1976 |
La marche à la révolution et son développement seront faits d'alternances, de flux et de reflux, qui s'étendront vraisemblablement sur une longue période. Il y aura des situations confuses. des formes confuses. (...) C'est la conséquence de la contradiction entre la maturité des conditions objectives, et le retard accentué à la solution de la crise de l'humanité qui "se réduit à celle de la direction révolutionnaire". Résoudre cette contradiction est la tâche des organisations qui se réclament de la IV° Internationale, de ses origines, de son programme. |
A propos des « 25 thèses sur "La révolution mondiale" » d'E. Mandel
Stéphane Just
La bureaucratie chinoise, celle du Kremlin, la révolution mondiale
Les Thèses 22 et 23 sont assez remarquables. Ainsi :
« Les racines idéologiques du nationalisme petit-bourgeois réactionnaire qui domine la dynamique de ce conflit à Moscou comme à Pékin, trouvent leurs origines dans la théorie du « socialisme dans un seul pays », il n'en reste pas moins que l'autonomie qui a été prise par ce conflit à un niveau étatique, son impact réactionnaire sur la lutte des classes internationales et la révolution coloniale, et la manière selon laquelle l'impérialisme a été capable d'en tirer avantage, dépasse de loin son aspect idéologique initial. »
Donc, il se serait agi, au départ au moins, « d'un conflit idéologique ». « L’idéologie » a bon dos : ce sont des intérêts matériels contradictoires des bureaucraties de l'URSS et de la bureaucratie chinoise qui sont à l'origine du conflit. De même, la pseudo‑« théorie » de la « construction du socialisme dans un seul pays » n'est qu'un vulgaire habillage, un camouflage des intérêts conservateurs des bureaucraties parasitaires, et d'abord des intérêts de celle du Kremlin. De tout temps, la bureaucratie du Kremlin a tente d'étrangler la révolution chinoise. Au cours des années 1960, elle s'est efforcée de faire de la Chine un objet de marchandage entre elle et l'impérialisme américain. La bureaucratie chinoise se tenait sur le terrain de la défense de ses privilèges. Elle cherchait à ce que s’établisse entre elle et l'impérialisme une « coexistence pacifique » qui respecte ses intérêts particuliers de caste privilégiée. La base d'un accord ne pouvait être trouvée qu'au détriment de ceux du prolétariat mondial, contre la révolution, et éventuellement sur le dos du Kremlin. L'impérialisme ne pouvait que « en tirer avantage ».
Le décompte entre des aspects « positifs » et « négatifs » des politiques réciproques des bureaucraties chinoise et du Kremlin n'est pas très convaincant.
« Durant la première phase du conflit, principalement au cours des années 60, le Kremlin a tenu incontestablement le rôle le plus réactionnaire. Il s'allie avec l'Inde bourgeoise contre l’État ouvrier chinois, il soutient des gouvernements réactionnaires dans plusieurs pays semi‑coloniaux, contre les partis communistes locaux, et refusa toute aide militaire et politique à la République populaire de Chine alors qu'elle se trouvait dans une crise sérieuse. De façon plus générale, il introduisit dans les rangs des partis communistes, en particulier dans les partis communistes des États ouvriers eux‑mêmes, des préjudices (il y a certainement une faute de frappe ; il faut sans doute lire « préjugés » ‑ NDLR.) absolument réactionnaires, comme la « nécessité de défendre la civilisation occidentale contre le péril jaune » ou le mépris chauvin à l'égard des « paysans qui veulent construire le communisme à partir d'un bol de riz ». Il n'est pas étonnant que le courant maoïste ou les tendances semi‑maoïstes aient été capables, au cours de cette période, de gagner un soutien large parmi les couches opprimées en révolte dans les pays semi‑coloniaux, et même dans les pays impérialistes, contre de telle idéologies fondamentalement réactionnaires et contre‑révolutionnaires.
