1998

(...) Ce livre est à propos de ma vie, à propos du passé, mais j’espère qu’il sera aussi une arme dans la longue lutte pour l’avenir.

 

Tony Cliff

Un monde à gagner

Les reculs

1998

D’un radieux printemps à un hiver glacial

Les années 1970-1974 ont été les plus belles de ma vie. Comme nous venons de le voir, la classe ouvrière remportait alors d’éclatantes victoires : deux grèves des mineurs victorieuses – la première, en 1972, nous débarrassa de la politique des revenus conservatrice, la seconde, en 1974, nous débarrassa des conservateurs ; les cinq dockers de Pentonville avaient été libérés à la suite de la grève nationale des docks ; la grève des travailleurs de Fleet Street ; et une grève massive dans l’industrie mécanique, se transformant presque en grève générale. Les 8.000 travailleurs occupant UCS remportèrent une victoire glorieuse, suivie par quelque 200 autres occupations d’usines. IS s’était bien comporté. Notre croissance était impressionnante. Beaucoup de nos camarades étaient shop stewards, et autour de nos militants se rassemblait un nombre bien plus grand de travailleurs, organisés en groupes de base.

Pourtant, après tout cela l’offensive ouvrière se transforma en une retraite que nous appelâmes « un déclin de la lutte des classes ». Pour comprendre l’effondrement de l’activisme, il faut prendre en considération des facteurs économiques et politiques, et assimiler la relation dialectique entre les deux éléments.

En 1964, la « Déclaration d’intention sur la production, les prix et les revenus » d’Harold Wilson n’avait pas pu étouffer l’activité montante. Ted Heath, durant son passage aux affaires de 1970 à 1974, avait essayé sans succès d’imposer la politique des revenus. Et là c’était la même chose, pendant le terme de Wilson commencé en 1974, qui allait être introduite volontairement au moyen du Contrat Social, avec la bénédiction des dirigeants syndicaux.

Le Contrat Social était fortement soutenu par les dirigeants de gauche des syndicats, Hugh Scanlon du syndicat des mécaniciens et Jack Jones de la TGWU. Inscrit au programme pré-électoral du Parti Travailliste de 1973, ce « Contrat Social avancé entre les travailleurs et le gouvernement » était planifié de telle sorte qu’il pouvait être renouvelé tous les ans lorsque des circonstances ou des opportunités nouvelles se présenteraient. Ce que Heath n’était pas parvenu à faire par une politique agressive, Wilson et Callaghan espéraient le réaliser avec leur approche veloutée.

Ainsi, lorsqu’en octobre 1974 le Labour remporta la deuxième élection générale de l’année, la politique de Heath, qui avait été d’affronter les syndicats, fut remplacée par la nouvelle stratégie, qui comportait un certain nombre de concessions aux syndicats. Pour faciliter la collaboration avec les syndicats, Harold Wilson prit dans son gouvernement des hommes qui avaient une réputation de gauche : Michael Foot, Tony Benn et Eric Heffer. Les mineurs gagnèrent leur revendication salariale. De façon générale, les salaires s’élevèrent de 16% pendant la première année du gouvernement Wilson, alors que les prix montaient de 8%.

Michael Foot, ministre du travail, entreprit d’abroger la plupart des articles de la Loi sur les Relations Industrielles des conservateurs en réaction à une grève de tous les membres d’AEU contre la saisie judiciaire de leurs actifs. Le « crime » d’AEU avait été de soutenir la grève de la petite entreprise de mécanique Con Mech, dans le Surrey.

Les travailleurs continuant à se battre contre les fermetures et les licenciements, Tony Benn, ministre de l’industrie, promit une aide aux coopératives de travailleurs de Triumph Meriden, KME à Kirby, et du Scottish Daily News.

En juillet 1975, Healey imposa la première étape de la politique de contrôle des salaires du Labour, et introduisit des limites aux dépenses publiques. C’était la première manifestation de ce qu’on allait plus tard appeler le thatcherisme. Puis, le 1er août 1976, vint la deuxième étape : une augmentation des salaires de 4,5% alors que l’inflation était de 16,5%, débouchant sur une baisse sérieuse des salaires réels. Pas un seul dirigeant syndical ne s’y opposa.

Par la suite, il devint clair qu’il y avait des limites à ce que la base pouvait endurer. A la troisième étape, des conférences syndicales cruciales – celles des mécaniciens, de TGWU, NUM et bien d’autres – décidèrent de s’opposer à une troisième année de modération salariale. A partir de l’été 1977, le gouvernement fut contraint de lui-même à adoucir cette phase. Malgré tout, les dirigeants syndicaux poursuivaient leur collaboration tacite. Un seul syndicat résista à la troisième étape au moyen de la grève – celui des pompiers, qui engagea, en novembre 1977, un conflit de huit semaines pour une revendication d’augmentation salariale de 30%. Le gouvernement travailliste mobilisa contre eux toutes ses forces, allant jusqu’à faire usage des troupes. Malgré un vaste soutien public, les pompiers connurent la défaite. Quand le gouvernement essaya d’imposer la quatrième étape en août 1978 – une limite de 5% aux augmentations de salaire – les digues se rompirent. Le résultat fut l’ « Hiver de mécontentement ». Malgré tout, Wilson et Callaghan pouvaient se frotter les mains. Ils avaient réussi à obtenir la coopération des syndicats sur la politique des revenus pendant une longue et dure période, de 1975 à 1978. Leur stratégie avait réussi à transformer la grande avancée de la classe ouvrière dans les années du gouvernement Heath en retraite catastrophique.

Les principaux architectes du désastre dans le camp syndical, Scanlon et Jones, étaient eux-mêmes soutenus sans réserve par les militants du Parti Communiste, qui avaient une forte influence au sein de la base. L’un des résultats de tout cela fut la collaboration des syndicats avec les employeurs, sous le nom de « participation ». L’influence de la « participation » sur l’activisme ouvrier fut pernicieuse.

C’est là que la carotte travailliste montrait ses avantages sur le bâton conservateur. Govan, nouveau nom des trois anciens chantiers d’UCS (le quatrième devenant Marathon) était un pionnier dans le champ de la « participation des salariés ». Les stewards siégeaient dans un comité syndicat-direction qui mit au point un accord de productivité très dur. Ils signèrent une convention en 31 points qui contenait des clauses anti-grève élaborées et des concessions massives sur les pratiques donnant à la direction le droit d’imposer des heures supplémentaires.

Quand les ouvriers des chantiers navals de Swan Hunter, sur la Tyne, rejetèrent une convention très dure liée à la construction d’un navire polonais, Govan joua les briseurs de grève. Jimmie Airlie, permanent communiste de Govan, avait dirigé l’occupation d’UCS en 1971, disant à l’époque : « Les autres chantiers vont-ils accepter nos commandes et laisser affamer nos hommes ? ». Mais en 1978 il chantait une tout autre chanson : « Si Newcastle perd six navires à cause des conflits, nous les construirons. Si ce n’est pas nous, c’est les Japonais qui le feront ».

La participation fit rage également dans l’industrie automobile. Elle rendit les briseurs de grève respectables à Longbridge, la plus grande usine de British Leyland, qui était depuis des décennies la fabrique la plus militante de l’industrie automobile. En 1975, des stewards responsables acceptèrent un système de participation sur trois tiers accompagné par l’annonce de 12.000 licenciements. Désormais, au lieu de sept stewards à plein temps, Longbridge en avait plus de 50. Un écart s’installa entre eux et les membres. Le Financial Times publiait de vibrantes louanges des stewards de Longbridge.

Derek Robinson, le secrétaire de section de Longbridge, président du Comité de British Leyland ainsi que membre dirigeant du Parti Communiste, était plus enthousiaste, dans son engouement pour la « participation » que quiconque. Il parlait de plus en plus en tant que partenaire de la direction. « Nous n’avons pas encore réussi à faire passer l’idée, dans les larges masses du peuple au travail, qu’elles ont tout autant que nous intérêt à être efficaces. C’est un de nos problèmes... si nous arrivons... à faire de Leyland un succès comme entreprise publique, il est évident que ce sera une victoire politique majeure. »

Sous le règne de Robinson, les comités d’atelier de Longbridge, au lieu de servir de courroie de transmission aux revendications des travailleurs vers le haut, en vinrent à servir les intérêts des employeurs, transmettant leurs ordres vers le bas. La « participation » affaiblissait l’organisation à la base, aggravait le corporatisme et faisait finalement du recours aux jaunes une tactique officielle. En février 1977, 2.365 ouvriers de l’outillage de British Leyland firent une grève d’un mois pour des droits de négociation séparés et la restauration des différentiels. Lorsque le gouvernement menaça de les licencier, le président du syndicat des mécaniciens, Hugh Scanlon, déclara que ce licenciement avait « l’entier soutien de tous les syndicats ». Robinson opina et encouragea tous les travailleurs à traverser le piquet de grève de l’outillage.

Les années de participation firent des dégâts considérables. Le gouvernement nomma à la tête de British Leyland un patron de combat, Michael Edwardes, qui annonça 12.500 licenciements en janvier 1978. Des meetings de protestation massifs furent tenus, mais très rapidement la majorité des stewards et des permanents syndicaux décidèrent d’accepter. En novembre, une grève à laquelle avait appelé le comité des shop stewards de Longbridge contre la limite de 5% fixée par le gouvernement à l’augmentation des salaires tourna court sans un murmure. Le 10 septembre 1979, Edwardes, avec le soutien de la direction des syndicats des chantiers navals et de la mécanique, exploita l’éloignement entre les shop stewards et leur base pour organiser une consultation par dessus la tête des shop stewards. Celle-ci demandait simplement aux salariés : « Etes-vous favorables au plan de survie de Leyland ? » sans même faire semblant d’expliquer ce que cela signifiait. Le résultat du vote fut de sept contre un en faveur du « oui ».

