"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale." |
Défense du trotskysme (2)
Hégémonie du prolétariat, Front Unique Ouvrier, question du pouvoir
S'il est vrai que toute lutte, toute revendication importante du prolétariat pose implicitement la question du pouvoir, celle du gouvernement, l'avant garde, l'organisation révolutionnaire ne peut éviter de la poser en termes concrets. Bien plus, le surgissement de grands mouvements de classes peut dépendre, en certaines circonstances, d'une perspective gouvernementale concrète qui s'offre au prolétariat. La dislocation de la grève générale par les appareils bureaucratiques a stupéfié la classe ouvrière, l'a abasourdie. Au cours des mois suivants, par des actions partielles et limitées, elle a commencé à reconstituer son front de classe et le non massif au référendum du 27 avril 69 fut un moyen qu'elle utilisa afin de s'affirmer comme classe, dès lors que l'ensemble des organisations ouvrières, syndicales et politiques, appelait à voter non. La chute de De Gaulle faisait ressurgir ce que la grève générale n'avait pu résoudre par suite de la politique des organisations politiques et syndicales de la classe ouvrière : le problème du, gouvernement, le problème du pouvoir. Cependant, de façon différente, la lutte pour un gouvernement des travailleurs s'incluait dans la logique du développement de la grève générale de mai juin 68. Au lendemain de la chute de De Gaulle, la perspective d'une solution ouvrière à la question du gouvernement et du régime commandait le développement de grandes luttes du prolétariat. Elle ne pouvait surgir que du Front unique des organisations syndicales et politiques qui avaient appelé à voter non au référendum. Une candidature unique des organisations ouvrières signifiait que celles ci, face aux partis bourgeois, posaient la candidature d'un gouvernement des organisations ouvrières unies. Immédiatement toutes les directions des organisations ouvrières et singulièrement celle du P.S. et du P.C.F. se sont ingéniées à briser l'unité de front un moment réalisée par le non au référendum. La candidature Deffere appuyée par Mendès France sortit comme du chapeau d'un prestidigitateur. Le P.C.F. avant de mettre en avant la candidature de Duclos exigea « l'élaboration d'un programme commun », condition d'une candidature commune de « la gauche ». Les soucis programmatiques » du P.C.F., qui en 1965 soutenait sans réclamer de « programme commun » le candidat bourgeois Mitterand, venaient, tout aussi à point que la candidature expresse de Deffere, barrer la route à une candidature unique des organisations ouvrières, et non de la « gauche ». Développer une campagne politique sur le thème : face aux candidats de la bourgeoisie, candidature unique des organisations ouvrières, c'était lutter pour le front unique ouvrier, le front prolétarien, contre la division volontaire et délibérée que le P.S. et le P.C.F. imposaient à la classe ouvrière. Cette campagne politique, l'Organisation Trotskyste, l'Alliance Ouvrière, l'Alliance des Jeunes pour le Socialisme l'engageront. Elle participait de la lutte politique pour le front unique ouvrier. Elle traçait à la classe ouvrière une perspective gouvernementale des organisations ouvrières unies. Mais le programme ? N'était il pas nécessaire à une candidature unique des organisations ouvrières ? Que devenait il ?
En les circonstances précises, le développement du programme d'un gouvernement des organisations ouvrières unies découlait de cette candidature. La classe ouvrière, en luttant pour la défaite des candidats de la bourgeoisie, eût chargé d'un contenu de classe la candidature unique des organisations ouvrières, qu'il appartenait aux organisations révolutionnaires de développer. C’était une application de la tactique classe contre classe, déterminée en fonction des circonstances politiques qui n'aliénait en rien les possibilités de défendre et de combattre pour les revendications des travailleurs, les mots d'ordre du Programme de Transition et, au contraire, servait de support, donnait une puissante impulsion à leur défense. Cette tactique était circonstancielle et déterminée. Elle n'est pas applicable en toutes circonstances. Mais, incontestablement, après la chute de De Gaulle, contre les candidats bourgeois, un seul candidat des organisations ouvrières était une lutte de classe contre classe, se déroulant sur le plan électoral, qui ouvrait aux travailleurs la perspective d'un gouvernement des organisations ouvrières unies. Cette possibilité fournissait aux grands combats de classe une issue politique virtuelle, qui avait manquée en mai juin 68, et les impulsait.
