Supplément à « Prolétari » n°47-48, 11 (24) sept. 1909. |
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La fraction des partisans de l'otzovisme et de la construction de Dieu
Ces gens‑là se sont aussi fait remarquer dans la question de la construction de Dieu. La rédaction élargie du Prolétari a adopté et publié deux résolutions sur cette question : l'une sur le fond de l'affaire, l'autre plus spécialement sur la protestation de Maximov. On va se demander : mais que dit maintenant ce Maximov dans son « Rapport » ? Il a rédigé ce « Rapport » pour brouiller la piste, tout à fait comme ce diplomate qui disait que la langue a été donnée à l'homme pour dissimuler sa pensée [1]. On a répandu quelques « renseignements erronés » sur une « prétendue tendance à la construction de Dieu » dans le groupe de Maximov, et rien de plus.
« Des renseignements erronés », dites‑vous ? Oh ! que non, cher ami. Si vous vous êtes mis à brouiller la piste, c'est que vous connaissez toute l'exactitude des « renseignements » en possession du Prolétari. Vous savez parfaitement que ces « renseignements », comme il est dit dans la résolution publiée, concernent d'abord les œuvres littéraires nées de votre groupe de littérateurs. Ces œuvres sont indiquées avec une parfaite précision dans notre résolution; la seule chose que celle‑ci n'ajoute pas ‑ une résolution ne pouvait le faire ‑ c'est que depuis près d'un an et demi, le plus grand mécontentement contre la « construction de Dieu » des frères d'armes règne dans les cercles dirigeants bolcheviques et que c'est précisément sur ce terrain (en plus de celui dont il a été question plus haut) qu'une nouvelle fraction composée de caricatures de bolcheviks nous a gâté toute possibilité de travail par ses faux‑fuyants, ses artifices, ses chicanes, ses prétentions, ses intrigues. Et Maximov connaît fort bien la plus fameuse de ces dernières, qui est la protestation qu'il a rédigée et adressée dans les formes à la rédaction du Prolétari contre l'article « Nos chemins divergent » (n° 42 du Prolétari). Peut‑être est‑ce là aussi un « renseignement erroné », ô victime d'une injuste révocation ? Peut‑être s'agit‑il aussi d'une « pseudo-protestation » ?
Eh bien, non, figurez‑vous, la politique qui consiste à brouiller la piste ne réussit pas toujours, et dans notre parti, elle ne vous réussira jamais. Rien ne sert de jouer à cache‑cache et de faire des cachotteries à propos de choses bien connues de tous ceux qui s'intéressent à la littérature et à la social‑démocratie russes. Il y a un groupe de littérateur qui, à l'aide de quelques maisons d'édition bourgeoises, submerge notre littérature légale d'une propagande systématique pour la construction de Dieu. Maximov fait partie de ce groupe. C'est précisément au cours de ces derniers dix‑huit mois que cette propagande est devenue systématique, lorsque la bourgeoisie russe, à des fins contre‑révolutionnaires, a eu besoin de ranimer la religion, d'éveiller l'intérêt pour la religion, de forger une religion, de l'inoculer au peuple ou de renforcer son emprise sur lui. La propagande pour la construction de Dieu a pris ainsi un caractère social et politique. De même qu'en période de révolution, la presse bourgeoise cajolait et flattait les mencheviks les plus zélés à cause de leur cadétophilie, de même, en période de contre‑révolution, elle couvre de baisers les constructeurs de Dieu des milieux ‑ tenez‑vous bien ! ‑ marxistes et même des milieux « bolcheviques eux aussi ». Et lorsque l'organe officiel du bolchevisme a déclaré dans un article de la rédaction que le bolchevisme n'avait rien de commun avec pareille propagande (cette déclaration fut faite dans la presse après l'échec d'innombrables tentatives par lettres et conversations personnelles d'obtenir la cessation de cette honteuse prédication), le camarade Maximov a adressé une protestation en bonne et due forme à la rédaction du Prolétari. Lui, Maximov, avait été élu au Congrès de Londres [2], ce qui faisait que son « droit acquis » se trouvait violé par ceux qui avaient osé désavouer officiellement la honteuse propagande pour la construction de Dieu ! « Eh quoi ! ne dirait‑on pas que notre fraction est prisonnière des littérateurs de la construction de Dieu ? » Cette remarque échappa au camarade Marat [3] au cours d'une scène orageuse à la rédaction; oui, oui, à ce même camarade Marat si modeste, si plein de bonne volonté, si pacifique, si bienveillant que, jusqu'à maintenant, il n'est pas encore arrivé à décider s'il doit suivre les bolcheviks ou les pieux otzovistes.
