"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale." |
Défense du trotskysme (2)
L'Impérialisme, la bureaucratie du Kremlin, les États-Unis Socialistes d'Europe
La très honorable société des renégats de la IV° Internationale écrivait dans sa très officielle revue :
“ Il reste que le cours adopté par l'impérialisme américain et qui. implique, nous l'avons dit, le danger que l'engrenage édifié n'aboutisse à la guerre généralisée, ne pourra être bloqué et renversé qu'à la condition que les États ouvriers, et en premier lieu l'Union soviétique et la Chine, s'engageant à fond dans la lutte, en faisant entendre à l'impérialisme que, s'il veut persister dans son aventure, il aura à faire face au front anti-impérialiste dans son ensemble ”.
“ Nous ne minimisons pas l'effet d'une mobilisation des masses dans les différents pays du monde, et surtout pas l'activité de l'opposition intérieure aux U.S.A. S'il y a actuellement une certaine crise et un certain désarroi y compris dans les milieux dirigeants américains, les manifestations qui se sont déroulé aux Etats‑Unis au cours de ces derniers mois y ont contribué dans une mesure importante; et il n'y a pas de doute qu'au fur et à mesure que Johnson et le Pentagone s'engagent plus à fond au Vietnam, le sentiment de malaise, l'opposition et la révolte s'accroîtront parallèlement. TOUTEFOIS, ÉTANT DONNÉ LES RAPPORTS DE FORCE ACTUELS, LE FACTEUR DÉCISIF, EN DERNIERE ANALYSE, SERA L'ATTITUDE DES ÉTATS OUVRIERS, ET NOTAMMENT DE L'UNION SOVIÉTIQUE (souligné par moi)... ”
“ ... La confrontation capitale se situe aujourd'hui au Vietnam et c'est au Vietnam qu'il faut absolument éviter que l'impérialisme emporte un succès fût‑il relatif, en empêchant le peuple vietnamien d'obtenir cette victoire définitive qu'il aurait déjà eue sans la criminelle intervention de Johnson et du Pentagone ” (Éditorial Quatrième internationale, juin 1966, Pages 2 et 3).
Remarquons qu'une fois encore les pablistes escamotent la réalité de la bureaucratie du Kremlin, des bureaucraties parasitaires, de la bureaucratie chinoise, par une astuce qui est leur est coutumière : ils font disparaître les qualificatifs qui caractérisent les États ouvriers comme États ouvriers dégénérés ou déformés, Cet escamotage a des raisons politiques évidentes qui ont été analysées dans “ Défense du trotskysme ”, mais qui ressortent également de cette citation : masquer le rôle politique que jouent les différentes bureaucraties parasitaires et singulièrement la bureaucratie du Kremlin.
Mais quel dommage que ce soit à peu près l'époque où Gisèle lui donnait tant de joie, sans quoi, suivi de toute sa troupe, mettant en accord sa théorie et sa pratique, le commandant Ernesto Mandel, s'engageait dans les maquis du Vietnam. Ce morceau de littérature est un nouvel exemple de l'art de trahir en utilisant le radicalisme verbal. Personne ne contestera l'importance et la signification générale de l'intervention de l'impérialisme américain au Vietnam. Mais précisément, l'intervention ne fut possible que comme conséquence de la politique de la bureaucratie du Kremlin et dans une certaine mesure de la bureaucratie chinoise. Ce sont elles qui, à Genève en 1954, organisèrent et imposèrent la partition du Vietnam. La bureaucratie du Kremlin à la recherche d'un compromis planétaire avec l'impérialisme américain, s'efforce d'isoler la révolution chinoise. d'en faire l'objet d'un marchandage : les mains libres à l'impérialisme américain contre la Chine (et par conséquent le Vietnam) en échange du statu quo en Europe. La livraison d'armes au Vietnam afin de résister à l'agression impérialiste est d'une importance capitale... et pourtant ce qui prime c'est la politique. Il suffit de rappeler comment la révolution espagnole fut poignardée par Staline et l'appareil international du stalinisme pour s'en rendre compte. Staline n'a pas seulement livré des armes, il a exporté ses “ spécialistes ”, il a imposé