1917 |
Paru les 6, 9 et 10 mai (23, 26 et 27 avril) 1917 |
Lénine Les partis politiques en Russie et les tâches du prolétariat |
2ème partie
Questions :
14. - Pour ou contre la guerre actuelle ?
Réponses :
A - (à droite des cadets) et B - (cadets). Pour, sans réserves, car elle procure des bénéfices fabuleux aux capitalistes et promet d'affermir leur domination, en divisant les ouvriers et en les dressant les uns contre les autres. Nous tromperons les ouvriers en qualifiant la guerre de défensive et en affirmant que son but est, somme toute, de renverser Guillaume.
C - (s.-d. et s.-r.). Nous sommes en général contre la guerre impérialiste, mais nous sommes prêts à nous laisser tromper et à qualifier de « défense nationale révolutionnaire » le soutien de la guerre impérialiste menée par le gouvernement impérialiste Goutchkov-Milioukov et Cie.
D - (« bolchéviks »). Contre toute guerre impérialiste, sans restriction ; contre tous les gouvernements bourgeois qui la mènent, notre Gouvernement provisoire y compris ; contre la « défense nationale révolutionnaire » en Russie et cela sans aucune réserve.
15. - Pour ou contre les traités internationaux de brigandage (prévoyant l'étranglement de la Perse, le partage de la Chine, de la Turquie, de l'Autriche, etc.) conclus par le tsar avec l'Angleterre, la Franc, etc. ?
A - (à droite des cadets) et B - (cadets). Pour, entièrement et sans réserve. Quant à publier les traités, cela est impossible parce que le capital impérialiste anglo-français et ses gouvernements ne le permettront pas, et parce que le capital russe ne peut pas révéler au grand public ses sordides manigances.
C - (s.-d. et s.-r.). Contre, mais nous espérons encore, grâce à la commission de contact et par diverses « campagnes » dans les masses, « influencer » le gouvernement des capitalistes.
D - (« bolchéviks »). Contre. Ce qu'il faut, c'est expliquer aux masses qu'il est absolument vain d'espérer quoi que ce soit, sous ce rapport, des gouvernements capitalistes, et que le pouvoir doit passer au prolétariat et aux paysans pauvres.
16. - Pour ou contre les annexions ?
A - (à droite des cadets) et B - (cadets). Si les annexions sont le fait des capitalistes allemands et de Guillaume, leur chef de bande, nous sommes contre. Nous ne les condamnons pas si elles sont le fait des Anglais, car ceux-ci sont « nos » alliés. Si elles sont le fait de nos capitalistes, qui maintiennent de force dans le cadre de la Russie les peuples naguère asservis par le tsar, nous sommes pour et nous ne les qualifions pas d'annexions.
C - (s.-d. et s.-r.). Contre les annexions, mais nous espérons encore pouvoir obtenir, même d'un gouvernement de capitalistes, la « promesse » d'y renoncer.
D - (« bolchéviks »). Contre les annexions. Toutes les promesses d'y renoncer faites par les gouvernements capitalistes ne sont que duperie. La seule façon de démasquer cette duperie, c'est d'exiger l'affranchissement des peuples opprimés par les capitalistes de son propre pays.
17. - Pour ou contre l'« emprunt de la liberté ?»
A - (à droite des cadets) et B - (cadets). Pour, sans réserve, car il facilite la conduite de la guerre impérialiste, c'est-à-dire d'une guerre dont l'objet est de décider à quel groupe de capitalistes il appartiendra de dominer le monde.
C - (s.-d. et s.-r.). Pour, car la position erronée de la « défense nationale révolutionnaire » nous condamne à cette dérogation manifeste à l'internationalisme.
D - (« bolchéviks »). Contre, car la guerre demeure impérialiste, menée par des capitalistes alliés à d'autres capitalistes, dans l'intérêt de capitalistes.
18. - Pour que le gouvernements capitalistes manifestent la volonté de paix des peuples, ou contre?
A - (à droite des cadets) et B - (cadets). Pour, car l'expérience des social-chauvins républicains en France a très bien démontré la possibilité de tromper ainsi le peuple : nous déclarerons tout ce que l'on voudra, mais nous garderons le butin que nous avons volé aux Allemands (leurs colonies), tout en enlevant à ces brigands le butin qu'ils ont eux-mêmes pillé.