Ou peut‑être tout cela est‑il encore un « renseignement erroné », ô Maximov, innocente victime d'une injuste révocation ? Il n'existe peut‑être aucun groupe de littérateurs de la construction de Dieu, vous ne les avez peut‑être pas défendus, vous n'avez peut‑être jamais protesté contre l'article « Nos chemins divergent » ?
A propos des « renseignements erronés » sur la tendance de la construction de Dieu, le camarade Maximov parle dans son « Rapport » de l'école à l'étranger organisée par la nouvelle fraction. Le camarade Maximov souligne si fort cette « organisation de la première (les italiques sont de lui) école du parti à l'étranger », il mène si bien le public par le bout du nez à ce sujet, qu'il faut parler de cette fameuse école d'une manière plus détaillée.
Le camarade Maximov se plaint amèrement :
« Pas une seule tentative n'a été faite par la rédaction du Prolétari, non seulement pour apporter son soutien à cette école, mais même pour en prendre en main le contrôle; avant de répandre sur l'école des renseignements mensongers récoltés on ne sait où, la rédaction n'a fait aucune enquête auprès de ses organisateurs pour les vérifier. Voilà quelle a été l'attitude de la rédaction dans toute cette affaire. »
Bien, bien. « Pas une seule tentative, même pour prendre en main le contrôle de l'école »... Le jésuitisme de Maximov en arrive à tel point dans cette phrase qu'il se trahit lui‑même.
Rappelez‑vous, lecteurs, le foyer Eroguine à l'époque de la I° Douma. Zemski natchalnik [4] à la retraite (ou chevalier d'administration dans ce genre), Eroguine avait organisé à Pétersbourg un foyer pour les députés paysans de passage, par désir de prêter son concours aux « vues du gouvernement ». Les campagnards inexpérimentés qui arrivaient dans la capitale étaient récupérés par les agents d'Eroguine et dirigés vers son foyer où, cela va sans dire, ils se trouvaient à bonne école. Là, on corrigeait les doctrines erronées de la « gauche », on vilipendait les troudoviks [5], etc., et les nouveaux venus à la Douma étaient initiés à la sagesse gouvernementale « vraiment russe ». Heureusement, le fait que la Douma d'Etat se trouve à Pétersbourg a forcé Eroguine à installer son foyer dans cette ville : or Pétersbourg étant un centre idéologique et politique suffisamment vaste et libre, il va sans dire que les députés d'Eroguine eurent tôt fait d'abandonner ce foyer pour déménager dans le camp des troudoviks ou dans celui des députés indépendants. L'initiative d'Eroguine avait tourné à sa honte et à celle du gouvernement.
Maintenant, lecteurs, imaginez que semblable foyer soit organisé, non pas dans quelque Pétersbourg de l'étranger, mais dans un quelconque Tsarévokokchaïsk [6] situé hors de nos frontières. Vous conviendrez alors que les Eroguine otzovistes et constructeurs de Dieu ont profité de leur connaissance de l'Europe pour se montrer plus malins que le vrai Eroguine russe. Ces gens qui se disent bolcheviks ont constitué une caisse indépendante de la caisse générale des bolcheviks, unique pour autant que nous le sachions, qui couvre les frais de publication et de diffusion du Prolétari. Ils ont organisé leur propre réseau d'agents, ils ont glissé quelques‑uns de leurs agitateurs à Tsarévokokchaïsk, y ont fait venir quelques ouvriers social‑démocrates inscrits au parti et ont baptisé ce foyer Eroguine (caché du parti à Tsarévokokehaïsk) du nom de « première école du parti » (du parti parce que cachée du parti) « à l'étranger ».