Désormais Edwardes n’avait plus besoin de la « participation ». Le 19 octobre, il licencia Robinson. Malgré tout, Longbridge restait solide, et 57.000 ouvriers posèrent les outils dans l’ensemble de British Leyland. Mais les piquets étaient petits, et peu d’efforts furent faits pour étendre la grève ailleurs. Le 27 octobre, les dirigeants syndicaux de la mécanique appelèrent à la reprise, et Robinson lui-même s’inclina, abandonnant sa base à une terrible démoralisation. En bref, la vigueur des travailleurs organisés de Longbridge, qui avait joué un rôle clé dans la solidarité avec les mineurs en 1972, s’était désastreusement atrophiée.

En ce qui concerne les mineurs, la mesure mise en œuvre pour neutraliser leur combativité fut une espèce d’accord de productivité proposant des revenus très différents selon les bassins houillers, et même selon les différents puits. En septembre 1974, le National Coal Board (organisation patronale) et les représentants des syndicats de mineurs soumirent des éléments d’un projet d’accord. Le vote des membres du NUM le rejeta à 61,53 %.

Mais le gouvernement, représenté par le Secrétaire à l’énergie Tony Benn, ainsi que le National Coal Board maintirent la pression. Le président du NUM, Joe Gormley, leur fit une fleur en organisant un nouveau vote au mépris des statuts du syndicat. Il espérait annuler la première décision, mais une fois de plus la majorité (55,6%) rejeta le plan. Dès lors, l’exécutif du NUM permit à des zones séparées de négocier leur propres accords locaux, ce que le Nottinghamshire et d’autres régions s’empressèrent de faire. C’est cela, plus que tout le reste, qui créa les profondes divisions qui furent si néfastes en 1984-1985. Les graines du sabotage de cette grève avaient été semées par le gouvernement travailliste en 1977.

Le gouvernement travailliste alla plus loin que le simple encouragement à briser les grèves. Lorsque les éboueurs de Glasgow cessèrent le travail en mars 1975, le gouvernement envoya la troupe pour briser la grève, et l’armée fut à nouveau utilisée, contre les pompiers cette fois, au cours de l’hiver 1977-1978.

Le lien entre le Labour et les syndicats avait pour conséquence que la bureaucratie syndicale pouvait être utilisée pour discipliner la classe ouvrière, et ce beaucoup plus efficacement que les tribunaux de Heath et tout l’appareil de l’Etat n’avaient pu le faire [1].

L’activité militante s’effondra dans toute l’industrie minière : le nombre de journées de grève « perdues » - plus de 10 millions en 1972 et plus de 5 millions en 1974 – tombèrent à 52.000 en 1975, remontant à 70.000 en 1976, 88.000 en 1977 et 176.000 en 1978 [2].

Un autre aspect de ce processus (dont j’avais averti dans mon livre de 1970, L’offensive des employeurs) vint au premier plan à ce moment-là. Les accords de productivité aboutissaient à ce que les shop stewards étaient exclus des négociations salariales, en même temps que les convenors devenaient des permanents à plein temps, accroissant ainsi le pouvoir de la bureaucratie syndicale sur la base. Le nombre de convenors à plein temps avait récemment augmenté dramatiquement, comme le montrait clairement une étude publiée en 1978. Celle-ci était basée sur une enquête dans 453 lieux de travail employant 330.000 travailleurs manuels de GMWU, dans un large éventail d’industries et de services. Du nombre total des travailleurs de l’échantillon, 73% étaient dans l’industrie manufacturière et 23% dans le service public (principalement gaz, eau, électricité, santé, et administration centrale et locale).

Cette étude montrait que dans l’industrie manufacturière, 62% de toutes les usines employant plus de 500 salariés avaient des convenors à plein temps, pour la mécanique le chiffre était de 69% et pour le secteur public 21%. Elle estimait qu’il y avait désormais quatre fois plus de convenors à plein temps qu’en 1966 – près de 5.000 dans les établissements manufacturiers (en plus, il y en avait encore deux milliers dans d’autres lieux de travail). Ainsi, le nombre des convenors était deux fois et demie plus élevé que celui des permanents syndicaux [3].

Evidemment, la position des convenors n’est pas la même que celle des permanents syndicaux. Mais il y a assez souvent plus de similitudes entre ces deux catégories qu’entre l’une ou l’autre et les travailleurs de base.

Les années 1974-79 confirmèrent les analyses contenues dans L’Offensive des employeurs, mais avoir raison était une bien piètre consolation. Il était triste de constater que les membres de IS/SWP avaient beaucoup moins d’influence que le PC.

L’augmentation massive du chômage entama aussi la confiance des travailleurs dans leur capacité de combat. L’augmentation du chômage peut avoir deux effets : mater les travailleurs ou les inciter à lutter. Les forces politiques qui dominaient le mouvement ouvrier firent pencher la balance dans le sens de la retraite. En janvier 1975, il y avait 678.000 personnes privées d’emploi ; en décembre, le chiffre avait grimpé à 1.129.000 ; en décembre 1976, il était de 1.273.000 et en septembre 1977 de 1.609.000 [4].

Face à l’importante augmentation du chômage, de 678.000 en janvier 75 à 1.273.000 en septembre 77, nous décidâmes de lancer la Right to Work Campaign (campagne pour le droit au travail). Hélas, le succès de cette campagne dans la lutte contre le chômage fut impuissant à conjurer la retraite générale de la classe ouvrière.

L’étendue de cette retraite devient claire si l’on suit ce qui se passait au niveau des rémunérations. « Jamais, depuis la II° Guerre mondiale, les salaires réels n’ont autant décliné que sous le gouvernement travailliste de 1974-1979 » [5]. Il y eut des luttes sous ce gouvernement, mais elles étaient radicalement différentes de celles de la période précédente. Les conflits étaient plus durs et plus longs ; les employeurs étaient bien plus agressifs et très souvent résolus à ne rien concéder, sinon à l’issue d’une longue bataille ; les lock-outs étaient de retour de façon décuplée ; et la proportion des conflits dont l’issue étaient la défaite, totale ou partielle, des travailleurs était bien plus grande que dans les années précédentes.

Last but not least, la retraite des travailleurs en 1974-79 était due aux idées politiques dominantes à gauche. Comme je l’ai écrit ailleurs :

... dans les années 68-74 il y avait un équilibre instable entre la généralisation politique du côté des employeurs – politique des revenus et législation sur les relations industrielles – et l’activisme industriel du côté des travailleurs. Une telle situation ne peut perdurer. L’équilibre instable peut avoir deux résultats : soit la généralisation politique au sein de l’activisme industriel, soit le déclin du militantisme à la base. En fait, l’équilibre instable fut, dans les années suivantes, détruit par la politique dominant la classe ouvrière britannique – le travaillisme – dont la nature est bien résumée par la bannière de NUM du Kent, représentant un mineur devant le puits, regardant vers le Parlement. C’est là l’essence de ce que représente le travaillisme dans les relations entre l’action industrielle et la politique. La logique de cette dichotomie entre l’économie et la politique, c’est que si les revendications des travailleurs les dressent contre un gouvernement conservateur, il y a l’alternative d’un gouvernement travailliste. Mais si leur lutte les oppose à un gouvernement travailliste, il n’y a pas d’autre solution que la retraite [6].

Dans les années 1950, mon ami Jabra Nicola, ancien rédacteur en chef du journal stalinien légal en Palestine qui avait rejoint notre groupe trotskyste, vint en visite en Angleterre. Nous comparions le sort de l’Empire Britannique avec celui de la France. Il le formula très bien : les Français avaient connu des explosions massives dans leurs colonies d’Indochine et en Algérie, de telle sorte que les capitalistes français avaient perdu pratiquement tous leurs investissements. A l’inverse, les Britanniques s’étaient retirés d’Inde et du Moyen-Orient sans perdre un penny et en conservant intacts leurs investissements. Jabra expliquait la différence très clairement : lorsque la pression montait, les Français disaient : « Nous ne reculerons pas », et serraient la vis. Finalement toute la structure explosa. Les dirigeants britanniques avaient plus d’expérience et de souplesse, et lorsque la pression montait ils desserraient la vis. Quand la pression décroissait, ils serraient à nouveau. Wilson et Callaghan furent incomparablement plus efficaces dans leur mise en œuvre de la politique capitaliste, avec leur approche en douceur, que Heath avec sa confrontation directe avec les syndicats.

En relisant le premier jet de ce livre, j’ai eu la forte impression que le lecteur devait se demander : pourquoi autant d’espace est-il consacré aux tournants et aux changements sur la scène économique, sociale et politique, et dans l’équilibre des forces de classe ?

En tant que disciple de Lénine, j’ai appris que la stratégie et la tactique doivent changer en fonction des changements dans la situation objective. Le conducteur d’une automobile sur une route de montagne tortueuse doit être vigilant s’il veut éviter un accident. Pour un révolutionnaire, il est beaucoup plus difficile de s’adapter à la situation objective que pour un automobiliste. Imaginez une route submergée par un brouillard réduisant fortement la visibilité, et vous aurez une idée de la difficulté de la tâche qui consiste à se rendre compte, pour un révolutionnaire, des changements dans la réalité économique, sociale et politique. Nous devons apprendre de Lénine qu’un révolutionnaire n’est pas quelqu’un qui ne se trompe jamais, mais qui admet ses erreurs et les corrige rapidement. Si, au cours des trente dernières années, nous n’avions pas assimilé les changements continuels dans la situation objective de la lutte des classes, nous aurions connu un triste sort. Nous aurions dérivé soit vers l’opportunisme droitier (pensant que la révolution ne viendra jamais et que de petites réformes sont la seule chose possible) soit vers l’ultra-gauchisme (pensant que la révolution peut être faite immédiatement).