C'est bien pourquoi les appareils bureaucratiques, le P.S. et le P.C.F., opposèrent leurs candidats. Seuls restent candidats au second tour des élections présidentielles au cas où celui qui obtient le plus de voix n'atteint pas la majorité absolue les deux candidats qui ont obtenu le plus de voix. En 1965 dès le premier tour le ralliement du P.S. et du P.C.F. à la candidature Mitterand, éliminait la classe ouvrière de la scène politique en tant que classe. Cette fois, l'opération fut menée de façon différente, mais le résultat fut le même : au second tour des élections présidentielles, la classe ouvrière fut balayée de la scène politique qu'occupèrent exclusivement Pompidou et Poher.
Après la victoire politique que constitua le Non de l'ensemble des organisations ouvrières au corporatisme et à De Gaulle, et qui entraîna sa défaite et sa chute, délibérément, les dirigeants des organisations ouvrières infligeaient un échec à la classe ouvrière, brisaient son front de classe, lui fermaient toute perspective politique, laissaient à la bourgeoisie la possibilité de régler aux moindres frais l'avenir immédiat après la chute de De Gaulle. Sur le fond, rien n'était et rien n'est toujours réglé. Mais la bourgeoisie a bénéficié d'un nouveau sursis. Elle a provisoirement colmaté sa crise financière. La classe ouvrière, son front de lutte brisé, démunie de perspective politique, a engagé des luttes relativement de modeste ampleur, quoique très significatives.
Que voulez vous qu'ils fissent ? Les renégats de la IV° Internationale se devaient de participer à ce beau coup. L'ami Michel Rocard y participait bien. Ils ne pouvaient faire moins : l'histoire Krivine fut de « la farce électorale ». Il se voulut le plus farceur parmi les farceurs, noblesse oblige. Un échantillon de sa prose électorale et lyrique :
« Le crétin parlementaire, tout en rejetant ces sages propos, jette des coups d'œil inquiets à droite et à gauche (surtout à gauche) pour voir si quelque groupuscule d'aventuriers gauchistes ne se proposerait pas d'effrayer l'électeur fraîchement gagné aux perspectives exaltantes de la gauche unie. Ce petit jeu dure plus ou moins longtemps jusqu'au moment où le crétin parlementaire se retrouve au mieux cocu, au pire fusillé, avec comme marche funèbre les ricanements du gauchiste qui s'apprête à le suivre au poteau, mais qui, quant à lui, sait pourquoi ». (Krivine : La farce électorale page 43).
La sage doctrine de « l'unité des révolutionnaires » dicta à « Lutte Ouvrière », après quelques récriminations sur la façon dont la Ligue Communiste avait désigné son candidat, le soutien au candidat des « révolutionnaires ». Pourquoi pas ? Un an plus tard, « Lutte Ouvrière », toujours au titre de « l'unité des révolutionnaires », soutenait bien, au cours des élections législatives partielles du 12° arrondissement, la candidature du P.S.U. et désignait l'un des siens comme candidat-suppléant. Avant de « suivre au poteau en ricanant et en sachant pourquoi les crétins parlementaires », le gauchiste Krivine se situait sur le même plan politique qu'eux. Savait il pourquoi ? Une fois encore, la Ligue Communiste participait à côté des organisations traditionnelles, des bureaucraties, à la dislocation de l'unité de classe, à la lutte contre le Front Unique Ouvrier. Avec son style propre, elle fermait toute perspective politique sur le plan de la classe ouvrière, toute réponse propre du prolétariat à la question gouvernementale. Les centaines de signataires, maires, conseillers généraux, municipaux, libéraux bourgeois qui cautionnèrent la candidature Krivine, jouaient parfaitement leur rôle de classe. Les. héraults de l'antiparlementarisme « allaient au combat » en bouchant toute perspective de lutte classe contre classe du prolétariat, toute concrétisation de la lutte classe contre classe par une formule gouvernementale qui exprime l'unité du prolétariat en fonction des organisations qui le représentent. Par contre, ils avançaient un mot d'ordre central :
« Que l'Etat gaulliste parte avec De Gaulle; exigeons non pas la réélection d'une chambre mais la réunion d'une Assemblée Constituante pour le pouvoir des travailleurs ». (Rouge n° 17 1° mai 69).
