syndicaux invoquent l'unité et l'accord du 9 novembre à Berlin pour obtenir une représentation paritaire à l'exécutif. Or leurs exigences coïncident avec un souci permanent des élus : renforcer leur autorité par la participation aux conseils des représentants des partis et syndicats en tant que tels. L'exécutif de Leipzig comprend, outre 10 ouvriers et 10 soldats, 3 représentants du parti social-démocrate indépendant. Celui de Hambourg comprend 18 élus, 9 de chaque collège et 12 représentants d'organisations, 3 de chaque organisation politique, majoritaires, indépendants et radicaux de gauche, et 3 de l'union locale des syndicats. Dans la majorité des cas, les choses se passent comme elles se sont passées à Berlin : les indépendants renoncent, à leur détriment, à la représentation proportionnelle, et acceptent la parité à l'exécutif, même quand ils ont la majorité au conseil : ainsi à Francfort-sur-le-Main, Dortmund, Erfurt, et dans la majorité des villes industrielles. Ils ne forment d'exécutifs où ils ont la majorité que là où les social-démocrates gouvernementaux n'existent pas ou se dérobent : ainsi à Brême, Leipzig, Halle, Düsseldorf. En revanche, les majoritaires ne se soucient pas de parité quand ils sont en force : à Stuttgart, les indépendants ne sont que 4 à l'exécutif, sur un total de 15.
Dans la pyramide des conseils qui va de l'atelier à la localité, l'influence du parti social-démocrate et de l'appareil syndical va en augmentant de la base vers le sommet. Aussi, dans les semaines qui suivent l'établissement des conseils, s'efforcent-ils de constituer des conseils régionaux où ils détiennent toujours la majorité, par le simple jeu de l'addition des conseils où ils sont en majorité et de ceux où ils sont à parité.
Rien d'étonnant, dans ces conditions, que nombre d'initiatives des conseils de novembre ne dépassent pas le cadre de la Constitution ou le niveau des proclamations, et se contentent d'osciffer entre la ligne « antisoviétique » des majoritaires et la « valse-hésitation » des indépendants. Certaines mesures révèlent pourtant une nette volonté de construire un État de type nouveau, proprement « soviétique ». Quelques conseils abolissent les institutions existantes : à Chemnitz, Leipzig, Gotha, on déclare dissous les conseils municipaux, à Hambourg, Brême, Koenigsberg, les institutions traditionnelles, Sénat et Bourgeoisie [17]. D'autres conseils le font sans même le dire, se contentant d'expulser de leur bureau hauts fonctionnaires ou élus traditionnels. Le conseil de Brême va plus loin et interdit toute réunion ou manifestation en faveur du rétablissement du Sénat ou de l'élection de l'Assemblée nationale [18]. Le conseil de Neukölln, dominé par les spartakistes, a interdit toute activité des anciens organismes, dissous les forces de police, et ce faubourg de Berlin est dénoncé dans la presse comme le banc d'essai de la dictature du prolétariat [19]. Or la situation est analogue à Britz, Mariendorf, Tempelhof, et une conférence des conseils d'ouvriers et de soldats de la circonscription de Niederbarnim. se prononce le 18 novembre pour la généralisation de ce mode d'organisation du pouvoir [20]. Dans la Ruhr se tient le 20 novembre une conférence des conseils de Basse-Rhénanie et de Westphalie occidentale, qui adopte une résolution de l'indépendant Otto Brass pour la dissolution de tous les anciens organismes de l'État et le passage de tout le pouvoir aux conseils, Un programme d'action pour les conseils détermine leurs tâches : désarmement de la police, organisation d'une force de sécurité, construction d'une garde rouge, contrôle de la justice, du ravitaillement, etc. [21]. Il est réalisé ou du moins sérieusement entamé dans toutes les villes où indépendants révolutionnaires et spartakistes détiennent la majorité dans le conseil, à Düsseldorf, Gelsenkirchen, Hamborn, Mülheim, Solingen, Essen [22]... Le conseil des ouvriers et des soldats de Gotha dissout le Landtag et constitue un gouvernement de Land [23].
Ce qui est peut-être plus important plus significatif de la volonté de créer un deuxième pouvoir c'est que les conseils constituent souvent leur propre force armée ou leur propre police [24] : gardes ouvrières à Francfort-sur-le-Main et Hildenburghausen [25], volontaires ouvriers à Düsseldorf [26], force de sécurité à Hambourg [27], et, le plus souvent, des gardes rouges dont le noyau est constitué par des marins mutinés : à Brême, sous la direction du sous-officier Lunsmann [28], à Halle le « régiment de sécurité » que dirige l'ancien officier Fritz Ferchlandt et le « marin rouge » Karl Meseberg [29], à Brunswick, une garde de mille membres [30].
Enfin, dans les conseils qu'animent les révolutionnaires, les exécutifs se donnent des structures adaptées à des tâches gouvernementales, avec des responsables ou des commissions chargées des finances, de la sécurité publique, du ravitaillement, des problèmes du travail, etc. Les pouvoirs qu'ils s'attribuent sont de tous les domaines, judiciaires autant que législatifs ou exécutifs, selon la caractéristique même du pouvoir « soviétique » : saisie et interdiction de la Rheinisch-Westfälischer Zeitung, le 3 décembre, puis, quelques jours plus tard, de la Essener AlIgemeine Zeitung par le conseil des ouvriers et des soldats d'Essen [31], interdiction de tout licenciement et journée de huit heures imposée aux industriels par celui de Hanau [32], augmentation des salaires de 80 % décrétée par celui de Mülheim [33], saisie du département de la presse et de la propagande du commandement militaire par celui de Leipzig [34]. Les hommes politiques les plus conscients ne s'y trompent pas, et Hermann Müller écrira de la république de Neukölln qu'elle est en train de chercher à réaliser « une dictature de classe à la Russie soviétique » [35].
Dans toute l'Allemagne, les révolutionnaires qui participent à l'activité des conseils sont à la pointe du combat pour le deuxième pouvoir. Les premiers jours de novembre fournissent de façon inattendue un seul exemple inverse, celui du Wurtemberg, qui voit pendant quelques jours tous les partis ouvriers - indépendants spartakistes compris - collaborer au sein d'un organisme provisoire investi par une autorité légale, le « gouvernement provisoire » du Wurtemberg investi par le Landtag au lendemain de la révolution. Deux militants spartakistes y occupent en effet des responsabilités, August Thalheimer aux finances et Albert Schreiner à la guerre [36] ; le premier vient seulement d'être libéré de prison. Mais la centrale spartakiste réagit vivement, et une lettre signée de Leo Jogiches explique aux Wurtembergeois que ce serait une grave erreur que de partager des responsabilités gouvernementales avec les majoritaires dans les circonstances données [37]. Thalheimer démissionne immédiatement, bientôt suivi par Schreiner [38].
Il est significatif de l'élan et de la vigueur du mouvement des conseils que personne, sur le coup, ne tente de s'opposer à leur constitution, ni même de contester leur autorité. Ici ou là, les représentants des partis bourgeois sont heureux lorsque la protection des social-démocrates leur y réserve une petite place [39]. Le haut commandement lui-même admet l'existence des conseils de soldats. A l'état-major de Spa, le lieutenant-colonel Faupel reçoit leurs délégués, leur décrit l'immensité de la tâche d'évacuation des troupes de l'ouest et leur propose de collaborer avec les officiers [40]. Un peu partout, les autorités impériales, administration, police, justice, commandants militaires déclarent reconnaître leur autorité.
Cependant, l'une des premières initiatives contre le pouvoir des conseils d'ouvriers et de soldats consistera dans la constitution de « conseils de citoyens », parfois différenciés en conseils professionnels, médecins, avocats, juges, médecins, voire propriétaires ou prêtres [41]. A Cologne par exemple, tandis que la Kölnische Zeitung affirme que la bourgeoisie est prête à soutenir le nouveau pouvoir [42], plusieurs entrepreneurs connus de la ville fondent le Hansabund, dont l'objectif est la création de conseils de citoyens [43]. Approuvant cet appel, la Deutsche Zeitung écrit qu'il ne suffit pas de « conseils » mais que, face aux gardes ouvrières, « unilatérales », il faut bâtir des « gardes civiques » [44].
En fait, les partis bourgeois et les autorités acceptent les conseils comme un pouvoir de fait, éminemment transitoire, conférant une légitimation provisoire à des autorités anciennes qui n'ont plus de référence constitutionnelle : l'objectif est de s'en servir pour modifier la situation. Tel est, nettement exprimé, le point de vue des social-démocrates. Pour eux, les conseils n'ont eu de signification que révolutionnaire, dans la brève période de chute du régime impérial. Mais leur rôle n'est pas désormais de conserver ce pouvoir qu'ils ont saisi, puisqu'ils ne représentent qu'une partie de la population, comme l'explique dès le 13 le Vorwärts, sous la signature de Stampfer :
« Nous avons vaincu, mais nous n'avons pas vaincu pour nous seuls, nous avons vaincu pour le peuple entier ! Voilà pourquoi notre mot d'ordre n'est pas : « Tout le pouvoir aux soviets », mais : « Tout le pouvoir au peuple entier ! » [45]
Dans cette optique, le rôle des conseils est désormais d'établir une nouvelle légalité, qui ne saurait être que « démocratique », c'est-à-dire reposant sur l'élection au suffrage universel d'une Assemblée nationale qui aura pouvoir constituant et qui, seule, peut exprimer la volonté du « peuple ».