Le danger de l’opportunisme est évident. En ce qui concerne le gauchisme, on peut être un révolutionnaire pur et dur et en même temps totalement inutile. Si on est complètement isolé des travailleurs, on peut facilement adopter une position extrême, mais qui n’a pas de sens. Si je voulais acheter une voiture, il me faudrait calculer combien d’argent je peux y mettre, et je trouverais sans doute que je ne peux acquérir qu’une Ford d’occasion des années 70. Si je voulais seulement rêver d’avoir une voiture, je ne me dirais certainement pas : « J’aimerais avoir une Ford des années 70 ». Je dirais : « J’aimerais avoir une Rolls-Royce en or massif ». Plus les révolutionnaires sont éloignés de la classe ouvrière, moins leurs positions peuvent être corrigées par les travailleurs en lutte, et plus grand est l’attrait pour les slogans extrêmes et creux. Il n’y a que la pratique qui peut réaffirmer la théorie.

On peut toujours dire que ce qui précède concernant les changements dans la lutte des classes est du rabâchage. Ce qui s’est passé n’est-il pas évident ?

Avec le recul une vision de 10/10 est facile à obtenir. Mais en écrivant l’histoire ou une biographie on doit développer le thème de façon chronologique, en se mettant dans la peau de quelqu’un qui était actif à l’époque. Décrire comment je me suis débattu avec les problèmes de la forme de la lutte des classes à l’époque est d’une valeur éducative bien plus grande que de me borner à dire au lecteur ce qui est évident avec le recul du temps.

Il y a trente ans, de nombreux groupes se proclamaient révolutionnaires, trotskystes et maoïstes. IS n’était pas le plus important de ces groupes. Aujourd’hui nous sommes le seul qui existe vraiment, que ce soit en termes d’effectifs ou d’influence. C’est notre compréhension des tours et détours de la lutte des classes qui a été le facteur déterminant pour cela.

J’ai appris de Lénine que dans tout changement radical dans la lutte des classes on doit voir clairement le chaînon clé de la chaîne du développement et s’en saisir. Mais nous ne pouvions assimiler l’approche de Lénine qu’à travers notre propre lutte pour analyser la réalité contemporaine. Nous avons beaucoup emprunté à Lénine à cet égard, mais ce que nous en faisions dépendait de notre propre expérience et de notre propre pensée. Cela dit, ce n’était pas le seul élément en cause. En même temps, dans les zigzags que nous avons effectués, nous aurions pu facilement perdre de vue la destination ultime si nous ne nous étions pas tenus clairement et passionnément à la théorie générale que nous ont donnée Marx, Engels, Lénine, Trotsky et Luxemburg.

De grandes attentes erronées

La Conférence de 1974 d’IS avait de grands espoirs pour l’avenir. Non seulement la montée des luttes dans l’industrie devait-elle continuer, mais aussi la croissance et l’influence d’IS, les cellules d’usine et le Mouvement de Base. Le rapport industriel de la conférence déclarait : « Nous devrions nous donner comme objectif 5.000 membres pour le conférence annuelle de 1975, parmi lesquels 2.000 devraient être des travailleurs manuels » [7]. Rappelez-vous qu’à la conférence de 1974 les effectifs se montaient à 3.310. La cible des cellules d’usine était de doubler leur nombre en une année pour atteindre 80 cellules en octobre 1975 [8].

Rétrospectivement, il est clair que nos pronostics concernant la forme de la lutte des classes, et donc notre destin, étaient radicalement faux. Une réflexion profonde et prolongée sur nos erreurs de jugement me porte à penser que nous n’aurions pas pu aboutir à l’époque à une meilleure analyse. On se réfère inévitablement aux années passées pour établir les perspectives des années à venir. Il était impossible de l’éviter. Hélas, si l’histoire se répétait nous n’aurions pas besoin de la théorie – la mémoire suffirait. D’autre part, si l’histoire ne se répétait jamais on ne pourrait pas généraliser – et dès lors la théorie serait impossible. Plus la rupture de continuité est brusque, moins il est facile d’établir des pronostics valables. Ainsi, lors de tous les points de rupture du passé nous trouvons les meilleurs marxistes dans l’erreur.

Par exemple, après la fin de la révolution de 1905, au début de juin 1906, Lénine écrivait : « Il est tout à fait évident que nous passons aujourd’hui par une période très importante de la révolution. Des signes de regain du large mouvement de masse contre l’ordre ancien sont visibles depuis longtemps. Aujourd’hui ce renouveau atteint son apogée » [9]. Et en juillet il voyait toujours la révolution dans une phase ascendante : « La possibilité d’une action simultanée dans toute la Russie progresse. La probabilité de la fusion des soulèvements partiels en un seul progresse. L’inévitabilité d’une grève politique et d’un soulèvement prenant la forme d’une lutte pour le pouvoir est ressentie de façon plus intense que jamais par de larges sections de la population » [10].

En réalité, c’est une sanglante contre-révolution qui se produisit.

De même, on se souvient que Marx écrivait après la révolution de 1848 que la crise du capitalisme de 1847 avait déclenché la révolution de 1848, et que la prochaine crise économique mènerait donc à une nouvelle révolution. En 1857, il y eut une récession, mais elle ne déclencha aucune révolution. Je persiste à penser que nous n’aurions pas pu parvenir à de meilleures conclusions au début du gouvernement Wilson-Callaghan. Notre véritable crime a consisté en ceci que rectifier les erreurs nous a pris beaucoup trop de temps.

L’impact du recul sur IS/SWP

Certaines activités d’IS/SWP furent plus affectées que d’autres par le recul. Les cellules d’usine, dépendantes de la confiance des travailleurs de base contre les patrons, furent les plus touchées, et le plus rapidement. Les Groupes de Base étaient moins affectés mais devenaient des machines à fabriquer des résolutions, se concentrant sur le vote de motions dans des comités, et s’éloignant de la base. La campagne pour le Droit au Travail fut encore moins touchée. Pour utiliser à nouveau l’analogie de Trotsky, au lieu d’un système d’engrenages transmettant l’énergie du petit rouage du parti pour mettre en mouvement le grand rouage de la classe, la retraite des travailleurs exerça une pression contraire sur le parti à travers les grands rouages intermédiaires. IS/SWP, même s’il restait actif dans tous les autres domaines, reçut des signaux contradictoires selon qu’ils provenaient des cellules d’usine, du Mouvement National de Base (National Rank and File Movement), de la campagne pour le Droit au Travail (Right to Work Campaign) ou de l’Anti-Nazi League (je développerai plus loin sur ce dernier point).

Les cellules d’usine déclinèrent très rapidement. Lors du rapport industriel de la conférence d’IS de 1974, on nous annonça que nous avions 38 cellules d’usine avec environ 300 membres, ce qui faisait en moyenne huit membres par cellule [11]. Deux ans plus tard, tout au plus trois ou quatre des cellules d’usine survivaient, avec en moyenne deux ou trois membres chacune.

Le recul affecta les cellules d’usine de la façon la plus directe. Une cellule d’usine est soumise à des tests quotidiennement. Si les travailleurs manquent de la confiance nécessaire pour s’opposer aux patrons, la cellule s’avérera impuissante et ses membres seront gagnés par la démoralisation. Dans une période de montée, la force de la base de l’usine donne une impulsion à la cellule d’usine. Dans un recul, les travailleurs exercent une pression sur les membres de la cellule et les démoralisent.

Les organisations de base, n’étant pas confrontées au test quotidien de leur capacité à agir face aux patrons, étaient moins exposées que les cellules d’usine à la pression du recul. Les militants et les dirigeants de IS/SWP étaient conscients depuis longtemps de l’affaiblissement de l’organisation de base. Mais nous souffrions de schizophrénie : « Oui, les choses vont mal dans toutes les sections, mais si nous les regroupons ensemble tout ira bien ». Cela rappelle l’histoire du boulanger auquel on demande : « Combien gagnez-vous sur un pain ? – Je perds un centime sur chaque pain que je vends. – Alors comment gagnez-vous votre vie ? – Je vends beaucoup de pains ».

La dépolitisation affectait sévèrement les groupes de base. Du fait du recul de la lutte des classes, soit ils disparaissaient, soit ils devenaient des squelettes ou se dépolitisaient complètement.

Après 1974, l’introduction du Contrat Social (Social Contract), soutenu par dessus tout par les dirigeants syndicaux de gauche Jack Jones et Hugh Scanlon, émoussa la combativité à la base qui s’était emparée de la classe ouvrière sous le gouvernement Heath. Le Parti Communiste et son organisation, la Gauche Large (Broad Left) syndicale, suivaient Jones et Scanlon. Ceci provoqua une importante dérive droitière dans le mouvement. L’un des produits de cette situation était une démoralisation dans des sections significatives de nos effectifs. Certains quittèrent l’organisation sans aucune déclaration de désaccord (comme Mike Kidron et Peter Sedgwick), mais certains, comme l’ancien secrétaire national Jim Higgins et l’ancien rédacteur en chef de Socialist Worker Roger Protz, conduisirent une scission de 150 membres. C’était la scission la plus importante dans l’histoire de notre organisation.