Il est quelquefois permis d'utiliser des formules qui ne sont pas rigoureusement scientifiques. Mais, accolée au mot d'ordre d'Assemblée Constituante, la formule Etat gaulliste prend une étrange raisonnance. Il n'y a plus un Etat bourgeois, qui devient policier et corporatiste sous De Gaulle, mais un « Etat gaulliste ». L'Assemblée Constituante est un mot d'ordre démocratique bourgeois. « Rouge » le sait parfaitement qui écrit :
« Mais qu'est ce donc une Assemblée Constituante ? Tout bêtement, la Constituante qui élabore, rédige et vote une constitution. Pour tous les Français qui ont usé leur culotte sur les bancs de l'école laïque, le mot de constituante est associé aux souvenirs de 1789 » (Rouge n° 19 14 mai 1969).
Oui et pas seulement ! En 1945 et 1946, par exemple, De Gaulle et ses successeurs convoquèrent des Assemblées Constituantes. Il s'agissait alors d'enfermer la classe ouvrière dans le piège de l'élaboration d'une constitution, élaborée par tous les Français, déléguant leur pouvoir à des députés : du parlementarisme bourgeois sous la forme la plus pure, qui ne connaît que des citoyens et pas les classes sociales. Progressif, et encore à certaines conditions, là où la révolution démocratique bourgeoise n'a pas eu lieu, ce mot d'ordre est réactionnaire, à tout le moins conservateur, dans un pays comme la France. Sur ce, « Rouge » devient cramoisi :
« La petite bourgeoisie... peut se reconnaître dans le mot d'ordre de l'Assemblée Constituante en y voyant le rétablissement de la démocratie parlementaire qui fut son âge d'or. Mais cette voie est historiquement barrée : on ne revient pas en arrière » (sauf pour la Ligue Communiste qui peut allègrement d'un seul bond revenir deux siècles en arrière, jusqu'en 1789).
« La bourgeoisie ne peut pas accepter aujourd'hui que son pouvoir soit contesté, elle ne peut faire de concessions économiques a des groupes de pression. Elle a besoin d'un pouvoir fort, sans discussion, pour prendre vite et fermement les décisions qui lui sont nécessaires dans la compétition économique internationale entre les diverses bourgeoisies...
Si la petite bourgeoisie accepte le mot d'ordre d'assemblée constituante en le remplissant de ses propres illusions, la classe ouvrière peut y voir le moyen d'en finir avec l'héritage de De Gaulle, de prendre sa revanche de 1958. Elle lui donnera un contenu par sa propre mobilisation et ses propres luttes. Les inquiétudes de voir la bourgeoisie s'emparer du mot d'ordre pour réunir une Constituante sur la base du découpage électoral actuel sont peu fondées : la bourgeoisie a besoin de la constitution gaulliste et de son pouvoir fort. Une « démocratisation » de la constitution signifierait pour elle le chaos politique et un lourd handicap économique sur le plan international » (Rouge n° 19 14 mai 1969).
Passons sur l'incohérence de « Rouge » et de la « Ligue Communiste » qui, un jour, expliquent :
« Chaque crise (révolutionnaire) apporte son contingent de réformes amorcées dans la montée révolutionnaire, récupérées lors du reflux par la bourgeoisie à son profit ».
Et, un autre jour affirment :
« Elle ne peut faire des concessions économiques à des groupes « de pression. »
La bourgeoisie peut fort bien, en cas de crise révolutionnaire, avoir recours à une constituante et même élue à la proportionnelle. Elle l'a déjà fait en 45 46 en France et ailleurs, notamment en Allemagne en 1919.
Eventuellement, elle aurait recours à quelques manœuvres de grand style de cet ordre en France, avec la complicité du P.S., du P.C.F., des appareils syndicaux, écran derrière lequel elle préparerait le coup de force. Quant à la « classe ouvrière qui donnera un contenu (au mot d'ordre de constituante) par sa propre mobilisation et ses propres luttes », malgré l'additif trompeur et aggravant, « pour le pouvoir ouvrier », ce mot d'ordre l'enferme dans les cadres démocratiques bourgeois et se dresse comme un obstacle à sa mobilisation et à son organisation comme classe, embryon du pouvoir ouvrier. Il l'enferme dans le parlementarisme bourgeois, la démobilise comme classe. Le « gauchiste ricanant, avant de suivre le crétin parlementaire au poteau, car quant à lui, il sait pourquoi », le suit, le rejoint, le dépasse, en crétinisme parlementaire. Qu'est ce, selon Andrieu, la « démocratie rénovée » ?