Sur ce terrain, celui de la lutte pour la convocation rapide d'une Assemblée constituante qui enlèvera le pouvoir qu'ils détiennent aux conseils et établira une Constitution démocratique, la social-démocratie constitue le fer de lance d'une coalition qui groupe la totalité des forces politiques anciennes et, derrière elles, des classes possédantes. On ne peut qu'être frappé de la rapidité avec laquelle l'ensemble des autorités ou du personnel politique se fondent dans ce mouvement « démocratique » afin de combattre la révolution et de défendre l'ordre et la propriété. Conservateurs et réactionnaires se proclament du jour au lendemain républicains et démocrates, partisans d'une « souveraineté populaire » qui avait paru jusque-là le cadet de leurs soucis. Kreuz-Zeitung fait disparaître sa vieille manchette : « En avant pour Dieu, le Roi et la Patrie » et réclame des élections au suffrage universel. Le Centre catholique se rebaptise « parti populaire chrétien-démocrate », les conservateurs se groupent dans le « parti populaire national-allemand », qui inscrit à son programme le suffrage universel, le gouvernement parlementaire, la liberté de presse et d'opinion. La fusion des anciens « progressistes » et d'une partie des anciens « nationaux-libéraux » donne naissance au « parti démocrate allemand ». Le reste des nationaux libéraux, sous la présidence de Gustav Stresemann, et avec le soutien de Stinnes, Vögler, Röchling et autres magnats des affaires, lance le « parti populaire allemand ». junkers et bourgeois se vêtent de parements démocratiques, l'essentiel étant d'abord d'écarter les conseils [46].
Il n'y a pas, sur cette question, de divergences importantes au sein du gouvernement : Max de Bade et Ebert s'étaient mis d'accord, et la déclaration du 10 novembre prévoyait l'élection d'une Constituante. Les commissaires du peuple indépendants élèveront des objections techniques, discuteront de l'opportunité des dates, réclameront du temps pour « préparer » la campagne électorale, mais ont choisi, contre le système des conseils et la dictature du prolétariat, la république parlementaire [47]. L'unanimité pourtant ne règne pas sur ce point dans leur parti, où les éléments de gauche - les responsables du parti à Berlin et les délégués révolutionnaires - combattent depuis plusieurs mois pour le pouvoir des conseils et, dans ce cas au moins, sont d'accord avec les spartakistes.
C'est en effet de Spartakus que vient la seule opposition idéologiquement cohérente au programme de convocation d'une Constituante. Rosa Luxemburg l'exprime clairement dans Die Rote Fahne, qui reparaît :
« Il ne s'agit pas aujourd'hui d'un choix entre la démocratie et la dictature. La question mise à l'ordre du jour par l'histoire est : démocratie bourgeoise ou démocratie socialiste. Car la dictature du prolétariat est la démocratie au sens socialiste du terme. La dictature du prolétariat ne signifie pas les bombes, les putschs, l'émeute, l'« anarchie », ainsi qu'osent le prétendre les agents du capitalisme, mais l'emploi de tous les moyens du pouvoir politique pour l'édification du socialisme, pour l'expropriation de la classe capitaliste, conformément au sentiment et de par la volonté de la majorité révolutionnaire du prolétariat, donc dans l'esprit de la démocratie socialiste. Sans la volonté consciente et sans l'action consciente de la majorité du prolétariat, pas de socialisme. Pour aiguiser cette conscience, pour organiser cette action, il faut un organe de classe : le Parlement des prolétaires des villes et des campagnes. » [48]
Mais, sur la signification et les implications pratiques de cette position de principe, les révolutionnaires eux-mêmes sont divisés. Ils pensent tous, certes, comme Rosa Luxemburg l'affirmera au congrès de fondation, que les conseils d'ouvriers et de soldats, comme les soviets russes, constituent « le mot d'ordre de la révolution mondiale », « l'A. B. C. de la révolution actuelle » et le trait qui distingue la révolution en 1918 des révolutions bourgeoises qu l'ont précédée [49]. Mais les désaccords commencent dès qu'il s'agit de déterminer les tâches des révolutionnaires à l'intérieur des conseils où ils ne sont pas en majorité. A Dresde, dès le 16 novembre, les radicaux de gauche, derrière Otto Rühle, donnent en bloc leur démission du conseil d'ouvriers et de soldats de la ville, dans lequel ils estiment n'avoir pas leur place puisqu'ils s'y trouvent en minorité face à une coalition d'élus social-démocrates et indépendants, qu'ils qualifient sommairement de « contre-révolutionnaires » [50]. Par ce geste spectaculaire, ils s'inscrivent en faux contre la perspective que va tracer Rosa Luxemburg quand elle affirmera :
« C'est par en bas que nous devons saper l'État bourgeois, en agissant pour que les pouvoirs publics, législatif et administratif, ne soient plus séparés, mais confondus, et en les plaçant dans les mains des conseils d'ouvriers et de soldats. » [51]
Le drame, la faiblesse historique des conseils d'ouvriers et de soldats allemands tiennent en définitive à ce qu'il n'existe pas, pour les animer et leur donner vigueur et allant dans la lutte pour leur propre pouvoir, de véritable « parti des conseils », ce que le parti bolchevique avait su être entre février et octobre. Sur le problème décisif, « Constituante ou conseils », les dirigeants indépendants de droite, Haase, Dittmann et d'autres ont adopté, à quelques nuances près, la position des social-démocrates majoritaires. Les indépendants de gauche, organisés à part, partagent en gros la conception des dirigeants spartakistes. Les spartakistes, eux, sont divisés entre le noyau dirigeant, axé sur la perspective de la nécessaire conquête des masses, et les impatients qui renoncent à convaincre. Cette confusion, l'absence d'une organisation révolutionnaire menant, pour la majorité dans les conseils et pour le pouvoir même des conseils, une lutte conséquente, laissent le champ libre aux adversaires des conseils dans leur sein même.
A Hambourg, quelques jours après avoir proclamé leur dissolution, le conseil des ouvriers et des soldats rétablit la Bourgeoisie et le Sénat sous forme d'organismes administratifs [52]. Dans la même ville, l'ancien officier Frederick Baumann reçoit du sénateur Petersen mission de lutter contre les extrémistes à l'intérieur même du conseil des ouvriers et des soldats : il y entre au bout de quelques jours par l'intermédiaire du conseil des soldats, y lie partie avec les majoritaires, « éliminant peu à peu les radicaux de toutes leurs positions de contrôle en matière militaire et de police » [53]. Il réussit même à se faire confier la direction de la garde rouge destinée à protéger le conseil [54]. Acculés à la collaboration avec les anciennes autorités qu'ils restaurent peu à peu, à cause de la permanence du gouvernement central, pris à la gorge par leurs besoins financiers, dévorés et minés de l'intérieur, les conseils ont bientôt, comme l'écrit Rosa Luxemburg, « laissé échapper la plus grande partie des positions révolutionnaires conquises le 9 novembre » [55]. Là où ils résistent, ils ne le peuvent longtemps. Le « pouvoir des conseils » proclamé à Neukölln le 6 décembre est annulé le 11 par l'exécutif des conseils de Berlin [56]. Le gouvernement prussien rétablit le 16 à Neukölln les autorités légales, le jour même où s'ouvre à Berlin le premier congrès des « soviets » allemands ... [57]
C'est que la bourgeoisie allemande est à cette date, et malgré ses revers, incontestablement plus vigoureuse que ne l'était au début de 1917 la débile bourgeoisie russe. Elle dispose d'un instrument d'une rare qualité, le corps des officiers, et surtout de l'appui total d'un appareil souple et expérimenté, celui de la social-démocratie, qui saura défendre efficacement ce qu'elle appelle l'« ordre » contre le « chaos » et la « liberté » contre la « dictature », donnant raison à Liebknecht dans son avertissement du 10 novembre en faisant finalement triompher les positions contre-révolutionnaires au sein même des conseils. Elle bénéficie enfin du solide appui des armées de l'Entente, dont l'ombre menaçante s'étend sur toute cette période de la révolution allemande.
L'assemblée des délégués des conseils d'ouvriers et de soldats du 10 novembre au cirque Busch avait remis le pouvoir aux six « commissaires du Peuple » qui constituaient depuis quelques heures le cabinet du Reich. Friedrich Ebert, ainsi investi par le « soviet » de Berlin de la présidence du conseil des commissaires du peuple, était déjà, depuis la veille, le chancelier du Reich désigné par Max de Bade. La dualité de pouvoir aboutissait ainsi à un sommet unique, un gouvernement à double face, soviétique pour les ouvriers, bourgeoise et légale à l'égard de l'appareil d'Etat, des classes dirigeantes, de l'armée et de l'Entente, à laquelle son représentant, Erzberger, demande d'ailleurs dès le 8 novembre de lui laisser les moyens matériels de lutter contre le bolchevisme [58].