sa politique en Espagne. En moins de deux ans, de juillet 1936 a 1938, il mit à mort la révolution prolétarienne en Espagne et finalement il cessa les livraisons d'armes, abandonnant sans phrases “ l'Espagne républicaine ” à Franco [1]. La livraison d'armes peut avoir des aboutissants très différents selon la politique dans laquelle elle s'insère. L'Espagne révolutionnaire fut trahie et poignardée en utilisant des formules martiales et guerrières : “ des canons, des avions pour l'Espagne ”. Avec la grève de juin 1936 en France et la révolution espagnole, la dernière chance révolutionnaire s'ouvrait en Europe, entre les deux guerres. De la victoire de la révolution en France et en Espagne dépendait le sort du monde, la possibilité d'éviter la deuxième guerre mondiale, en opposant à la guerre impérialiste la révolution prolétarienne. En 1936, le fascisme était mal assuré en Italie, l'écho des grèves françaises se répercuta jusque dans la Ruhr, où des grèves eurent lieu.
Hitler n'en était qu'au début de son programme d'armement. Le prolétariat européen disposait de puissantes forces en Tchécoslovaquie, en Belgique, en Angleterre, dans les pays Scandinaves. En U.R.S.S., l'extermination de la génération d'Octobre, des militants du Parti bolchevique compagnons de Lénine, et de Trotsky, était en cours, mais elle était loin d'être achevée. La victoire de la révolution prolétarienne en France et en Espagne aurait effacé les défaites antérieures, remis à l'ordre du jour la révolution prolétarienne en Europe, enflammé le prolétariat européen tout entier. Elle se fût répercutée également aux U.S.A. où venait de se former le C.I.O. (Confédération des Organisations Industrielles) fédérant les travailleurs par branches d'industrie, et où de grandes grèves se développaient, parmi lesquelles la célèbre grève de la Général Motors en janvier 1937. La meilleure “ aide ” à la révolution espagnole, c'était la victoire de la révolution en France. Le prolétariat français, donc le prolétariat espagnol, donc tous les prolétariats européens, furent trahis : à “ il faut savoir terminer une grève ”, Thorez et le P.C.F. ajoutèrent “ des canons, des avions pour l'Espagne ”, et formèrent les Brigades Internationales. Bien sûr des “ canons, des avions pour l'Espagne ” : pour se battre il faut des armes. Mais la victoire des ouvriers et des paysans espagnols se jouait autant à Paris qu'à Madrid. Le prolétariat français prenant le pouvoir à Paris résolvait la question “ des avions, des canons pour l'Espagne ”. Non seulement il eut pu les envoyer, mais surtout le fascisme en Europe recevait un coup mortel. La puissance de la Révolution prolétarienne ne se réduit pas aux moyens matériels immédiats qu'elle procure à la classe ouvrière. Elle a des effets dynamiques, mobilisateurs des couches exploitées et du prolétariat des autres pays, désagrégateurs des classes sociales exploiteuses. Sans quoi jamais la Révolution russe n'aurait résisté à l'encerclement impérialiste combiné à la guerre civile intérieure. Afin de détourner la classe ouvrière française de la lutte pour le pouvoir en France ‑ et donc de la véritable et décisive “ aide ” au prolétariat espagnol ‑ le P.C.F., les socialistes de gauche, ont spéculé sur la solidarité profonde du prolétariat français à l'égard du prolétariat espagnol. Ils ont tout fait pour lui faire croire “ qu'aider l'Espagne républicaine ” c'était essentiellement collecter, expédier des moyens matériels, envoyer des volontaires. Le front de classe du prolétariat français ne se situait plus en France, mais à Madrid. Ce faux internationalisme se traduisit par cette politique qui combina le slogan “ des canons, des avions pour l'Espagne ” à celui du “ Front du français pour la défense de la liberté et de l'indépendance de la France ” lancé dès août 1936 par Thorez, qui allait infiniment plus loin encore que le “ Front populaire ”; il devait s'étendre de “ Thorez à Paul Reynaud ”.