C - (s.-d. et s.-r.). Pour, car nous n'avons pas encore perdu nombre d'espoirs non fondés que la petite bourgeoisie a placés dans les capitalistes.
D - (« bolchéviks »). Contre, car les ouvriers conscients ne nourrissent aucun espoir au sujet des capitalistes, et notre tâche est d'expliquer aux masses que ces espoirs sont sans aucun fondement.
19. - Faut-il renverser tous les monarques ?
A - (à droite des cadets) et B - (cadets). Non, il ne faut pas renverser les monarques anglais, italien et autres monarques alliés ; il suffit de renverser les monarques allemand, autrichien, turc et bulgare, car la victoire sur ces derniers décuplera nos bénéfices.
C - (s.-d. et s.-r.). Il importe de « procéder par ordre » et de commencer absolument par renverser Guillaume ; en ce qui concerne les monarques alliés, on peut encore patienter un peu.
D - (« bolchéviks »). On ne saurait établir un tour de rôle pour la révolution. Il faut aider uniquement les véritables révolutionnaires et renverser tous les monarques dans tous les pays sans exception.
20. - Les paysans doivent-ils s'emparer immédiatement de toutes les terres des grands propriétaires fonciers ?
A - (à droite des cadets) et B - (cadets). En aucun cas. Il faut attendre l'Assemblée constituante. Chingarev a déjà expliqué que si les capitalistes arrachent le pouvoir au tsar, c'est là une grande et glorieuse révolution ; mais que si les paysans s'emparaient des terres des grands propriétaires fonciers ils commettraient un acte d'arbitraire. I1 faut constituer des commissions de conciliation, dans lesquelles les grands propriétaires fonciers et les paysans seront en nombre égal, et que présideront des fonctionnaires, c'est-à-dire encore une fois des capitalistes et des grands propriétaires fonciers.
C - (s.-d. et s.-r.). Mieux vaut que les paysans attendent l'Assemblée constituante.
D - (« bolchéviks »). Il faut prendre toutes les terres sans délai ; faire régner l'ordre le plus rigoureux par l'intermédiaire des Soviets de députés paysans. La production de blé et de viande doit augmenter : les soldats doivent être mieux nourris. Il serait absolument inadmissible que soient gâtés le bétail, l'outillage, etc.
21. - Peut-on laisser aux seuls soviets des députés paysans le soin de disposer des terres et de régler toutes les affaires rurales ?
A - (à droite des cadets) et B - (cadets). Les grands propriétaires fonciers et les capitalistes sont absolument opposés au pouvoir unique et total des Soviets de députés paysans dans les campagnes. Mais si ces Soviets ne peuvent vraiment être évités, le mieux est évidemment de s'en tenir à eux, car les paysans riches sont aussi des capitalistes.
C - (s.-d. et s.-r.). On peut, sans doute, s'en tenir à eux pour le moment, bien que les social-démocrates ne contestent pas « en principe » la nécessité d'une organisation à part des ouvriers salariés de l'agriculture.
D - (« bolchéviks »). Il n'est pas possible de s'en tenir à des Soviets communs de députés paysans, les paysans riches étant aussi des capitalistes qui seront toujours enclins à léser ou à tromper les domestiques de ferme, les journaliers et les paysans pauvres. La formation immédiate d'organisations propres à ces dernières catégories de la population rurale s'impose tant au sein des Soviets de députés paysans que sous la forme de Soviets distincts de députés des ouvriers agricoles.
22. - Le peuple doit-il prendre en mains les plus importantes et les plus puissantes organisations de monopôles capitalistes, les banques, les syndicats patronaux, etc. ?
A - (à droite des cadets) et B - (cadets). En aucun cas, car les grands propriétaires fonciers et les capitalistes pourraient en pâtir.
C - (s.-d. et s.-r.). Nous sommes, d'une manière générale, pour le passage de ces organisations aux mains du peuple tout entier, mais il serait prématuré d'y penser et de le préparer.