On ne saurait plus discuter aujourd'hui au sujet de l'alliance conclue en ces jours de novembre entre le chancelier Ebert et les chefs de l'armée, même si la version de l'accord téléphonique entre Groener et Ebert dans la nuit du 9 au 10 novembre ne peut être retenue formellement [59]. Dès le 10 novembre, le maréchal Hindenburg télégraphie aux chefs militaires que l'état-major est décidé à collaborer avec le chancelier pour « éviter l'extension du bolchevisme terroriste en Allemagne » [60]. Le général Groener, qui a été vraisemblablement la cheville ouvrière de l'accord, se justifiera vis-à-vis de ses critiques de droite, quelques années plus tard, en déclarant :
« Le corps des officiers ne pouvait coopérer qu'avec un gouvernement qui entreprenne la lutte contre le bolchevisme. Ebert y était décidé. (...) Nous nous sommes alliés contre le bolchevisme (…). Il n'y avait pas d'autre parti qui eût assez d'influence sur les masses pour rétablir, avec l'aide de l'armée, un pouvoir gouvernemental. » [61]
L'appareil d'Etat et la bureaucratie subsistent également et fonctionnent sous l'autorité d'Ebert. Le 9 novembre, déjà, il demande à tous les fonctionnaires de rester à leur poste [62]. Le 13, une proclamation du conseil des commissaires du peuple précise que le Bundesrat, la deuxième chambre législative de la Constitution impériale, celle des princes, reste « autorisé à exercer également dans l'avenir les fonctions qui lui incombent d'après les lois et décrets du Reich » [63]. Tout le personnel administratif, l'ensemble des hauts fonctionnaires triés sur le volet du temps du régime impérial, restent en place. Sous l'autorité des commissaires du peuple et le contrôle théorique des élus de l'exécutif des conseils, avec des représentants des deux partis, les ministres bourgeois conservent leurs portefeuilles, le général von Scheüch reste à la Guerre, le Dr. Solf aux Affaires étrangères, Schiffer, du Centre, aux Finances et le démocrate Hugo Preuss demeure secrétaire d'État à l'intérieur [64]. Entre le 9 et le 10, Ebert a placé des hommes à lui aux postes-clés de la haute administration : le chef de la chancellerie est son ami Baake [65], et le conseiller Simons est chargé de prendre connaissance du courrier afin de diriger vers le chancelier tout ce qui lui paraît important, même s'il s'agit d'une question relevant de la compétence d'un autre commissaire du peuple [66].
La puissance économique de la bourgeoisie reste intacte. Certes, dès le 12 novembre, la première proclamation des commissaires du peuple établissant les bases du nouveau régime, levée de l'état de siège, liberté d'opinion et fin de la censure, amnistie des condamnés politiques, droit de vote pour les femmes et éligibilité à vingt ans, prend un certain nombre de mesures importantes : réglementation et protection du travail, promesse de la limitation à huit heures de la journée de travail, extension du système des assurances sociales, création d'allocations de chômage, programme de construction de logements ouvriers [67]. Mais elles ne sont, en fait que des mesures de conservation sociale et de protection de la propriété, adoptées sous la peur qu'inspire le mouvement ouvrier. C'est si vrai que, dès le 15 novembre, les représentants les plus autorisés du patronat, Hugo Stinnes, Vögler, Hugenberg, Rathenau, Siemens, signent un accord avec les syndicats ; formant désormais une « communauté de travail », ils acceptent toutes les revendications obstinément repoussées jusque-là : la journée de huit heures sans diminution de salaire, la détermination des conditions de travail dans le cadre de conventions collectives, la reconnaissance de la représentativité des syndicats dans les entreprises et la renonciation du patronat à soutenir des « syndicats-maison », l'élection, dans les entreprises comptant plus de cinquante ouvriers, de comités d'entreprises chargés de surveiller l'application des conventions collectives, l'institution, à tous les échelons, de commissions paritaires d'arbitrage [68]. L'accord, dira un commentateur bourgeois, avait un grand mérite : « il a constitué un puissant rempart contre toutes les tentatives de renverser par la violence notre système social » [69]. Une commission de socialisation est créée avec des représentants de tous les partis, des syndicats et des organisations patronales [70] : il n'en sortira rien, sauf, pour les possédants, le gain d'un temps précieux.
La défense de la propriété des grands capitalistes n'est pas un mot d'ordre populaire ; les social-démocrates défendent le régime capitaliste en parlant de « socialisation ». Ils le défendent aussi lorsqu'ils invoquent la « liberté de la presse » pour protéger les grandes entreprises de l'information contre les ouvriers révolutionnaires, comme dans le cas du Berliner Lokalanzeiger occupé par les spartakistes [71]. En revanche, les capitalistes peuvent librement disposer de leurs immeubles, de leurs machines, de leurs capitaux, non seulement pour exposer leur programme politique, mais également pour préparer psychologiquement et matériellement la guerre civile qui leur paraît inévitable. C'est ainsi que l'entreprise d'Eduard Stadtler, ancien prisonnier de guerre en Russie, pour la création d'une « centrale antibolcheviste » va bénéficier de versements de fonds considérables - dont une partie fournie par Helfferich, directeur de la Deutsche Bank pour imprimer à des centaines de milliers d'exemplaires des tracts et des brochures qui sont souvent de véritables appels au meurtre contre les spartakistes, « la terreur bolchevique », le chaos, les juifs et « Rosa-la-sanglante [72] ». Le « secrétariat général » fondé par Stadtler sert de couverture à une organisation plus efficace encore, la « Ligue antibolcheviste », qui organise son propre service de renseignements et met sur pied, suivant l'expression de son fondateur, un « actif contre-espionnage anticommuniste » [73] .
Depuis novembre, et grâce au mot d'ordre de « liberté de la presse » orchestré par les social-démocrates et les forces qui les soutiennent, l'information demeure aux mains des forces antiouvrières. Tandis que les Vossische Zeitung, Berliner Tageblatt, Kreuz-Zeitung et autres continuent de paraître, alimentés par des fonds considérables, les organisations ouvrières révolutionnaires, qui ne peuvent compter que sur les contributions des travailleurs, doivent se taire ou ne s'exprimer qu'avec des moyens très insuffisants face à la coalition qui les écrase de son poids. La presse « libre » se permet même de censurer - avec l'accord du gouvernement - les proclamations ou résolutions de l'exécutif berlinois des conseils. Les agences de presse demeurent également propriété privée, et Ebert nomme son propre fils à la tête de l'agence gouvernementale officieuse [74]. On comprend que, dans ces conditions, la presque totalité des journaux, tous ceux en tout cas qui sont dits « d'information », aient pu, à partir de la mi-novembre, non seulement soutenir la ligne gouvernementale de convocation de la Constituante, mais encore orchestrer une campagne systématique de discrédit des conseils d'ouvriers et de soldats.
Le conseil des commissaires du peuple, investi par les conseils en novembre, va avoir cependant à soutenir, pendant le premier mois de la révolution, une âpre lutte d'influence contre le conseil d'ouvriers et de soldats de Berlin, familièrement appelé l'exécutif (Vollzugsrat). Un historien récent de ce conflit de pouvoirs [75] a souligné le paradoxe qui fait que cet organisme, issu de la défaite des révolutionnaires sous la pression des soldats au cirque Busch, formé, lui aussi, d'une majorité de socialdémocrates du parti d'Ebert, s'est trouvé finalement, pendant les semaines suivantes, incarner les efforts des révolutionnaires pour instaurer le pouvoir des conseils et opposer à la ligne pro-bourgeoise des commissaires du peuple une esquisse d'orientation radicale.
C'est que le conseil exécutif siège dans une tout autre ambiance que le conseil des commissaires. Alors que ces derniers se sont installés dans les ministères où, malgré les ébauches de résistance de certains, ils ont été rapidement « digérés » par les hommes et les rouages de l'administration, le conseil exécutif, lui, s'est installé dans l'immeuble du Landtag de Prusse, au coeur de la révolution. Constamment soumis aux pressions de la rue, « aux écrits de la révolution sur les murs », suivant l'expression de son président Richard Müller [76], il reflète en même temps l'ambition de ses membres les plus actifs, le noyau des délégués révolutionnaires, de faire de lui « le soviet de Petrograd » de la révolution allemande [77], et la confiance des travailleurs berlinois qui font appel à lui à tout propos, parce qu'ils le considèrent comme leur. L'atmosphère y est si révolutionnaire que les plus modérés des social-démocrates qui le composent sont souvent entraînés par leurs collègues ou par les délégations ouvrières beaucoup plus loin qu'ils ne le voudraient [78].