Ils nous accusaient de gauchisme parce que nous argumentions en faveur d’un tournant à gauche. Même si nous ne comprenions pas le recul, nous reconnaissions, dès 1975-76, l’importance d’une opposition politique claire au Contrat Social. Un groupe de mécaniciens de Birmingham, qui avait joué un excellent rôle dans la bataille de Saltley en 1972, précisément parce qu’il était enraciné dans l’organisation des shop stewards, ressentit le tournant à droite de la bureaucratie syndicale de gauche beaucoup plus fortement que d’autres sections de notre organisation. Il ne fait aucun doute, rétrospectivement, que notre tournant à gauche nous a sauvés de la dérive droitière générale qui engouffra non seulement le Parti Communiste mains aussi beaucoup de révolutionnaires comme l’IMG (qui devait se dissoudre dans le processus). Il est assez instructif de constater qu’aucun des 150 membres qui suivirent Higgins et Protz n’est aujourd’hui actif politiquement.

Le 26 novembre 1977 eut lieu à Manchester une conférence du Mouvement National de Base. Plus de 200 délégués représentaient 200 corps syndicaux. La conférence vota unanimement une résolution appelant à une journée d’action en soutien aux pompiers en grève le 7 décembre 1977 [12]. Le jour venu, ce fut un pétard mouillé. Je n’ai pas entendu parler d’un seul lieu de travail qui ait posé les outils (j’ai eu vent d’une école dans laquelle il y eut une heure de grève, mais je ne sais pas si c’est vrai). Et il n’y eut aucune grève de soutien aux pompiers jusqu’à la fin de leur mouvement en janvier 1978, dont ils sortirent battus.

Les délégués de la conférence de base de Manchester étaient sans aucun doute honnêtes. On est étonné, rétrospectivement, que Ian Morris, le shop steward du syndicat des mécaniciens de Heathrow, ait pu voter une résolution appelant à une journée de grève alors qu’il sortait d’une très sérieuse défaite un an auparavant. Les 4.000 membres du syndicat des mécaniciens avaient fait grève, pendant que les 16.000 membres de TGWU traversaient le piquet sur instruction syndicale et tous les autres syndiqués faisaient de même.

Je ne connais qu’un délégué de la conférence de Manchester qui ait refusé de voter la résolution, Terry Rogers, de CA Parsons à Newcastle. Il ne parla pas à la conférence, mais à la fin il confia à Dave Hayes, qui est aujourd’hui membre du comité central du SWP : « Je ne pouvais pas voter la résolution parce que je savais que je n’arriverais pas à convaincre les copains de poser les outils ».

L’échec de la journée de grève en soutien aux pompiers votée par la conférence de Manchester eut un effet très démoralisant dans l’ensemble du mouvement. Une déclaration du comité central de 1978 indiquait : « Notre manque de muscle industriel était clairement illustré par le dilemme de la conférence de base : que pouvons-nous faire, concrètement, pour soutenir les pompiers ? Qu’est-ce qu’on peut vraiment réaliser ? La réponse fut en fin de compte, en termes d’action industrielle opposée au travail de solidarité au niveau le plus bas, d’une efficacité nulle ».

Un nouveau slogan fut créé pour essayer de coller à la réalité, qui avait été si longtemps niée, de l’état de la lutte des classes et des organisations de base : « Plus c’est petit, plus c’est joli (small is beautiful)... Attention méticuleuse au détail... Concentration sur les petits problèmes : cette fraction, cette cellule d’entreprise, et même cet individu ou celui-ci. En bref, un effort soutenu pour réaliser de petits gains, s’attacher seulement aux problèmes immédiatement solubles dans le travail industriel et syndical d’abord, mais aussi le travail des noirs, des femmes, etc. » [13]

Le problème, c’est que le concept même de mouvement de base consiste à penser les choses en grand : au-delà de l’atelier dans l’usine, et même au-delà de l’entreprise elle-même. Désormais la cible était complètement modifiée. Qu’est-ce que cette nouvelle orientation avait à voir avec le concept d’organisation de base en tant qu’arme pour lutter contre les patrons et le gouvernement et agissant indépendamment des bureaucraties syndicales ?

La relation entre le recul et la campagne pour le Droit au Travail est intéressante. Cette campagne avait deux parents : d’abord, la montée du chômage, et, ensuite, l’échec du mouvement de base. Le rôle du premier est évident.

Le second était plus complexe. L’échec du Mouvement de Base National était crucial dans l’émergence de la campagne pour le Droit au Travail, parce que, comme le déclarait le comité central du SWP en mai 1977 :

Presque aussitôt après la fin des travaux de la conférence de base à la fin de 1974, le comité d’organisation qu’elle avait élu se trouva isolé et paralysé – de façon inévitable, le niveau des luttes industrielles baissant année après année.
Dans une tentative pour maintenir sensible la présence du comité d’organisation, diverses initiatives furent prises : le travail de solidarité avec le Chili, une série de formations sur la santé et la sécurité. De petits résultats positifs étaient obtenus, mais les tâches centrales – l’organisation de la solidarité, le développement des réseaux à la base – ne pouvaient plus être remplies.
C’est dans ces circonstances que nous prîmes le tournant – au début de 1976 – vers la campagne pour le Droit au Travail. Cet campagne fut un succès et ajouta beaucoup à notre crédibilité dans le mouvement. Mais l’enfant avala le parent. Le NRFOC (comité d’organisation) disparut dans la RTWC (campagne Droit au Travail). Ce n’était pas que nous ayons « abandonné la perspective à la base », comme le proclamaient certains à l’intérieur et en dehors d’IS/SWP. C’était la pression des circonstances – le NRFOC était impuissant et la RTWC était viable [14].

Après que l’enfant, la RTWC, ait remplacé le parent, le NRFM, elle entra à son tour dans un déclin terminal.

La campagne Droit au Travail commença bien. Sa première manifestation eut lieu à Manchester fin février 1976. Après avoir défilé toute la journée dans la ville, argumentant avec les travailleurs dans des meetings aux portes des usines, les manifestants firent un rassemblement au Lesser Free Trade Hall.

Quatre cent personnes exprimèrent leur enthousiasme dans des vagues successives d’applaudissements, les intervenants à la tribune soulignant l’importance de la manifestation. Le vétéran Harry McShane, après l’un des meilleurs discours dans une vie d’agitation socialiste, fut salué par une ovation prolongée.

John Deason, secrétaire de la campagne Droit au Travail, déclara que la manifestation n’était pas une marche de la faim. « C’est davantage un piquet mobile », dit-il. « Notre tâche n’est pas seulement de rappeler aux travailleurs la plaie que constitue le chômage. Elle est aussi d’encourager ceux qui ont en emploi à mettre leurs forces dans une politique pouvant mettre fin au chômage ».

Quatre vingt chômeurs marchèrent 340 miles de Manchester à Londres. Cette marche était parrainée par 400 corps syndicaux, parmi lesquels 70 comités de shop stewards.

Cette campagne devait être basée sur l’action directe aussi bien que sur la propagande. Elle devait montrer que des initiatives, même à petite échelle, étaient possibles sur le court terme immédiat. La première marche de la campagne Droit au Travail fut significative non pas tant pour le soutien qu’elle reçut que par le style qu’elle adopta. Tout au long de son cours, les marcheurs se joignaient à des piquets de grève et même pénétraient dans des usines menacées de licenciements pour encourager les travailleurs à lutter contre le chômage. Cela marquait un grand pas en avant par rapport aux « marches de la faim » des années 30, qui avaient de grandes difficulté à entrer en contact avec des syndicalistes employés et ne parvinrent que très rarement à pénétrer sur des lieux de travail.

Le succès de la première marche fut démontré, non seulement par les 5.500 personnes qui l’accueillirent à l’Albert Hall, mais aussi par le fait qu’elle avait suffisamment irrité les tenants de « la loi et l’ordre » pour que la police l’attaque dès son entrée dans Londres. A Staples Corner, dans Londres, les policiers, faisant un usage généreux de leurs matraques, chargèrent sans provocation à quatre reprises. 35 marcheurs furent arrêtés, parmi lesquels neuf syndicalistes locaux qui faisaient partie d’une délégation [15]. Un certain nombre de marcheurs furent condamnés à des peines de prison, mais la campagne contre la répression devait fournir dans les mois qui suivirent un point de focalisation important pour la campagne Droit au Travail. Les charges les plus sérieuses, notamment contre le secrétaire John Deason, furent abandonnées après de grands rassemblements devant le tribunal.

Spontanément, les supporters de Droit au Travail qui s’étaient rassemblés devant l’Old Bailey (Palais de Justice de Londres, NdT) célébrèrent l’acquittement en se rendant à l’usine Grunwick, dans le Nord de Londres, et en organisant ce qui devait être le premier piquet de masse dans l’histoire de cette usine. Ainsi, une lutte en allumait une autre.

Malheureusement, après un début impressionnant, la trajectoire de la campagne Droit au travail fut ensuite continuellement descendante. La première marche, de Manchester à Londres, en mars 1976, comportait 570 participants. La suivante, de Liverpool à Blackpool et la TUC (conférence des trade unions) en Septembre 1977, en avait 700 [16]. La troisième, de Liverpool à Londres (13 juin 1978) en comptait 50 [17]. La quatrième, devant la conférence du Parti Conservateur à Blackpool en octobre 1979, n’en avait plus que 40 [18].

Ayant absorbé le mouvement national de base, la campagne Droit au Travail s’éteignit à son tour.

