"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale." |
Défense du trotskysme (2)
L'Impérialisme, la bureaucratie du Kremlin, les États-Unis Socialistes d'Europe
En Europe se manifeste une des contradictions explosive et insoluble dans son cadre du développement capitaliste. Le développement de l'économie capitaliste intègre l'ensemble de l'Europe en une totalité organique, dont les parties sont à la longue inviables les unes sans les autres. Rosa Luxembourg démontra que la croissance du capital en Allemagne, comme la croissance du capital en Angleterre et en France sont fiés organiquement. Il en va de même de tous les pays d'Europe : Belgique, Italie, anciens pays de l'Autriche‑Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Grèce, Espagne, etc. Mais cette croissance s'opère dans de telles conditions que si elle fait de l'Europe une totalité organique... elle la divise, la fractionne, en multiples états nationaux, en multiples bourgeoisies d'inégales puissances, mais non moins férocement opposées les unes aux autres. Chacune des parties constituantes du capital en Europe dépend et se dresse antagoniquement contre les autres. Sans doute les mêmes contradictions se manifestent à l'échelle mondiale; l'impérialisme américain se forme et croît comme partie constituante du capital mondial, tout comme le capital en Europe et chacune de ses parties constituantes. Mais en Europe le développement de l'économie capitaliste fait surgir ou ressurgir les questions nationales. Chaque bourgeoisie se constitue comme élément du capital européen et mondial, participe à la division du travail et aux marchés européen et mondial et ne saurait se constituer et se renforcer en dehors d'eux. Il lui faut cependant délimiter son propre marché national, établir sa propre division nationale du travail, tenter d'acquérir son indépendance politique, ou l'affirmer, forger son propre État, établir ses frontières nationales, développer concurremment aux autres bourgeoisies, ses propres productions, s'étendre sur le marché mondial, y établir ses propres positions, les défendre et les étendre. A côté des grandes nations européennes qui luttent entre elles sur le marché mondial, et finalement se partagent le monde ‑ Angleterre, France ‑ naissent ou renaissent de nouvelles nations qui, même lorsqu'elles sont plus petites, participent aux partage colonial du monde : Hollande, Belgique, plus tard Allemagne, Italie. D'autres encore vont naître ou renaître. La bourgeoisie donne une expression idéologique aux aspirations séculaires des peuples européens opprimés par les grandes puissances anciennes ou nouvelles ‑ Espagne, Angleterre, France, Autriche, Russie, Turquie ‑ et un objectif politique : l'indépendance et un état national. Au gré des rapports de forces, des ruptures d'équilibre, et des jeux des grandes puissances se constituaient ou étaient détruits de nouveaux états nationaux : la Belgique, la Pologne, la Grèce, la Bulgarie, la Roumanie, la Norvège, l'unité de l'Italie et de l'Allemagne se forgeait, l'Autriche‑Hongrie et l'empire Turc se disloquaient.
Le mouvement contradictoire du capital qui, dans sa croissance, constituait le marché mondial, la division du travail internationale, lesquels étaient et sont d'ailleurs en perpétuelle révolution, et d'autre part les divisait en marchés et états nationaux, embrassait le monde entier. Il fit surgir une multitude de nations là même ou elles n'existaient pas préalablement en Australie, en Amérique du Nord, en Amérique Latine, en Afrique.
Dans le cas des U.S.A., la guerre d'indépendance, la guerre de Sécession et la victoire du Nord furent indispensables pour que se forge et s'unifie la nation américaine. Ailleurs le capital était incapable de surmonter les différenciations nationales autrement que par l'oppression nationale, qui les cadenasse mais les renforce : Russie, Indes, Autriche‑Hongrie, Asie du Sud‑Est et jusqu'au Canada. Avec “ l'impérialisme stade suprême du capitalisme ” ce processus s'accentua. Il n'est pas accidentel que l'unité des Etats‑Unis, de l'Allemagne, de l'Italie, se soit réalisée à la veille, avant que s'ouvre le stade de l'impérialisme tel que le définit Lénine, et que, ensuite, le capital se soit avéré incapable de surmonter les contradictions nationales. Bien plus, au stade de l'impérialisme, à l'intérieur d'une même nation s'accentuaient les différenciations régionales internes : des régions entières, y compris aux U.S.A., sont stagnantes, voir régressent, ce qui renforce les particularismes locaux. En Angleterre même, terre classique du capitalisme, les différences nationales se sont marquées plus encore au stade de l'impérialisme, entre l'Irlande, l'Écosse et l'Angleterre proprement dite.
Mais c'est en Europe que ce processus contradictoire accumula le plus de force explosive. Les puissances européennes sont à l'origine du développement capitaliste mondial. Elles développèrent leurs marchés nationaux par leur expansion mondiale. Elles se partagèrent le monde. Dans ce cours, chaque capitalisme se structurait, s'établissait sur ses bases spécifiques. Mais les positions mondiales acquises finirent par renforcer les contradictions internes en Europe. Conserver, renforcer ces positions, en acquérir de nouvelles exigeait de chacun des impérialismes européens qu'il acquît ou essaie d'acquérir la prééminence en Europe. La croissance tumultueuse de l'impérialisme américain après la guerre de Sécession, celle de l'impérialisme russe, bien qu'elle résultât en grande partie de l'exportation de capital français, anglais, et aussi allemand, renforçaient contradictions inter‑impérialistes en Europe, au même titre que la croissance propre du capital européen lui‑même. L'hégémonie en Europe devient une question vitale pour chaque grand impérialisme européen comme condition du maintien et du renforcement de ses positions mondiales. Le combat à mort entre les impérialismes anglais, français, allemand, pour l'hégémonie en Europe était inscrit dans la logique du capitalisme à son stade impérialiste. Tard venu dans le développement capitaliste, devant se limiter à une portion congrue dans le partage colonial du monde, occupant néanmoins une des premières places dans le commerce mondial et la division internationale du travail, animé par une croissance économique rapide, supérieure à celle de la France et de l'Angleterre, l'impérialisme allemand manifeste plus que les autres grandes puissances européennes cette exigence.