Le conseil exécutif est initialement formé d'une majorité de social-démocrates majoritaires ou de sympathisants : la « parité » n'a valu que pour les élus des soldats. Assez vite, les élus incertains sont remplacés par des militants sûrs : le noyau reste stable à partir du 13 novembre [79]. Les présidents sont Richard Müller - concession aux ouvriers berlinois - et, pour les soldats, Brutus Molkenbuhr, qui, après deux jours, a remplacé le président de la première heure, le capitaine von Beerfelde [80]. Les chefs de file de la fraction social-démocrate sont le délégué des soldats Max Cohen-Reuss, plus tard venu, et surtout Hermann Müller, délégué « ouvrier » [81]. Les chefs de file de la fraction révolutionnaire sont Ledebour et Däumig. Derrière eux, le noyau des délégués révolutionnaires, les dirigeants des grèves de 1917 et 1918, les Eckert, Neuendorf, Wegmann. Autour d'eux, occupés par des responsabilités diverses, les métallos révolutionnaires dirigeants reconnus du prolétariat berlinois, Paul Scholze, qui préside désormais le cercle des délégués, Nowakowski, Paul Neumann, Heinrich Malzahn, Max Urich, qui dirige le secrétariat du conseil [82]. Les délégués social-démocrates sont soit des permanents du parti, soit des responsables syndicaux comme Gutav Heller et Oskar Rusch, qui évoluera rapidement vers la gauche [83]. Les délégués des soldats sont d'un autre type. Mis à part Hans Paasche, figure intéressante de jeune bourgeois, fils d'un homme d'affaires national-libéral élu président du Reichstag, devenu révolutionnaire par pacifisme [84], ils se rattachent politiquement à la social-démocratie. Peu politisés en réalité, ils comptent parmi eux quelques candides arrivistes qui abusent de la situation, installent dans les ministères, sous prétexte de « contrôle », petites amies et bons camarades, empêchent par leur irresponsabilité tout fonctionnement sérieux [85]. Parmi eux, d'authentiques aventuriers comme Colin Ross, cet agent d'Ebert et de Wels dans les conseils de soldats, qui sera exclu en décembre et convaincu de liaisons avec les éléments monarchistes, plus tard géopoliticien pour le compte d'Hitler [86], Otto Strobel, auteur d'un article antisémite signé non seulement de son nom mais de son titre de membre du conseil, paru dans un quotidien réactionnaire [87], le lieutenant Waltz, qui s'est peut-être rêvé, comme le suggère Hermann Müller, « maréchal de la révolution allemande » [88], mais dont on découvre fin novembre qu'il s'était « mis à table », lors de son arrestation le 8 novembre, et qu'il avait donné aux policiers le plan de l'insurrection et le moyen d'arrêter Däumig. Les incidents provoqués par ces cas individuels prennent au conseil exécutif des heures précieuses. C'est ainsi que Waltz, congédié sans autre forme de procès par Richard Müller, a le front de protester, de plaider les circonstances atténuantes - ne se reconnaissant coupable que de « bêtises » - auprès des conseils de soldats, et d'arriver ainsi à regrouper en sa faveur une minorité qui imposera deux séances nocturnes de discussion aux délégués des conseils de la garnison [89].
Malgré sa bonne volonté, malgré la confiance dont il jouit de la part des ouvriers berlinois, le conseil exécutif est impuissant à organiser son propre travail et même à créer son propre appareil. Prétendant simultanément surveiller et contrôler le cabinet du Reich et le gouvernement prussien, animer politiquement les conseils berlinois et servir de centre aux dix mille conseils du pays, régler les conflits du travail et imprimer aux affaires générales une orientation révolutionnaire, il sombre vite dans le désordre, désordre entretenu par l'hostilité du gouvernement et de la bureaucratie, ainsi que par le sabotage de l'administration, qui lui adresse toutes les réclamations et le prive en même temps de ressources. Ses débats sont constamment interrompus par des délégations. Il est enseveli sous la correspondance que ses présidents passent leur temps à signer sans l'avoir lue [90]. Entre les tâches multiples qu'il prétend remplir, il ne saura pas choisir et n'entendra pas le sévère avertissement d'Hermann Müller :
« Un organisme qui a l'ambition de passer dans l'Histoire au même titre que le comité de salut public de la grande révolution française doit prendre garde à ne pas devenir un service du département du travail. » [91]
Dès son entrée en fonctions, le 10 novembre, au soir, le conseil exécutif adopte, sur proposition d'Eckert, une proclamation adressée au « peuple travailleur ».
« La vieille Allemagne n'est plus. (...) L'Allemagne est devenue une république socialiste. Les détenteurs du pouvoir politique sont les conseils d'ouvriers et de soldats. » [92]
Le gouvernement élu le jour même a pour tâche de conclure l'armistice. Les autres tâches sont la transformation socialiste de l'économie et le rétablissement de la paix par l'union des travailleurs. L'appel salue l'exemple donné par les travailleurs russes, rappelle que le pouvoir révolutionnaire ne peut restaurer en un jour ce qui a été détruit en des années de guerre, mais qu'il est le seul à pouvoir reconstruire. Il ne dit mot de l'éventuelle convocation d'une Assemblée nationale.
Le Vorwärts ne publie pas cet appel de l'exécutif. Mais le programme gouvernemental a fait allusion au mode de scrutin pour la convocation de l'Assemblée nationale et deux articles successifs de Stampfer se prononcent dans le même sens : le gouvernement doit émaner « du peuple entier » et non pas seulement des ouvriers et des soldats [93]. Les divergences se précisent puisque, le 11, l'exécutif publie une déclaration dans laquelle il définit ses propres pouvoirs :
« Toutes les autorités communales et régionales du Reich et les autorités militaires continuent de fonctionner. Tous les ordres émanant de ces autorités seront pris au nom du conseil exécutif. » [94]
C'est une attaque contre les pouvoirs du conseil des commissaires du peuple, et en même temps une caution involontairement donnée à l'entreprise de sauvetage de l'appareil d'État qui se couvrira de l'autorité de l'exécutif des conseils pour survivre d'abord, lutter ensuite.
La question est, entre autres, de savoir si l'exécutif va pouvoir disposer d'une force de coercition. Le 12 novembre, Däumig lui soumet une résolution pour la création d'une garde rouge [95], qu'il adopte par 21 voix contre une, les social-démocrates majoritaires votant en sa faveur. La presse du lendemain publie un appel de l'exécutif qui est un début d'application :
« Nous avons besoin de votre aide. Deux mille camarades et travailleurs, socialistes formés, politiquement organisés, ayant une formation militaire, doivent entreprendre la garde de la révolution. » [96]
Les candidats sont appelés à se présenter le jour même à la maison des syndicats. Mais ils ne seront pas recrutés. L'opposition de droite réagit immédiatement, par la voix de Colin Ross. Une assemblée de délégués des conseils de soldats, réunie à la caserne du régiment de la Garde Alexandre, conspue le social-démocrate Rusch qui soutient le projet de garde rouge au nom de la défense de la révolution. Les soldats voient dans la décision d'armer des civils un geste d'hostilité à leur égard. Le représentant du régiment des fusiliers de la Garde proclame que les soldats ne sont d'aucun parti, puisqu'ils appartiennent à la patrie. L'assemblée condamne le projet de création d'une garde rouge [97]. Dans un communiqué publié à deux heures du matin, l'exécutif déclare avoir pris acte que les troupes de Berlin, qui affirment leur dévouement à la république socialiste, sont en même temps opposées à la création d'une garde rouge : il y renonce donc, « provisoirement » [98].
L'échec de l'exécutif sur cette question capitale et son prompt recul encouragent ses adversaires, qui poussent leur avantage. En fin d'après-midi du 14 novembre, une assemblée de soldats est convoquée au Reichstag sur cette question. Ebert y prend la parole, pour affirmer qu'il ne saurait être question de créer une garde rouge et que la renonciation de l'exécutif à ce projet ne saurait être que définitive :
« L'ouvrier et le soldat, le fonctionnaire et le bourgeois sont derrière le gouvernement, et nous n'avons rien à craindre. » [99]
Après lui, Wels, le nouveau commandant de la ville, lance un appel à la discipline. Aux soldats qui soulèvent le problème de la solde, les représentants du gouvernement répondent qu'ils doivent poser ce problème au comité exécutif. L'assemblée confirme l'hostilité des conseils de soldats et condamne en outre l'exécutif pour avoir, en faisant la proposition d'une garde rouge, « outrepassé ses droits ».
Le 16, le problème de la sécurité et de l'ordre public est abordé, cette fois, dans les organismes gouvernementaux. Posé par Barth en conseil de cabinet, il est discuté l'après-midi entre Ebert, Barth, des représentants de l'exécutif et les ministres intéressés. Barth déclare qu'il est nécessaire de recruter dans un délai d'une semaine 10 000 hommes, dont 3 000 pour la force de sécurité d'Eichhorn, 3 000 à mettre à la disposition du commandant de la ville et 4 000 pour garder les gares et répartir les démobilisés [100]. Le lendemain, 17 novembre, Wels annonce la création d'une « troupe de défense républicaine » qui comportera de 13 à 15 000 hommes et qui sera recrutée par appel au volontariat [101] : les volontaires affluent, mais aussi les dons provenant de milieux bourgeois, destinés à financer cette troupe chargée du maintien de l'ordre [102]. L'exécutif a subi une double défaite : le gouvernement a organisé à son propre profit la force armée qu'il lui a fait refuser, et il a porté à son prestige un rude coup. Dans les jours qui suivent, c'est en vain qu'Eichhom réclamera une augmentation de ses propres troupes : elle viendra finalement, après plusieurs semaines, les recrues provenant, comme l'avait proposé Wegmann, des listes préparées pour la garde rouge le 13 novembre [103] : à cette date, les troupes de Wels sont, de loin, la force la plus conséquente.
Le 16 novembre, Däumig porte de nouveau l'offensive dans l'exécutif sur le terrain des perspectives politiques. Constatant que la révolution a détruit le vieux système de gouvernement, mais qu'elle n'en a édifié aucun autre, il se prononce pour des mesures claires et un choix décisif entre une république « bourgeoise-démocratique » et une république « socialiste ». Protestant contre l'activité du gouvernement qui tend à échapper au contrôle de l'exécutif, nomme des secrétaires et sous-secrétaires d'État, lance des proclamations, il revendique, pour l'exécutif élu par les conseils, le pouvoir législatif et exécutif. Il présente une résolution qui condamne « les tentatives de la bourgeoisie allemande pour convoquer aussi vite que possible une Assemblée constituante » comme une entreprise pour « dépouiller les travailleurs des fruits de la révolution » et propose la convocation immédiate d'un conseil central représentatif de l'ensemble du Reich qui aura à « étudier une nouvelle Constitution conforme aux principes de la démocratie prolétarienne ». Il prévient l'exécutif qu'en soutenant le projet gouvernemental de convocation d'une Constituante il signerait du même coup son arrêt de mort et celui des conseils [104].