D - (« bolchéviks »). Il faut sans tarder préparer les Soviets des députés ouvriers, les Soviets de députés des employés de banque, etc., à prendre toutes les mesures pratiquement possibles et parfaitement réalisables d'abord pour opérer la fusion de toutes les banques en une seule banque nationale, puis pour permettre le contrôle des banques et des syndicats patronaux par les Soviets des députés ouvriers et, finalement, pour nationaliser ces banques et syndicats, c'est-à-dire en faire la propriété du peuple tout entier.
23. - De quelle Internationale socialiste les peuples ont-ils besoin en ce moment pour réaliser et mettre en œuvre l'alliance fraternelle des ouvriers de tous les pays ?
A - (à droite des cadets) et B - (cadets). Toute Internationale socialiste est, d'une façon générale, nuisible et dangereuse pour les capitalistes et les grands propriétaires fonciers. Mais si le Plékhanov allemand, c'est-à-dire Scheidemann, s'accorde et s'entend avec le Scheidemann russe, c'est-à-dire Plékhanov, s'ils se découvrent des traces de conscience socialiste, nous devons sans doute, nous capitalistes, applaudir à cette Internationale de ces socialistes ralliés à leurs gouvernements.
C - (s.-d. et s.-r.). Il faut une Internationale socialiste rassemblant tout le monde : les Scheidemann, les Plekhanov et les « centristes », c'est-à-dire ceux qui hésitent entre le social-chauvinisme et l'internationalisme. Plus la confusion sera grande, et plus grande sera l'« unité » : vive la grande unité socialiste !
D - (« bolchéviks »). Ce qu'il faut aux peuples, c'est uniquement une Internationale qui groupe les ouvriers véritablement révolutionnaires, capables de mettre un terme à l'épouvantable et criminel massacre des peuples, et qui puisse affranchir l'humanité du joug du capital. Seuls des hommes (des groupes, des partis, etc.) tels que le socialiste allemand Karl Liebknecht, en ce moment au bagne ; seuls des hommes qui luttent avec abnégation à la fois contre leur gouvernement, leur bourgeoisie, leurs social-chauvins et leur « centre », peuvent et doivent constituer sans délai l'Internationale dont les peuples ont besoin.
24. - Doit-on encourager la fraternisation au front entre les soldats des pays belligérants ?
A - (à droite des cadets) et B - (cadets). Non. Cela est contraire aux intérêts des capitalistes et des grands propriétaires fonciers, la fraternisation pouvant aider l'humanité à s'affranchir plus vite de leur joug.
C - (s.-d. et s.-r.). Oui, cela est utile. Mais nous ne sommes pas tous bien convaincus qu'il faille encourager immédiatement cette fraternisation dans tous les pays belligérants.
D - (« bolchéviks »). Oui, cela est utile et nécessaire. Il faut encourager sans réserve ni délai, dans tous les pays en guerre, les tentatives de fraternisation entre les soldats des deux groupes de pays belligérants.
25. - Quelles couleurs correspondraient à la nature et au caractère des différents partis politiques ?
A - (à droite des cadets). Le noir, car ce sont de véritables Cent-Noirs [1].
B - (cadets). Le jaune, car telle est la couleur du drapeau international des ouvriers qui servent le Capital de leur plein gré.
C - (s.-d. et s.-r.). Le rose, car toute leur politique est à l'eau de rose.
D - (« bolchéviks »). Le rouge, car c'est le drapeau de la révolution prolétarienne mondiale.
La présente brochure a été écrite au début d'avril 1917. Si l'on me demandait : n'a-t-elle pas vieilli aujourd'hui, après le 6 mai 1917, après la formation du « nouveau » gouvernement, gouvernement de coalition ? Je répondrais :
Non, car la commission de contact n'a pas disparu ; au fond, elle s'est seulement transportée dans une autre pièce, celle de MM. les ministres. Que les Tchernov et les Tsérétéli aient changé de pièce n'a en rien modifié leur politique ni celle de leurs partis.
Notes
Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]
[1]. Cent-Noirs, bandes monarchistes créées par la police tsariste pour combattre le mouvement révolutionnaire. Les Cent-Noirs assassinaient les révolutionnaires, attaquaient les intellectuels progressistes, organisaient des pogroms. [N.E.]