"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale." |
Défense du trotskysme (2)
"Nouvelles avant-gardes" ? Non ! Reconstruction de la IV° Internationale !
Si la classe ouvrière est « spontanément stalinienne », si les bureaucraties des organisations traditionnelles et la bureaucratie du Kremlin sont des « délégations de pouvoir » du prolétariat, tout le programme de transition, la théorie de la révolution permanente, procèdent de rêveries d'idéologues. La révision pabliste de l'appréciation de l'ère historique ouverte par la première guerre impérialiste ‑ celle de l'impérialisme et de la révolution prolétarienne mondiale selon Lénine et Trotsky, celle du « néo‑capitalisme » selon les pablistes et, sous des appellations différentes, les staliniens, les révisionnistes de toutes origines s'accompagne obligatoirement d'une réappréciation des forces motrices de l'histoire. Le Manifeste communiste établissait que l'histoire, jusqu'à présent, est l'histoire de la lutte des classes. Le « Programme de Transition » (« l'agonie du capitalisme et les tâches de la IV° internationale »), écrit par Léon Trotsky, reprend ce fondement de l'analyse marxiste : « Les lois de l'histoire sont plus fortes que les appareils bureaucratiques ». Les lois de l'histoire sont le mouvement des classes et leurs affrontements en fonction des rapports de production, du développement des forces productives ou de leur impasse. Les pablistes jettent au rebut le matérialisme dialectique.
Il n'est pas niable que les appareils bureaucratiques soient issus de la classe ouvrière, de son organisation comme classe, au moyen de la construction de ses syndicats et de ses partis. L'appareil bureaucratique le plus puissant, le plus gigantesque, que la classe ouvrière ait secrété provient même de la prise du pouvoir par un prolétariat, du premier Etat ouvrier qui se soit construit de par le monde, du parti de la classe ouvrière le plus révolutionnaire, le mieux armé politiquement qui ait jamais été construit : la révolution russe, l'Etat ouvrier de l'U.R.S.S., le parti bolchévique. Avec tous les petits‑bourgeois, à qui le matérialisme dialectique est étranger, les pablistes tirent les conclusions classiques : la classe ouvrière est « spontanément stalinienne » et le bolchévisme contenait peu ou prou le stalinisme. Janus‑Germain‑Mandel réussit le tour de force d'attribuer à la classe ouvrière et au parti bolchévique la responsabilité du stalinisme. La classe ouvrière est responsable puisqu'aussi bien la bureaucratie naîtrait d'une délégation de pouvoir qu'elle conférerait aux appareils. Au milieu d'autres explications, il glisse hypocritement et éclectiquement les phrases suivantes, qui rejettent sur le parti bolchévique la responsabilité, au moins partielle, du stalinisme :
« Une série d'erreurs institutionnelles du parti bolchévique (a) favorisé ce processus d'identification des appareils de l'Etat et du parti et de la bureaucratisation simultanée de ces deux appareils, qui le rendait sociologiquement inapte à jouer le rôle de frein à la bureaucratisation...
A partir du moment où l'on interdisait les fractions dans le parti bolchévique, la démocratie interne ne pouvait plus se maintenir dans le parti : en effet, s'il y a liberté de discussion, il est inévitable qu'il y ait formation de tendances, il est inévitable aussi, surtout s'il y a début de bureaucratisation, que les tendances se transforment en fractions parce que les divergences se systématisent et se généralisent... L'erreur de jugement du parti bolchévique, alors que la guerre civile était terminée et que les tensions sociales commençaient à diminuer, fut de penser qu'il fallait, à l'approche de la N.E.P. et des dangers qu'elle allait provoquer, accentuer la répression politique et la centralisation. L'interdiction des autres partis est fondée sur la crainte qu'avait le parti bolchévique de voir la bourgeoisie ou la paysannerie se saisir d'un de ces instruments pour tenter de reprendre le pouvoir. Cette erreur eut des conséquences très graves sur le plan pratique, sur le plan théorique, l'histoire a démontré que le moyen le plus adéquat de combattre idéologiquement et sociologiquement les dangers de restauration du capitalisme était la continuation de l'activité politique du prolétariat : il était nécessaire de créer les conditions qui poussent à la repolitisation du prolétariat, alors que la suppression de la démocratie prolétarienne était au contraire un puissant obstacle à cette repolitisation et facilitait la bureaucratisation que Lénine avait voulu par‑dessus tout éviter.
La troisième erreur, la plus grave peut-être, fut l'incompréhension des liens organiques entre le régime soviétique, la propriété collective et la nécessité de l'accumulation socialiste primitive, c'est‑à‑dire de la « compétition » avec le secteur privé de l'économie ; aux yeux du parti bolchévique, la coexistence entre l'Etat ouvrier et le secteur privé (petits paysans et commerçants) allait se faire sur le schéma suivant : industrie d'Etat à un niveau de productivité supérieur et victoire du secteur le plus progressiste par rentabilité économique plus grande. La conséquence de ce raisonnement était de fonder les entreprises d'Etat sur la rentabilité économique individuelle ce qui exigeait un haut niveau de centralisation de la gestion des entreprises, fondant le principe du « iedrinoriatchalny », c'est‑à‑dire la direction de l'entreprise par un seul homme...