« Durant la seconde phase de ce conflit, essentiellement depuis la fin des années 60 et le début de la décennie suivante, les termes du débat se sont renversés de manière radicale. Aujourd'hui, la bureaucratie maoïste développe une idéologie et une politique de loin plus réactionnaire que celle du Kremlin ou des partis communistes officiels. En commençant, avec la conception des « deux superpuissances » considérées comme également nuisibles, une rationalisation idéologique par Pékin des manœuvres diplomatiques en URSS et dans certains pays d'Europe de l'Est, Mao a glissé graduellement vers la conception du « social‑impérialisme » présenté comme le danger principal. Ceci a conduit à la reconnaissance de l'OTAN et du réarmement nucléaire de l'impérialisme européen, à la défense de la « patrie » capitaliste en Europe occidentale contre les « menaces militaires de Moscou », à des interventions ouvertement contre-révolutionnaires en regard des révolutions angolaise et portugaise, et à des alliances avec des forces ouvertement pro‑capitalistes, non seulement contre des partis communistes, mais même contre des mouvements de masse indépendants du prolétariat. »
Mettre tout dans le même sac est toujours une erreur qui peut avoir d'importantes conséquences politiques négatives : confondre le PCC et le PCUS, la bureaucratie chinoise et la bureaucratie du Kremlin participe de ce genre d'erreur. Distinguer ce qui leur est spécifique est indispensable. Le PC chinois, pour prendre le pouvoir, a dû rompre avec la bureaucratie du Kremlin : en ce sens, ce n'est pas un parti stalinien. Il est le parti d'une bureaucratie dont l'embryon a pris directement le pouvoir, et qui s'est constituée, renforcée sans avoir à détruire les soviets ‑ ils n'existaient pas ‑, sans avoir à détruire un parti bolchevique qui n'existait pas, et à le transformer en parti de la bureaucratie victorieuse : ce parti existait déjà, c'était le PCC lui‑même.
Pour arriver au pouvoir, conforter ce pouvoir, la bureaucratie chinoise n'a donc pas eu recours aux terribles et immenses purges auxquelles celle du Kremlin a dû avoir recours. Mais depuis qu'elle a pris le pouvoir, la bureaucratie chinoise va de crise en crise. Ce n'est pas nécessaire de les rappeler ici.
Prise comme en tenailles entre la bureaucratie du Kremlin et l'impérialisme américain, subissant les conséquences à long terme de la politique aventuriste du « grand bond en avant », la bureaucratie chinoise s'est profondément divisée. Une de ses ailes enracinée dans le parti, l'économie, l'État, était prête à capituler devant !e Kremlin et Washington et à en revenir plus ou moins aux lois du marché comme régulateur de l'économie. Regroupée derrière Mao Tsé Toung, une autre aile de la bureaucratie a combattu cette capitulation. Elle dut faire appel à une mobilisation contrôlée et déformée des masses contre l'aile prête à s'aligner sur le Kremlin et Washington, et dut briser l'appareil d'État, du parti et de l'économie. Ce fut la « révolution culturelle ». Sans doute il y avait‑il des groupes intermédiaires. Les positions des uns et des autres n'étaient pas claires. La bataille se déroulait à partir de thèmes totalement « idéologiques » et souvent ahurissants masquant les vrais problèmes. Les trotskystes ne pouvaient être neutres : contre la capitulation devant le Kremlin et Washington, c'est‑à‑dire la remise en cause des conquêtes de la révolution, ils devaient soutenir inconditionnellement la défense de ces conquêtes. Inconditionnellement, c'est‑à‑dire sans poser à Mao la condition qu'il adopte le programme de la révolution politique. Demander à l'aile maoïste d'adopter le programme de la révolution politique signifiait que Mao pouvait devenir trotskyste, partisan de la IV° Internationale, en bref cela signifiait nier la nécessité de la révolution politique, ou utiliser une simple rouerie pour rester « neutres ». Au cours de « la révolution culturelle », les maoistes continuaient à défendre la couche bureaucratique privilégiée et ses intérêts. Ils ont violemment réagi contre les tentatives de dépasser les limites de la « révolution culturelle », tendance naturelle des masses. Dès que la menace de la révolution politique s'est profilée derrière la « révolution culturelle », ils ont brutalement réprimé le mouvement et tout mis en œuvre pour reconstruire l'appareil bureaucratique disloqué. Au cours même de la « révolution culturelle », la politique internationale de l'aile maoïste n'a cessé d'être une politique visant à la « coexistence pacifique » à la chinoise. Elle restait réactionnaire. Les thèmes que Lin Piao développait, l'encerclement des villes par la campagne, de l'impérialisme par les pays économiquement arriérés, visaient à trouver des alliés au sein des « bourgeoisies nationales » pour faire pression sur l'impérialisme, tout en combattant la révolution prolétarienne aussi bien dans les métropoles impérialistes que dans les pays coloniaux et semi‑coloniaux. Il faut tout de même se souvenir à quels drames a abouti cette politique : le Parti communiste indonésien, que Pékin inspirait directement, a paralysé les masses, il a soutenu sans faille Soekarno, la clique militaire. Ainsi a‑t‑il permis que se prépare le coup d'État militaire, et le massacre de centaines de milliers d'ouvriers, de paysans, de militants.