La motion Däumig est immédiatement combattue avec énergie par Colin Ross et par Hermann Müller. Ce dernier déclare que le point de vue de Däumig est « antidémocratique », puisqu'il vise à ériger « une dictature de classe du prolétariat contre la majorité du peuple », et précise : « Nous ne pouvons pas aller ici vers la dictature telle qu'elle existe en Russie » [105]. Il propose un amendement soulignant le caractère provisoire de l'existence des conseils et souligne que, plus vite la Constituante sera convoquée, plus vite il y aura à la tête du pays une majorité socialiste. Ces arguments ne convainquent pas tous les membres de son propre parti : c'est de justesse que la résolution Däumig est repoussée, par 12 voix contre 10, le délégué des soldats Hans Paasche et les deux délégués ouvriers social-démocrates Büchel et Julich votant en sa faveur [106]. Hermann Müller reprend alors à son compte la motion Däumig avec un additif précisant, au sujet de la Constitution future que devra adopter le conseil central :
« Cette Constitution sera soumise à une Assemblée constituante convoquée par le conseil central. » [107]
Après une discussion confuse où Barth change de position, le texte de la nouvelle résolution est adopté par 9 voix contre 7 [108]. L'exécutif a ouvert la voie de sa propre liquidation et de celle des conseils en tant qu'organes de pouvoir, et un homme comme Richard Müller, partisan du pouvoir des conseils, a voté pour leur liquidation en croyant adopter un compromis [109]. Les majoritaires exploitent sans retard la confusion. Le jour où se déroule cette discussion, Landsberg assure dans une interview que le gouvernement a déjà pris une décision sur la convocation de la Constituante [110]. Le lendemain, le Vorwärts annonce que le cabinet a déjà fixé pour les élections la date du 2 février [111]. Le 18, Freiheit proteste et dément l'information [112], visiblement au nom des ministres indépendants, mais, le 19, l'organe du parti social-démocrate indépendant doit admettre que la question de la Constituante, discutée le 17, a bel et bien été tranchée en principe, tout en maintenant qu'aucune date n'a encore été déterminée [113]. En attendant, depuis deux jours déjà, la presse social-démocrate, Vorwärts en tête, s'est lancée à fond dans la campagne pour la convocation rapide de l'Assemblée constituante.
Réalisant l'erreur qu'il a commise le 16 - Richard Müller parlera plus tard d'une prise de position « confuse » qui le « ridiculisait » [114] -, l'exécutif tente de refaire le terrain perdu en se tournant vers ses mandants, les délégués des conseils d'ouvriers et de soldats qui l'ont désigné le 10, et qu'il convoque de nouveau pour le 18 novembre au cirque Busch.
Devant l'assemblée, Richard Müller présente un rapport d'activité de l'exécutif et s'efforce de présenter sa résolution du 16 en mettant l'accent sur le rôle des conseils et les dangers que présenterait une convocation trop rapide de la Constituante :
« Si nous convoquions maintenant l'Assemblée constituante, cela constituerait l'arrêt de mort des conseils d'ouvriers et de soldats. Ils s'élimineraient d'eux-mêmes. Et cela, ils ne doivent pas le faire. Nous devons assurer notre pouvoir, si besoin est, par la violence. Quiconque est partisan de l'Assemblée nationale nous impose le combat. Je le dis nettement : j'ai risqué ma vie pour la révolution et je suis prêt à recommencer. L'Assemblée nationale est le chemin vers le règne de la bourgeoisie, le chemin vers le combat ; le chemin vers l'Assemblée nationale passe sur mon cadavre. En l'affirmant, je sais qu'une partie des membres de l'exécutif pense comme moi, et aussi tous les travailleurs qui ont pris part à la préparation de la révolution, et je ne doute pas d'avoir à mes côtés la majorité des travailleurs. » [115]
Hermann Müller intervient de façon rassurante : les social démocrates majoritaires veulent, eux aussi, une république sociale mais la question ne peut être réglée dans une telle assemblée, puisqu'aucun des deux partis ouvriers n'a rejeté le principe de la convocation de la Constituante. Celle-ci ne lui fait pas peur : il a, pour sa part, confiance dans le peuple allemand et dans la volonté qu'il exprimera par ses votes [116]. Haase dit que les conquêtes révolutionnaires n'ont rien à redouter du suffrage universel dans un pays où les prolétaires constituent la majorité et, faisant allusion à la Russie, met en garde contre les conceptions «fausses » résultant d'« exemples étrangers » [117]. Le social-démocrate Kaliski dit qu'une révolution sans démocratie ouvrirait la voie à une nouvelle guerre [118]. Ledebour répond que le prolétariat, qui détient actuellement le pouvoir, ne doit pas courir le moindre risque de le perdre. Il s'élève contre l'idée selon laquelle une démocratie véritable serait réalisable sous un système capitaliste : il faut d'abord abattre les fondements du capitalisme [119]. Liebknecht se défend énergiquement d'être un adversaire de l'« unité », comme l'en accusent ses adversaires : il est pour l'unité dans la clarté et répond à la question : « Que voulons-nous ? » Il appelle à s'unir ceux qui veulent poursuivre la révolution, édifier le socialisme, car la contre-révolution, puissante et armée, est en marche. Il appelle les travailleurs à défendre leur pouvoir, à avoir conscience que les « traîtres » sont à l'ouvrage parmi eux, et à ne jamais oublier que l'émancipation de la classe ouvrière ne pourra résulter que de sa propre action. Il est particulièrement applaudi lorsqu'il insiste sur la nécessité de positions claires, critique à peine voilée de la confusion de l'exécutif [120].
Un certain nombre de délégués interviennent en outre pour attaquer un autre point du rapport d'activité présenté par Richard Müller. Le 15 novembre, en effet, Müller et Molkenbuhr, en tant que coprésidents, ont signé une déclaration par laquelle ils confient aux organisations syndicales la représentation des intérêts économiques des travailleurs [121]. Le jour même, la commission locale des syndicats de Berlin, que dirige le majoritaire Körsten, a décidé la dissolution dans les entreprises de tous les comités d'action et leur réélection [122], initiative qui favorise le patronat en lutte contre les tentatives des comités ouvriers d'exercer sur ses activités un contrôle dont il ne veut pas plus que les dirigeants syndicaux [123]. Plusieurs délégués d'usine reprochent à l'exécutif d'avoir ainsi remis le monopole de la représentation des travailleurs à ceux-là mêmes qui « pendant quatre ans les ont trahis » [124]. Et Richard Müller doit promettre que la question sera revue [125].
Sa réponse, conclusion du débat, est toute axée sur les critiques venues de la gauche :
« Tant que je siégerai dans l'exécutif, je lutterai pour que la Constituante, l'Assemblée nationale, ne vienne que lorsqu'il n'y aura plus aucun danger pour les conquêtes de la révolution. (... ) Vous savez ce que nous voulons à l'exécutif et nous veillerons à ce que les conquêtes de la révolution ne soient pas perdues. Quand le camarade Haase a déclaré que le gouvernement devait aller de l'avant (...) comptez que nous, exécutif, nous le pousserons en avant et, comme l'ont montré les derniers temps, nous comprenons très bien comment le pousser. » [126]
En définitive, la résolution du 16 n'est pas soumise au vote de l'assemblée, mais renvoyée à l'exécutif avec d'autres textes. Elle ne sera même pas publiée, le gouvernement ayant interdit à l'agence télégraphique Wolff de la diffuser [127]. Rendant compte de l'assemblée du cirque Busch, le Berliner Tageblatt résume le problème posé :
« En même temps que la question de l'Assemblée constituante se pose celle, qu'il faut trancher, de savoir qui gouverne en Allemagne. (...) L'autorité suprême est-elle entre les mains du gouvernement ou bien entre les mains des conseils d'ouvriers et de Soldats ? » [128]
Si la presse bourgeoise et social-démocrate pose ainsi le problème, c'est que la bourgeoisie commence à sentir qu'elle a la force de le régler dans un sens favorable à son pouvoir, c'est-à-dire au gouvernement. Condamné à livrer en désordre une bataille défensive, l'exécutif recule pas à pas, chassé jour après jour de ses positions. Le 18, à la chancellerie, se tient une session commune des deux conseils [129]. Ebert s'en prend d'emblée aux exigences de l'exécutif et à ses empiètements sur l'autorité du gouvernement, alors qu'il n'est, selon lui, qu'un organe berlinois, ce qui provoque des protestations, même de la part des membres social-démocrates de l'exécutif. Dittmann propose l'élection rapide du conseil central pour toute l'Allemagne [130]. Le majoritaire Landsberg admet que le conseil des commissaires du peuple et le cabinet tiennent leur autorité de l'exécutif des conseils qui les a nommés et peut les révoquer, mais il soutient qu'il ne peut se permettre aucune ingérence dans le domaine du pouvoir exécutif sous peine de constituer alors un « contre-gouvernement », qui aboutirait à l'anarchie [131]. Däumig proteste contre la conception « absolutiste » qui est celle des défenseurs du cabinet, et revendique des pouvoirs de contrôle effectif pour l'exécutif [132]. Au sujet de l'Assemblée nationale, Ebert dément qu'une date ait été fixée pour sa convocation [133]. Les ministres indépendants se dépensent pour un compromis : finalement, une commission est désignée, qui aura pour charge de délimiter les compétences des deux organismes sur la base d'un accord constant que les décisions unanimes du conseil des commissaires du peuple sont immédiatement applicables et que l'intervention du comité exécutif n'est possible qu'en cas de désaccord [134]. Le 23 novembre, résultat des travaux de la commission, une déclaration de l'exécutif précise le nouvel ordre constitutionnel pour la « période initiale de transition » : le pouvoir appartient aux conseils d'ouvriers et de soldats dont les fonctions pour le Reich sont assurées par l'exécutif de Berlin jusqu'à l'élection d'un conseil central pour l'ensemble du pays, mais le pouvoir exécutif est délégué au conseil des commissaires du peuple [135].