Si le parti bolchévique avait compris le problème à temps au début des années 20, en autorisant l'existence des fractions dans le parti bolchévique et celle de plusieurs partis soviétiques, s'il avait en même temps systématisé certaines formes d'autogestion, dans les entreprises, la résistance à la bureaucratie aurait été infiniment plus grande ». (De la bureaucratie, Cahiers « Rouges », n° 3, pages 35, 36, 37.
L'expert révisionniste Janus‑Germain‑Mandel se laisse évidemment quelques portes de sortie. Il « s'indigne » :
« Au début des années vingt eut lieu le premier grand conflit entre une tendance et la direction du parti bolchévique (que dirigeait à l'époque Lénine et Trotsky) : c'est le conflit dit de « l'opposition ouvrière » dirigée par Chliapnikov et Kollontai. Beaucoup de gens se réclamant de cette tendance prétendent actuellement que si cette opinion avait prévalu, il n'y aurait pas eu bureaucratisation. Cela est absolument faux et ce qu'en a dit Trotsky, à cette époque, reste tout à fait valable : il suffit de se représenter concrètement ce qu'étaient les usines soviétiques en 1921. Ces usines aux trois quarts vides, dans lesquelles travaillaient une faible partie des ouvriers qui avaient fait la révolution de 1917 ne produisaient presque plus rien. Dans cette situation désastreuse, elles étaient tout à fait incapables de s'opposer efficacement au processus économique prépondérant dans le pays : la renaissance de la production marchande sur la base du troc, entre une paysannerie privée de plus en plus forte et des îlots industriels extrêmement faibles, à croire que dans de telles conditions, et dans ce genre d'usines, le fait de donner le pouvoir aux petits groupes d'ouvriers qui y travaillaient encore, était le moyen de résoudre le problème de la bureaucratie, cela revient à considérer l'auto‑gestion comme le remède miraculeux à tous les problèmes. C'est ne rien comprendre au problème fondamental sous-jacent dans la réalité : pour que la classe ouvrière puisse diriger l'Etat, il faut d'abord qu'elle existe, qu'elle soit assez nombreuse et que sa majorité ne soit pas en chômage (idem, page 26).
il faudrait que Janus‑Germain‑Mandel nous explique les moyens magiques qui eussent permis d'avoir recours « à la démocratie prolétarienne » alors que pour « diriger l'Etat, il faut d'abord que (la classe ouvrière) existe ». L'interdiction des fractions au sein du parti bolchévique, des partis que Janus‑Germain‑Mandel appelle « soviétiques » étaient des mesures exceptionnelles, tragiques, mais indispensables au début des années 1920, afin de sauver le cœur de la révolution, le parti bolchévique, les conquêtes de la révolution et l'Etat soviétique. En les circonstances historiques données ‑ celles d'un premier reflux du prolétariat mondial, de l'épuisement physique et psychique du prolétariat de l'U.R.S.S., de sa dislocation, de sa quasi‑ disparition ‑ le parti bolchévique concentrait en lui les intérêts historiques du prolétariat de l'U.R.S.S. et du prolétariat mondial. La contre-révolution montait de partout, à l'intérieur des soviets, les partis que Janus‑Germain‑Mandel appelle « les partis soviétiques » étaient des agences de l'impérialisme et s'apprêtaient à détruire l'Etat né de la Révolution d'Octobre. A l'intérieur du parti les forces centrifuges tendaient à le disloquer sous la pression de la contre-révolution montante. Des mesures d'urgence, des mesures d'exception étaient indispensables pour sauver l'Etat et sauver le parti, le seul support possible ‑ en raison de la dislocation de la classe ouvrière, de son épuisement physique, psychique ‑ de l'Etat ouvrier. La dialectique historique a mis le parti le plus révolutionnaire du prolétariat face à la plus tragique des situations : sauver l'Etat ouvrier né d'Octobre, de la révolution prolétarienne, alors que la base sociale, par suite de la guerre civile et de l'isolement de la révolution russe, de cet Etat se liquéfie, disparaît presque. N'en déplaise à l'infâme petit-bourgeois Janus‑Germain‑Mandel, et à tous ses congénères, la direction du parti bolchévique y est parvenue. Elle ne pouvait cependant faire des miracles. Sous la forme de la bureaucratie naissante, l'ennemi était également dans la place.