Le recul, l’effondrement de l’activisme, eut moins d’impact sur le SWP que sur le mouvement national de base. Le SWP était aussi engagé dans l’Anti-Nazi League (ANL) et dans la propagande générale, vendant des journaux, etc. Il avait ses oeufs dans plusieurs paniers, et devait donc être moins affecté par le déclin de l’un de ses secteurs d’activité. Néanmoins la crise de l’activisme l’affecta très profondément.

Un document du comité central intitulé « Construire la périphérie – document de discussion », de novembre 1979, était très réaliste et en vérité très lugubre : « L’image dans son ensemble suggère que nous nous relions à moins, et non davantage, de gens ».

Nous décidâmes de présenter des candidats aux élections législatives dans des partielles. La décision initiale de nous présenter à Walsall North reflétait une perspective exagérément optimiste basée sur la supposition que les gains que nous commencions à réaliser dans notre activité antiraciste de 1976 marquaient le début d’une désaffection des travailleurs de gauche vis-à-vis du Labour de nature à fournir une base politique à nos candidatures.

Pour stopper la démoralisation dans nos rangs, nous en arrivions à présenter des candidats à des élections partielles. Cela vaut la peine de dresser le tableau des problèmes généraux en cause avant de se tourner vers la situation concrète de 1976. Les réformistes font de la participation et du succès aux élections législatives un de leurs principes absolus. Ils considèrent, à tort, que l’accès au parlement est l’alpha et l’oméga de la politique. Mais le parlement est impuissant à s’opposer à la richesse et à la puissance immenses des capitalistes ou de leur Etat. Les leçons sanglantes du Chili, et de gouvernements travaillistes successifs, sont là pour le démontrer. Les marxistes n’insistent ni sur la participation aux élection ni sur l’abstention. Pour nous, c’est une question tactique, et pas spécialement importante. Lénine, par exemple, écrivait :

Les bolcheviks considèrent la lutte directe des masses... comme la forme la plus élevée du mouvement, et l’activité parlementaire sans l’action directe des masses comme la forme la plus basse du mouvement [19].

Avec une telle approche, il pouvait argumenter à la fois pour un boycott actif des élections à la Douma de décembre 1905 et à la participation à celles de juin 1906.

Par conséquent la question de notre candidature aux élections de 1976 doit être jugée d’un point de vue tactique : la tactique fut-elle ou non un succès ? En septembre 1976, le comité central publia une déclaration :

Candidats aux législatives – campagne des élections partielles
Comment nous entendons construire
Beaucoup de militants actifs sont aujourd’hui déçus par la façon dont ce gouvernement a attaqué la classe ouvrière. Leur colère et leur rancune les éloignent du Parti Travailliste.
Dans presque toutes les régions du pays, on trouve des militants travaillistes qui déclarent carrément : « Je ne peux pas faire partie d’une organisation qui cause le chômage et attaque les pauvres et les malades ».
Ils s’éloignent du Labour Party sans aller vers le Parti Communiste. Le PC fait partie de l’ordre établi et n’offre aucun moyen de lutter pour changer les choses. Ces militants et activistes sont à la recherche d’une alternative socialiste.
Ce ne sont pas seulement les militants qui sont déçus par le parti travailliste. Nous allons présenter des candidats à Walsall North et à Stechford.

L’espoir était :

... que dans tout le pays les militants prennent note de notre campagne aux élections partielles et soient attirés vers nous ; que nous réaliserons des gains pour l’organisation au niveau national de la même façon que nous aurons fait des gains dans les zones concernées, pour que nous sortions de la campagne plus forts et avec une périphérie plus large [20].

Ce plan s’avéra complètement faux. Nous présentâmes un candidat à Walsall North en promettant de présenter 50-60 candidats aux prochaines élections législatives. Le résultat de l’élection partielle de Walsall North n’était pas très encourageant : 574 voix, soit 1,6% du total, alors que le National Front faisait quatre fois et demie notre score. A Newcastle Central nous eûmes 184 voix, 1,9% du total. Et cela alla de mal en pis. Aux élections de Stechford, le 31 mars 1977, le SWP obtint 377 voix, Socialist Unity (IMG) 494, et le National Front plus de 3.000. Le candidat du SWP était notre camarade sans doute le plus populaire, Paul Foot. Aux élections partielles suivantes, à Ladywood, Brimingham, en août 1977, nous fîmes encore pire. Le candidat du SWP obtint 152 voix, le candidat de Socialist Unity 534, et le candidat nationaliste noir 336.

La menace croissante des Tories, menés désormais par l’extrême droitière Margaret Thatcher, poussa y compris des travaillistes très critiques envers le gouvernement à resserrer les rangs avec le Labour. Dans de telles élections, le vote SWP apparaissait comme un gâchis. Notre politique, avec son accent sur l’activité autonome des travailleurs, pouvait influencer beaucoup de gens autour de tactiques spécifiques dans la lutte, par exemple l’activité anti-nazi. Mais elle ne payait pas aussi bien sur le terrain électoral. Par dessus tout le recul, l’effondrement de l’activisme, ne s’arrêtait pas à l’entrée des bureaux de vote. Malgré tout, le comité central continuait à argumenter en faveur de candidatures aux élections.

Pourquoi un tel entêtement ? L’une des raisons était l’idée que « si vous battez en retraite, si vous changez d’avis, vous faites montre de faiblesse ». Quelle contre-vérité ! L’entêtement aveugle est le signe d’une personnalité faible. La vérité libère. Nous ne sommes pas des mandarins chinois qui craignent de perdre la face.

Il y avait d’autres facteurs. Malgré les résultats électoraux archi-catastrophiques de Stechford, l’immense majorité des membres du SWP persistait à soutenir la continuation des candidatures. En août 1977, le Comité consultatif national (National Advisory Committee) vota le renversement de la majorité du comité central, dirigée par moi et Jim Nichol, qui voulait mettre un terme à la tactique électorale, et soutint la minorité favorable à sa continuation. Cette politique fut réaffirmée à la conférence de 1978 et ne fut abandonnée qu’au début de 1979. Cela reflétait la confusion générale de la période et la tendance à penser en grand. La dispute au sujet des élections vint juste après le triomphe de l’ANL à Lewisham et la publicité massive dont le parti avait bénéficié. Nous nous étions développés rapidement dès avant Lewisham, essentiellement sur la base d’une activité antifasciste et antiraciste (j’avais repris le travail de secrétaire à l’organisation). La tentation était d’extrapoler à partir de cette tendance. Mes arguments en faveur de l’arrêt des candidatures étaient de peu de poids face à cela. Il faut aussi se rappeler que ceci se produisit avant que je ne commence à formuler clairement l’analyse du recul, de telle sorte que la proposition d’abandonner la tactique électorale apparaissait comme un argument « empirique » étroit. En fait, j’avais raison, mais nous étions alors plus aux prises avec des symptômes qu’avec de véritables causes. Comme je le dis plus loin, la situation était contradictoire – lutte ouvrière déclinante plus Lewisham et l’ANL. Il faut faire attention à ne pas présenter le processus d’ajustement au recul comme plus cohérent et rationnel qu’il ne le fut.

Il était très difficile de garder quelqu’un qui avait été recruté pendant la campagne électorale. Le comité central déclarait : « L’évidence de toutes les élections partielles est qu’il est plus difficile de garder des membres gagnés dans les élections que ceux recrutés sur d’autres terrains, parce qu’il y a une tendance pendant les campagnes électorales, pour ceux qui sont impliqués dans le travail, à être euphoriques quant aux résultats attendus ».

Je me souviens que j’étais à Grimsby quelques jours avant l’élection partielle, et l’euphorie parmi nos membres, nouveaux et anciens, était stupéfiante. C’était naturel. Paul Foot était interviewé sur la BBC, de même que Margaret Renn. Le meeting public du SWP tenu par Paul Foot attira davantage de gens que celui du Labour Party tenu par Michael Foot. Après l’annonce du score pathétique que nous avions réalisé, la démoralisation fut extrême. Des 50 nouveaux militants que nous avions recrutés pendant la campagne, pas un seul ne parut à la réunion de cellule qui se tint deux jours après le scrutin. Des cinq membres originaux, deux partirent immédiatement, et peu de temps après la cellule disparut.

Le but de la présentation de candidats aux élections législatives partielles était de stopper la démoralisation dans les rangs. Le résultat ? Elle l’aggrava. Aujourd’hui, dans des circonstances différentes, le SWP présente à nouveau des candidats dans certaines élections. Non seulement les scores sont meilleurs, mais le résultat est plus positif.

Pour en revenir aux développements de 1977, je changeai d’avis sur les candidatures aux législatives dès l’annonce des résultats de Walsall North et Newcastle Central, et ma conviction se renforça après le scrutin de Stechford. En regardant les résultats à la télévision, j’étais très en colère contre moi-même et la situation dans laquelle le parti se trouvait. Je fis peu attention au vote travailliste, conservateur ou National Front, et ne m’inquiétai que du fait que l’IMG avait fait mieux que nous. Je pensais de façon complètement sectaire. Le triomphalisme injustifié et le sectarisme sont les deux faces de la même médaille.

Il est clair que le résultat misérable de l’élection législative était un argument de plus en faveur du recul. C’était une leçon douloureuse, mais cependant importante, parce que, comme dit Lénine, après « avoir appris comment attaquer... ils durent réaliser qu’une telle connaissance doit être enrichie par celle de savoir comment faire retraite en bon ordre » [21].