Hâtons‑nous de faire quelques réserves. Attendu que le camarade Maximov révoqué a mis beaucoup d'empressement à soulever la question de savoir si sa révocation était légale ou illégale (à ce sujet, voir ci‑dessous), hâtons‑nous donc de faire des réserves et de dire que dans la façon d'agir de nos Eroguine otzovistes et constructeurs de Dieu, il n'y a strictement rien d'« illégal ». Absolument rien. Tout est parfaitement régulier : que des amis politiques se groupent ensemble dans un parti, qu'ils aient une caisse et organisent une seule entreprise générale d'agitation et de propagande. Qu'à un moment donné ils désirent choisir pour cette entreprise la forme, disons, d'une « école » et non pas d'un journal; qu'ils la considèrent officiellement comme du parti, puisque ce sont des membres du parti qui l'ont fondée et puisqu'il y a au moins une organisation du parti, quelle qu'elle soit qui assume la responsabilité politique et idéologique de cette entreprise. Tout cela est parfaitement légal et serait très bien si... s'il n'y avait pas là de jésuitisme, d'hypocrisie, s'il n'y avait pas duperie de son propre parti.
N'est‑ce pas tromper le parti que de souligner publiquement que l'école lui appartient, c'est‑à‑dire de limiter la question à la subordination formelle de l'école et de taire les noms de ses promoteurs et de ses fondateurs, ce qui revient à passer sous silence sa tendance politique et idéologique en tant qu'entreprise de la nouvelle fraction de notre parti ? A la rédaction du Prolétari, il y a eu deux « papiers » au sujet de cette école (les rapports de la rédaction avec Maximov depuis plus d'un an déjà se bornent à un échange de « papiers » et de notes diplomatiques). Le premier était anonyme, il ne portait absolument aucune signature, c'était une simple dissertation sur l'utilité de l'instruction et sur l'importance de ces établissements à but instructif qu'on appelle écoles. Le second était signé par des prête‑noms. Aujourd'hui, en prenant publiquement position dans la presse pour exalter la « première école du parti à l'étranger », le camarade Maximov dissimule, comme d'habitude, son caractère d'école d'une fraction.
Cette politique de jésuite nuit au parti. Cette « politique », nous allons la démasquer. Ceux qui ont pris l'initiative de cette école et qui l'ont fondée sont en fait les camarades « Er » [7] (appelons ainsi le chef des otzovistes moscovites bien connu de tous au parti; c'est lui qui a lu les exposés sur l'école, organisé l'école des étudiants et qui a été choisi comme conférencier par quelques cercles ouvriers), Maximov, Lounatcharski, Liadov, Alexinski, etc. Nous ne savons pas, et cela ne nous intéresse pas de savoir le rôle particulier qu'ont joué les uns ou les autres de ces camarades, comment ils se répartissent dans les différentes institutions officielles de l'école, dans son « conseil », dans sa « commission exécutive », dans son collège de conférenciers, etc. Nous ne savons pas quels sont les camarades « extrafractionnels » qui peuvent venir à l'occasion compléter cette compagnie. Tout cela n a aucune importance. Nous soutenons que la vraie tendance idéologique et politique de cette école, en tant que nouveau centre fractionnel, est précisément définie par la liste des noms cités et qu'en la dissimulant au parti, Maximov mène une politique de jésuite. Il n'est pas mauvais qu'un nouveau centre fractionnel ait vu le jour dans le parti, nous ne sommes absolument pas de ces gens qui ne demandent pas mieux que de se constituer un petit capital politique avec des clameurs démagogiques, et qui ne leur coûtent pas cher, contre le fractionnisme; au contraire, il est bon qu'une nuance particulière ait la possibilité de s'exprimer dans le parti, du moment qu'elle existe. Ce qui est mauvais, c'est que le parti soit induit en erreur ainsi que les ouvriers qui éprouvent de la sympathie, cela va de soi, pour toute école, comme pour toute entreprise instructive.