Privé de ses fondements sociaux l'Etat ouvrier dégénérait. Ses racines politiques privées du terreau prolétarien, de la substance sociale ouvrière, l'osmose avec un prolétariat quasi‑liquéfié rompue, le parti devenait malade, s'infectait, la scrofulose bureaucratique se développait, s'emparait de lui, allait finir par le détruire. La bureaucratie montante se référait aux mesures d'exceptions mais elle modifiait radicalement leur contenu et leurs formes. Elle élaborait la théorie du « monolithisme du parti », sœur jumelle de celle de la « construction du socialisme dans un seul pays ». Du temps de Lénine, l'interdiction provisoire des fractions n'empêchait pas les plus vives discussions à l'intérieur du parti, qui de plus s'exprimaient publiquement. Ne pas prendre ces mesures d'exception revenait à rendre à l'ennemi la place avec armes et bagages. Il reste qu'elles étaient un remède de cheval, tout aussi indispensables à l'instant, que dangereuses à la longue. Mais ce n'est pas de cela que le parti bolchévique est mort. Ces mesures évitèrent sa dislocation : le parti, malade certes, envahi par la bureaucratie certes, continua à vivre. Il fallut plus de dix ans à la bureaucratie du parti et de l'Etat pour le détruire comme parti bolchévique. La bataille politique de l'opposition de gauche put prendre naissance et se développer à l'intérieur du parti. Bien que finalement défaite, l'opposition de gauche à l'intérieur du parti bolchévique, partie saine d'un organisme qui se gangrenait, défendit les intérêts du prolétariat. Elle empêcha la bureaucratie parasitaire de liquider les conquêtes d'Octobre, la propriété étatique des moyens de production, le monopole du commerce extérieur. Elle l'obligea à procéder à l'industrialisation, à élaborer les plans quinquennaux, à reconstituer la classe ouvrière comme classe.
L'opposition de gauche parvint à imposer les conditions de la reconstitution et du renforcement du substrat social de l'Etat ouvrier, le prolétariat. Elle ne parvint pas à sauver le parti. Mais la tradition du bolchévisme fut sauvegardée, le programme de la révolution prolétarienne fut défendu et enrichi. De l'opposition de gauche à la IV° Internationale le cadre politique d'organisation nécessaire au programme se constitua. La dialectique de l'histoire fut ainsi faite : parce qu'en 1921 le parti bolchévique sut prendre aux moments les plus tragiques de la révolution les mesures les plus énergiques, et notamment la suppression des fractions au sein du parti, l'interdiction des partis que Janus‑Germain‑Mandel appelle « soviétiques », le substrat social de l'Etat ouvrier se reconstitua, l'opposition de gauche se forma, l'Etat ouvrier, bien qu'il dégénéra, ne fut pas renversé, le programme de la IV° Internationale put être élaboré, la continuité du bolchévisme fut assumée par l'opposition de gauche et ensuite par la IV° Internationale, et, aujourd'hui, se réunissent les conditions de la renaissance d'authentiques partis soviétiques, de la révolution politique, de la renaissance de la démocratie prolétarienne, de la régénérescence de l'Etat ouvrier, de la destruction de la caste bureaucratique et de son parti, de la reconstruction de la IV° Internationale et de la construction de ses partis, dont le parti de l'U.R.S.S. de la IV° Internationale ; les conditions de la victoire de la révolution prolétarienne mondiale se forgent. Les partis soviétiques renaîtront dans le cours de la révolution politique contre la bureaucratie, parmi eux les partis social-démocrates auront vraisemblablement une place importante. Ils renaîtront car l'oppression et la spoliation staliniennes font que des milliers de prolétaires attachées aux conquêtes d'Octobre et prêts à les défendre, chercheront obligatoirement à lutter contre la bureaucratie parasitaire en utilisant des formes d'organisation politique traditionnelles du mouvement ouvrier, mais en les chargeant d'un nouveau contenu. Alors que le parti menchévik agissait au compte de la bourgeoisie mondiale en agressant la révolution d'Octobre aux abois, des partis se réclamant de la social-démocratie mais renaissant dans la lutte contre le stalinisme, les bureaucraties parasitaires, dans le processus de la révolution politique, se situant sur le terrain de la défense des conquêtes socialistes, occuperont une toute autre place politique, et seront des partis soviétiques au sens véritable.
Janus‑Germain‑Mandel fait fi de la dialectique de l'histoire. L'expert révisionniste loue aujourd'hui les vertus de « révolution politique pacifique », la démocratisation de la bureaucratie ; il condamne les mesures rigoureuses prises par le parti bolchévique en 1921. En 1921 la classe ouvrière de l'U.R.S.S. disloquée, liquéfiée physiquement et psychiquement, la force politique de la révolution se concentrait à l'intérieur du parti bolchévique bien qu'il fut lui aussi gravement atteint ; en 1970, le prolétariat de l'U.R.S.S., ceux des pays de l'Europe de l'Est, ont acquis une puissance inégalée, la révolution sourd de toutes parts, ils sont en marche pour reconquérir le pouvoir par la révolution politique. Au fond la position de Germain‑Mandel est très cohérente : il condamne les mesures exceptionnelles indispensables à la défense de la révolution en retraite, comme il se prononce contre la révolution montante. Telle est sa dialectique propre.