Cela me prit à peu près deux ans pour convaincre le SWP de la réalité du recul dans la lutte industrielle. Si cela a pris si longtemps, ce n’est pas à cause de la complexité de l’argumentation, mais du fait de la résistance émotionnelle à accepter la réalité crue.

Malgré tout, l’art de la politique révolutionnaire, comme nous l’enseigne Lénine, consiste à changer de stratégie et de tactique en fonction d’une situation changeante. Le plus grand danger pour les révolutionnaires est de persister dans une tactique qui, bien qu’elle ait été correcte à un moment, a cessé de l’être. Une fois que nous eûmes compris la réalité objective, il nous fallait apporter des changements radicaux à notre activité. Nous devions battre en retraite au niveau des cellules d’usine, des organisations de base, de la campagne Droit au Travail. Le danger était que la retraite ne se transforme en déroute. Nous devions par conséquent être très clairs au sujet des activités des cellules et des membres individuels.

En 1979, même après avoir formellement reconnu qu’un changement radical était intervenu dans l’équilibre des forces de classe, cela nous prit encore trois années pour changer la façon de fonctionner du parti. Lors de la conférence de 1982 c’était chose faite, avec l’abandon de toute prétention à construire un mouvement de base dans la période nouvelle :

Au lieu de cela nous avons mis l’accent sur ce qui suit : 1) La politique est centrale dans notre capacité à construire. Sans une claire compréhension marxiste de la société, les camarades ne peuvent pas survivre dans un monde hostile. 2) La cellule basée géographiquement doit être la principale unité du parti. Les individus livrés à leur propre volonté dérivent vers la droite. D’où la nécessité d’assister à des réunions hebdomadaires pour développer une compréhension plus claire du monde et pour bénéficier d’une direction politique de la part d’autres camarades sur la façon d’intervenir dans les lieux de travail. 3) Socialist Worker est la clé de la construction d’une périphérie, fournissant le moyen d’identifier ceux et celles qui sont intéressés par nos idées [22].

L’accent était mis sur la théorie, sur la nécessité d’une propagande généralisée. Lorsque je parle de propagande, j’utilise le terme dans le sens que lui a donné Plékhanov, le père du marxisme russe. La propagande consiste à proposer une quantité d’idées à peu de gens, alors que l’agitation réside dans la présentation d’une ou deux idées à un certain nombre de travailleurs, dans le sens de l’action.

Mais le désengagement des cellules d’usine et des groupes de base nous exposait à des dangers, dont le moindre n’était pas le sectarisme, l’isolement du mouvement ouvrier. Sans racines dans la classe ouvrière, sans relations de routine avec les travailleurs, il y a un vrai danger de distorsion des idées et des activités.

Pour lutter contre le sectarisme, il nous fallait faire de notre propagande quelque chose de très concret. Que signifie ce terme ? La propagande abstraite, telle que « le capitalisme est mauvais, le socialisme est bon », ne se relie pas aux préoccupations immédiates des travailleurs. La propagande concrète cherche à relier les concepts généraux du marxisme aux besoins immédiats des travailleurs. Nous insistions sur le fait que notre tâche était d’influencer les travailleurs, en grand ou en petit nombre. La vie de la branche géographique était tournée vers le soutien aux membres individuels du parti qui se trouvaient isolés sur leur lieu de travail du fait de l’impact du recul sur le moral de la majorité des travailleurs. Mais la cellule du SWP n’est pas un refuge pour ceux qui fuient la dure réalité, mais un soutien pour les camarades luttant pour changer cette réalité.

Il y avait deux pièges à éviter : l’opportunisme et le sectarisme. Après l’échec du Bennisme, le danger de s’adapter à la gauche du Labour était moins sérieux, mais le danger du sectarisme était grand. Nous pouvions faire une propagande socialiste abstraite sur les avantages du socialisme par rapport au capitalisme, mais c’était le chemin vers une impasse sectaire, un chemin souvent emprunté par la gauche britannique, remontant à l’époque de la Fédération Social Démocrate des années 1900. Nous devions relier notre propagande au vécu des travailleurs engagés dans la lutte, même s’ils constituaient seulement une minorité, voire une petite minorité.

La propagande devait être concrète. Elle devait répondre à la question : « Quel mot d’ordre convient à la question sur laquelle les travailleurs se battent ? » Ainsi, pendant la grève des mineurs de 1984-85, notre propagande s’attachait, de façon absolument correcte, au besoin pour les dockers, les cheminots et autres de venir à la rescousse des mineurs. Mais ce n’était pas suffisant. Une explication devait être donnée de la raison pour laquelle cette solidarité ne se manifestait pas : le rôle de la bureaucratie syndicale et de la direction du parti travailliste. Arthur Scargill appelait à la solidarité des travailleurs avec les mineurs, mais il n’a jamais expliqué pourquoi elle ne s’est pas matérialisée. Il ne citait jamais de noms – Neil Kinnock, la direction de TGWU, le syndicat des mécaniciens, etc. Scargill était au Conseil Général du TUC et il était lié par les règles de la bureaucratie syndicale.

Par dessus tout, nous devions expliquer les causes politiques de la trahison des mineurs par la dirigeants syndicaux et Neil Kinnock. Non seulement nous devions argumenter sur la façon de gagner, mais aussi expliquer à la minorité de la classe pourquoi les choses avaient mal tourné. La propagande que nous avions à faire était qualitativement différente de celle des années 1970-74.

Le 2 novembre 1972, je parlais devant des milliers de travailleurs à l’usine métallurgique d’Anchor. L’essentiel de ce que je disais concernait le besoin d’action industrielle en soutien aux retraités. Pendant la grève des aciéries de 1980, je ne parlai qu’une fois aux ouvriers, lors d’une réunion organisée par le Rotherham Trades Council, devant une centaine d’entre eux. Il n’était évidemment pas question de répéter le discours de 1972. Cela devait être une explication plus approfondie des raisons de la maigreur de la grève, et quelle politique en était responsable.

Nous nous étions préparés à la traversée du désert, essentiellement en comprenant le recul. J’ai écrit ailleurs :

Le Socialist Workers Party a essayé de faire face à la situation nouvelle en réévaluant constamment le véritable équilibre des forces de classe et en y adaptant son activité. La reconnaissance du recul après 1974 n’a pas été un processus simple, et le débat a été long et difficile. Seule l’expérience peut établir si un éternuement est le prélude à une pneumonie ou à un rhume banal. C’est d’autant plus le cas en ce qui concerne le processus moléculaire reliant les développements au niveau de l’atelier, la politique générale et la conscience de la classe ouvrière. Avec le recul, il est clair qu’une appréciation correcte de la situation après 1974 a permis au SWP de continuer comme force socialiste révolutionnaire autonome. Hélas, de nombreux groupes socialistes indépendants, fuyant l’amère réalité de la période, se réfugièrent dans le Labour Party pour s’y trouver confrontés à l’offensive du Kinnockisme [23].

Notre propagande doit être une arche connectant deux piliers. Elle doit 1) se relier aux luttes en cours, mais aussi 2) mener la bataille d’idées, la lutte pour le socialisme.

Nous devions combiner argumentation et action ; l’action seule pouvait conduire à l’adaptation de nos camarades à la droite. La discussion seule pouvait isoler nos membres et nous transformer en secte.

Le recul et les « mouvements »

En même temps que le mouvement ouvrier battait en retraite, il se produisait un afflux vers les soi-disant « mouvements » dirigés vers des questions séparées comme l’oppression des femmes, des noirs, des gays et lesbiennes, etc. Ils finirent tous par se fragmenter et se désintégrer.

La montée des luttes accroît l’unité et la généralisation, le déclin mène à la fragmentation – entre travailleurs de différents lieux de travail, différents travailleurs, hommes et femmes, noirs et blancs.

Le déclin de la lutte des classes renforça massivement la tendance au séparatisme. L’exemple le plus clair est celui du séparatisme féminin. Dans la lutte gréviste, le besoin d’unité et de solidarité de tous les travailleurs, hommes et femmes, est toujours évident.

La croissance des mouvements séparatistes s’accéléra après le déclin du mouvement benniste et la chute des luttes industrielles. La féministe Bea Campbell dénonçait les piquets de grève comme « militantisme macho ». Le mouvement des femmes acceptait désormais la théorie du patriarcat, mettant en perspective deux luttes, l’une contre le capitalisme, l’autre contre la domination masculine, débouchant sur leur discours sur le pouvoir mâle, selon lequel tous les hommes bénéficient de l’oppression des femmes et défendent par conséquent le statu quo.

En même temps que le séparatisme engendré par le déclin de la force des travailleurs se manifesta une tendance, de la part de certaines femmes, de s’engager plus avant sur le chemin des compromis avec le capitalisme. Ce qui s’exprima par le recul de la lutte contre le capitalisme et le repli, inspiré par des dirigeantes du mouvement, sur le mode de vie.

Le SWP n’était pas à l’abri de la pression et une lutte dut être conduite pour maintenir intacte l’organisation. D’une part, nous devions garder à l’esprit l’idée léniniste du parti comme « tribune des opprimés », mais ne pas oublier que la libération finale dépend du succès de la classe ouvrière dans le renversement du capitalisme.

Nous n’aurions pas rendu service aux femmes, aux noirs, aux gays et lesbiennes si le parti s’était liquidé lui-même dans ces mouvements. Il existe deux approches habituelles des mouvements ou des campagnes indépendants de l’organisation. L’une consiste à ne pas y intervenir parce qu’ils n’acceptent pas le programme révolutionnaire et la centralité de la classe ouvrière. L’autre se ramène à la position de « cheer leaders », criant hourra ! à tout ce qu’ils font. Nous devions nous relier à leurs luttes en évitant le piège de penser que la spontanéité sans conscience pouvait être plus efficace que la spontanéité avec conscience. La vapeur sans un piston qui organise la pression est pire que la vapeur avec un piston qui dirige cette énergie.