La politique des renégats de la IV° Internationale et de tous les “ tiers‑mondistes ” trahissait tout à la fois les ouvriers et paysans vietnamiens et le prolétariat des pays économiquement développés, au nom du “ soutien du peuple vietnamien contre l'agression de l'impérialisme américain ”, comme les staliniens trahirent en 36‑38 le prolétariat espagnol et le prolétariat français au nom du “ soutien à l'Espagne républicaine ”. Elle remettait entre les mains de la bureaucratie du Kremlin le sort des ouvriers et paysans du Vietnam. Au nom des “ rapports de forces actuels ” entre les classes, elle se concluait par des campagnes “ pour le milliard au Vietnam ”, l'unité des français de Pierre Frank à De Gaulle “ contre l'impérialisme américain ”, tandis que le P.C.F. propulsait de son côté sa campagne pour “ un bateau au Vietnam ”.
Tout cela n'empêche pas qu'ils affirment avec impudence :
“ Les liens entre la résistance victorieuse de la révolution vietnamienne et la reprise de la lutte révolutionnaire dans les métropoles impérialistes sont manifestes à la fois sur le plan subjectif et sur le plan objectif.
Subjectivement cette résistance a stimulé la formation d'une nouvelle avant‑garde jeune dans les pays impérialistes, a puissamment contribué à la rendre autonome par rapport aux appareils traditionnels réformistes et staliniens, lui a permis de s'aguerrir et d'acquérir de plus en plus d'audace dans des affrontements sans cesse amplifiés avec les partis traditionnels, avec la bourgeoisie et avec l'appareil de répression de l'Etat bourgeois. ” (Quatrième Internationale, mai 1969, page 14).
Que la résistance héroïque des ouvriers et paysans vietnamiens, qui a révélé ce que signifierait pour l'impérialisme une guerre contre la Chine, mais qui n'est hélas pas encore “ victorieuse ”, soit liée subjectivement et objectivement à Mai‑juin 1968 en France et à la montée de la révolution politique en Tchécoslovaquie, seuls Mandel, les pablistes de toutes variétés, les tiers‑mondistes, etc., prétendaient le contraire. “ La véritable aristocratie ouvrière n'est plus constituée (seulement) par certaines couches du prolétariat des pays impérialistes par rapport à celui des pays coloniaux et semi-coloniaux ” écrivait le théoricien. Et encore : “ la confrontation capitale se situe aujourd'hui sacrifier une lutte de classe sinon inexistante, au Vietnam ”. il fallait y sacrifier une lutte de classe sinon inexistante, tout au moins languissante dans les pays économiquement développés, et s'allier avec le diable : la bureaucratie du Kremlin, De Gaulle ou ses députés. Quant au lien subjectif, comment aurait‑il pu s'établir si les contradictions de classe n'étaient pas poussées à leur paroxysme, mais atténuées, sinon résolues, par l'impérialisme en Europe et ailleurs en raison à la fois de la croissance sans limite des forces productives associant les prolétariats des pays impérialistes à l'exploitation impérialiste du monde, et de la passivité du prolétariat consécutive à la “ défaite de la vague révolutionnaire d'après la guerre en Europe occidentale ” (en 1947 ? ). Enfin “ la nouvelle avant‑garde jeune dans les pays impérialistes ” se fût formée à la lutte contre “ les partis traditionnels, la bourgeoisie, l'Etat bourgeois ”, d'étrange façon s'il n'avait tenu qu'aux pablistes, aux tiers‑mondistes, à JanusGermain‑Mandel, à Pierre Frank : en s'en remettant à la bureaucratie du Kremlin, à la bureaucratie chinoise, aux députés gaullistes, pour la défense de la révolution vietnamienne !