Le 23 novembre, l'exécutif s'élargit donc à des représentants des différentes régions et des armées, et compte vingt-cinq membres nouveaux, en majorité social-démocrates majoritaires, comme le jeune Kurt Schumacher, qui représente les mutilés de guerre, mais comprenant aussi quelques révolutionnaires, comme le marin de Cuxhaven Karl Baier et le soldat von Lojewski, de Spandau, que rejoindra bientôt le Saxon Fritz Heckert, participant épisodique [136]. Mais l'initiative vient trop tard : la presse social-démocrate et bourgeoise a su déjà exploiter contre l'exécutif berlinois l'hostilité à la capitale toujours latente ; elle suggère qu'il aspire à la dictature et cherche à se dresser contre le suffrage universel [137] : les thèmes déjà exploités avec succès contre la Commune de Paris réapparaissent. On fait feu de tout bois contre l'exécutif [138]. On dit que l'Entente ne le reconnaît pas et qu'accréditer son autorité implique le risque d'une rupture de l'armistice [139]. L'agence de presse gouvernementale parle de 800 millions de marks dépensés pour les conseils ouvriers, et cette somme devient 1800 millions dépensés par l'exécutif [140]. La presse, en revanche, ne fait aucun écho au rapport du trésorier Max Maynz [141].
La conférence du Reich des ministres-présidents se prononce, le 25 novembre, pour la convocation de l'Assemblée nationale [142]. Le conseil des commissaires du peuple, après bien des marchandages entre majoritaires et indépendants, fixe au 16 février 1919 la date des élections à l'Assemblée [143], cependant que l'exécutif décide le 23 novembre de convoquer à Berlin pour le 16 décembre l'ensemble des délégués des conseils du Reich [144]. La préparation de ce congrès coïncide avec un redoublement de la campagne de presse contre l'exécutif berlinois et ses dirigeants radicaux : le Vorwärts se déchaîne contre « Leichenmüller », « Müller-le-cadavre », « le cadavre ambulant » - allusions au discours de Richard Müller le 18 novembre - ou encore contre « Richard I° » et les « junkers de l'autre bord » [145]. Rien d'étonnant à ce que le putsch tenté le 6 décembre par des éléments monarchistes et dirigé ouvertement contre le conseil exécutif reprenne l'argument antisémite classique en qualifiant de « synagogue » son quartier-général du Landtag prussien.
A la veille du congrès des conseils qui doit élire un nouveau conseil central et trancher finalement de la question du pouvoir des conseils, le conseil exécutif de Berlin est déjà depuis longtemps vaincu. Le conseil des commissaires du peuple peut se permettre de refouler à la frontière les Russes qu'il a invités, Boukharine, Joffé, Racovski, Ignatov et Radek, représentants du congrès pan-russe des soviets [146]. Rosa Luxemburg, d'une plume féroce, va rédiger l'épitaphe de cet organisme révolutionnaire qu'elle appelle « le sarcophage de la révolution » et dont elle écrit qu'il est « la cinquième roue de la charrette de la clique gouvernementale cryptocapitaliste » :
« Il est clair que c'était dans le conseil exécutif, dans les conseils d'ouvriers et de soldats, que les masses devaient se retrouver. Or leur organe, l'organe de la révolution prolétarienne, est réduit à un état d'impuissance totale ; le pouvoir lui a glissé des mains pour passer dans celles de la bourgeoisie. Aucun organe de pouvoir politique ne laisse de son plein gré échapper le pouvoir, à moins d'avoir commis quelque faute. Ce sont la passivité et même l'indolence du conseil exécutif qui ont rendu possible le jeu d'Ebert-Scheidemann. » [147]
Le verdict est sévère, mais personne ne le contestera. Le « soviet de Petrograd » de la révolution allemande est définitivement battu, et son président, Richard Müller, l'enterrera lui-même à sa manière en le qualifiant de « Mädchen für alles » « bonne à tout faire » de la révolution [148].
Le congrès des conseils d'ouvriers et de soldats traduit l'ampleur de l'échec politique essuyé par les révolutionnaires en six semaines. Y prennent part 489 délégués, 405 envoyés par des conseils d'ouvriers, 84 par des conseils de soldats [149]. Sur le total, il y a seulement 179 ouvriers et employés, contre 71 intellectuels et 164 « professionnels », journalistes, députés, permanents du parti ou des syndicats [150] : les représentants de l'appareil l'emportent largement sur ceux des ouvriers des entreprises. Les social-démocrates détiennent la majorité absolue avec 288 délégués, contre 90 aux indépendants - dont 10 spartakistes seulement ; les plus connus sont Heckert et Léviné -, 11 « révolutionnaires unis » autour du Hambourgeois Laufenberg, 25 démocrates et 75 sans-parti [151]. La majorité est d'avance acquise aux propositions d'Ebert. Le jour de l'ouverture, le Vorwärts, traçant la perspective de la convocation de l'Assemblée constituante, peut se permettre d'ironiser aux dépens des spartakistes et de leur demander si, conformément à leur revendication du pouvoir pour les conseils, ils vont accepter la décision des conseils de se dessaisir du pouvoir [152].
Ni Karl Liebknecht, ni Rosa Luxemburg ne sont délégués à Berlin, l'éligibilité a été réservée à ceux qui figurent sur les listes des personnes travaillant dans les entreprises ou sur les effectifs militaires. Une proposition du présidium de les inviter avec voix consultative est repoussée d'emblée sans débat [153] ; reprise quelques heures plus tard par un délégué wurtembergeois, elle sera repoussée après de vifs incidents [154], Il ne reste plus aux spartakistes qu'à tenter d'agir sur le congrès de l'extérieur, ce qu'ils avaient prévu, qu'ils ont fait dès l'ouverture et qu'ils recommenceront, en organisant manifestations et délégations de manifestants.
En accord avec les délégués révolutionnaires, ils organisent lors de l'ouverture du congrès un gigantesque meeting suivi d'un défilé et de l'envoi d'une délégation au nom des 250 000 travailleurs berlinois réunis à leur appel. Reçu dans la salle, le délégué révolutionnaire Paul Weyer lit les revendications des manifestants : proclamation d'une république socialiste unitaire, le pouvoir aux conseils d'ouvriers et de soldats, exercice du pouvoir gouvernemental par un exécutif élu par le conseil central, révocation du conseil des commissaires du peuple d'Ebert, mesures d'épuration et de désarmement des contre-révolutionnaires, armement du prolétariat, appel aux prolétaires du monde entier à construire leurs conseils pour réaliser les tâches de la révolution mondiale [155]. Mais le congrès reste impavide. Le président de séance, Leinert, déclare qu'il a pris connaissance des revendications posées et qu'il en tiendra éventuellement compte dans ses décisions ; tandis que la foule des manifestants poursuit sa marche dans les rues de Berlin, Richard Müller reprend le rapportinterrompu par l'arrivée de la délégation. Le 18 décembre, c'est également à l'initiative des spartakistes qu'une délégation de soldats appartenant à dix-sept unités viendra, sous la direction de Dorrenbach, énumérer ses revendications concernant l'armée et la discipline : l'accueil est cette fois franchement hostile et la majorité menace de quitter la salle des séances [156]. Le 18 aura lieu une nouvelle manifestation, de grévistes berlinois cette fois [157]. Malgré les foules qu'ils peuvent rassembler, les spartakistes et leurs alliés des délégués révolutionnaires ne parviennent pas à organiser ces « journées » qui - selon le modèle de la Révolution française auquel ils ont peut-être songé - auraient pu influencer une assemblée hésitante ou réticente. Car les jeux sont faits et le premier congrès des conseils se déroulera à peu près comme l'avaient prévu Ebert et ses amis.
La seule surprise se produit en fait sur le difficile problème des revendications des soldats, que veulent imposer leurs délégués, social-démocrates compris, alors qu'Ebert s'est secrètement engagé auprès de l'état-major à ne pas laisser aborder ces questions au congrès. L'adoption des « sept points de Hambourg » - qui est pourtant un compromis proposé par le social-démocrate Lampl - sera à l'origine des menaces proférées par l'état-major contre le gouvernement et, finalement, de la grande crise de décembre, ouverte les semaines précédentes par la décomposition de l'armée [158].