N'est‑ce pas de l'hypocrisie de la part du camarade Maximov que de se lamenter publiquement parce que la rédaction du Prolétari n'a « même » (« même » !) pas voulu « prendre en main le contrôle de l'école » ? Pensez donc, en juin 1908, le camarade Maximov a quitté la rédaction restreinte du Prolétari, depuis lors on assiste dans la fraction bolchevique à une lutte intérieure quasi permanente et qui revêt mille formes diverses. Alexinski est à l'étranger, « Er » et Cie sont hors des frontières, et en Russie on répète sur tous les tons, après Maximov, toutes les sentencieuses sottises des otzovistes et des constructeurs de Dieu contre le Prolétari. Maximov rédige et fait paraître des protestations formelles contre l'article « Nos chemins divergent »; tous ceux qui connaissent, ne serait‑ce que par oui‑dire, les affaires du parti, parlent de l'impossibilité d'éviter une scission chez les bolcheviks (il suffit de rappeler que le menchevik Dan a déclaré bien haut à une séance officielle de la Conférence de Russie de décembre 1908 : « Qui ne sait que les bolcheviks accusent maintenant Lénine de trahir le bolchevisme » !), et le camarade Maximov jouant l'innocence de l'enfant qui vient de naître, demande solennellement à son très respectable public : pourquoi la rédaction du Prolétari n'a‑t‑elle « même » pas voulu prendre en main le contrôle de l'école du parti dans le Tsarévokokchaïsk des constructeurs de Dieu ? Le « contrôle » de l'école ! Les partisans du Prolétari assistant en qualité d'« inspecteurs » aux cours de Maximov, de Lounatcharski, d'Alexinski et Cie !! Allons, pourquoi jouer cette indigne, cette lamentable comédie ? Pourquoi ? Pourquoi jeter de la poudre aux yeux du public en distribuant des « programmes » et des « rapports » sur l'« école » qui ne veulent rien dire, au lieu de donner franchement, carrément les noms des dirigeants et animateurs idéologiques du nouveau contre fractionnel !
Pourquoi ? Nous allons tout de suite répondre à cette question, mais finissons‑en d'abord avec cette question d'école : Tsarévokokchaïsk pourrait trouver place à Pétersbourg ou s'y transporter (du moins en grande partie), mais Pétersbourg ne peut ni trouver place à Tsarévokokchaïsk ni s'y transporter. Les étudiants de la nouvelle école du parti les plus énergiques et les plus indépendants sauront trouver le chemin qui mène de la nouvelle petite fraction à notre large parti, de « la science » des otzovistes et des constructeurs de Dieu à la science du social‑démocratisme en général et du bolchevisme en particulier. Quant à ceux qui se contenteront de l'enseignement d'Eroguine, on n'y peut rien. La rédaction du Prolétari est et restera prête à apporter toute l'aide possible à tous les ouvriers, quelles que soient leurs idées, s'ils désirent déménager du Tsarévokokehaïsk de l'étranger au Pétersbourg de l'étranger (ou y passer) pour connaissance avec les idées du bolchevisme. C'est l'hypocrite politique de ceux qui ont eu l'initiative de « la première école du Parti à l'étranger » et qui l'ont fondée, que nous allons démasquer devant tout le parti.
Repères
[1] Lénine fait allusion à Talleyrand, diplomate français de la fin du XVIII° s. et du début du XIX° s.
[2] Congrès de Londres (Cinquième Congrès du P.O.S.D.R.): il eut lieu entre le 30 avril et le 19 mai (le 13 mai et le l° juin) 1907.
[3] Marat, pseudonyme de V. Schantser, membre de la rédaction du Prolétari, devenu plus tard ultimatiste et membre du groupe « Vpériod ».
[4] En 1889, le gouvernement tsariste, afin de renforcer le pouvoir des gros propriétaires fonciers sur les paysans, créa le poste de zemski natchalnik. Les zemskié natchalniki, nommés parmi les propriétaires nobles, reçurent des pouvoirs énormes d'ordre administratif et juridique, allant jusqu'au droit d'arrêter les paysans et de leur infliger des châtiments corporels.
[5] Groupe du Travail (les troudoviks), groupe de démocrates petits‑bourgeois aux Doumas d'Etat, compose de paysans et d intellectuels d'inspiration populiste. Leur fraction fut constituée en avril 1906 avec les députés paysans de la I° Douma d'Etat.
Le groupe revendiquait l'abolition de toutes les restrictions de caste et de nationalité, la démocratisation de l'administration des zemstvos et des villes, le suffrage universel pour élire les députés à la Douma d'Etat. Leur programme agraire partait des principes populistes d'« égalitarisme » dans la jouissance des terres.
A la Douma d'Etat, les troudoviks hésitaient entre les cadets et les social‑démocrates. Mais comme les troudoviks représentaient dans une certaine mesure les masses paysannes, les bolcheviks avaient adopté à la Douma une tactique d'accord avec eux dans certaines questions pour la lutte commune contre l'autocratie tsariste et les cadets. En 1917, le « groupe du Travail » fusionna avec le parti des « socialistes populistes », et soutint activement le gouvernement provisoire bourgeois Après la Révolution socialiste d'Octobre, les troudoviks rallièrent le camp de la contre‑révolution.
[6] Tsarévokokchaïsk, petite ville de district de la Russie tsariste.
[7] Er, pseudonyme de S. Volski.