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Arguments pour le socialisme par en bas
A l’école on nous enseigne l’histoire des grands hommes : les rois, les généraux, les empereurs. Je me souviens d’avoir appris que Cléopâtre se baignait dans du lait. Le professeur ne nous disait jamais qui avait produit le lait ni le nombre d’enfants égyptiens qui souffraient de malnutrition à cause du manque de lait. On nous dit que Napoléon est entré en Russie en 1812. On ne nous dit pas combien de paysans en uniformes, français ou russes, sont mort pour ça.
Le Manifeste du Parti communiste montre clairement que c’est l’action de millions de personnes qui compte :
« L’histoire de toutes les sociétés jusqu’à aujourd’hui est l’histoire de la lutte des classes.
Homme libre et esclave, patricien et plébéien, seigneur et serf, maître et compagnon, bref oppresseur et opprimés ont été en constante opposition ; ils se sont mené une lutte sans répit, tantôt cachée, tantôt ouverte, une lutte qui s’est à chaque fois terminée par la transformation révolutionnaire de la société tout entière ou par l’anéantissement mutuel des classes en lutte. »
Le socialisme tel qu’il est conçu dans la tradition stalinienne ou dans la tradition social-démocrate est un socialisme par en haut. Dans le cas des staliniens, c’est évident. Quand Staline éternuait, tous les membres du parti devaient sortir leur mouchoir.
Le socialisme de la social-démocratie semble, en comparaison, démocratique ; mais en réalité, il est complètement élitiste. On n’attend des hommes et des femmes ordinaires que leur voix aux élections une fois tous les quatre ou cinq ans. Pour le reste, ils doivent s’en remettre à d’autres. Si une personne vote dix fois dans sa vie, il exerce ses droits démocratique pendant, disons, trente minutes au total. Lincoln a dit « une société ne peut être à moitié libre et à moitié esclave ». Les leaders de la social-démocratie attendent de la grande masse des gens qu’ils vivent leur vie entière dans l’esclavage et dans la « démocratie » durant trente minutes.
Sous le capitalisme ceux qui travaillent ne contrôlent pas les moyens de production et ceux qui contrôlent les moyens de production ne travaillent pas.
Sous le capitalisme, la production est sociale – les travailleurs travaillent dans de grandes unités, des usines, des réseaux de chemins de fer, des bureaux, des hôpitaux qui les regroupent en grand nombre. La production est sociale mais la propriété ne l’est pas. La propriété est dans les mains d’individus, des compagnies capitalistes ou des États.
Dans toutes les unités de production existe une forme de planification. Mais il n’existe pas de plan pour coordonner les unités de production. Chez Volkswagen, ils produisent un moteur par voiture, une carrosserie par voiture, quatre roues (ou une de plus pour la roue de rechange), etc. Il y a coordination entre les différents aspects de la production. Mais il n’y a pas de coordination entre la production de Volkswagen et General Motors. La planification et l’anarchie sont deux faces d’une même pièce sous le capitalisme.
Il est utile de juxtaposer le capitalisme et le féodalisme – qui l’a précédé – et le socialisme, qui le suivra.
Sous le féodalisme, la production était individualisée et la propriété aussi. Sous le socialisme la production sera sociale et la propriété sera sociale aussi.
Sous le féodalisme on ne pouvait pas parler de planification, ni au niveau d’une unité de production individuelle ni au niveau de l’ensemble de l’économie. Sous le socialisme, la planification s’appliquera à chaque unité de production autant qu’au niveau global.
Parce que le capitalisme combine une dynamique et une productivité énormes en même temps qu’y règne l’anarchie, nous sommes témoins du phénomène de la pauvreté au milieu de l’abondance. Pendant des milliers d’années, les gens mourraient de faim parce qu’il n’y avait rien à manger. Le capitalisme est la première société dans laquelle les gens meurent de faim parce qu’il y a trop de nourriture. Aux États-Unis, ils construisent des bateaux dont le fond s’ouvre pour couler en mer le grain de façon à maintenir les prix.
La pauvreté et la richesse prennent des formes plus extrêmes que jamais au cours de l’histoire. On a calculé que 358 multimilliardaires possèdent une richesse égale au revenu de la moitié de l’humanité. Cette moitié de l’humanité regroupe non seulement les plus pauvres mais aussi ceux qui dans les pays développés s’en sortent à peu près.