Fort heureusement, au contraire des affirmations pablistes, la lutte héroïque des ouvriers et des paysans vietnamiens s'intègre à une lutte des classes mondiale, dont les conditions sont profondément différentes de ce qu'elles étaient en 1936‑39 pendant la révolution et la guerre civile espagnole, ce qui entrave relativement l'intervention de l'impérialisme américain et rend très difficile à la bureaucratie du Kremlin de rendre à l'impérialisme le service d'étrangler la guerre révolutionnaire du peuple vietnamien. Sans aucun doute, en 1936‑39, la victoire des prolétariats espagnol et français était possible, elle eut inversé le cours de la lutte des classes dans l'Europe entière. Néanmoins, les prolétariats espagnol et français combattaient le dos au mur, cernés par la contre‑révolution victorieuse dans la plupart des pays d'Europe. La bureaucratie du Kremlin pouvait assassiner, presque dans l'ombre, la révolution espagnole.
Au contraire, la lutte des ouvriers et paysans vietnamiens bénéficie des crises de l'impérialisme et de la bureaucratie du Kremlin qu'elle approfondit. La capacité de combat et de résistance des ouvriers et paysans vietnamiens s'alimente aux mêmes sources que la révolution chinoise, qui a donné à la guerre révolutionnaire au Vietnam une impulsion prodigieuse. Par contre, l'impérialisme américain n'a pas les mains libres : il redoute que le prolétariat des pays capitalistes avancés n’engage de grandes batailles de classe qui mettent en cause le système capitaliste dans ses vieux bastions d'Europe ; il ne maîtrise pas le développement de la lutte de classe dans son propre pays, qui prend des formes diverses (luttes des noirs, grèves des travailleurs, manifestations contre l'intervention au Vietnam), et qui avivent les coups que portent aux forces d'interventions U.S. les ouvriers et paysans vietnamiens. Si bien que, pour des raisons politiques, l'impérialisme U.S. n'est pas en mesure d'utiliser toute sa puissance militaire, si terribles que soient les moyens qu'il met en œuvre au Vietnam, tandis que sans nul doute la Chine, directement menacée par l'intervention. de l'impérialisme américain, donne un soutien militaire efficace au gouvernement Lie Hanoi et que pèse la crainte de son intervention massive contre l'armée impérialiste, comme au cours de la guerre de Corée.
La guerre révolutionnaire des ouvriers et paysans vietnamiens retentit puissamment sur la crise de la bureaucratie du Kremlin et de son appareil international. Le Kremlin doit compter sur les réactions des prolétariats des pays capitalistes, qui sont prêts à de nouveaux combats sur leurs propres terrains, sur celles des prolétariats de l'Est de l’Europe et d'U.R.S.S., placés devant une trahison trop ouverte et trop patente des ouvriers et paysans vietnamiens. Il leur faut prendre en considération les contradictions et antagonismes qui se tendent au sein des P.C., de l'appareil international du stalinisme, qui existent jusqu'au sommet de la bureaucratie de l'U.R.S.S., et qu'accroissent les craintes qu'inspirent à une partie de celle‑ci une politique d'entente avec l'impérialisme contre la Chine, de liquidation de la lutte des ouvriers et paysans vietnamiens.
En dernière analyse, les ouvriers et paysans vietnamiens résistent à l'impérialisme le plus puissant et le bravent, ils échappent aux pièges de la politique de la bureaucratie du Kremlin, en raison de la force et des luttes de classe des prolétariats des pays économiquement développés, qui sont à l'origine de la crise conjointe de l'impérialisme et de la bureaucratie du Kremlin, en même temps que les luttes du peuple vietnamien sont un des facteurs de cette crise.
Notes
[1] Voir “ la révolution et la guerre en Espagne ” de Pierre Broué et François Témine (Éditions de minuit) et “ La révolution espagnole ” supplément à “ Etudes Marxistes ” N° 7‑8.