"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale." |
Défense du trotskysme (2)
L'Impérialisme, la bureaucratie du Kremlin, les États-Unis Socialistes d'Europe
Cependant, il ne s'agit encore que de la libre circulation des marchandises. Il ne peut y avoir vraiment unification européenne qu'au niveau de la production. Tout marxiste sait que le facteur déterminant ce sont les rapports sociaux de production qui incluent les rapports entre les classes, et les rapports au sein des classes sociales. Dans ce domaine, le Marché Commun aboutit très exactement à l'inverse de l'“ unification européenne ”, de la constitution d'une bourgeoisie et d'un capital “ européens ”. Dans la bataille pour le marché européen, la concentration progresse en effet à pas de géant, mais en fait de “ sociétés européennes ” par l' interpénétration du capital ” ‑ formule inoffensive et inodore ‑ la note dominante, c'est la concentration sur le plan national. Les trusts allemands fusionnent ensemble, les trusts français fusionnent ensemble, les trusts italiens fusionnent ensemble, les trusts britanniques fusionnent ensemble, etc. Telle est la dominante. Le capital financier s'organise sur une base nationale. Les européens pleurent. A propos des concentrations dans l'industrie électrique l'un d'eux écrit :
“ L'évolution à laquelle on s'attendait était la conclusion d'alliances à travers les frontières entre des entreprises licenciées ( c'est‑à‑dire possédant des brevets commerciaux ) du même groupe international... finalement c'est l'élément “ national ” qui semble l'emporter. ”
En 1968 en Angleterre fusion totale entre Général Electric (qui est une société anglaise indépendante de son homonyme américain) et English Electric ; en Allemagne fusion partielle de Siemens, A.E.G., Telefunken. En 1969, concentration de Jeumont‑Schneider, Alsthom, Compagnie Générale d'Electricité.
Dans l'automobile : en Angleterre fusion de la British Motors Corporation avec Leyland ; en France coopération Renault‑Peugeot ; en Allemagne Volkswagen et Auto Union s'associent et prennent le contrôle de NSU ; Daimler prend le contrôle des usines Krupp qui construisaient des poids lourds et coopère avec Henschel‑Hanomag : en Italie Fiat est en passe de contrôler entièrement la production d'automobiles.
Dans la chimie : en Angleterre l'Imperial Chimical Industries domine le marché et Coopère avec Courtaulds ; en Allemagne Bayer a acquis 50 % des actions de Faserweke Huls, Badische Anilin a pris la majorité dans Winterschall (pétrole) et Herbol‑Werke (vernis et colorants) et ils coopèrent ensemble ; en France tout un regroupement des industries chimiques se réalisent autour de Rhône‑Poulenc et Ugine‑Kuhlmann en Italie le groupe Montédison regroupe 60 % de la production italienne en Hollande fusion des groupes AKO et KZO qui forment AKZO.
Tandis que le monopole était assuré en France par Péchiney pour la production de l'aluminium, qui est un des “ grands ” mondial dans cette branche, l'Etat français participait à la constitution du groupe de raffinage du pétrole Elf, Total, Antar, face aux “ géants ” étrangers Shell, BP, Mobil, Esso, Fina.
La concentration dans la sidérurgie suit les mêmes voies : l'ensemble de la sidérurgie est regroupé en Angleterre au sein de la British Steel ; Thyssen en Allemagne domine le marché ; Finsinder en Italie ; Origine et Langdoz fusionnent en Belgique ; la sidérurgie en France fusionne en deux groupes Usinor‑Lorraine Escault et de Wendel‑ Sidelor‑Mosellane de sidérurgie.
Tous les domaines de l'industrie connaissent de semblables processus de concentration : métallurgie, industries mécaniques, aéronautique, alimentation, etc. Les banques ont le même mouvement.