Sous le féodalisme, le seigneur exploitait et opprimait les serfs de façon à améliorer sa vie de seigneur. Comme l’a dit Marx « les parois de l’estomac du seigneur déterminent les limites de l’exploitation du serf ». Ce qui motive Ford dans l’exploitation de ses employés ce n’est pas son propre appétit de consommation. Si c’était le cas, il ne serait pas si difficile de supporter les patrons : Ford emploie 250 000 travailleurs dans le monde. Si chacun ne donnait qu’un franc chaque jour sous forme de plus-value, cela suffirait amplement à pourvoir aux besoins de tous les propriétaires de Ford. Et il y a plus. Comme la croissance globale du système est beaucoup plus grande que celle de la consommation de toute la population, le fardeau des travailleurs aurait du se réduire au cours du temps. Mais la raison pour laquelle les capitalistes nous exploitent n’est pas la satisfaction de leur consommation, c’est l’accumulation du capital. Pour survivre dans la compétition contre General Motors, Ford doit rééquiper ses usines encore et encore, il ne doit pas cesser d’investir du capital. L’anarchie produite par la compétition entre les capitalistes a un revers : c’est la tyrannie sous laquelle vivent les travailleurs dans chaque unité de production.
Partout, on nous dit que État s’élève au-dessus de la société, que l’État représente la nation. Le Manifeste du Parti communiste montre clairement que l’État est une arme aux mains de la classe dirigeante : « L’exécutif de l’État moderne n’est qu’un comité pour la gestion des affaires communes de l’ensemble de la bourgeoisie ».
Ailleurs, Marx a écrit que l’État est « une bande d’hommes en armes et ses annexes », l’armée, la police, les tribunaux et les prisons.
Marx appelait aussi l’armée « l’industrie du massacre » qui dépend de l’industrie en général. Les forces productives déterminent les forces de destruction. Au Moyen-âge, lorsque le serf ne possédait qu’un cheval et une charrue en bois, le chevalier possédait un cheval (meilleur) et une épée. Durant la première guerre mondiale, quand des millions d’hommes étaient mobilisés dans l’armée, des millions d’autres étaient mobilisés dans les usines pour produire les fusils, les munitions, etc. A notre époque où un doigt peut appuyer sur un bouton et transférer ainsi des millions de francs à l’autre bout de la planète, un doigt sur un autre bouton peut anéantir 60 000 personnes à Hiroshima. L’industrie du massacre et l’industrie tout court se correspondent comme le gant et la main. Si un martien trouvait un gant, il ne comprendrait pas pourquoi il a cinq doigts. Mais s’il savait que le gant sert à couvrir une main avec cinq doigt, tout deviendrait évident. La structure sociale de l’armée reflète aussi la structure de la société. Si l’armée comprend des généraux, des colonels, etc. jusqu’au simples soldats, il en va de même sur le lieu de travail où l’on trouve le propriétaire, le cadre, le contremaître, etc. jusqu’au simple travailleur.
Pour exproprier les capitalistes, la classe ouvrière doit prendre le pouvoir politique. Mais Marx insistait sur le fait que les travailleurs ne peuvent pas simplement s’emparer de l’appareil d’État actuel parce que l’État actuel reflète la structure hiérarchique du capitalisme. Les travailleurs doivent détruire cet appareil d’État hiérarchique et le remplacer par un État dans lequel il n’y a pas d’armée permanente, par de bureaucratie permanente, où tous les officiels sont élus et révocables à tout moment, et où aucun ne gagne plus que les travailleurs qu’il représente. Marx arriva à cette conclusion en observant la Commune de Paris en 1871, parce que, au cours de la Commune, c’est précisément ce que réussirent à mettre en place les travailleurs. Le Manifeste du Parti communiste explique : « Tous les mouvements historiques jusqu’à présent n’étaient que des mouvement de minorités ou dans l’intérêt de minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement autonome et conscient de la vaste majorité dans l’intérêt de l’immense majorité ».
Marx expliquait ainsi pourquoi nous devons faire la révolution : la classe dirigeante n’abandonnera pas ses privilèges, et les travailleurs ne se débarrasseront pas du poids des préjugés du passé sans une révolution.
Le capitalisme unit autant qu’il divise les travailleurs. Être en compétition pour trouver du travail, un logement, etc. divise la classe ouvrière. Combattre les patrons unit les travailleurs. L’unité maximale qui est au cœur de la révolution est la grève de masse. La révolution ne se fait pas en un seul « Grand soir », c’est un processus – fait de grèves, de manifestations, etc. – qui culmine lorsque les travailleurs prennent physiquement le pouvoir.
La violence, que l’on présente si souvent (et à tort) comme la révolution elle-même est, comme Marx l’a dit, « l’accoucheuse de la nouvelle société ». Notez bien : c’est « l’accoucheuse », pas le bébé lui-même ; elle ne fait qu’aider.
