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Arguments pour le socialisme par en bas
Le cœur du marxisme réside en ce que l’émancipation de la classe ouvrière sera l’œuvre de la classe ouvrière elle-même. En même temps, Marx indique que les idées dominantes dans la société sont les idées de la classe dominante. Une forme importante que peuvent prendre ces idées est l’éclatement de l’unité des travailleurs en différentes races, nationalités et identités sexuelles.
L’oppression des noirs par les blancs, des femmes par les hommes, etc, divise la classe ouvrière, et la politique du diviser pour régner renforce le pouvoir des capitalistes.
Comment l’oppression affecte-t-elle la condition des travailleurs qui appartiennent à la section opprimée ? Les travailleurs noirs en Angleterre sont exploités comme travailleurs. Le fait qu’ils soient discriminés en tant que Noirs aggrave l’exploitation. Ils ont de plus bas salaires, leurs conditions de travail sont plus mauvaises, ils souffrent de mauvais logements et d’autres privations sociales. C’est la même chose pour les femmes, qui sont contraintes de supporter la double charge du travail salarié et du soin des enfants et de la maison. Leurs emplois sont beaucoup plus marginaux, elles ont moins de facilités pour obtenir une qualification professionnelle, elles sont obligées de renoncer à leur emploi pour s’occuper des enfants en bas âge ; leur oppression aggrave leur exploitation.
Comment l’oppression affecte-t-elle les travailleurs qui appartiennent à la catégorie des oppresseurs ? Evidemment, ils se croient supérieurs aux travailleurs « inférieurs ». Mais en retirent-ils réellement un avantage ? Les travailleurs blancs dans les États du Sud des États-Unis pensent qu’ils en tirent profit parce qu’ils sont mieux payés que les Noirs, ont de meilleurs logements, etc. Mais les travailleurs blancs gagnent plus dans le Nord ; mais aussi les Noirs du Nord gagnent plus que les Blancs du Sud.
Les travailleurs protestants en Irlande du Nord doivent penser que taper sur les catholiques est bon pour eux, sinon ils ne le feraient pas. Le travailleur protestant a plus de chances de trouver un travail et d’avoir une vie agréable que le travailleur catholique, mais ce même salarié gagne moins qu’un ouvrier de Birmingham ou de Glasgow.
C’est la même chose pour les relations entre les travailleurs hommes et femmes. Il gagne plus qu’elle, par conséquent il semble qu’il bénéficie de son oppression. Mais il s’agit là d’une vision très superficielle de la situation. Réfléchissons. Un travailleur homme écrit à un de ses amis : « Sais-tu la bonne nouvelle ? Ma femme gagne des cacahuètes comme salaire, la nourrice coûte la peau des fesses, son emploi est menacé en permanence et, pour couronner le tout, elle à nouveau enceinte et on n’a pas les moyens de se payer un avortement. La vie est belle ! ».
Si je voyage dans un train répugnant de saleté, en tant que Blanc sous le régime capitaliste je vais avoir droit à une place près de la fenêtre. La femme ou le Noir auront un siège loin de la fenêtre et voyageront dans des conditions pires que les miennes. Mais le vrai problème, c’est le train. Nous n’avons aucun contrôle sur un conducteur qui nous conduit vers un précipice.
La partie la plus opprimée de la classe ouvrière donne l’image des pires horreurs du capitalisme. Trotsky a écrit que si on voulait comprendre le besoin d’une nouvelle société, on devrait regarder le monde avec les yeux d’une femme. Si l’on veut comprendre la nature de la société britannique aujourd’hui, on devrait la regarder avec les yeux de Neville et Doreen Lawrence, les parents de Stephen Lawrence, le jeune Noir dont les assassins, cinq nazis, sont protégés par la police anglaise.
Pour réaliser l’unité entre travailleurs blancs et noirs, le travailleur blanc doit aller vers les travailleurs noirs et faire plus de la moitié du chemin. Pour réaliser l’unité entre travailleurs hommes et femmes, le travailleur homme doit faire un détour pour prouver qu’il n’est pas du côté des oppresseurs. Lénine a exprimé cela de façon très simple en 1902. Il a écrit que lorsque les travailleurs se mettent en grève pour des augmentations de salaires ils sont des syndicalistes ; ce n’est que lorsqu’ils font grève pour protester contre les violences faites aux Juifs ou aux étudiants qu’ils sont véritablement socialistes.
Une grève impliquant des travailleurs blancs et noirs aide à éradiquer le racisme. Une grève renforce la solidarité, et a par conséquent un impact plus profond que la seule revendication immédiate. Le changement de mentalité chez les travailleurs est le résultat le plus précieux d’une grève.
Mais la solidarité peut avoir pour point de départ une manifestation antiraciste, qui conduit à un sentiment d’unité avec les travailleurs noirs qui a une impact sur les futurs conflits sociaux. A Londres, les meetings de solidarité avec la famille Lawrence, composés de Noirs et de Blancs, connaissent une forte affluence et non seulement ils ne manqueront pas d’avoir un impact puissant sur l’attitude de millions de personnes envers la police, mais ils inspireront aussi une solidarité croissante parmi les travailleurs sur bon nombre d’autres questions.
Une grève dans laquelle hommes et femmes sont côte à côte contribue à renverser le sexisme. Il faut se rappeler la Commune de Paris, dans laquelle les femmes ont combattu héroïquement, au point qu’un journaliste britannique a pu dire que si tous les communards avaient été des femmes ils auraient sûrement gagné.
Il n’y a pas très longtemps, dans un meeting à Londres, je disais : « Vienne la révolution, et ce sera une jeune femme noire de 26 ans, lesbienne, qui sera présidente du Conseil Ouvrier de Londres ». J’ai choisi ces caractéristiques parce chacune d’elles brise les tabous du capitalisme. Jeune est mauvais, noir est mauvais, femme est mauvais, lesbienne est mauvais. Après la réunion une jeune femme noire est venue me voir et m’a dit : « C’est moi. Je suis noire, comme tu peux le voir, je suis une femme, je suis âgée de 26 ans et je suis lesbienne ». Je lui ai répondu : « Désolé, sister, mais tu as raté le coche. La révolution sera dans dix ans. Alors tu seras trop vieille ». Bien sûr, mes paroles ne sont pas à prendre littéralement. Le président du Conseil Ouvrier de Londres pourra très bien être un Irlandais de 70 ans, grand-père de 15 petits-fils.
Un révolutionnaire doit être extrême dans son opposition à toutes les formes d’oppression. Un révolutionnaire blanc doit être plus extrême dans son opposition au racisme qu’un révolutionnaire noir. Un révolutionnaire goy (non juif – NDT) doit s’opposer à l’antisémitisme plus fortement que n’importe quel juif. Un révolutionnaire de sexe masculin doit être totalement intolérant vis-à-vis du harcèlement ou du mépris des femmes. Nous devons être la tribune des opprimés.