Pour le reste, et en particulier pour la question de la nature du pouvoir, des conseils et de l'Assemblée constituante, les débats du congrès revêtent un caractère académique, pour ne pas dire parlementaire. Max Cohen-Reuss défend la thèse de la convocation rapide de la Constituante élue au suffrage universel : ce mode d'élection constitue, selon lui, une grande victoire du socialisme, puisque c'est en vain qu'il est revendiqué en Allemagne depuis bien avant le programme d'Erfurt. Les socialistes en ont besoin, car il leur faut, face à une bourgeoisie forte, un pouvoir central incontestable, et, face à l'Entente, un gouvernement issu d'élections libres. Cohen ne doute pas du résultat des élections : c'est parce que la Constituante aura une majorité socialiste que son élection constitue la voie la plus courte vers l'établissement du régime socialiste en Allemagne. Les social-démocrates sont décidés à empêcher que leur « univers socialiste pur, clair et bon » soit « saboté et discrédité par les déformations bolcheviques ». Le socialisme, selon lui, sera réalisé par un gouvernement socialiste élu par le peuple entier. Les conseils, en convoquant la Constituante, mettront fin à leur mission extraordinaire et pourront alors prendre leur place naturelle dans la vie sociale en jouant un rôle important dans la production [159].
Daümig présente le contre-rapport. Il souligne que l'adoption du texte de Cohen signifierait l'arrêt de mort des conseils. Rappelant leur apparition et leur développement en Russie puis en Allemagne, il déclare qu'ils constituent « la forme d'organisation de la révolution moderne », la forme prolétarienne de la démocratie. Les majoritaires cherchent par tous les moyens à les détruire et les présentent comme un véritable épouvantail en en faisant des synonymes de dictature. Mais l'expérience russe ne se renouvellera pas forcément en Allemagne, puisque la dictature des conseils y sera forcément, à la différence de la Russie rurale, celle de la majorité ouvrière. Au socialisme par le haut, prôné par Cohen, Däumig oppose le socialisme par la base, né de l'activité ouvrière dans les entreprises, et termine par un acte de foi en le système des conseils qui s'imposera, selon lui, tôt ou tard [160].
Le débat n'apporte aucun argument nouveau. Le seul problème réellement controversé est celui de la date de la convocation de la Constituante, que les indépendants voudraient reculer le plus possible afin que les socialistes aient, disent-ils, le temps d'« éclairer les masses » encore sous l'emprise de l'idéologie bourgeoise. Finalement, trois motions s'affrontent. Une motion Geyer-Laufenberg propose la date du 16 mars et obtient 50 voix. Une motion Ebert-Haase, qui résulte du compromis conclu au conseil des commissaires du peuple, en obtient à peine plus. C'est la proposition de Max Cohen de fixer la date au 19 janvier qui est adoptée, par 400 voix contre 50 [161]. La moitié environ des délégués indépendants ont suivi Haase et voté pour, cependant que les autres se rangeaient dans l'opposition avec Ledebour, Däumig et autres Richard Müller. Le lendemain, une motion de Däumig affirmant que les conseils demeuraient la base de l'autorité suprême en matière législative et exécutive, et qu'un deuxième congrès était nécessaire avant l'adoption d'une nouvelle Constitution, est repoussée par 344 voix contre 98 [162].
Le congrès des conseils s'affirmait décidément tout-à-fait opposé au « pouvoir des conseils » et Däumig pouvait à bon droit le qualifier sarcastiquement de « club du suicide » [163]. Les majoritaires d'Ebert, après avoir remporté une éclatante victoire sur le terrain même de leurs adversaires, la complétaient en votant l'amendement Lündeman qui confisquait au profit des seuls commissaires du peuple l'autorité dévolue en principe au conseil central [164]. Instruits par l'expérience, Richard Müller et les autres animateurs des délégués révolutionnaires réussissent à persuader la majorité des délégués indépendants qu'il faut désormais boycotter ce conseil central sans pouvoir [165] : le pouvoir soviétique n'était plus que dérision à partir du moment où il s'incarnait en des hommes qui s'en déclaraient des adversaires déterminés.
Dans toute l'Allemagne, les révolutionnaires organisent meetings, manifestations, votent résolutions et protestations contre la décision du congrès des conseils. Le 21 décembre, à Berlin, Pieck, Liebknecht, Duncker, Paul Scholze, représentant des délégués révolutionnaires, appellent à la lutte contre ses décisions, au combat implacable contre le gouvernement Ebert-Scheidemann [166]. La question n'est pourtant pas posée, et encore moins réglée, de savoir si la lutte doit continuer à long terme par la réélection des conseils et la conquête de la majorité dans leur sein, ou si les révolutionnaires doivent désormais poursuivre le combat engagé plus d'un mois auparavant contre la convocation de l'Assemblée constituante en passant par-dessus la tête des conseils réels - en d'autres termes lutter dans l'immédiat pour un pouvoir des conseils dont les conseils ne veulent pas.
Cette question allait dominer la vie politique de l'Allemagne jusqu'aux élections et les divergences qu'elle allait provoquer marquer à long terme de leur empreinte l'ensemble du mouvement communiste allemand.
Notes
[1] Les tenants de cette thèse s'appuient notamment sur les conseils de Munich, plus favorables à leur démonstration.
[2] W. Kleen, « Über die Rolle der Râte in der Novemberrevolution », ZtG, 1956, n° 2, pp. 326-330.
[3] Tormin, op. cit., p. 59.
[4] Kolb, op. cit., pp. 83 et 92.
[5] Ibidem, p. 92.
[6] Ibidem.
[7] Ibidem, pp. 91-92.
[8] Ibidem, p. 96.
[9] Ill. Gesch., p. 381.
[10] Drabkin, op. cit., p. 159, n° 2 .
[11] Kolb, op. cit., pp. 94-95.
[12] Ibidem, p. 94.
[13] Ibidem, p. 95-96.
[14] Ibidem, p. 94.
[15] Kolb, op. cit., p. 95.
[16] Ibidem, pp. 95-96,
[17] Marion Einhorn, « Zut Rolle der Räte im. November und Dezember 1918 », ZfG, 1956, n° 3, p. 548; sur Hambourg, Comfort, Revolutionary Hamburg, p. 46. La mesure sera rapportée peu après, Ibidem, p. 48.
[18] Ill. Gesch. II, p. 195.
[19] Vossische Zeitung, 4 décembre.
[20] Ill. Gesch. II, p. 193,
[21] Ibidem, p. 195.
[22] Ibidem, p. 196.
[23] Ibidem, p. 198.
[24] H. Œckel, Die revolutionäre Volkswehr 1918-1919.
[25] M. Einhorn, op. cit., p. 549.
[26] Vorwärts und..., p. 48.
[27] Kolb, op. cit., p. 295, et Comfort, op. cit., p. 53.
[28] Ill. Gesch., p. 239.
[29] Vorwärts und..., p. 368.
[30] Kolb, op. cit., p. 294.
[31] Ill. Gesch., Il, p. 196.
[32] Ibidem, p. 194.
[33] Ibidem, p. 196.
[34] Ibidem, p. 198.
[35] Hermann Müller, op. cit., pp. 141-142.
[36] Kreuz-Zeitung, 11 novembre 1918, et, pour un commentaire de cette affaire, Drabkin, dans Noiabr'skaja Revoliucija v Germanii, pp 374-376.
[37] Le texte intégral de cette lettre datée jdu 11 novembre et adressée à Thalheimer a été publié pour la première fois par Drabkin dans l'ouvrage collectif mentionné dans la note précédente, pp. 377-378.
[38] Keil, Erlebnisse, II, p. 107.
[39] Nous avons déjà vu (note 3) le cas de Cologne, où le bourgmestre Konrad Adenauer joue un rôle important comme président du Wobttartausschuss; à Breslau, sur 100 élus au conseil, 34 appartiennent à des partis bourgeois. (Drabkin, op. cit., p. 226.)
[40] J.W. Wheeler-Bennett, The Nemesis ot Power, p. 26.
[41] Drabkin, op. cit., p. 225. A Bonn, le conseil d'ouvriers et de soldats fusionnera avec celui des citoyens (Kölnische Zeitung, 12 novembre 1918 (éd. du soir).
[42] Kölnische Zeitung, 12 novembre 1918 (éd. du matin).
[43] Drabkin, op. cit., p. 224.
[44] Deutsche Zeitung, 13 novembre 1918.
[45] Vorwärts, 13 novembre 1918.
[46] Ibidem, pp. 293-296.
[47] Kolb, op. cit., pp. 157 sq.
[48] Die Rote Fahne, 20 novembre 1918.
[49] Der Gründungsparteitag der K.D.P., Protokoll u. Materialen, p. 183.
[50] Texte dans Dok. u. Mat., II/2, pp. 403-404.
[51] Der Gründutigsparteitag..., p. 99.
[52] Comfort, Revolutionary Hamburg, p. 47.
[53] Ibidem, p. 52.
[54] Ibidem, p. 53.
[55] « Discours sur le Programme », Der Gründungsparteitag, p. 184.
[56] H. Müller op. cit., p. 142.
[57] H. Müller, op. cit., p. 219.
[58] Badia, op. cit., I, p. 119.
[59] Voir à ce sujet Lothar Berthold et Helmut Neef, Militarismus und Opportunismus gegen die Novemberrevolution, et ses commentaires, pp. 23-24, sur la conversation téléphonique rapportée par E.O. Volkmann.