1) « Un parlement qui représente vraiment la volonté populaire, ce qui implique que les députés soient élus à la représentation proportionnelle »;
2) « Un puissant mouvement populaire dans le pays. C'est là même une condition sine qua non ».
Aux dépens de qui « ricane le gauchiste » ? Du prolétariat, de la classe ouvrière ! Le « gauchiste », une fois encore, se retrouve en l'honorable compagnie du réformiste le plus éculé, des staliniens. Il a escamoté la question de l'Etat. « L'Etat démocratique » remplacera « l'Etat gaulliste ». Au moins, c'est ainsi que tout travailleur interprétera obligatoirement le mot d'ordre d'Assemblée Constituante. Mais « l'Etat démocratique » demeure l'Etat bourgeois et étant donné la crise du système social bourgeois, ainsi que. l'expliquait Lénine, derrière l'apparence démocratique, l'appareil d'Etat bourgeois prépare les coups les plus durs contre le prolétariat et les libertés démocratiques. Le « gauchiste qui ricane » déclarait indifférent que l'Etat bourgeois devienne corporatiste et policier quelques semaines plus tard il passe au cou du prolétariat le nœud coulant de la Constituante, de « l'Etat démocratique ».
Les libertés démocratiques seraient elles indifférentes à la classe ouvrière ? Exiger l'abrogation des mesures réactionnaires prises par De Gaulle, ne serait ce pas nécessaire ? Eventuellement, la classe ouvrière ne devrait elle attacher aucune importance à l'établissement de la proportionnelle aux élections ? Bien sûr que si.
Mais une seule question, la petite question suivante, se pose : comment la classe ouvrière peut elle défendre les libertés démocratiques, obtenir l'abrogation des mesures réactionnaires prises par De Gaulle, éventuellement la proportionnelle aux élections ? Par sa mobilisation, son organisation, sa lutte comme classe, en luttant pour ses propres objectifs de classe. Ainsi, ces luttes sont elles indissociables de la perspective d'un gouvernement représentant les travailleurs en lutte et portant la hache dans l'Etat bourgeois, s'appuyant sur la classe ouvrière organisée comme classe.
La classe ouvrière participe aux élections en dénonçant le parlementarisme bourgeois. A cette condition, elle peut les utiliser pour sa propre progression politique. Mais nous aussi, affirment les pablistes, la preuve nous les avons appelées « la farce électorale ». Les élections ne sont pas une farce, mais un terrain de lutte politique. Et surtout, les pablistes offrent comme toute perspective, par le mot d'ordre de la Constituante, la « rénovation du parlementarisme ». Ils fixent au prolétariat ce cadre piège. Alors qu'une Constituante serait aujourd'hui un sous produit de la lutte révolutionnaire du prolétariat que, peut être, les partis révolutionnaires devraient utiliser, mais pour les dénoncer.
En luttant pour une candidature unique des organisations ouvrières aux élections présidentielles, l'Organisation Trotskyste, l'Alliance Ouvrière et l'AJ.S. opposaient à la bourgeoisie le prolétariat dans ses différentes représentations politiques. Elles concrétisaient, selon les circonstances politiques du moment, la lutte pour le Front unique ouvrier et un gouvernement expression des travailleurs, qui, s'appuyant sur la classe ouvrière organisée comme classe, porterait la hache dans l'Etat bourgeois. La seule solution historique à la crise de la société sera la dictature du prolétariat, réalisée par le pouvoir des soviets, garant de la démocratie prolétarienne, qui conduira au socialisme et au dépérissement de toutes les classes. Mais la classe ouvrière ne peut envisager la réalisation de ses tâches historiques qu'au travers des organisations syndicales et politiques qui la constituent actuellement comme classe. Elle ne peut envisager un gouvernement qui la représente qu'en fonction de ce qui l'organise et la représente politiquement, aujourd'hui et non pas demain. Bien que ces partis et les appareils syndicaux soient liés au système social bourgeois, la classe ouvrière les charge de réaliser ses aspirations historiques comme de défendre ses intérêts immédiats; sans quoi ils n'auraient aucune prise sur elle.