Women’s Voice

Women’s Voice fut une entreprise significative dans laquelle le SWP était engagé. Nous publiâmes un magazine sous ce titre à partir de 1972. En 1977, il fut décidé d’établir des groupes autour de cette publication.

Malheureusement, même si je faisais partie de la direction du SWP, je ne fus jamais autorisé à m’impliquer dans l’activité de Wormen’s Voice. Je ne parlai jamais dans une réunion, ni n’écrivis une ligne pour le magazine. Je parlais aux femmes, et souvent, mais seulement parce qu’elles étaient ouvrières, travailleuses hospitalières, enseignantes, étudiantes, etc.

La raison reposait sur un désaccord fondamental que j’avais avec les camarades regroupées autour de Women’s Voice. J’étais stable dans mon insistance sur la tradition bolchevique qui proclame que les travailleurs hommes et femmes ont un intérêt commun. Les travailleurs mâles ne bénéficient pas de l’oppression des femmes. Imaginez un travailleur écrivant à un de ses amis : « J’ai de bonnes nouvelles pour toi. Ma femme gagne un salaire de misère. Pour ajouter à ma joie, il n’y a pas de crèche pour les enfants. Et pour remplir la coupe du bonheur, ma femme est enceinte, nous voulons un avortement mais ce n’est pas possible ».

Les bolcheviks se sont toujours opposé au séparatisme féminin de la même façon qu’ils s’opposaient à l’existence séparée de l’organisation juive, le Bund – les travailleurs juifs et russes devaient appartenir au même parti.

Kroupskaïa a écrit :

Les femmes de la bourgeoisie proclament leur « droit des femmes » spécial, elles s’opposent toujours aux hommes et adressent leurs revendications aux hommes. Pour elles, la société contemporaine est divisée en deux catégories principales, les hommes et les femmes. Les hommes possèdent tout, ont tous les droits. Le but consiste à obtenir des droits égaux.
Pour la travailleuse, la question se pose d’une façon tout à fait différente. La femme politiquement consciente voit que la société contemporaine est divisée en classes. Ce qui unit la travailleuse au travailleur est plus fort que ce qui les divise... « Tous pour un, un pour tous ». Ce « tous » signifie les membres de la classe ouvrière – hommes et femmes.

Anne Bobroff, une historienne critique du bolchevisme, se plaint de ce que Lénine insistait sur la nécessité, pour la direction du parti, de contrôler les activités féministes. Elle écrit : « Les femmes bolcheviques qui dirigeaient Rabotnitsa (la Femme travailleuse) travaillaient en étroite association avec Lénine. Et bien que la rédaction soit constituée uniquement de femmes, le rédacteur en chef du Sotsialdemokrat – Lénine – avait voix prépondérante en cas de partage. » En plus, dit-elle, l’égalité des voix entre les Russes et les rédactions étrangères était un procédé destiné à « garantir le contrôle majoritaire de la politique éditoriale par Lénine et les femmes qui était en contact étroit avec lui »  [24].

On peut trouver un exemple frappant dans ce qui se passa au Congrès International des Femmes à Berne en mars 1915 :

Lénine était en train de boire du thé dans un restaurant voisin pendant que le congrès des femmes était en session... Les femmes bolcheviques, agissant d’après les instructions de Lénine, introduisirent une résolution qui... appelait à une rupture immédiate avec les majorités des partis socialistes et travaillistes existants et à la formation d’une nouvelle Internationale. Malgré l’opposition massive de toutes les autres déléguées, les représentantes bolcheviques refusèrent de retirer leur motion. Comme la démonstration d’une unité internationale parmi les socialistes était désespérément désirée à ce stade, Clara Zetkin négocia finalement avec les femmes russes et Lénine dans une pièce séparée, et Lénine finit par accepter un compromis [25].

Rabotnitsa était bien intégré, politiquement et organisationnellement, au Parti bolchevik. Après la Révolution d’Octobre, le parti publia un journal nommé Kommounistka (La Femme communiste). Sa rédaction incluait Nicolas Boukharine [26].

Comme j’étais extérieur à Women’s Voice, je ne peux dire que peu de choses à son sujet. Mais c’était un aspect important de notre travail général, et comme je prenais une position dure sur le sujet, éviter cette question dans une autobiographie serait une erreur. Mais je ne peux pas écrire sur des choses dont j’ai une connaissance limitée. J’ai donc demandé à Lindsey German, actuelle rédactrice en chef de Socialist Review, d’écrire quelque chose sur ce sujet. Voici ce qu’elle a écrit :

Quand je suis arrivé à IS (fin 72, début 73), il y avait un magazine de femmes que nous vendions avec Socialist Worker à la porte des usines, etc. Ce que défendait Women’s Voice n’a jamais été totalement clair, mais en même temps il était lié à l’organisation et se consacrait aux luttes des femmes de la classe ouvrière et à leurs problèmes, comme par exemple l’égalité de salaire, mais aussi la montée des prix et des loyers. Nous avions des articles sur les femmes des ouvriers de l’automobile de Coventry, par exemple (et cela, bien sûr, bien avant qu’une tradition de soutien des épouses se construise pendant la grève des mineurs de 1984-85). A l’époque, on supposait que les femmes étaient moins politisées et on essayait de s’opposer à cela dans Women’s Voice.

Le journal continua pendant plusieurs années sans véritablement trouver une niche. La lutte des classes montait en 1974, il y avait quantité de grèves de femmes ; cela dit, la montée du mouvement des femmes depuis la fin des années 60 était sa véritable motivation, du fait que beaucoup de femmes dans IS proclamaient que nous devions montrer que nous nous préoccupions aussi des problèmes des femmes. Tant que la lutte fut haute, ces confusions paraissait sans importance. Après le retour du réformisme et la crise de la gauche révolutionnaire au milieu des années 70, elles devinrent potentiellement dangereuses et devaient mener à des divisions politiques qui subsistèrent plusieurs années.

Le débat concernant Women’s Voice ne peut être compris que dans le contexte d’une désorientation générale. Les années 1968-1975 ont vu la gauche révolutionnaire avancer à l’échelle internationale. Pour la plupart des socialistes révolutionnaires, la situation semblait devoir se développer indéfiniment. Quand elle cessa, cela mena à ce qu’on a appelé une crise du militantisme – un sentiment que la lutte et l’organisation de ces années avait démontré sa futilité. Cette crise du militantisme donna une impulsion aux organisations réformistes qui se réaffirmèrent sous le gouvernement travailliste. Cela boosta aussi le féminisme. Les femmes qui avaient été prises dans l’élan d’enthousiasme d’après 1968, mais qui commençaient à réaliser que la lutte pour le socialisme serait longue et difficile, avec des reculs aussi bien que des avancées, regardèrent du côté du féminisme comme une nouvelle façon de s’organiser qui pouvait apporter quelque chose dans l’ici et maintenant.

Ce processus était le plus avancé en Italie, où la gauche révolutionnaire devait se désintégrer sur la question du féminisme au milieu des années 1970. Mais en Grande Bretagne aussi, beaucoup de féministes abandonnèrent les groupes de gauche et développèrent un « bon sens » selon lequel une telle politique était par nature mâle, autoritaire, et ne pouvait intégrer les revendications de libération des femmes. Beaucoup acceptèrent l’idée que les femmes ne pouvaient pas faire confiance à ces organisations pour prendre en charge leurs exigences et devinrent réticentes à s’engager. C’était là l’argument en faveur de la formation de groupes autour de Women’s Voice qui fut décidée par le SWP en 1977. Dès 1976, un article de Women’s Voice déclarait que « comme les travailleurs hommes, et peut-être même plus, les femmes sont réticentes à l’égard des groupes d’extrême gauche ».

La décision d’avoir des groupes géographiques organisés autour d’un magazine mensuel provoqua une crise. Il y avait au moins trois interprétations différentes de la décision. L’une d’entre elles – celle de Joan Smith, Linda Quinn et, il faut le dire, la majorité du comité de direction de Women’s Voice, était que cela constituait un pas vers une organisation totalement séparée de Women’s Voice, appelant les femmes à s’organiser sur la base de l’oppression. La seconde – soutenue par moi – était que le journal devait être relié plus clairement et plus étroitement au SWP et que c’était notre intervention dans le mouvement des femmes. La troisième – soutenue par la plupart des dirigeants – était que les groupes avaient peu de chances d’être viables dans l’avenir. Lors d’une série de réunions au cours de l’année 1978, la seconde ligne elle-même fut imposée au nom de la discipline du parti aux membres qui n’étaient pas d’accord avec elle.

Je fus nommée organisatrice des femmes en 1979, contre l’opposition de la direction. A partir de ce moment, il devint de plus en plus clair que les groupes ne pouvaient pas fonctionner politiquement et pouvaient, en fait, constituer une porte de sortie du parti plutôt qu’un moyen de recrutement.

Comme je l’ai écrit dans Sex, Class and Socialism, « lla raison qui sous-tendait la création de Women’s Voice était une adaptation à l’organisation autonome ». Ceci était démontré dans un certain nombre de campagnes prises en charge par Women’s Voice, comme par exemple Reclaim the Night ou contre les tampons toxiques. En pratique, c’était un éloignement des revendications de classe générales ou de celles qui unifiaient les femmes et les hommes.