[60] Dok. u. Mat., II/2, p. 357.
[61] Groener, Lebenserinnerungen, p. 467.
[62] Vorwärts, 10 novembre 1918.
[63] Vorwärts, 14 novembre 1918.
[64] Vorwärts, 15 novembre 1918.
[65] Kolb op. cit., p. 122.
[66] Ibidem, p. 123.
[67] Dok. u. Mat., II/2, pp. 365-366.
[68] Texte dans Dok. u. Mat., II/2, pp. 393-396.
[69] Leibrock, Die Volkswirtschaltliche Bedeutung der deutscben Arbeitergeberverbände, p. 65, cité par Badia, op. cit., p. 114.
[70] Drabkin, op. cit., p. 313, qui a eu accès aux archives de la commission, énumère ses membres, Kautsky, Hilferding, Cunow, les syndicalistes Hué et Umbreit, des universitaires et le patron de l'électricité Walter Rathenau.
[71] Voir chap. X.
[72] Drabkin, op. cit., p. 482, mentionne notamment la série de brochures Antispartakus tirées entre 10 000 et 100 000 exemplaires chacune.
[73] Ibidem, p. 482. Drabkin signale (ibidem, n° 11) l'emploi par Stadtler du terme de « national-socialisme » parmi ses objectifs.
[74] Kolb, op. cit., p. 183.
[75] Henry Egon Friedlander, « Conflict of Revolutionary Authority : Provisional Government Berlin Soviet, November-December 1918 », International Review of Social History, VII, 1962, n' 2, pp. 163-176. Une autre étude d'ensemble, par l'historien soviétique S. 1. Lenzner, « Ispolnitel'nii Komitet Berlinskikh Rabotchikh i Soldatchikh Sovetov (10 nojabrja. 16 dekabrja 1918 g.) », dans Nojabr'skaja Revoljutsija v Germanii, pp. 98139, date de 1960.
[76] Allgemeine Kongress der Arbeiter - und Soldatenräte Deutschlands von 16. bis 21. Dezember 1918, col. 149.
[77] H. Müller, op. Cit., p. 104,
[78] Friedlander, op. Cit., p. 173.
[79] Les délégués indépendants des ouvriers sont Barth, Ledebour, Däumig, Eckert, Neuendorf, Wegmann, Richard Müller (Lenzner, op. Cit., p. 101); les délégués « majoritaires » des ouvriers sont Hermann Müller, Buchel, Hirt, Heller, Julich, Maynz et Oskar Rusch. Les délégués des soldats sont von Beerfelde, Molkenbuhr, Gerhardt, Paasche, Waltz, Bergmann, Portner, Strobel, Lidtke, Hertel, Lemper, Köller, Eckmann et Guntzel (op. cit., p. 102).
[80] H. Müller, op. cit., p. 92. Von Beerfelde aurait notamment voulu faire arrêter le ministre de la guerre.
[81] H. Müller, op. cit., p. 91.
[82] Brandt Lowenthal, op. cit., p. 120.
[83] Il quitte le S.P.D. pour adhérer à l'U.S.P.D. après le congrès des conseils (Der Zentralrat..., p. 44).
[84] H. Müller, op. cit., p. 99.
[85] Ibidem, pp. 92-93, 97-98; R. Müller, t. II, pp. 53, 154-156.
[86] H. Müller, op. cit., pp. 96-97; R. Coper, Failure of a Revolution, p. 114, dit que Colin Ross fut « un espion de grande classe », « bien reçu dans tous les milieux ».
[87] H. Müller op. cit., p. 97 ; l'article, intitulé « An das deutsche Volk von Gelehrten bis zum Arbeiter », parut dans Deutscher Tageszeitung le 13 décembre 1918.
[88] H. Müller, op. cit., p. 93.
[89] Ibidem, pp. 93-97; Freiheit, et Vorwärts, 29 novembre; Die Rote Fahne, 30 novembre 1918.
[90] Friedlander, op. cit., p. 174.
[91] H. Müller, op. cit., p. 111.
[92] Vossische Zeitung, 11 novembre 1918.
[93] Vorwärts, 13 et 14 novembre 1918.
[94] Vossische Zeitung, 12 novembre 1918.
[95] H. Müller, op. cit., p. 128 ; R. Müller, op. cit., pp. 82 sq.
[96] Deutsche Tageszeitung, 13 novembre 1918.
[97] 8 Uhr-Abendblatt, 13 novembre 1918, Coper, op. cit., p. 114.
[98] Vossische Zeitung, 14 novembre 1918.
[99] Berliner Likalanzeiger, 15 novembre 1918.
[100] Drabkin, op. cit., p. 233.
[101] Ibidem; Vorwärts, 18 novembre 1918; Dok. u. Mat., II/2, p. 415,
[102] Drabkin, op. cit., p. 233.
[103] Ibidem, p. 234.
[104] I.M.L.-Z.P.A., n° II/1, f. 10 sq., cité par Drabkin, p. 237; R. Müller, Vom Kaiserreich, II, pp. 82 sq., op. cit., pp. 127-128.
[105] I.M.L.-Z.P.A., n° II/1, ff. 14, 31, cité par Drabkin, op. cit., p. 239.
[106] Ibidem, f. 32, cité par Drabkin, op. cit., p. 240.
[107] H. Müller, op. cit., p. 128.
[108] I.M.L.-Z.P.A., n° II/1, f. 32, cité par Drabkin, op. cit., p. 240.
[109] Drabkin, op. cit., p. 241.
[110] Vossische Zeitung, 16 novembre 1918.
[111] Vorwärts, 17 novembre 1918.
[112] Freiheit, 18 novembre 1918.
[113] Freiheit, 19 novembre 1918.
[114] R. Müller, Vom Kaiserreich, Il, p. 83.
[115] I.M.L.-Z.P.A., n° II/1, « Protokolle der Versammlungen der Arbeiter - und Soldatenräte Gross-Berlin », vol. 1, f. 11. Ce compte-rendu est abondamment cité par Drabkin, op. cit., pp. 241-244, extraits complétant le compte rendu paru dans le Vorwärts du 20 novembre 1918.
[116] Vorwärts, 20 novembre 1918.
[117] Ibidem et Drabkin, p. 243.
[118] Drabkin, op. cit., p. 243.
[119] Vorwärts, 20 novembre 1918.
[120] Drabkin, op. cit., pp. 243-244.
[121] Ibidem, pp. 235-236.
[122] Dok. u. Mat., II/2, pp. 401-401.
[123] Drabkin, op. cit., p. 236.
[124] Ibidem, pp. 236-237.
[125] Ibidem, pp. 237.
[126] I.M.L.-Z.P.A., n' II/1 « Protokolle... », p. 44, cité par Drabkin, op. cit., p. 244,
[127] Ibidem, p. 244.
[128] Berliner Tageblatt, 19 novembre 1918.
[129] Kolb, op. cit., p. 134 et Drabkin, op. cit., pp. 245-249 ; celui-ci résume le compte rendu officiel qui se trouve aux archives centrales du Reich à Potsdam (Reichskanzlei, n° 2482, ff. 28 sq.).
[130] Drabkin, op. cit., p. 246.
[131] Ibidem, pp. 246-247.
[132] Ibidem, p. 247.
[133] Ibidem.
[134] Ibidem.
[135] Dok. u. Mat., II/2, p. 459.
[136] H. Müller, op. cit., pp. 105-106.
[137] Friedlander, op. cit., p. 168.
[138] Voir le chap. VII de Kolb, op. cit., « Die Diskreditierung der Arbeiterräte durch die Presse ».
[139] Friedlander, op. cit., p. 168,
[140] Ibidem, et Kolb, op. cit., p. 191.
[141] Friedlander, op. cit., p. 169.
[142] Kolb, op. cit., p. 132.
[143] Ibidem, p. 133.
[144] Dok. u. Mat., II/2, pp. 462-464.
[145] Voir notamment « Der lebende Leichnarn », Vorwärts, 5 décembre et « Richard I. Wilhelms Ersatz », Ibidem, 18 décembre 1918.
[146] Brandt et Lowenthal, op. cit., p. 112 ; Scheidemann, Der Zusammenbruch, p. 227.
[147] Die Rote Fahne, 11 décembre 1918.
[148] Cité par H. Müller, op. cit., p. 111.
[149] Allgemeine Kongress der Arbeiter und Soldatenräte Deutschlands vom 16. bis 21. dezember 1918, pp. 198 sq. Ill. Gesch., p. 249.
[150] Ibidem, p. 250.
[151] Ibidem, pp. 249-250.
[152] Vorwärts, 16 décembre 1918 ; Dok. u. Mat., II/2, p. 621.
[153] Allgemeine Kongress, col. 12.
[154] Ibidem, col. 53-58.
[155] Allgemeine Kongress., col. 19 sq.
[156] Ibidem, col. 123 sq.
[157] Ibidem, col. 144 sq.
[158] Voir chap. XII.
[159] Allgemeine Kongress, col. 209 sq.
[160] Ibidem, col. 226 sq.
[161] Ibidem, col. 226 sq.
[162] Allgemeine Kongress., col. 300.
[163] Ibidem, col. 227.
[164] Ibidem, col. 292.
[165] R. Müller, op. cit., II, p. 223; Prager, op. cit., p. 185; Freiheit, 22 décembre 1918.
[166] Comptes rendus dans Die Rote Fahne, 22 décembre 1918.