L’aspect le plus important de la révolution ce sont les changements spirituels de la classe ouvrière. Prenons un exemple : sous le Tsarisme, les juifs étaient durement persécutés. Il y avait des pogroms contre les juifs, ils n’étaient pas autorisés à vivre dans les deux capitales de l’empire, Petrograd et Moscou, sans une autorisation spéciale et il y avait encore une quantité d’autres terribles brimades. Puis vint la révolution : le président du soviet – l’assemblée des travailleurs – de Petrograd, Trotsky, était un juif ; le président du soviet de Moscou, Kamenev, était un juif ; le président de la République, Sverdlov, était un juif ; le chef de l’Armée rouge, Trotsky, était un juif.
Voici un autre exemple qui montre à quel point les idées peuvent changer énormément. En 1917, pendant la révolution, Lounacharsky organisait des meetings de 30 à 40 000 personnes où il parlait pendant 2 ou 3 heures sur des sujets comme William Shakespeare, la tragédie grecque, etc.
Dans le passage du Manifeste du Parti communiste cité plus haut, Marx écrivait que la lutte des classes se terminait « soit par la transformation révolutionnaire de la société toute entière, soit par la destruction mutuelle des classes antagonistes ». Il en était arrivé à cette conclusion à partir de l’expérience du déclin de l’empire Romain basé sur l’esclavage. Spartacus fut vaincu, les esclaves ne parvinrent pas à renverser la classe des propriétaires d’esclaves, la société déclina, les esclaves disparurent, furent remplacés par les serfs et les maîtres par les seigneurs féodaux (l’invasion par les tribus germaniques ne fut qu’un des éléments de ce processus).
Engels formula la même idée en expliquant que l’humanité était placée devant ce choix : le socialisme ou la barbarie. Rosa Luxembourg encore développa cette idée. Aucun des deux ne connaissaient la barbarie comme nous la connaissons. Engels est mort en 1895 ; Rosa Luxembourg fut assassinée en janvier 1919. Aucun des deux ne pouvaient être au courant pour les chambres à gaz, pour Hiroshima et Nagasaki, pour la famine de masse en Afrique, etc, etc.
Pendant que les Nazis frappaient aux portes du pouvoir les dirigeants du SPD (parti socialiste allemand) disaient que l’alternative était le statu quo. Ils appelèrent à voter pour le maréchal Hindenburg lors des élections présidentielles parce qu’il était de droite et non pas un nazi (mais le 30 janvier 1933 c’est lui qui appella Hitler à devenir chancelier). Les sociaux-démocrates soutenaient les décrets d’urgence de Brüning (chancelier de centre droit de 1930 à 1932 – NDT), qui signifiaient des mesures d’austérité dans le budget social pour les travailleurs, ils démoralisaient les travailleurs et ont joué le jeu des nazis. Fritz Tarnow, un « théoricien » des syndicats expliquait « le capitalisme est malade, nous sommes les médecins du capitalisme ». Marx disait que la classe ouvrière était le fossoyeur du capitalisme. Il y a une différence entre un médecin et un fossoyeur. Le médecin met un oreiller sous la tête d’un malade, le fossoyeur l’étouffe avec.
Parce que le fascisme est un mouvement du désespoir, contrairement au socialisme qui est un mouvement d’espoir, on ne peut pas séparer, dans la lutte antifasciste, la lutte contre les fascistes et la lutte contre les conditions qui mènent au désespoir. Il faut combattre les rats, mais aussi les égouts dans lesquels ils se reproduisent. Il faut lutter contre le fascisme, mais aussi contre le capitalisme, qui est responsable des conditions dans lesquelles le fascisme se développe – le chômage, les mauvais logements, la misère sociale etc.
Les contradictions du capitalisme sont aujourd’hui plus profondes que ce qu’elles étaient à la mort de Marx en 1883. Ces contradictions sont visibles à travers les crises sociales et les guerres sans fin dans de nombreux pays. La classe ouvrière est aujourd’hui bien plus puissante qu’en 1883. Aujourd’hui, la classe ouvrière de la Corée du Sud est plus nombreuse que l’ensemble des classes ouvrières dans le monde dans l’année de la mort de Marx. Et la Corée du Sud n’est que l’onzième puissance économique du monde. Si l’on compte les travailleurs des USA, du Japon, de la Russie, de l’Allemagne, de la Grande Bretagne etc., alors il devient clair que le potentiel pour le socialisme est aujourd’hui plus important que jamais.