« Durant la seconde phase de ce conflit, essentiellement depuis la fin des années 60 et le début de la décennie suivante, les termes du débat se sont renversés de manière radicale, affirme le camarade Ernest Mandel, la bureaucratie maoïste développe une idéologie et une politique de loin plus réactionnaire que celle du Kremlin ou des partis communistes "officiels". »
En quoi les termes du débat se sont‑ils renversés ? La défense des intérêts de la bureaucratie chinoise ne pouvait qu'amener à réprimer les masses en Chine et à rechercher un accord avec l'impérialisme américain contre la révolution prolétarienne menaçante dans le monde. Sa participation à la nouvelle alliance contre‑révolutionnaire ne fait que confirmer le caractère profondément réactionnaire de la bureaucratie chinoise. En aucun cas, il ne s'agit de « débat » entre le Kremlin et Pékin. En quoi et pourquoi la bureaucratie chinoise serait‑elle devenue « plus réactionnaire que celle du Kremlin et des partis communistes "officiels" » ?
Sous l'égide de l'impérialisme américain. les bureaucraties chinoise et du Kremlin ont été d'accord pour imposer au peuple vietnamien les accords de Paris en janvier 1973. Si ces accords se sont effondrés, elle le regrettent profondément, et cela ne va pas sans leur poser quelques problèmes. Elles sont d'accord pour être les agents de la politique de l'impérialisme US au Moyen‑Orient. Elles sont d'accord pour barrer la voie à la révolution prolétarienne en Europe : les fronts populaires que pratiquent les PC à l'instigation du Kremlin équivalent à la politique de la bureaucratie chinoise de soutien aux bourgeoisies européennes, de l'OTAN, etc. « L'accord sur la sécurité et la coopération en Europe », que les impérialismes européens, l'impérialisme US, la bureaucratie du Kremlin et les bureaucraties de l'Europe de l'Est ont signé à Helsinki, en juillet 1975, défend l'ordre européen actuel qui intègre le pacte Atlantique, la présence US en Europe, ainsi que le pacte de Varsovie. C'est sur cette base que s'appuie la coopérative contre‑révolutionnaire. Le PCI, qui soutient le gouvernement démocrate‑chrétien, ne met pas en cause l'OTAN, ni le PCF, ni le PCE, ni le PCP. Les bureaucraties chinoise et du Kremlin sont des adversaires tout aussi résolus de la révolution politique en Europe de l'Est, et bien sûr en URSS. Il suffit de se souvenir de la brutale réaction de Pékin contre la révolution hongroise des conseils, les virulents reproches adressés au Kremlin accusé de « faiblesse ».
Il ne faut pas « tout mettre dans le même sac », mais il faut analyser les relations qui existent entre les phénomènes et les forces sociales et politiques. Le PCC a rompu avec le Kremlin, la bureaucratie chinoise n'est pas identifiable avec celle du Kremlin. Le PCC n'en est pas moins un produit de la dégénérescence du Komintern et de la révolution russe, l'existence de la bureaucratie chinoise dépend de l'existence de celle du Kremlin. Le rôle contre‑révolutionnaire mondial de la bureaucratie du Kremlin n'a pu empêcher la révolution chinoise, mais il l'a déformée. Le PCC, formé aux méthodes staliniennes, l'a dirigée, A chaque crise de la bureaucratie chinoise qui la déchire, on voit sourdre la révolution politique. Cela souligne que cette bureaucratie dépend historiquement de celle du Kremlin, dans son origine comme dans son avenir. Son existence dépend d'un équilibre mondial dont le Kremlin est une clé de voûte. Le sort de la bureaucratie du Kremlin est lui aussi lié à celui de la bureaucratie de Pékin : la révolution politique s'étendant en Chine et la submergeant ne s'arrêterait pas à la frontière entre la Chine et l'URSS. L'interdépendance des bureaucraties parasitaires est une des plus importantes données des rapports mondiaux. Mais le centre historique de celles‑ci reste la bureaucratie du Kremlin.
Ainsi n'est‑il pas très bien venu de parler de la « toute récente dégénérescence du maoïsme ». Le « maoïsme » n'a pas plus dégénéré que le stalinisme. Il n'a pas plus de valeur théorique. Il est tout aussi étranger au marxisme. Il se sert d'oripeaux idéologiques qui n'ont d'autre fonction que de maquiller, d'habiller une pratique politique de défense des intérêts d'une bureaucratie parasitaire et réactionnaire.