Le palmarès de la “ coopération européenne ” est plutôt médiocre et les “ douloureuses affaires ” se multiplient. La Compagnie Française des Pétroles proposait d'acquérir le contrôle d'importants groupes de raffinage allemands. Huit sociétés allemandes de producteurs d'électricité (RWE, Rein isch‑Westfalischer Elektrizitast Werk) prenait une participation dans la G.B.A.G. (Gelsenkrirschen Bergwerks Aktron Gesellschaft) et éliminaient le groupe français. Le projet Concorde est mal en point. Une certitude‑ il ne sera pas “ rentable ”. Y aura‑t‑il d'autres exemplaires que les prototypes ? Rien n'est moins certain. L'Airbus, projet anglo‑allemand‑français, est encore plus mal en point. La “ fusée européenne ” ne va pas mieux. L'informatique “ européenne ” n'a jamais pu être constituée. Mais l'exemple le plus frappant est sans doute celui de la recherche et de l'industrie atomique. L'Euratom symbolise la “ coopération européenne ”. jamais un programme commun de recherches ne put réellement être mis sur pieds. L'Euratom est pratiquement vide de contenu. A son actif tout juste un petit accélérateur de particules construit en Suisse considéré comme jouet pour savants en mal de distraction.
Quant à la mise au point de centrales électriques à énergie d'origine nucléaire, chacun des états d'Europe recherche ses propres solutions, soit en utilisant des brevets américains ou anglais, soit en tentant de mettre au point sa propre filière. Utilisant une certaine avance sur l'Allemagne, le gouvernement français, qui constitua au lendemain de la seconde guerre mondiale le Commissariat à l'énergie atomique, a fait mettre au point la filière française (graphite‑gaz) de production d'électricité d'origine nucléaire. L'objectif était de devenir le fournisseur de centrales nucléaires de l'Europe des Six. Mais le gouvernement et la bourgeoisie allemands ont suivi leurs propres voies, ainsi que les autres bourgeoisies européennes, en utilisant les techniques et brevets américains. Résultats . la filière française n'aura pas de marchés. Sans doute faudra‑t‑il que le gouvernement français y renonce. Au mois de février 1970, Leussing, ministre allemand de la recherche et de l'éducation, et Ortoli, ministre français du développement industriel et scientifique, se sont rencontrés afin de faire le point “ sur la coopération scientifique et technique franco‑allemande ”. “ L'impression d'ensemble serait assez encourageante ” écrit le pro‑européen “ Le Monde ” du 4 février 1970. Il dresse le bilan de “ ces conversations encourageantes ” :
“ Une coopération entre les deux pays doit être le fait des firmes qui assurent la construction des centrales nucléaires. Il serait donc délicat, pour les deux gouvernements d'émettre des avis qui contraignent, d'autant que la restructuration des entreprises françaises appelées à réaliser des centrales nucléaires n'est pas achevée.
Il est en revanche plus facile de traiter de l'éventualité d'une coopération sur les centrales nucléaires “ avancées ” qui sont encore à l'étude et auxquelles on recourra peut‑être à l'avenir : les réacteurs à eau lourde, les réacteurs à haute température et surtout les sur‑générateurs. ”
Encourageant n'est‑ce‑pas ? Hélas !
“ A l'égard de ces diverses possibilités, l'Allemagne et la France ont adopté des attitudes différentes, la première s'intéressait surtout aux réacteurs à haute température et aux “ réacteurs rapides ”, la seconde concentrant ses efforts sur ces derniers. ”
Pas de chance !
“ ... C'est aussi à la nécessité de procéder à des échanges de vues que les deux Ministres ont conclu lorsqu'il s'est agi de l'approvisionnement en uranium enrichi. On sait que la France dispose d'une connaissance satisfaisante des techniques de diffusions gazeuses qu'elle s'est jusqu'à présent refusée à faire connaître à ses partenaires européens, même en ne fournissant que des informations de caractères économiques. ”
Léger inconvénient de la coopération ! Mais malheureusement du côté allemand :
“ L'Allemagne de son côté est signataire d'un accord tripartite sur l'usage de la technique de l'ultracentrifugation, mais on ne sait pas sur quelles bases les techniciens allemands, anglais, et hollandais fondent leur espoir. ”
Ici, si tout va bien, peut‑être échangerait‑on des informations :
“ ... Les entretiens de la semaine dernière ont conduit à constater qu'en France et en Allemagne on voyait bien le problème sous le même angle. ”
La coopération a trouvé son angle. Malheureusement il s'agit d'un angle mort :
“ Il importe donc que chaque pays établisse, de son côte, le bilan de ce qu'il compte investir dans l'espace et des bénéfices qu'il en espère. Et il faut aussi que l'on s'interroge sur les avantages et éventuellement les inconvénients de la coopération à deux ou plusieurs. C'est dire qu'il y a fort à faire. ”
C'est le moins qu'on puisse dire.
