1907

L'article « Contre le boycottage » fut publié fin juillet 1907 dans la brochure Sur le boycottage de la Troisième Douma, tirée dans une imprimerie social-démocrate clandestine de Pétersbourg. La couverture portait de fausses indications : « Moscou, 1907. Imprimerie Gorizontov. 40, rue Tverskaïa. » En septembre 1907, la brochure fut saisie.

Source  : V. Lénine, Œuvres, Tome 13, juin 1907 - avril 1908, Éditions Sociales Paris, Éditions du Progrès Moscou, 1967.

Contre le boycottage

Lénine

26 juin 1907

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Lorsqu'on jette un coup d'oeil rétrospectif sur la lutte qui est déjà achevée (du moins dans sa forme directe et immédiate), rien n'est plus aisé, certes, que de faire le compte de tous les indices et symptômes si différents et contradictoires de l'époque. L'issue de la lutte résout tout d'un seul coup et lève très simplement tous les doutes. Mais ce qu'il nous faut déterminer maintenant, ce sont les indices du phénomène qui auraient pu nous aider à démêler la situation avant la lutte, puisque nous voulons appliquer à la IIIe Douma les leçons de l'expérience historique. Nous avons déjà montré plus haut que la condition du succès du boycottage en 1905 avait été un élan révolutionnaire très ample, général, puissant et rapide. Il faut examiner maintenant, en premier lieu, quel rapport il y a entre l'élan révolutionnaire particulièrement puissant et le boycottage et, en second lieu, quels sont les traits caractéristiques et les signes distinctifs d'un élan particulièrement puissant.

Le boycottage, comme nous l'avons déjà dit, n'est pas une lutte menée à partir d'une institution donnée, mais une lutte contre la naissance de cette institution. Toute institution ne peut être engendrée que par le régime existant, c'est-à-dire le régime du passé. Le boycottage est donc un moyen de lutte dirigé directement vers le renversement de l'ancien régime ou, dans le pire des cas, c'est-à-dire si l'assaut livré est insuffisant pour le renverser, vers un tel affaiblissement du régime qu'il ne puisse garantir la création de cette institution, qu'il ne puisse lui permettre de voir le jour [a]. Le boycottage réclame par conséquent pour son succès une lutte directe contre l'ancien régime, des soulèvements contre lui et un refus d'obéissance massif dans bien des cas (un tel refus d'obéissance massif est l'une des conditions préparant l'insurrection). Le boycottage est le refus de reconnaître l'ancien régime, non pas certes un refus en paroles, mais un refus en actes, c'est-à-dire un refus qui n'apparaît pas seulement dans les appels ou les mots d'ordre des organisations, mais dans un certain mouvement des masses populaires qui enfreignent systématiquement les lois de l'ancien pouvoir et créent de nouvelles institutions non légales mais ayant une existence réelle, etc., etc. Le rapport du boycottage avec un large élan révolutionnaire est donc évident: le boycottage est le moyen de lutte le plus décisif qui s'attaque non pas à des formes d'une institution donnée, mais à son existence même. Le boycottage est une déclaration de guerre directe à l'ancien régime, une attaque directe contre lui. En dehors d'un ample élan révolutionnaire, en dehors d'une effervescence massive qui déborde partout pour ainsi dire l'ancienne légalité, il ne peut être question d'aucun succès du boycottage.

En passant au problème du caractère et des signes de l'élan révolutionnaire de l'automne 1905, nous verrons facilement qu'il y eut alors une offensive massive et sans relâchement de la révolution, qui harcela, pressa systématiquement l'adversaire. Les répressions au lieu d'affaiblir le mouvement l'amplifièrent tout au contraire. Le 9 janvier souleva une gigantesque vague de grèves, il y eut des barricades à Lodz, la mutinerie du « Potemkine ». Dans la presse, les syndicats, l'enseignement, partout, les cadres légaux institués par l'ancien régime furent violés systématiquement, et pas du tout par les seuls « révolutionnaires », mais aussi par tout un chacun, car l'ancien régime était véritablement affaibli et ses mains décrépites lâchaient réellement les rênes. Le fait que les mots d'ordre des révolutionnaires non seulement ne sont pas restés sans écho, mais ont été en retard sur la vie, est un indice particulièrement frappant et sûr (du point de vue des organisations révolutionnaires) de la puissance de l'élan révolutionnaire. Le 9 janvier, puis les grèves massives et le « Potemkine », ces événements ont devancé les appels directs des révolutionnaires. Il n'y eut pas en 1905 d'appel de leur part que les masses eussent accueilli passivement, par le silence et le refus d'engager la lutte. Dans une telle situation le« boycottage venait nécessairement au milieu d'une atmosphère chargée en électricité. Ce mot d'ordre n'« inventait » rien alors, il ne faisait que formuler de façon précise et correcte l'élan révolutionnaire qui allait toujours plus avant vers l'assaut direct. Par contre, ce sont nos mencheviks qui se sont trouvés dans la situation d'« inventeurs », gardant leurs distances vis-à-vis de l'élan révolutionnaire, ils se laissaient entraîner par une promesse creuse du tsar, dans le genre du manifeste ou de la loi du 6 août, et prenaient au sérieux le tournant promis vers une voie monarcho-constitutionnelle. Les mencheviks (et Parvus) élaboraient alors leur tactique non sur la base d'un élan révolutionnaire très ample, puissant et rapide, mais sur la base d'une promesse faite par le tsar d'un tournant monarcho-constitutionnell Il n'est pas étonnant qu'une telle tactique se soit révélée d'un opportunisme ridicule et piteux. Il n'est pas étonnant que dans tous les raisonnements mencheviques sur le boycottage on évite maintenant avec soin l'analyse du boycottage de la Douma de Boulyguine, c'est-à-dire de la plus importante expérience de boycottage de la révolution. Mais c'est peu que de reconnaître cette erreur, probablement la plus grosse de la tactique menchevique dans la révolution. Il faut encore comprendre clairement que la source-de cette erreur a été l'incompréhension de la situation objective, qui faisait de l'élan révolutionnaire une réalité et du tournant monarcho-constitutionnel une vaine promesse policière. Ce n'est pas parce qu'ils ont abordé le problème sans état d'esprit révolutionnaire subjectif que les mencheviks ont eu tort, mais parce que ces piètres révolutionnaires ont été en retard dans leurs idées sur la situation révolutionnaire objective. Il est facile de confondre l'une et l'autre cause de l'erreur des mencheviks, mais c'est inadmissible pour un marxiste.


Notes de l'auteur

[a] Il s'agit partout dans le texte du boycottage actif, c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas d'une simple abstention de participation aux entreprises de l'ancien régime, mais d'un assaut contre ce régime. Il faut rappeler aux lecteurs qui ne connaissent pas les publications social-démocrates de l'époque du boycottage de la Douma de Boulyguine, que les social-démocrates avaient alors parlé franchement de boycottage actif, s'opposant délibérément au boycottage passif, et mettant même délibérément en rapport le boycottage actif et l'insurrection armée.

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