Bien que, lors de la conférence de 1979, ceux qui argumentaient en faveur de liens plus étroits avec le SWP l’emportèrent, il y avait encore des débats houleux 18 mois plus tard. Les groupes traversaient une mauvaise passe, beaucoup de femmes du SWP votant avec leurs pieds et poursuivant d’autres tâches politiques. Lors de la conférence du parti de 1981, une claire majorité vota pour la dissolution des groupes. Le magazine suivit un an plus tard.

Bien que les pertes que nous avons subies aient été relativement minimes, beaucoup de celles qui étaient les plus impliquées dans Women’s Voice partirent – la plupart très en colère contre le SWP. Malgré tout, la plupart des femmes restèrent, et même si l’expérience de la construction des groupes a été fondamentalement négative, elle nous a appris beaucoup. Nous nous développions théoriquement sur la question féminine, ce qui était très important. Le livre de Cliff, Classe Struggle and Women’s Liberation et le mien parurent tous deux dans les années 80, ainsi que divers articles de Chris Harman et d’autres. Une partie de l’attrait de Women’s Voice était la justification supposée théorique de Joan Smith dans ses articles sur la famille qui furent sans contradiction pendant longtemps – ce qui montre à quel point peu de femmes se sentaient assez assurées pour écrire sur la question a l’époque. Mon articles sur les théories du patriarcat pour International Socialism était, pensais-je, relativement peu polémique, mais ils causèrent une grosse dispute parce qu’il rejetait théoriquement les arguments selon lesquels les hommes bénéficiaient de l’oppression des femmes. Ces argumentations théoriques nous permirent finalement de remporter la discussion sur les groupes.

Ces discussions ont aussi été importantes dans la réorientation de l’organisation au début des années 80. Nous étions aidés par la trajectoire de la plus grande partie de la gauche et de nombreux féministes dans le parti travailliste, et leur adaptation croissante au statu quo. (On peut en voir le résultat chez les femmes parlementaires aujourd’hui) L’accusation selon laquelle nous refusions de prendre en charge les questions féminines et de développer un cadre féminin s’est avérée totalement fausse et nous avons aujourd’hui une très bonne réputation sur ces questions, en même temps qu’une capacité de popularisé notre théorie au sein de la classe ouvrière. A une époque où le féminisme est souvent un cheval de Troie pour la droite, et où beaucoup de féministes acceptent les idées « post-féministes », cela nous met dans une position brillante lorsque des questions auxquelles sont confrontées les femmes remontent à la surface.

Rétrospectivement, les erreurs que j’ai commises sur les questions soulevées par Women’s Voice, ainsi que sur le journal noir, Flame, apparaissent clairement. Je me suis toujours opposé à chacun d’eux, mais sans prendre en charge les questions qu’ils soulevaient en considérant la situation dans son ensemble. J’ai rédigé une analyse générale du sujet dans mon livre, Class Struggle and Women’s Liberation (Londres, 1984), longtemps après que les groupes de Women’s Voice aient été dissous et le magazine arrêté. Jusque là, je n’avais publié que de courts textes de discussion, comme mes articles sur Clara Zetkin [27] et Alexandra Kollontaï [28]. Par dessus tout, je n’ai pas argumenté par écrit sur le lien dialectique entre l’exploitation et l’oppression.

Lisant les lignes ci-dessus dans le premier jet de cette autobiographie, John Rees fit le commentaire suivant : « Je trouve étrange que tu dises que tu n’étais pas impliqué dans le débat sur Women’s Voice. D’une certaine façon je comprends ce que tu veux dire, mais cela aurait été considéré comme faux par n’importe quel militant actif du parti à l’époque. Peut-être que tu n’as pas écrit autant que tu penses aujourd’hui que tu aurais dû le faire, mais les articles d’International Socialism étaient très importants. Et les débats dans le parti ont duré longtemps. Je me souviens de la réunion sur Kollontaï lors de Marxism 1981, où tu t’adressas à 200 personnes, et qui fut un débat houleux. » Terry Carver, un universitaire que nous avions invité au débat, resta à la réunion et déclara au milieu : « C’est à ça que devaient ressembler les bolcheviks et les mencheviks en 1903 ! »

L’oppression des femmes aggrave l’exploitation des femmes de la classe ouvrière. La richesse et le pouvoir des femmes riches émousse leur oppression. De plus, les femmes riches bénéficient de l’oppression des femmes de la classe ouvrière – elles paient de bas salaires à la cuisinière, à la nourrice, à la femme de ménage. Ainsi, aucune femme ouvrière ne pourrait appeler Margaret Thatcher sa sœur. Après la défaite de la Commune de Paris, les pires tortionnaires des communardes étaient les femmes riches qui visaient de leurs ombrelles les yeux de ces pauvres femmes.

Le séparatisme noir

Les mêmes arguments que ceux concernant le féminisme et la classe ouvrière s’appliquaient à la question du mouvement noir, avec sa tendance au séparatisme. Lorsque se posa la question de notre journal noir, Flame, je fis encore pire, au début, qu’avec Women’s Voice. Je n’écrivis rien. J’aurais dû faire ce qu’a si bien fait Alex Callinicos dans son livre Race and Class. La question de savoir si j’aurais fait aussi bien que lui est hors sujet. La leçon serait qu’une crise importante dans la classe et dans le parti révolutionnaire exige que nous dressions un tableau d’ensemble, que nous développions une théorie générale.

Le séparatisme noir affecta négativement notre travail. L’absence de succès de Flame nous fit nous précipiter dans de plus en plus de choses sans réfléchir soigneusement à ce que nous faisions. L’incapacité de faire face à la réalité nous amena à une frénésie donquichottesque de production de magazines. Nous entrâmes dans une course de papier.

Les publications du SWP se répandirent comme des champignons : un journal punjabi appelé Chingari, un journal urdu appelé Chingari, un journal bengali appelé Pragati, un journal pour les travailleurs noirs, Flame ; et un journal de jeunesse, Fight.

Bien sûr, cela aurait été génial si on avait pu maintenir des journaux en punjabi, urdu ou bengali pour nous relier aux travailleurs de ces communautés ne lisant pas l’anglais. Mais, pour cela, nous devions d’abord avoir de sérieux cadres dans ces communautés. Lénine a dit et répété que le parti révolutionnaire ne peut pas exister sans théorie révolutionnaire. Nous n’aurions pas pu fournir des versions punjabi, urdu ou bengali de Socialist Review ou International Socialism. Sans cela, nous aurions construit sur du sable. Marx disait que sous le capitalisme il y a un fétichisme de l’or. Nous souffrions d’un fétichisme du papier ; si vous ne pouvez pas agir – publiez !

Flame était rédigé en anglais, malgré tout il s’avéra totalement impuissant à construire IS/SWP parmi les travailleurs noirs. L’expérience fut totalement négative.

J’étais plus prudent sur les femmes lorsque la situation devint extrêmement délicate et complexe. Je pense que si j’avais exprimé mon opinion sur Women’s Voice de façon plus dure en 1977-78, j’aurais été tout à fait isolé. Mais sur la question de Flame, il était clair pour moi, depuis fin 1977, qu’il était ridicule d’avoir trois organisateurs noirs à plein temps pour une poignée de membres noirs. En fait, je poussai l’argumentation sur la relation entre exploitation et oppression de façon plus dure et plus confiante sur la question raciale que sur la question féministe. Attirant à moi un groupe de membres noirs – en particulier Mort Mascarenhas et Bruce George – la position était au moins à moitié gagnée lors de la conférence de 1979.

Références

[1] Voir T Cliff et D Gluckstein, op cit, pp. 328-331.

[2] T Cliff, ‘The Balance of Class Forces Today’, International Socialism 2:2, p5.

[3] Ibid, p. 33.

[4] T Cliff et D Gluckstein, op cit, p. 332.

[5] T Cliff, ‘The Balance of Class Forces Today’, op cit, p. 12.

[6] T Cliff, ‘Patterns of Mass Strike’, International Socialism 2:29, p4. 8.

[7] Ibid, p. 14.

[8] Ibid, p. 22.

[9] V I Lénine, Collected Works, vol 11 (Moscou), p. 17.

[10] Ibid, p. 130..

[11] International Socialism, Internal Bulletin, Pre-Conference Issue, 1974, p49.

[12] Socialist Worker, 3 décembre 1977.

[13] SWP Internal Bulletin, janvier 1978, pp. 2-3.

[14] SWP Internal Bulletin, mai 1977, p. 3.

[15] Socialist Worker, 6 mars 1976.

[16] Socialist Worker, 10 septembre 1977.

[17] Socialist Worker, 17 juin 1978.

[18] Socialist Worker, 17 juin 1978.

[19] V I Lénine, Collected Works, vol 16 (Moscou), p. 32.

[20] SWP Internal Bulletin, septembre 1976, p. 5.

[21] V I Lénine, Collected Works, vol 31 (Moscou), p. 38.

[22] SWP Conference 1984 Discussion Bulletin, n° 1, p.5.

[23] T Cliff et D Gluckstein, op cit, p. 365.

[24] A Bobroff, The Bolsheviks and Working Women 1905-1920, Soviet Studies, octobre 1974.

[25] A Balabanoff, My Life as a Rebel (Bloomington, 1973), pp. 132-133.

[26] Ibid, p. 144.

[27] International Socialism 2:13 (Eté 1981).

[28] International Socialism 2:14 (hiver 1981).

Archive T. Cliff
Sommaire Sommaire Haut Sommaire Suite Fin
Liénine