“ En matière spatiale comme en matière nucléaire, les conversations franco‑allemandes n'ont donc conduit ni à des solutions pratiques, ni à une politique commune. Tout au plus s'est‑on interrogé ensemble sur l'avenir. Dans les milieux officiels on voit là un premier pas vers certaines collaborations. ”
Une certaine “ interpénétration ” “ dans la joie ” dirait Mandel-Germain.
“ Encore faut‑il ne pas se heurter à des obstacles immédiats, par exemple une trop grande intransigeance allemande sur le choix du site de l'accélérateur européen.
On peut espérer, bien sûr, que cette annonce, si timide soit‑elle, conduira à des réalisations concrètes. ”
L'espoir fait vivre.
“ Mais, (oh rage ! oh désespoir !) pourquoi faut‑il que depuis que l'on évoque la coopération franco‑allemande, l'on se retrouve toujours sur la ligne de départ. ”
Et puis, de toutes les façons, les conversations franco‑allemandes sur ces sujets, si elles distraient, ne portent pas à grandes conséquences.
“ De plus, les sujets abordés intéressent toute l'Europe, et il reste à savoir quel pourrait être l'avis des autres pays du vieux continent et particulièrement de la Grande‑Bretagne. ”
L'informatique, la mise au point des ordinateurs et leur production présentent un spectacle aussi affligeant. Ce qui n'empêche pas chaque bourgeoisie et chaque gouvernement bourgeois national de rechercher leur propre solution, de constituer leur propre industrie, même si cela prend des aspects aussi ridicules que le “ plan calcul ” du gouvernement français de la formation après la déconfiture de Bull, de la Compagnie internationale de l'Informatique et de l'Institut de Recherche en informatique et Automatique. Il en va de même pour les “ composants ” de l'électronique. On pourrait énumérer toutes les branches de l'activité économique, les mêmes processus y seraient constatés.
Lionel Stoleru, “ depuis juillet 1969 conseiller technique, membre du cabinet de V. Giscard d'Estaing ” écrit dans son livre, duquel beaucoup de données rapportées ici sont empruntés, “ L'impératif industriel ” :
“ des rapprochements européens difficiles. Rares sont les exemples d'associations d'entreprises au sein du Marché Commun ; on peut citer les exemples suivants : Saviem‑Man pour l'automobile ; Richie‑Demay pour les matériels de travaux publics ; Boussois‑Devag pour la verrerie ; Oumaroya‑Pressag pour la métallurgie ”. Précédemment il déplore : “ La constitution de groupes communautaires est le corollaire logique de la chute des barrières douanières. Ce qui n'en rend que plus regrettable cette non‑synchronisation. Au 1er juillet 1968, le marché devient communautaire, mais l'entreprise reste nationale. ”
Il attribue ce phénomène au fait :
“ Que le statut juridique de l'entreprise européenne est encore dans les limbes. Plus grave peut‑être, la fiscalité fait obstacle aux fusions de part la complexité des modes d'imposition et de rapatriement des bénéfices. ”
Comme si le statut juridique, “ la fiscalité ”, correspondaient à de simples errements des gouvernements. Il ajoute :
“ En dépit des efforts faits par certains gouvernements (accords franco‑allemands) les fusions entre entreprises du Marché Commun se comptent sur les doigts de la main ” (page 54).
Mais il conclut le chapitre suivant :
“ De plus en plus, l'état sera amené à prendre position sur les grands problèmes industriels. La première caractéristique de cette nouvelle phase de notre développement économique, c'est le rôle déterminant que les états vont être appelés à y jouer. La concurrence engage la nation toute entière dans la compétition internationale. Livrées à elles‑mêmes, les entreprises ne sauraient l'affronter seules. ”
“ Ces phrases n'ont pas été écrites par un technocrate avide de pouvoir, elles sont de la main de P. Huvelin président du Conseil national du patronat français. (P. Huvelin, rapport à l'Assemblée du Centre de recherche des chefs d'entreprises, 9 novembre 1968) ” (pages 151 et 152).