Ces partis sont contradictoires dans leur nature et dans leurs fonctions. ils sont nés des luttes de la classe ouvrière, ils la représentent politiquement et, de ce point de vue, la constituent comme classe. Ils sont liés à la société bourgeoise, véhiculant une politique bourgeoise à l'intérieur de la classe ouvrière. La bourgeoisie les charge de la protéger contre la classe ouvrière. Le prolétariat n'abandonne pas facilement ses anciens partis : l'expérience le prouve et l'analyse politique l'explique. Malgré l'élan, la formidable impulsion que donnait la Révolution Russe à la Ill° Internationale et à ses partis, la social démocratie à résisté et est restée longtemps le parti majoritaire dans la plupart des pays. Elle le reste encore dans de très nombreux pays, et pas des moindres, ou même elle représente exclusivement la classe ouvrière : Allemagne, Angleterre, etc. Il est vrai qu'au cours des premières années de l'I.C., les différents partis communistes manquaient d'expérience politique, qu'ils furent souvent soit opportunistes, soit sectaires, quand ce n'était pas les deux à la fois, qu'ils manquaient de cadres et que nulle part ne se formèrent des directions de partis comparables à celle du Parti Bolchevique au temps de Lénine et de Trotsky. Ensuite, le stalinisme rejeta par millions travailleurs et militants sous l'influence de la social démocratie, du réformisme. Cependant, il y a autre chose : la construction des partis social démocrates demanda des décennies de luttes, âpres, dures, parfois sanglantes; la social démocratie était cimentée par cette histoire; à côté de franches canailles, des milliers et des milliers de militants étaient les défenseurs quotidiens des travailleurs, obscurément dévoués à leurs tâches. On ne construit pas un parti ouvrier comme on monte un bazar et on ne remplace pas un parti ouvrier par un autre comme on change de chaussettes. La classe ouvrière a besoin de son ou de ses partis dans sa lutte quotidienne contre le capital même si elle ressent que ceux ci la trahissent. La clarification politique est une dure et longue expérience, une longue bataille. Construire un nouveau parti... mais quel parti ? Quelles preuves de la capacité, de la valeur, de l'efficacité de ce nouveau parti ? Les mêmes choses sont valables pour les partis staliniens avec, en plus, l'identification de la bureaucratie du Kremlin à la Révolution Russe, à l'héroïsme de l'armée rouge, des ouvriers et paysans soviétiques au cours de la guerre contre l'impérialisme allemand.
La classe ouvrière n'est pas, de plus, d'une homogénéité politique totale. Une avant garde peut avoir compris la trahison des vieux partis ouvriers, des couches importantes également, tandis que les gros bataillons ne font que s'interroger et que d'autres s'éveillent simplement à la vie politique et viennent renforcer les vieux partis ouvriers. La jeunesse se met beaucoup plus rapidement en mouvement que le gros du prolétariat et rompt également plus vite avec les vieilles organisations, si même elle ne fait pas un saut par dessus.
Chacun à sa façon, les directions traîtres du mouvement ouvrier d'une part, les « gauchistes » de l'autre, simplifient à l'extrême toutes ces données. Les unes, par un simple syllogisme, s'identifient à la classe ouvrière : de l'origine des partis sociaux démocrates et staliniens, du fait que ces partis organisent la plus grande proportion des forces militantes de la classe ouvrière, que la grande masse des travailleurs se regroupe derrière eux, ils concluent qu'ils sont les partis ou le parti de la classe ouvrière. Les « gauchistes », à ce syllogisme en opposent un autre : puisque les directions de ces partis sont liées à la bourgeoisie, puisque ces partis ont failli à leur mission historique, ils ne sont plus des partis ouvriers, mais des partis bourgeois. Les renégats de la IV° Internationale réalisent l'exploit d'utiliser les deux syllogismes, quand ils ne les conjuguent pas. Autrefois mais ces temps peuvent revenir ils affirmaient que, contraints et forcés, les vieux partis ouvriers et principalement les P.C. seraient obligés de prendre le pouvoir, de faire la révolution, d'exproprier politiquement et économiquement la bourgeoisie. En mai juin 68, ils voyaient dans les C.A. les organes du double pouvoir et ne formulaient aucun mot d'ordre gouvernemental, de peur qu'il soit « récupéré » par le P.C.F., s'en remettant à la « spontanéité » ou plus exactement abandonnant le combat politique.
La politique communiste au sens réel du terme tient compte du développement historique du mouvement ouvrier, de la classe ouvrière, du caractère contradictoire des partis ouvriers traditionnels, de la nécessité de construire le Parti révolutionnaire comme facteur de la lutte de classe du prolétariat, de formuler une politique qui unifie la classe dans son combat contre le capitalisme et l'Etat bourgeois et qui renforce l'organisation révolutionnaires. Le Parti révolutionnaire, ou l'organisation qui le construit, (texte manquant – N.R.) constituer les soviets et que le parti révolutionnaire y ait gagné la grande majorité de la classe ouvrière, pour poser la question du pouvoir, la question du gouvernement. L'organisation révolutionnaire, par son combat politique, doit ouvrir les voies qui permettront au prolétariat de passer d'une situation à une autre, de son organisation actuelle comme classe à l'organisation des soviets, à la dictature du prolétariat, du contrôle des organisations traditionnelles et de leurs dirigeants au parti et à la direction révolutionnaires. Le Parti révolutionnaire, ou l'organisation qui le construit, doit formuler à chaque moment la politique nécessaire à la classe ouvrière dans son ensemble. C'est à quoi correspond la stratégie du front unique ouvrier. L'orientation du parti révolutionnaire consiste à gagner les couches les plus avancées de la classe ouvrière, de la jeunesse, au programme de la révolution prolétarienne, de les organiser non pour les séparer de leur classe mais au contraire, au moyen d'une politique qui exprime à chaque moment les intérêts du prolétariat dans son ensemble et élève celui ci au niveau de la réalisation de la révolution prolétarienne et de ses tâches. Elles formeront l'avant garde, mais seulement si elles combattent afin de gagner la classe ouvrière dans son ensemble au programme et aux tâches de la révolution prolétarienne.
Alors que toutes les revendications importantes de la classe ouvrière, tout mouvement important du prolétariat, soulèvent la question du pouvoir, du gouvernement, formuler un mot d'ordre gouvernemental en rapport avec la représentation politique du prolétariat, des organisations qu'il considère comme siennes, et qui soit un facteur de son organisation et de sa centralisation comme classe, est indispensable. Il n'y a pas de politique révolutionnaire sans cela. Tel est le sens du gouvernement de transition, du gouvernement ouvrier paysan. Tant que les couches les plus importantes du prolétariat n'ont pas rompu avec les vieux partis traditionnels et leurs directions, elles conçoivent la lutte pour le pouvoir par l'intermédiaire de ceux ci; convaincues de la nécessité de lutter pour un gouvernement des travailleurs, pour le pouvoir ouvrier, elles chargeront ces partis de les établir. Le mouvement qui, dans leur grande masse, les amènera à dépasser ces partis est un mouvement dialectique. Alors même qu'elles constitueront des soviets, des comités, à l'encontre de la politique de ces partis, elles dépasseront ces partis et finiront par rompre avec eux tout en s'adressant à eux. Le processus s'opèrera à des rythmes différents pour les différentes couches du prolétariat. Il ne sera pas automatique mais dépendra de l'action, du combat politique, du Parti révolutionnaire.
Outre que les directions traditionnelles peuvent être contraintes d'aller plus loin qu'elles ne veulent dans leur rupture avec la bourgeoisie afin de tenter de garder leur contrôle sur la classe ouvrière, cette expérience politique des grandes masses est inévitable. Mais le Parti révolutionnaire ne peut la mener à bien que s'il garde son indépendance politique, s'il formule sa propre politique et combat concrètement pour elle. Ce qui est d'autant plus réalisable que, justement, cette politique exprime les intérêts fondamentaux de la classe ouvrière. En cela, précisément, réside son originalité.
A son IV° congrès, l'I.C. spécifiait :
« Le gouvernement ouvrier (éventuellement paysan) devra partout être employé comme un mot d'ordre de propagande générale. Mais comme mot d'ordre de politique actuelle, le gouvernement ouvrier présente la plus grande importance dans les pays où la situation de la société bourgeoise est particulièrement peu sure, ou le rapport des forces entre les partis ouvriers et la bourgeoisie met la solution de la question du gouvernement ouvrier à l'ordre du jour comme une nécessité politique...
... Dans ces pays, le mot d'ordre de « gouvernement ouvrier » est une conséquence inévitable de toute la tactique du front unique. Les partis de la II° internationale cherchent dans ces pays à « sauver » la situation en prêchant et en réalisant la coalition des bourgeois et des social démocrates. Les plus récentes tentatives faites par certains partis de la II° Internationale (par exemple en Allemagne), tout en refusant de participer ouvertement à un tel gouvernement de coalition, pour le réaliser en même temps sous une forme déguisée, ne sont rien moins qu'une manœuvre tendant à calmer les masses protestant contre de semblables coalitions et qu'une duperie raffinée des masses ouvrières. A la coalition ouverte ou masquée bourgeoise et social démocrate, les communistes opposent le front unique de tous les ouvriers contre la bourgeoisie et la coalition politique et économique de tous les partis ouvriers contre le pouvoir bourgeois, pour le renversement définitif de ce dernier. Dans la lutte commune de tous les ouvriers contre la bourgeoisie, tout l'appareil d'Etat devra tomber entre les mains du gouvernement ouvrier et les positions de la classe ouvrière en seront renforcées.
Le programme le plus élémentaire d'un gouvernement ouvrier doit consister à armer le prolétariat, à désarmer les organisations bourgeoises contre révolutionnaires, à instaurer le contrôle de la production, à faire tomber sur les riches le principal fardeau des impôts et à briser la résistance de la bourgeoisie contre-révolutionnaire.
Un gouvernement de ce genre n'est possible que s'il naît dans la lutte des masses mêmes, s'il s'appuie sur des organes ouvriers aptes au combat et créés par les couches les plus vastes de masses ouvrières opprimées. Un gouvernement ouvrier résultant d'une combinaison parlementaire peut fournir aussi l'occasion de ranimer le mouvement ouvrier révolutionnaire. Mais il va de soi que la naissance d'un gouvernement véritablement ouvrier et le maintien d'un gouvernement faisant une politique révolutionnaire doivent mener à la lutte la plus acharnée et éventuellement à la guerre civile contre la bourgeoisie. La seule tentative du prolétariat de former un gouvernement ouvrier se heurtera dès le début à la résistance la plus violente de la bourgeoisie. Le mot d'ordre du gouvernement ouvrier est donc susceptible de concentrer et de déchaîner les luttes révolutionnaires...
... Les communistes sont prêts à marcher aussi avec les ouvriers social démocrates, chrétiens, sans parti, syndicalistes, etc. qui n'ont pas encore reconnu la nécessité de la dictature du prolétariat. Les communistes sont également disposés, dans certaines conditions et sous certaines garanties, à appuyer un gouvernement non communiste. Mais les communistes devront à tout prix expliquer à la classe ouvrière que sa libération ne pourra être assurée que par la dictature du prolétariat ». (Résolution sur la tactique : 4° congrès de l'I.C.).
Cette résolution concentre la stratégie et la tactique du parti révolutionnaire, ou de. l'organisation révolutionnaire qui le construit, tant que les organisations traditionnelles exercent une influence décisive sur la classe ouvrière et pour qu'il gagne l'influence prépondérante au sein du prolétariat. Elles ne sont pas une stratégie et une tactique d'attente : en formulant la politique que devrait réaliser les organisations traditionnelles si elles étaient fidèles à leur mission originelle, le parti, ou l'organisation révolutionnaire qui le construit, est en mesure de prendre l'initiative du combat, en fonction des circonstances et de son influence sur certains secteurs de la classe ouvrière et de la jeunesse ouvrière et étudiante qui peuvent retentir sur l'ensemble de la classe ouvrière. Diversifiée, son intervention est alors ordonnée dans les syndicats, les usines, parmi la jeunesse ouvrière et étudiante. La stratégie et la tactique du Front Unique Ouvrier guident l'intervention et le combat politique à l'intérieur des syndicats et pour la défense des syndicats : indépendance des syndicats par rapport à l'Etat bourgeois, combat pour une seule centrale syndicale unique et démocratique, Front Unique des organisations syndicales et politiques de la classe ouvrière contre la bourgeoisie, son Etat, son gouvernement pour la défense des revendications des travailleurs, s'intégrant totalement à la perspective d'un gouvernement des organisations ouvrières unies.
Mais c'est aussi valable en ce qui concerne la jeunesse ouvrière et étudiante, qui ont leur originalité, qui doivent s'organiser et être organisées sur leur propre plan, ont leurs mots d'ordre et revendications spécifiques, mais qui, en aucun cas, ne peuvent « servir de substitut », ni au prolétariat, ni au parti révolutionnaire.